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Le célibat assumé, un chemin de sainteté

Jacques-Hubert Sautel

Il est des sujets qu’on n’aborde pas facilement de façon sérieuse, même avec de bons amis, et à plus forte raison en société. Tel est celui du célibat, que le dictionnaire définit ainsi : « état d’une personne en âge d’être mariée et qui ne l’est pas, ne l’a jamais été [1] ». Mis à part les plaisanteries d’usage sur les « vieux garçons » et les « vieilles filles », pour demeurer dans le registre de la langue courante, ou les tentatives désespérées pour trouver « l’âme sœur » de la part de ces célibataires, devenus une catégorie socio-économique courtisée parce que précisément susceptible de changer rapidement et de se fondre dans le groupe des non-célibataires, la réflexion sur le célibat en tant qu’état de vie est plutôt rare [2].

Dans l’Église catholique, on parle peu aujourd’hui de ce sujet, et on l’aborde presque toujours sur le mode du célibat donné à Dieu, soit dans le sacerdoce, soit dans la vie religieuse. Cette forme du célibat est certes emblématique : c’est un exemple fourni au monde entier, une imitation particulière de Jésus-Christ : « La vie consacrée, profondément enracinée dans l’exemple et dans l’enseignement du Christ Seigneur, est un don de Dieu le Père à son Église par l’Esprit [3]. » Pourtant cette forme du célibat consacré est numériquement bien moins représentée dans le peuple de Dieu que l’autre forme, celle d’un célibat qui n’est pas « consacré » et qu’on pourrait dire « ordinaire », mais que je préférerais nommer « assumé ».

Les débats qui se sont déroulés dans notre Église au cours des synodes des évêques de 2014 et 2015 ont cependant fait évoluer la réflexion et ont permis que, pour la première fois, cet état de vie soit l’objet d’une véritable réflexion dans un texte du magistère depuis le concile de Vatican II [4] : je veux parler de l’exhortation apostolique L’Amour dans la famille du pape François, qui y consacre au sujet plusieurs paragraphes, sous le titre « Mariage et virginité [5] ».

Avant d’entrer dans le vif du débat, une petite précision de langage me semble nécessaire. Pourquoi choisir, dans le titre de cette contribution, le terme de « célibat » plutôt que celui de « virginité » ? Il ne s’agit pas d’une défiance envers le pape François, car la première version de la présente étude a été écrite en 2012, mais plutôt d’une prise en compte de l’usage courant de notre langue française. Le dictionnaire donne en effet comme définition de la virginité : « état d’une personne vierge [6] [c’est-à-dire qui n’a jamais eu de relations sexuelles] ». Le mot semble donc bien relatif aujourd’hui avant tout à un état physiologique précis et non à une situation sociale. Cet usage est regrettable, car le mot de virginité a été en grand honneur dans l’Église des premiers siècles en même temps que la vertu qui y était attachée [7], et il faut souhaiter que la lettre du pape François contribue à un renouvellement de cet usage [8], mais il faut bien admettre l’évidence et parler le langage des personnes auxquelles nous nous adressons.

Dans un premier temps, je définirai en extension le célibat « ordinaire » : quels sont les hommes et les femmes concernés ? Dans un second temps, j’énoncerai une thèse, en défendant l’idée qu’il est possible, et profitable pour un chrétien, de transformer ce célibat « ordinaire » en célibat « assumé », à la suite de Jésus. Ensuite, j’exposerai les différentes facettes que ce célibat présente dans la société contemporaine, en les regroupant en deux cas de figure. Je conclurai en essayant de montrer que ce célibat assumé est un chemin vers le Royaume des Cieux.

Le célibat « ordinaire »

Par cette expression, j’entends donc le célibat qui n’a pas reçu la consécration d’un engagement solennel, c’est-à-dire, pour un ou une catholique baptisé(e), le célibat vécu en fidélité à une promesse, promesse faite au supérieur d’une communauté (religieuse), à l’évêque devant une assemblée diocésaine, ou seulement de façon privée entre les mains d’une personne habilitée pour le recevoir (confesseur). Le célibat « ordinaire » est donc un célibat non déclaré, vécu sans qu’il s’appuie explicitement sur un engagement précis.

Cela étant posé, je voudrais ajouter que j’entends le mot « célibat » d’une manière non proprement juridique, mais plutôt concrète. En effet, si on reprend la définition précitée, « état d’une personne en âge d’être mariée et qui ne l’est pas, ne l’a jamais été », on voit qu’elle définit le célibat par rapport au mariage, ce qui est socialement important, mais largement insuffisant pour décrire la gamme des états de vie dont l’ensemble tend à contrebalancer et même à supplanter numériquement le mariage dans la société française contemporaine. En effet, à côté de cette institution vénérable, le mariage, que le christianisme, au moins dans ses acceptions catholique ou orthodoxe, a reconnue et consacrée par un sacrement, il existe aujourd’hui en France des états de vie très répandus : l’union libre (ou concubinage), le pacs conclu en vue de l’union sexuelle [9]. Ces différents états de vie réunissent des personnes de manière plus ou moins durable, qui peuvent vivre ensemble l’union sexuelle, soit dans sa dimension hétérosexuelle, qui jusqu’à preuve du contraire est la seule à pouvoir aboutir de façon naturelle à la naissance d’enfants, soit dans sa dimension homosexuelle, qui revendique aujourd’hui d’être reconnue à égalité avec l’autre dimension. Quelle que soit l’orientation de leur union sexuelle, les personnes qui vivent ces différents états de vie le font en s’opposant, au moins de fait, sinon volontairement, au mariage, conçu dans sa forme traditionnelle comme l’union d’un homme et d’une femme [10], et qui a pour but premier la mise au monde et l’éducation des enfants. Mais ils s’opposent également à l’état de vie de celui ou celle qui est dépourvu de la compagnie (incluant l’union sexuelle) d’une autre personne : c’est précisément cet état que je nomme le célibat « ordinaire », qui ne repose pas sur une promesse précise.

Une telle définition peut sembler négative et abstraite. Elle recouvre pourtant des situations bien concrètes : celle du père (ou plus souvent de la mère) célibataire, divorcé(e) ou séparé(e) ; celle de l’homme ou de la femme qui vit seul(e) sans enfant à charge ; celle de personnes vivant sous le même toit sans aucune relation sexuelle, bien que la parenté (frères ou sœurs, par exemple), l’amitié ou seulement l’intérêt pratique (colocation, par exemple) les réunissent. Le célibat ordinaire peut concerner une personne jeune, d’âge mûr, ou âgée. À toutes ces situations, il y a un point commun : la continence sexuelle, qui représente objectivement la privation d’un bien, celui de la forme la plus charnelle de la complémentarité entre les sexes énoncée par la Bible [11], et souvent aussi, par voie de conséquence, la privation d’un deuxième bien, celui de la descendance charnelle. La privation de ces deux biens peut entraîner un certain sentiment de solitude affective. C’est ce que j’appelle le « vrai célibat [12] », celui où l’absence du conjoint est ressentie, de façon plus ou moins intense selon les personnes, parce qu’elle n’est pas remplacée par une présence humaine qui pourrait jouer un rôle analogue (compagnon, compagne).

Il existe donc deux profils différents de « vrais célibataires » : les uns ont toujours vécu seuls, les autres ont vécu plus ou moins longtemps en couple, mais se trouvent présentement seuls. Il en est ainsi notamment des veufs ou des veuves n’ayant pas conclu un nouveau mariage. L’expérience qu’ils ont pu avoir de la vie de couple donne à leur célibat actuel une double coloration psychologique et spirituelle spécifique, mais elle n’empêche pas la similarité fondamentale de l’état de vie avec les « célibataires de toujours », qui vivent un vrai célibat, à savoir le manque de la personne aimée.

Une dernière précision : l’expression que nous venons d’employer, « vrais célibataires », semble contenir un jugement moral implicite à l’égard des autres, c’est-à-dire des personnes qui vivent des expériences sexuelles « de temps en temps », qui ne forment pas un couple stable, mais qui ne sont pas non plus vraiment concernées par la privation des deux biens liés au célibat, par la solitude et l’absence de descendance. Il n’est pas dans mon intention de me placer ici sur le terrain moral, mais seulement de définir clairement un état de vie stable, dont le célibataire a conscience, en s’abstenant d’écarts fréquents qui rendraient opaque sa propre perception de cet état et souvent aussi celle que les autres peuvent avoir de sa vie. Il y a célibat véritable quand la personne vit de manière stable le célibat et que celui-ci devient donc un état de vie : la « vie en solo » pour prendre une image parlante [13].

Assumer le célibat à la suite de Jésus

À lire ou entendre cette définition du célibat, beaucoup de nos contemporains pourront s’exclamer qu’elle donne de cette réalité une image peu amène, plus proche de la prison que du paradis… En effet, avoir conscience de son état de vie, pour un célibataire, homme ou femme, ne signifie pas qu’il ou elle n’en souffre pas, ni même qu’il ou elle peut l’assumer pleinement. À cet égard, on peut citer un texte du Catéchisme de l’Église catholique, qui prend en compte ces difficultés : « Il faut encore faire mémoire de certaines personnes qui sont, à cause des conditions concrètes dans lesquelles elles doivent vivre — et souvent sans l’avoir voulu —, particulièrement proches du cœur de Jésus et qui méritent donc affection et sollicitude empressée de l’Église et notamment des pasteurs : le grand nombre de personnes célibataires (…). À elles toutes il faut ouvrir les portes des foyers, ‘Églises domestiques’, et de la grande famille qu’est l’Église (...). » (§ 1658) Une telle sollicitude est certes bienvenue et elle témoigne de la charité de Jésus.

Avançant sur la voie de la reconnaissance d’une dignité propre au célibat ordinaire, les évêques réunis en synode par le pape François en 2015 ont estimé : « De nombreuses personnes qui vivent sans se marier se consacrent non seulement à leur famille d’origine, mais elles rendent aussi souvent de grands services dans leur cercle d’amis, leur communauté ecclésiale et leur vie professionnelle (…). Il existe aussi des personnes qui ne se marient pas parce qu’elles consacrent leur vie à l’amour du Christ et de leurs frères. Leur engagement est une source d’enrichissement pour la famille, que ce soit dans l’Église ou dans la société [14]. »

Le pape François poursuit lui-même la réflexion : « La virginité est une manière d’aimer. Comme signe, elle nous rappelle l’urgence du Royaume, l’urgence de se mettre au service de l’évangélisation sans réserve (cf. 1Co 7, 32), et elle est un reflet de la plénitude du ciel où « on ne prend ni femme ni mari » (Mt 22, 30). Saint Paul la recommandait parce qu’il espérait un rapide retour de Jésus-Christ, et il voulait que tous se consacrent seulement à l’évangélisation : « le temps se fait court » (1Co 7, 29). Cependant, il faisait comprendre clairement que c’était une opinion personnelle ou son propre souhait (cf. 1Co 7, 25) et non pas une requête du Christ : « Je n’ai pas d’ordre du Seigneur » (1Co 7, 25) [15]. »

Il est donc possible et fructueux d’apprécier positivement la situation des célibataires et la façon dont ils peuvent participer activement, dans l’Église et dans le monde, à la recherche de la sainteté, que le concile de Vatican II a reconnue comme l’horizon commun de tous les baptisés [16]. On peut ainsi discerner un charisme [17] propre du célibat : la possibilité, pour un disciple de Jésus qui souhaite l’assumer pleinement, de marcher sur un chemin de liberté et de bénédiction, une façon de vivre dès maintenant, dans une « vie en solo », le bonheur dans l’amitié avec Jésus et l’attente du Royaume, et d’annoncer ainsi, ne serait-ce qu’implicitement, l’avenir de toute l’humanité.

Pour appuyer la pensée du Saint-Père et définir ce charisme, je voudrais prendre l’exemple du Seigneur Jésus lui-même et partir de l’Évangile : celui-ci nous présente d’abord un petit enfant de sexe masculin, né de façon peu commune, enfant d’une mère jeune mariée, mais venu au monde avant qu’il ait pu y avoir consommation du mariage de ses parents ; adulte, après un temps d’apprentissage et de vie professionnelle ordinaire, il devient rabbi, c’est-à-dire, dans le monde juif de l’époque, interprète de la parole de Dieu auprès des hommes, en prêchant le royaume de Dieu, en fréquentant hommes et femmes, mais en demeurant toujours seul. La vie de Jésus est donc celle d’un célibataire : ce faisant, il suit l’exemple de son cousin, Jean-Baptiste, et adopte la même condition de vie qu’un certain nombre de personnages de l’Ancienne Alliance, très peu nombreux, qui ont choisi de rester célibataires pour porter la parole de Dieu. C’est une condition tout à fait marginale dans le judaïsme, où la fécondité charnelle est considérée comme un inestimable don de Dieu ; il est d’autant plus remarquable que Jésus ne se soit pas senti lié personnellement par cette coutume sociale fondée sur la parole de Dieu (Gn 2, 24).

Si, par sa vie, Jésus montre la respectabilité de l’état de célibat, qu’en est-il de son enseignement ? Un seul texte semble concerner directement le sujet, mais plusieurs autres confirment indirectement la leçon que Jésus y donne à ses auditeurs [18]. Voici le texte, dans la traduction de la TOB : « En effet, il y a des eunuques qui sont nés ainsi du sein maternel ; il y a des eunuques qui ont été rendus tels par les hommes ; et il y a des eunuques à cause du Royaume des cieux. Comprenne qui peut comprendre ! » (Mt, 19, 12) Il faut remarquer d’abord que Jésus emploie un langage imagé et envisage les choses uniquement du point de vue de l’homme, ce qui se comprend dans la culture juive du temps, et parce que Jésus répond à une exclamation de ses disciples : « Si telle est la condition de l’homme envers sa femme, il n’y a pas intérêt à se marier. » L’eunuque était, dans les sociétés orientales, un fonctionnaire au service du harem royal, à qui on pouvait faire confiance pour cette tâche parce que sa physiologie le rendait incapable de réaliser l’union conjugale. Dans la réponse de Jésus, le mot a visiblement un sens plus large et désigne tout homme incapable de l’acte sexuel. Or le Christ Jésus donne trois motifs à cette incapacité, en distinguant trois types d’eunuques : a) le motif biologique de naissance, b) le motif d’une action humaine, c) le motif spirituel du désir du Royaume.

On peut bien sûr élargir les catégories distinguées par ce texte, mais le plus important est de constater que Jésus y envisage, non seulement ce que nous appelons le célibat consacré, qui correspond à la troisième catégorie, mais aussi les deux premières, qui sont un célibat de fait, non choisi par celui qui le vit, en raison de sa naissance ou de circonstances ultérieures (on peut penser à certains handicaps particulièrement invalidants, sur le plan physique ou psychique). Or Jésus ne prononce aucun jugement qui introduirait une distinction de valeur entre ces trois catégories, donc il ne distingue pas entre le célibat de fait et le célibat choisi, pour dire que l’un des deux serait, ici-bas, supérieur à l’autre [19] ! Tous ces eunuques, c’est-à-dire toutes ces personnes célibataires — hommes ou femmes, si on accepte l’interprétation de l’Église, qui, dans la lignée de la condamnation équivalente par Jésus de l’adultère commis par l’homme ou par la femme, a appliqué ce texte aussi bien à l’un ou l’autre sexe —, vivent sous le même regard bienveillant de Dieu que les personnes mariées.

Pour comprendre la portée profonde de ce regard de Jésus, qui ne fait pas de différence entre les personnes, nous devons, me semble-t-il, considérer comme arrière-plan de cette réponse, et comme pouvant éclairer sa pensée, deux types de textes. D’une part en effet, dans les paroles qu’il prononce sur le Royaume des cieux, Jésus annonce explicitement que le monde dans lequel nous vivons n’est pas définitif, mais qu’il est ouvert sur un autre monde, qui constitue son avenir. Je citerai ainsi la discussion sur la femme aux sept maris, un cas d’école par lequel les Sadducéens espéraient connaître le fond de sa pensée. De ce passage (p. ex. en Mc 12, 18-27), on peut retenir un verset significatif de la réponse de Jésus : « Quand on ressuscite d’entre les morts, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans les cieux. » (v. 25) De là ressort, non pas une condamnation du mariage, mais une relativisation de son importance : le mariage est relatif à ce monde-ci, et « la figure de ce monde, elle passe » (1 Co 7, 31).

D’autre part, et d’une façon plus générale, dans ses enseignements sur la vie présente, Jésus appelle chacun de ses auditeurs à un accomplissement des vertus ordinaires, ce qui ne veut pas dire banales, de la religion juive. Le texte le plus extraordinaire en ce domaine me semble être, au début du Sermon sur la montagne, l’enseignement des Béatitudes (p. ex. Mt 5, 3-12). Dans cet enseignement, Jésus s’adresse explicitement, comme dans la parole sur les eunuques, à la fois à des héros de l’amour divin, qui suivront à la trace l’exemple qu’il a laissé aux hommes, et aussi aux petites gens, éprouvés par la vie. Les uns comme les autres sont appelés à trouver leur raison de vivre dans l’attitude de Jésus lui-même : « Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux. » (v. 3) Il s’agit à la fois de ceux qui ont choisi la pauvreté pour le Royaume et de ceux que la privation de biens a conduits, par suite des aléas de la vie et de leur acceptation, à ne pas mettre leur espérance dans les choses d’ici-bas.

Un mot est à souligner dans l’analyse que je viens de présenter : « l’acceptation ». Car nous savons bien que l’absence de biens matériels n’apporte pas le bonheur par elle-même, comme la formulation plus abrupte des Béatitudes que présente l’évangile de saint Luc pourrait le faire penser : « Heureux, vous les pauvres : le Royaume de Dieu est à vous. » (Lc 6, 20) Pour qu’un homme ou une femme vivant pauvrement puisse être heureux, il faut qu’il ait accepté sa pauvreté, qu’il y ait vu, comme Jésus invite ses auditeurs à le faire, un signe de l’amour divin. En écrivant cela, je mesure combien ces phrases peuvent sembler scandaleuses, dans une société où nous voyons autour de nous la pauvreté s’accroître de jour en jour. Il ne s’agit pas de faire l’éloge de la misère, qui doit être secourue avec grande énergie et sans aucune arrière-pensée, comme l’ont fait tous les saints à la suite de Jésus lui-même, mais de reconnaître qu’il peut y avoir un bonheur profond dans un usage modéré des biens de ce monde, parce qu’on peut alors reconnaître à travers eux la main de Dieu, qui nous en fait le don, dans l’harmonie de la Création [20].

Première facette du célibat assumé : un bien naturel

Ainsi définis, les avantages du célibat assumé peuvent paraître bien théoriques ou angéliques, éloignés en tout cas de la vie concrète que beaucoup parmi nous ou autour de nous vivent aujourd’hui, en France ou dans le monde. C’est pourquoi je ferai maintenant un panorama de différentes manières de vivre le célibat, en commençant par les conditions d’âge et en terminant par les considérations de place dans la société.

Aux deux extrêmes de la vie, le célibat est une condition fréquemment vécue et même un bien naturel, me semble-t-il. Pour l’adolescent tout d’abord — au risque de choquer et d’enfreindre un tabou de la société contemporaine, qui pèse même sur les « croyants pratiquants » —, je pense qu’il découle de l’Évangile de Jésus que le célibat est la condition naturelle et normale de la vie du jeune, jusqu’à ce qu’il forme un couple stable en se mariant ou qu’il s’engage dans la voie religieuse ou sacerdotale. Le célibat est alors une condition d’attente, l’attente d’un choix de vie, qui ne se fera certes pas dans l’abstrait — on ne se marie qu’avec une personne déterminée et on n’entre en religion que dans une communauté déterminée ou au service d’un diocèse précis —, mais qui ne peut faire l’économie d’une réflexion pour mûrir un choix qu’on veut durable [21].

Il est vraisemblable que l’absence de ce temps de maturation est responsable, pour beaucoup de jeunes, de l’échec d’une première vie de couple. Or cette maturation ne peut se faire en vérité que dans une vie de célibat, qui réserve pour plus tard la consommation de l’acte sexuel, parce que cet acte est compris par les disciples de Jésus comme une donation de l’être tout entier, sans réserve, à son épouse ou à son époux, à l’image de la donation que Dieu fait à l’humanité de son Fils. Telle est l’interprétation que donne saint Paul du verset du livre de la Genèse que nous avons cité : « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne seront qu’une seule chair. Ce mystère est grand : moi, je déclare qu’il concerne le Christ et l’Église. » (Ep 5, 31-32)

Le célibat du jeune est donc pleinement ouvert à la vie : la vie biologique, dans la maîtrise de son corps et de ses pensées ; la vie spirituelle, dans l’écoute de la volonté de Dieu. Certes, cela n’est pas chose facile à réaliser, et constitue même l’objet d’un combat quotidien. Mais c’est aux adultes qui accompagnent le jeune de lui montrer que ce chemin est praticable et qu’il est une voie de bonheur, parce que conforme à sa destinée et au projet de Dieu sur lui, sur elle. Le refus du célibat des jeunes par les adultes est généralement la conséquence de l’échec de ceux-ci dans une relation de confiance en Dieu, qui donne tout ce qu’il demande, mais qui sait attendre le moment qui convient pour manifester sa présence et délivrer son appel.

À l’autre extrémité de la vie humaine, le vieillard se trouve souvent seul, qu’il soit veuf, séparé ou célibataire, depuis longtemps déjà ou depuis peu. La solitude a pour lui (pour elle) un aspect très différent : il ne s’agit plus de préparer un état de vie pour de longues années ici-bas, mais il s’agit de préparer la rencontre ultime avec le Seigneur Jésus que constitue pour un croyant l’étape de la mort biologique. À travers la limitation de ses capacités physiques et psychiques, la personne âgée est confrontée à l’essentiel : notre fragilité de créature devant le Dieu qui nous a fait exister et nous a sauvés du désespoir par le baptême au nom de son Fils Jésus. Il faut alors « lâcher prise » et s’en remettre au Dieu de toute bonté. Cela suppose de faire la lumière sur la vie terrestre qui se termine, sur le passé donc, et de rechercher la communion ou la réconciliation avec les personnes fréquentées durant cette vie.

À cette étape, le célibat est encore une condition d’attente : attente de l’entrée dans la vie éternelle, qui constitue l’aboutissement naturel de notre vie terrestre, si nous croyons vraiment en Jésus, mort et ressuscité pour nous, et si nous lui faisons vraiment confiance. Ici encore, on peut remarquer que ce célibat de solitude est l’objet d’un certain tabou dans notre société contemporaine, qui craint d’affronter la mort, et qui ne le fait le plus souvent qu’en se cachant derrière la technique médicale, alors que celle-ci doit, à cette étape de la vie, renoncer à soigner, mais seulement soulager la souffrance et accompagner dans le grand passage. À cet égard, on ne peut que saluer la technique des « soins palliatifs », qui est bien plus qu’une technique : une compréhension de la fin de vie et une aide pour le patient gravement atteint, afin qu’il puisse librement et paisiblement accepter sa mort [22].

Aux deux extrémités de la vie humaine, le célibat est donc l’état naturel ou une condition fréquente de l’homme ou de la femme. Mais, dans l’âge mûr, c’est aussi la condition de nombreuses personnes.

Deuxième facette du célibat assumé :

une condition librement acceptée

Les personnes d’âge mûr ont en commun de pouvoir, au moins théoriquement, choisir une autre condition, celle de l’union dans le mariage ou sous une autre forme. Si l’on excepte les hommes et les femmes qui ne peuvent, pour des raisons médicales, vivre l’union sexuelle (nous sommes ramenés, pour ces personnes, d’une certaine manière, au cas précédent), assumer son célibat devient alors l’objet d’un véritable choix, qu’on peut mûrir au fil des mois et des années, d’une manière comparable au choix du mariage ou du célibat consacré que peut faire un jeune.

Trois types de situations, socialement assez différentes, sont ici à envisager, sans qu’on veuille prétendre être exhaustif. En premier lieu, les personnes qui ont toujours vécu en célibataires — même si elles ont connu « des aventures » passagères, plus ou moins nombreuses —, peuvent, à un moment donné de leur vie, une fois la maturité arrivée, donc entre 30 et 60 ans environ, se poser la question d’une sorte de pérennité du célibat pour le reste de leur vie. Je donnerai sur ce point quelques arguments en faveur de cette option, en ajoutant qu’ils ne sont pas contraignants et que la liberté de chacun peut être de continuer à être ouvert à « l’âme sœur » ; le célibat demeure pour ces personnes une condition d’attente, dans la recherche docile de la volonté divine [23], qui reste le critère primordial de la vie chrétienne.

La situation est différente pour les personnes qui ont vécu une union relativement stable, dans le cadre du mariage notamment. Pour cette deuxième catégorie, qui fait l’objet d’une attention plus soutenue de la part des médias et qui recouvre aussi des réalités juridiques diverses, on parlera de personnes séparées, divorcées ou veuves, et on précisera « non remariées », « non pacsées », etc. Pour ces personnes, le choix du célibat, après un temps d’union stable « aux yeux de tous » comporte des aspects spécifiques. On se souviendra en particulier que, pour une personne mariée chrétiennement dont le conjoint est toujours vivant, il n’est pas possible, dans l’Église catholique, de contracter une nouvelle union légitime, sauf si la première union a été déclarée nulle par l’instance ecclésiastique compétente [24]. Le choix du célibat apparaît alors comme la seule solution possible pour rester en plein accord avec la condition de baptisé, et il faut reconnaître que, même si ce choix est pris pour des motifs négatifs, il peut témoigner d’une forme de véritable héroïsme au sein d’une société largement étrangère à la foi chrétienne. On peut regretter, sur ce plan, une certaine timidité de la pastorale de l’Église aujourd’hui, qui prend certes en compte la nécessité de soutenir ces personnes dans l’épreuve, mais non pas de valoriser le célibat qu’assument bien des personnes divorcées ou séparées, mais non remariées, comme une valeur authentiquement évangélique et la meilleure manière (sauf retour sérieux du conjoint) de vivre la fidélité à Jésus-Christ [25].

Une troisième situation « oblige » aussi au célibat, en toute cohérence de vie chrétienne : je veux parler des personnes que la nature ou l’éducation reçue a dotées de tendances homosexuelles fortes, qui font que des personnes de même sexe les attirent autant ou plus que des personnes de sexe opposé. Il faut dire clairement ici que de telles tendances, qui s’imposent à l’homme ou à la femme concernés en dehors de sa volonté, ne sont pas de l’ordre du péché, car celui-ci suppose un exercice de la liberté, qui n’est pas en jeu dans ce stade primitif de la relation sociale ; il serait donc très contraire à la charité de rejeter d’emblée de telles personnes. En revanche, ces tendances peuvent conduire, si on en accepte les conséquences (le passage à l’acte sexuel avec un partenaire du même sexe), à sortir complètement du cadre de la finalité de la sexualité humaine. Dès lors, si une voie de guérison psychologique et médicale ne conduit pas à envisager une union hétérosexuelle stable, le célibat apparaît à nouveau comme le mode convenable de la vie sociale pour ces personnes [26]. Je mesure, ici encore, ce que le propos a de rude, touchant à l’héroïsme, pour les hommes et les femmes concernées, et de décalé par rapport au discours social qui semble majoritaire en France depuis une ou deux décennies [27], mais je pense que les chrétiens n’ont pas toujours été en accord avec les mœurs publiques et que l’amour du Seigneur Jésus a ses exigences, qui se reflètent dans la vie des saints au fil des siècles.

Quels que soient les motifs négatifs de choix du célibat dans ces deux situations — de tels motifs peuvent aussi exister pour les autres célibataires, avec les échecs de la vie et un certain assagissement, au fil des années —, je voudrais, pour conclure, mettre en valeur la redécouverte d’un célibat positif, plein de valeurs chrétiennes et riche de promesses, qui concerne le célibat assumé comme un bien naturel ou vécu comme une condition librement acceptée. Je pense en effet que l’établissement d’un certain équilibre humain dans le célibat va de pair avec une réflexion et une lente redécouverte de ses aspects positifs.

Un chemin vers le Royaume

Trois de ces aspects me semblent à mettre en lumière : le célibat a un rôle prophétique, complémentaire à celui du mariage, et de service pour l’humanité. Le rôle prophétique est le plus évident : en renonçant au mariage et donc à la génération charnelle, le croyant célibataire qui assume son célibat est témoin de l’importance de réalités qui ne sont pas purement visibles. Il montre tout particulièrement qu’il ne place pas d’abord son espérance dans une descendance charnelle, qui constitue la perpétuation de l’espèce humaine, mais dans la venue du Royaume de Dieu, dans lequel Jésus nous dit qu’on ne prend « ni femme ni mari ». À cet égard, il vit déjà dans l’état de résurrection auquel chacun de nous aspire après sa mort, il anticipe le monde nouveau, il montre qu’il croit vraiment à la Résurrection comme une réalité tangible et qui n’est pas réservée à Jésus-Christ et à quelques âmes d’élite. Il ratifie à sa manière la dévotion si innée du peuple croyant qui s’exprime dans des fêtes comme l’Ascension de Jésus ou l’Assomption de la Vierge Marie : ce ne sont pas des balivernes qui nous ont été racontées, c’est une réalité que nous sommes appelés à vivre pleinement après notre mort et que certains d’entre nous peuvent déjà anticiper ici-bas d’une certaine manière. Certes, il faut ajouter que cela est une grâce accordée par Dieu et qu’il faut donc demander dans la prière [28] ; mais l’expérience prouve que le Seigneur accorde généreusement ce don à qui le lui demande avec simplicité et persévérance.

Le célibat, même laïc, apparaît aussi comme le complément du mariage. L’exhortation apostolique du pape François le dit excellemment : « Alors que la virginité est un signe ‘‘eschatologique” du Christ ressuscité, le mariage est un signe ‘‘historique” pour ceux qui cheminent ici-bas, un signe du Christ terrestre, qui accepte de s’unir à nous et s’est donné jusqu’à verser son sang. La virginité et le mariage sont, et doivent être, des manières différentes d’aimer, parce que “l’homme ne peut vivre sans amour. Il demeure pour lui-même un être incompréhensible, sa vie est privée de sens s’il ne reçoit pas la révélation de l’amour [29].” »

Les hommes et les femmes mariés vivent la charité au jour le jour, d’une manière souvent très exigeante, dans la confrontation de deux volontés ; de multiples occasions leur sont données de renoncer à leur volonté propre pour s’accorder au conjoint, et le souci des enfants, qui va de pair avec la joie de leur présence, ne fait qu’ajouter de nouvelles occasions de vivre une soumission à la volonté de Dieu. Le célibataire a renoncé, au moins actuellement, à l’exercice le plus déterminant de sa sexualité, et ce faisant, il a une certaine liberté de vie et notamment la possibilité de consacrer plus de temps à Dieu, dans la prière et l’accueil de tous les autres, gratuitement et sans distinction de conditions. S’il accepte de faire cet usage de sa liberté, sa vie se trouve alors polarisée par l’amour du Seigneur Jésus, qui va peu à peu y prendre la première place, au fil des mois, des années et des décennies [30]. Le célibataire peut pleinement faire l’expérience de l’amitié humaine, avec toute la richesse de ses apports à la personnalité de chacun, dans la compréhension, la consolation et l’encouragement réciproques [31]. Cette amitié peut réunir des personnes de même sexe, mais aussi de sexe différent : le célibataire peut notamment vivre ainsi la complémentarité homme / femme, inscrite dans le projet créateur de Dieu, et témoigner qu’elle ne se réduit pas, comme la publicité nous le suggère souvent de façon obsédante, aux relations génitales. Le célibataire peut vivre cette amitié avec des familles : il y retrouve l’amour paternel et maternel, tandis que les personnes mariées peuvent mieux percevoir dans sa fréquentation l’horizon de leur vie terrestre. Dans cette attention réciproque des uns envers les autres, il y a une circulation de l’amour divin, qui rend palpable un peu de l’infinie miséricorde de Dieu pour chacun de nous. C’est la complémentarité des charismes qui permet ce progrès spirituel pour chacun [32].

Dès lors, le célibat assumé apparaît comme un service, rendu à l’humanité comme à l’Église. La personne célibataire doit ici éviter un écueil, qui a parfois entaché la vie de l’Église elle-même, il faut le reconnaître [33] : c’est manifester la supériorité que peut ressentir celui (ou celle) qui est capable de ne pas donner libre cours à ses pulsions sexuelles, par rapport à la majorité des hommes et des femmes, qui vivent en couple, de manière plus ou moins stable. Ce sentiment de supériorité, qui est une manifestation d’orgueil, repose aussi sur un mépris du corps que Jésus n’a jamais manifesté, ni dans sa vie, ni dans son enseignement ; c’est avec une grande délicatesse qu’il accueille la Samaritaine, et c’est avec sollicitude et sans état d’âme qu’il guérit la belle-mère de Pierre. Si le célibat est vécu en revanche comme un don, qui permet à une personne de se construire, assumer ce don avec simplicité et humilité sera un grand bienfait pour elle comme pour les personnes qu’elle rencontrera et, en définitive, un service rendu à la société : « Ainsi, derrière le désir légitime de se marier, d’avoir des enfants, il y a un désir plus profond d’amour et de tendresse qui, peut-être, est déjà comblé. Ce que le célibataire ne peut vivre en couple, Dieu ne le donne-t-il pas déjà, dans la relation avec Lui-même [34] ? »

Reconnaître ce « peut-être » est tout l’enjeu du célibat assumé. Ce n’est pas dans la pure solitude que ce travail peut s’effectuer, mais dans la recherche patiente de l’amour divin, ressenti comme l’origine absolue de notre être personnel, comme aussi son horizon quotidien et son accomplissement, plus ou moins lointain, à la fin de notre vie. Une telle recherche se vit aussi bien dans la prière que dans les relations humaines, où le poids de la tendresse divine se révèle jour après jour. Il reste que, pour un chrétien, particulièrement de tradition catholique ou orthodoxe, la vie consacrée demeure un modèle sur ce chemin, non pas forcément à reproduire, mais à estimer comme profondément complémentaire de la vie familiale : à travers ces modèles, la personne célibataire apprend, jour après jour, à être fils ou fille, époux ou épouse, père ou mère, de ceux qu’elle rencontre, le regard fixé sur Jésus, en qui toute existence humaine est récapitulée, et qui se tourne lui-même vers le Père des cieux, dans l’Esprit consolateur et vivifiant.

Jacques-Hubert Sautel, Né en 1954, oblat séculier de l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes. Travaille au CNRS sur les manuscrits grecs (Institut de Recherche et d’Histoire des Textes).

[1] Le Petit Robert, 2013.

[2] Un livre constitue une exception remarquable, celui de Claire Lesegrétain, Être ou ne pas être… célibataire, éd. Saint-Paul, 1998. Il consigne les fruits réfléchis d’une enquête faite auprès de nombreuses personnes célibataires ; je l’ai largement utilisé, ainsi que l’étude du même auteur, parue sous le titre « Célibats, célibataires. Quelles perspectives en Église ? », dans Documents Episcopat, 2010, n° 3.

[3] Jean-Paul II, Exhortation apostolique Vita consecrata, 25 mars 1996, §1. Un certain nombre d’ouvrages dédiés à la vie consacrée contiennent aussi des lumières importantes sur le célibat laïc : voir notamment Raniero Cantalamessa, Aimer autrement, éd. des Béatitudes, 2004 ; Nicole Jeammet, Le célibat pour Dieu, Une autre manière de créer des liens. Regard psychanalytique, Paris, éd. du Cerf, 2009.

[4] Certes les mots virginité ou célibat figurent dans les grands documents du concile et de l’enseignement de saint Jean-Paul II mais, quand ils s’appliquent aux laïcs, on les trouve soit dans une énumération des états de vie possibles (Décret du Concile Vatican II Apostolicam Actuositatem, § 4 et 22 ; Exhortation apostolique du pape Jean-Paul II Christifideles laici, § 52 et 55), soit dans un bref paragraphe sur les conseils évangéliques (Constitution apostolique du Concile Vatican II Lumen gentium, § 42 ; Christifideles laici, § 56).

[5] Pape François, Exhortation apostolique Amoris laetitia, 19 mars 2016, § 158-162 (éd. Téqui, p. 117-121).

[6] Le Petit Robert, 2013.

[7] Voir l’ouvrage Mariage et virginité dans l’Église ancienne, Paris, Migne, 1990 (coll. Les pères dans la foi). Il est intéressant de constater que les prêtres, dans l’Église ancienne, pouvaient être choisis parmi des hommes célibataires ou mariés, mais que de ces derniers on exigeait la continence absolue : voir C. Cochini (s. j.), Les origines apostoliques du célibat sacerdotal, Genève, 2006 (2e éd.)

[8] On doit signaler que la notion de virginité garde une place dans la vie de l’Église d’aujourd’hui par la liturgie : voir les appellations de « vierge et martyre », qui désigne de nombreuses saintes (Agnès, Blandine, Cécile…), ou de « vierge et docteur de l’Église » (Catherine de Sienne, Thérèse-Bénédicte de la Croix). Le terme s’emploie aussi pour désigner la vocation actuelle de certaines de nos sœurs dans la foi : l’ordre des vierges consacrées constitue une forme de vie consacrée non rattachée à un ordre religieux, mais au diocèse (cf. Code de droit canonique, 1983, can. 604).

[9] Le pacs, qui est un contrat d’association entre deux personnes, ne comporte pas forcément une finalité d’union sexuelle. Il peut recouvrir aussi bien des situations de vie commune sexuelle (analogues au concubinage) que des situations de vie commune dans la continence (analogues au célibat).

[10] L’union de deux personnes de même sexe, actuellement légitimée à l’égal de l’union hétérosexuelle en France comme dans de nombreux pays, ne peut prétendre à la finalité naturelle de la reproduction de l’espèce : le reconnaître n’est pas condamner les personnes qui vivent ainsi, mais signaler un écart important par rapport à la loi naturelle, que Jésus ne fait que sanctionner par le silence absolu de l’Évangile sur la question et le jugement clair de saint Paul (Rm 1, 26-27). Sur le respect de la complémentarité homme / femme dans un souci de valorisation de la personne humaine, voir la notion d’écologie intégrale développée par la Lettre encyclique du pape François Laudato si, du 24 mai 2015, § 155.

[11] Gn 2, 24 : « Aussi l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent une seule chair » (Traduction œcuménique de la Bible, nouv. éd., 2010).

[12] J’emploie l’expression à la suite de C. Lesegrétain, Être, qui rapporte aussi des statistiques de l’INSEE sur le nombre des « vrais célibataires » : plus de 2,4 millions en France en 1990 (p. 43-45).

[13] Voir C. Lesegrétain, « Célibats », p. 3-4. Le même article donne une idée des frustrations ressenties par les célibataires, purement psychologiques ou reposant sur des conditions économiques ou sociales objectivement peu conformes à la notion morale de justice.

[14] Texte cité par Amoris laetitia, § 158 (éd. Téqui, p. 117).

[15] Ibid., § 159 (éd. Téqui, p. 118).

[16] Voir la Constitution apostolique Lumen Gentium, ch. 5 : « L’appel universel à la sainteté dans l’Église ».

[17] Je prends ici le mot « charisme » au sens de don particulier fait aux fidèles, et non au sens de don lié à l’exercice d’une charge officielle dans l’Église : voir, dans la continuité de 1 Co 12, le développement du Décret sur l’apostolat des laïcs : « À tous les chrétiens donc incombe la très belle tâche de travailler sans cesse pour faire connaître et accepter le message divin du salut par tous les hommes sur toute la terre. Pour l’exercice de cet apostolat, le Saint-Esprit, qui sanctifie le Peuple de Dieu par les sacrements et le ministère, accorde en outre aux fidèles des dons particuliers (cf. 1 Co 12, 7), les « répartissant à chacun comme il l’entend » (cf. 1 Co 12, 11), pour que tous et « chacun selon la grâce reçue se mettant au service des autres » soient eux-mêmes « comme de bons intendants de la grâce multiforme de Dieu » (1 P 4, 10), en vue de l’édification du Corps tout entier dans la charité (cf. Ep 4, 16). De la réception de ces charismes, même les plus simples, résulte pour chacun des croyants le droit et le devoir d’exercer ces dons dans l’Église et dans le monde, pour le bien des hommes et l’édification de l’Église, dans la liberté du Saint-Esprit qui « souffle où il veut » (Jn 3, 8), de même qu’en communion avec ses frères dans le Christ et très particulièrement avec ses pasteurs. » (Apostolicam Actuositatem, nov. 1965, § 3).

[18] Je m’inspire, dans le commentaire de ce verset, d’une conférence donnée par le P. Matthieu Villemot en mars 2007 en l’église Notre-Dame de l’Alliance (75015 Paris), et je voudrais remercier Caroline Rouxel, membre de la communauté apostolique Aïn Karem, de m’en avoir procuré le texte, qu’on peut se procurer sur Internet (http://www.ndarche.org/Conferences.html).

[19] Ibid., p. 9.

[20] Voir un bel éloge de la chasteté, comme vertu épanouissant la personne, dans le CEC, § 2349, et la définition claire qui y est incluse : « Les personnes mariées sont appelées à vivre la chasteté conjugale ; les autres pratiquent la chasteté dans la continence. » — Pour la proposition globale d’une « sobriété heureuse », voir le ch. VI de l’encyclique Laudato si (notamment § 222-228).

[21] « Le célibat est un devoir, ou mieux, un appel évangélique pour tous, à une période précise de leur vie, celle qui précède le choix définitif de sa propre vocation. » (R. Cantalamessa, Aimer…, p. 9) Voir aussi CEC, § 2350. Sur ce plan, la lettre Amoris laetitia du pape François, qui ne rappelle pas le principe de la continence avant le mariage (voir notamment le sous-titre « Guider les fiancés sur le chemin de la préparation du mariage », § 205-211), me semble avoir manqué l’occasion de rappeler un point important.

[22] On peut souhaiter que l’état d’esprit qui préside aux soins palliatifs déborde largement le cadre des maladies impliquant une longue agonie et qu’il imprègne tous les personnels médicaux qui se trouvent confrontés à la mort d’autrui et doivent aider le patient à l’accepter de façon naturelle.

[23] Je n’entends pas ici la recherche de la rencontre d’une personne qui pourrait devenir le conjoint souhaité, mais la pratique de l’amour chrétien (agapê) dans toutes les circonstances de la vie quotidienne, comme accomplissement de la vie de Jésus reçue au baptême.

[24] L’enseignement du magistère est constant sur ce point (voir CEC, § 1650), bien qu’il soit en décalage de plus en plus grand avec la loi civile et la pratique sociale. Un texte célèbre de saint Paul (Ep 5, 21-33) doit être ici rappelé, parce qu’il fonde la solidité du mariage sur l’amour du Christ pour l’Église.

[25] Cette timidité de la pastorale d’ensemble (voir Amoris laetitia, § 242) n’empêche pas heureusement la reconnaissance de fraternités, comme la Communion Notre-Dame de l’Alliance, active en France et en Belgique (voir le site ), qui me semblent dignes d’être encouragées.

[26] Voir CEC, § 2357-2359.

[27] Paradoxalement, l’élaboration du projet de loi en vue du mariage des personnes de même sexe a suscité en France, durant l’hiver 2012-2013 et le printemps suivant, des réactions pacifiques d’une ampleur inattendue, qui ont montré que l’opinion largement répandue par les médias n’est sans doute pas celle de la majorité des Français, et qui incitent à une réflexion plus profonde sur les questions sexuelles et familiales.

[28] « La parole de Jésus ‘Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis’ (Jn 15, 16) s’applique aux vierges d’une manière particulière. On ne choisit pas le célibat et la virginité pour entrer dans le Royaume, mais parce que le Royaume est entré en nous. » (R. Cantalamessa, Aimer…, p. 51)

[29] Amoris laetitia, § 161 (éd. Téqui, p. 120) ; la dernière phrase est une citation de la Lettre encyclique du pape saint Jean-Paul II, Redemptor Hominis (4 mars 1979), § 10..

[30] C’est une manière moderne d’exprimer ce que dit saint Paul : « L’homme qui n’est pas marié a le souci des affaires du Seigneur. Celui qui s’est marié a le souci des affaires du monde, des moyens de plaire à sa femme, et le voilà partagé. » (1 Co 7, 32-33)

[31] Voir C. Lesegrétain, « Célibats », p. 5-6 et 11.

[32] Cette complémentarité me semble spécifique du christianisme, par rapport au judaïsme et à l’islam : la très grande liberté laissée par Jésus à ses disciples de se marier ou non apparaît comme un infini respect de Dieu pour sa créature humaine. Jésus lui-même donne l’exemple, tout en restant énigmatique sur la manière de Le suivre en cet exemple : « Comprenne qui peut comprendre ! » (Mt 19, 12). Il ne s’agit pas pour lui de déconcerter les disciples, mais plutôt de laisser entrevoir le mystère de la relation qui unit chacun à son Dieu, au plus intime de son être.

[33] Voir R. Cantalamessa, Aimer…, p. 35-37. Dans une perspective de revalorisation du mariage, le pape François déclare dans la lettre Amoris laetitia : « Au lieu de parler de la supériorité de la virginité sous tous ses aspects, il serait plutôt opportun de montrer que les différents états de vie se complètent, de telle manière que l’un peut être plus parfait en un sens, et que l’autre peut l’être d’un autre point de vue. Alexandre de Hales, par exemple, affirmait que dans un sens le mariage peut être considéré comme supérieur aux autres sacrements : en effet, il symbolise quelque chose de très grand comme “l’union du Christ avec l’Église ou l’union de la nature divine avec la nature humaine”. » (§ 159, éd. Téqui, p. 118) Alexandre de Hales est un scolastique anglais du XIIIe s., qui a commenté les Sentences de Pierre de Lombard.

[34] Voir C. Lesegrétain, Être, p. 216.

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