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La symbolique du repas dans les communautés. De la Cène au repas monastique. (Jean-Claude Sagne)

Cerf, Paris, 2009.
Jacques-Hubert Sautel

Le P. Jean-Claude Sagne, o. p., donne ici une réflexion originale sur la vie monastique, en l’abordant sous un angle peu commun : le repas communautaire, auquel la Règle de saint Benoît consacre plusieurs petits chapitres (37-41 et 56), qui multiplient les recommandations concrètes. Ici au contraire, nous avons une réflexion d’ensemble, qui s’étend d’ailleurs largement au-delà du cadre monastique. En effet, d’une part des chapitres entiers présentent une analyse sociologique et anthropologique du repas : ainsi, dans la première partie, les aliments (ch. 1), les convives et la disposition de la table (ch. 2, à partir d’un parcours iconographique). D’autre part, même lorsque le texte contient l’évocation précise du repas monastique, il est mis en parallèle et en perspective avec le repas de communautés religieuses diverses. Ces analyses reposent en partie sur un travail d’étude, en partie sur des visites faites à diverses communautés : on lira avec intérêt les « récits de repas communautaires » (ch. 3), pour le témoignage historique qu’ils constituent de la floraison de fraternités de vie dans l’après-Concile (années 1970).

On appréciera dans ce livre la richesse des analyses symboliques, formulées de façon plus systématique dans la seconde partie, intitulée « Pour une théorie des faits de table ». Ces analyses donnent une profondeur humaine à des actes très codifiés, comme le sont les repas des communautés, surtout traditionnelles. Ainsi, la disposition des moines, dos au mur et sans vis-à-vis, par l’organisation des tables « en fer à cheval », est-elle clairement analysée comme favorisant le silence, par une relation privilégiée à Dieu, à travers la lecture et une dépendance vis-à-vis des servants, tandis que le repas « en foyer » privilégie les relations interpersonnelles entre les convives.

La troisième partie, « L’alliance », qui contient moins de 40 pages, joue en fait le rôle de conclusion (d’où peut-être le titre de la dizaine de pages qui suivent, « Conclusion générale  ») : les propos des chapitres précédents prennent ici tout leur sens, car l’étude des symboles à l’œuvre dans les repas communautaires révèle bien que tout y est ordonné à l’explicitation de l’Alliance que Dieu a conclue avec l’humanité par l’intermédiaire de son peuple, alliance dont les religieux sont des figures paradigmatiques. Un passage du chapitre 7 nous semble éclairer cette démarche : « Pour que l’Alliance soit possible entre frères, il faut reconnaître, comme Origine, le Père qui donne aux frères le désir de vivre ensemble dans la reconnaissance réciproque de tous. C’est supposer un père qui, au lieu de s’imposer par la violence, n’aurait d’autre désir que de donner. (…) Ce Père est, par excellence, la figure de l’initiative du don, c’est lui qui nous a aimés le premier (1 Jn 4, 10) » (p. 231-232).

Ce chapitre présente une lecture de plusieurs textes bibliques fondamentaux : le récit de la chute originelle (Gn 3), celui du don de la manne (Ex 16), etc. On comprend les enjeux fondamentaux de tout repas : la reconnaissance du don de la vie dans la nourriture, avec une perspective qui met en valeur le Père des cieux comme source de ce don ; l’échange des dons, comme mise en œuvre de la fraternité entre les commensaux. Il convient de citer les deux dernières phrases : « La leçon du repas nous rappelle que le fond de tout lien est de recevoir ensemble le don du Père comme des enfants. Ce qui renouvelle le lien, c’est la louange, c’est l’Eucharistie » (p. 292).

Un ouvrage de qualité qui, écrit en un langage simple, avec quelques longueurs toutefois, renouvelle en profondeur notre compréhension d’actes essentiels de toute vie humaine, le repas, et de toute vie chrétienne, l’Eucharistie.

Jacques-Hubert Sautel, Né en 1954, oblat séculier de l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes. Travaille au CNRS sur les manuscrits grecs (Institut de Recherche et d’Histoire des Textes).

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