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Le Talmud et les origines juives du christianisme. Jésus, Paul et les judéo-chrétiens dans la littérature talmudique. (Dan Jaffé)

Paris, Cerf, « Initiations bibliques », 2007, 227 p.
Jean Lédion

Le problème des origines chrétiennes n’a cessé d’intéresser les chercheurs depuis plus d’un siècle, alors que les sources disponibles pour l’historien ne se sont guère multipliées, les découvertes de Qumran ou de Nag-Hammadi étant plutôt des évènements isolés. Ainsi, la rareté des sources nouvelles a entraîné un regain d’intérêt pour des documents déjà connus, mais supposés encore mal exploités. L’ouvrage de Dan Jaffé est un exemple de cette situation.

Le propos de l’auteur est de faire œuvre d’historien, en analysant finement différents textes de la littérature talmudique dont on peut penser qu’ils datent des premiers siècles de l’ère chrétienne, et qui sont censés parler plus ou moins ouvertement du Christ, de saint Paul et des premières communautés chrétiennes issues du judaïsme. Les différents passages retenus par l’auteur sont analysés suivant une progression qui se veut de type chronologique. Comme beaucoup de chercheurs contemporains, il admet comme une évidence que la rupture entre les communautés juives traditionnelles et les premières communautés judéo-chrétiennes a été assez progressive et relativement tardive (vers la fin du premier siècle).

Pour Dan Jaffé, cette exclusion aurait deux causes, l’une doctrinale, l’autre liturgique. La rupture aurait eu lieu bien après la chute de Jérusalem, comme conséquence de la tentative d’union des divers courants du judaïsme à la suite de l’assemblée de Yabneh. Avant cette époque, ces courants auraient vécu côte à côte, sans animosité, ayant chacun leur propre halakha, c’est-à-dire leur interprétation juridique de la Torah. De la même manière, les différents groupes auraient participé ensemble au même culte synagogal. Il s’agit là d’un présupposé qui va à l’encontre de multiples témoignages du Nouveau Testament, témoignages que l’on récuse en alléguant une rédaction tardive de ces textes. Ainsi, ces présupposés engendrent tout naturellement les conclusions de l’ouvrage : D’un point de vue historique, il y a lieu de souligner qu’après la destruction du Second Temple, c’est dans une société juive en ruine qu’il fallait reconstruire. Après 70, les Sages parvinrent à la conclusion que le judaïsme devait se reconstituer et, avec lui toute la société. Dans ce processus de reconstruction, on ne pouvait tolérer la multiplicité des courants qui caractérisaient l’époque du Second Temple ; les conséquences de la crise de 70 furent le ralliement autour d’une même autorité et d’une même halakha, celle des sages. Ils imposèrent ainsi un certain nombre de règles, dans le but de restreindre non seulement les rapports entre juifs et païens mais aussi entre juifs de leur tendance et juifs des autres mouvances. Dans cet ordre d’idées, on retient surtout les relations entre les Sages (les auteurs des sentences du Talmud) et les judéo-chrétiens. (p. 195) […] La principale crainte des Sages était l’influence que pouvaient avoir les judéo-chrétiens sur les autres membres de la société juive. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque rien ne différenciait un juif d’un judéo-chrétien. Les deux fréquentaient la synagogue et respectaient les observances rituelles du judaïsme. (p. 196)

Le lecteur reste donc sur sa faim. Il aimerait d’abord être réellement convaincu que les textes allégués, qualifiés par l’auteur lui-même de « cryptés », concernent bien Jésus, Paul et les judéo-chrétiens, ce qui n’est pas évident. Il aimerait, par ailleurs qu’on lui explique pourquoi, par exemple, avant l’an 70, règne déjà une animosité très forte contre les premiers chrétiens convertis par saint Paul (mort avant l’an 70, ce que personne ne conteste !), convertis dont certains sont des païens, mais dont beaucoup d’autres sont des juifs de la diaspora. Même si la rédaction des Actes des Apôtres était aussi tardive qu’on veut bien le dire, les faits relatés ne semblent pas des fictions littéraires.

Ainsi, ce livre se révèle quelque peu décevant, bien qu’il contienne beaucoup de renseignements et qu’il mérite d’être lu, à condition de ne pas y chercher ce qu’il ne contient pas : des sources chrétiennes qui seraient extraites de la littérature talmudique !

Jean Lédion, marié, trois enfants. Diplôme d’ingénieur, docteur d’État ès Sciences Physiques. Enseignant dans une école d’ingénieurs à Paris.

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