Rechercher

Le Jansénisme. De Jansénius à la mort de Louis XIV (Aimé Richardt)

Paris, éd. François-Xavier de Guibert, 2011, 227 p.
Simon Icard

Les éditions François-Xavier de Guibert ont réédité l’étude d’Aimé Richardt sur le jansénisme, parue en 2002. Il s’agit d’un ouvrage destiné au grand public. Le propos est très clair, même pour le lecteur peu au fait de l’histoire religieuse du XVIIe siècle. Il trouvera notamment en fin de volume quatre chronologies lui permettant de se repérer dans la tumultueuse histoire du jansénisme. En revanche, malgré ce souci tout à fait louable de rendre accessibles les questions multiples et complexes soulevées par cette crise du catholicisme moderne, cette étude ne peut pas être considérée comme un ouvrage de référence, car elle présente deux défauts.

L’auteur n’a pas vraiment réussi à expliquer l’unité du mouvement janséniste et son évolution. Précisons qu’il s’agit là d’une difficulté majeure à laquelle sont confrontées les études historiographiques sur le sujet, au point que le terme même de jansénisme est parfois contesté, en tout cas employé avec prudence. Aimé Richardt avait pourtant bien résumé le problème dans sa rapide introduction : « L’histoire du jansénisme est l’histoire d’un conflit qui sera successivement théologique, puis ecclésiastique, puis à la fois politique et ecclésiastique. » (p. 9) En refermant le livre, le lecteur aura acquis une bonne connaissance des événements et des sujets abordés dans les controverses, ce qui est un apport indéniable. Mais il n’aura pas compris comment et pourquoi l’on passe de querelles théologiques à des querelles ecclésiologiques et politiques. Cette manière de présenter l’évolution du jansénisme mériterait d’ailleurs d’être précisée, car les enjeux théologiques restent encore très importants jusqu’en 1720 – clôture chronologique de l’ouvrage, qui donne abusivement l’impression que le jansénisme meurt à cette date. On passe donc d’une histoire des idées centrée sur les querelles de la grâce à une histoire politique très événementielle, parfois anecdotique. En somme, l’étude présente les manifestations de la crise janséniste mais n’est pas une synthèse sur le jansénisme. Notamment, un propos plus ferme sur l’augustinisme des jansénistes aurait aidé le lecteur à mieux saisir les enjeux dogmatiques de la querelle. L’impression d’éparpillement du propos est renforcée par l’utilisation abondante d’astérisques divisant les chapitres en ensemble de paragraphes juxtaposés. Il est dommage qu’une véritable thèse, même contestable, n’ait pas servi de fil conducteur à l’ouvrage. La question de la réforme de l’Église, sur laquelle s’ouvre fort opportunément le livre, aurait pu servir utilement de problématique. Notons également que l’ouvrage ne présente pas non plus les principales thèses actuelles sur le jansénisme, comme le confirme l’absence de certains titres majeurs dans la bibliographie – par exemple et sans exclusive, les travaux de Bruno Neveu, de Jean-Louis Quantin, de Catherine Maire, de Jean Mesnard, de Philippe Sellier, d’Henri de Lubac.

L’ouvrage souffre également d’une utilisation des sources qui manque parfois de recul. Certaines relations, témoignages ou histoires sur le jansénisme, sont citées sans commentaire, ce qui contribue à leur donner un statut d’autorités, alors qu’elles constituent des documents à analyser, notamment lorsque leurs auteurs sont engagés pour ou contre le jansénisme. Ainsi, l’auteur reprend à son compte des arguments qui sont directement issus de la querelle elle-même. Par exemple, confier à Augustin Gazier, thuriféraire de la mémoire janséniste, le soin de montrer que Jansénius est parfaitement orthodoxe, car il ne fait que présenter de manière ordonnée les textes de saint Augustin (p. 71), c’est reprendre telle quelle la posture de ses défenseurs et manquer la question essentielle : quelle lecture Jansénius fait-il de saint Augustin ? À l’inverse, les jugements de valeur sur l’esprit de secte de Saint-Cyran (p. 72) reprennent les accusations de ses adversaires jésuites, sans que soit posée la question des relations entre réforme et autorité ecclésiales. De même, on s’étonne du recours au père Rapin, jésuite du XVIIe siècle, pour présenter le contenu de l’Augustinus (p. 41), recours d’autant plus étrange que l’article « Jansénisme » du Dictionnaire de théologie catholique, écrit par Jean Carreyre, en fait une présentation exhaustive. Cette empathie avec les sources se laisse deviner dès le premier chapitre, consacré à la décadence de l’Église de France au début du XVIIe siècle. Le propos doit être nuancé – comme le suggère Mgr Guillaume dans sa préface – en prenant en compte la nature des témoignages qui le fondent. En effet, les récits de réformes religieuses, qui constituent une bonne part des relations sur le sujet, ont tendance à accentuer la décrépitude ecclésiale pour faire apparaître, par contraste, l’ampleur du renouveau.

Simon Icard, Né en 1975. Chercheur au Laboratoire d’études sur les monothéismes. Il a publié Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux. Saint-Cyran, Jansénius, Arnauld, Pascal, Nicole, Angélique de Saint-Jean, Paris, H. Champion, 2010.

Réalisation : spyrit.net