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Le dialogue interreligieux chez Joseph Ratzinger (Vincent Guibert)

Collège des Bernardins, Parole et Silence, 2015, 140 p.
Alexis Perot

Le livre se présente comme un dialogue avec Benoît XVI, lui-même dialoguant avec les religions du monde dans leurs possibilités de dialogue avec la foi chrétienne. L’auteur s’appuie notamment sur trois importants discours, placés en annexe, prononcés avant ou durant son pontificat par le pape émérite, et qui ont tous les trois un rapport avec le « dialogue interreligieux ». La problématique d’emblée posée consiste à définir et à approfondir les conditions d’un authentique dialogue dans la logique des textes du concile Vatican II, sans pour autant affadir le message chrétien, en renonçant à ce qui lui est propre ; l’affirmation de la vérité pleine et entière contenue en Notre Seigneur Jésus Christ.

Les religions du monde sont redéfinies comme composantes essentielles de cultures, dont la vocation est de s’ouvrir à l’universalité, à cette soif d’infini qu’illustre significativement la pratique de la prière. En dépit du particularisme qui est le leur, ces cultures possèdent intrinsèquement un appel à s’auto-dépasser, lequel peut leur permettre d’accueillir sans violence la nouveauté qu’est le Christ, dans le cadre de leurs traditions propres. La nécessaire évangélisation des cultures passent alors, sans contradiction, par la voie du dialogue et de la confrontation à la raison. Incontournable dans cette perspective apparait le discours de Ratisbonne qui pose dans ses développements le caractère universel de l’alliance entre foi et raison, qui seule garantit la paix. Le pape dément avec vigueur l’idée que l’alliance entre la raison grecque et la foi judéo-chrétienne ait pu être fortuite et passagère, mais au contraire elle est pour lui la condition même de la révélation du Fils de Dieu comme Logos, s’inscrivant dans une histoire ; en ce sens le développement de la raison s’est opéré de manière concomitante avec l’émergence du monothéisme.

Si la raison qui purifie la foi est la base de tout dialogue inter-religieux, le pape explore une autre voie, plus mystique, faisant référence au catéchisme de l’Église catholique. À travers l’épisode des mages dans l’Évangile de saint Matthieu, il est possible de resituer la quête de tout homme comme marche vers le Christ, l’étoile qui guide ces mages symbolisant les religions ou les cultures particulières qui sont autant de voie d’accès à l’Enfant de Bethléem. Or, l’étoile disparait, avant que de reparaitre après que les mages furent éclairés sur les prophéties, une fois parvenus en terre d’Israël. Cela revient à dire que le mystère d’Israël, et plus largement la culture juive, détient une place charnière dans l’accès des religions du monde à la vérité pleine et entière, révélée en Jésus. Par sa mort, celui-ci réconcilie en effet juifs et païens dans l’unique peuple de Dieu, tout en conférant à la loi juive sa dimension d’universalité. La persistance de l’existence d’Israël au milieu des nations est dès lors perçue comme un signe, ainsi que le voyait les pères. De même que la réconciliation entre juifs et chrétiens revêt, pour le pape, une valeur de témoignage de l’action divine aux yeux des autres peuples, et en même temps un enjeu crucial de paix pour le monde.

La paix est en effet l’une des visées les plus pressantes du dialogue inter-religieux. Celui-ci s’appuie, dans la ligné du dernier Concile, sur l’exigence, maintes fois réaffirmée, de la liberté religieuse. Cette exigence s’adresse aussi bien aux situations de persécution objectives, lorsque la violence s’exerce sur des personnes en raison de leur croyance, qu’aux situations plus insidieuses d’interdiction d’accès des religions à l’espace public au nom d’un laïcisme intransigeant. Ni le dialogue, ni la raison ne sortent en effet gagnant de tels excès niant l’intégrité de la personne humaine, dont l’appartenance religieuse est bien une dimension essentielle.

L’engagement de Joseph Ratzinger en faveur du dialogue inter-religieux fait état d’un approfondissement théologique précieux autant que d’une inlassable dénonciation des obstacles auxquels il doit faire face ; sans oublier la dimension pastorale, dont les multiples rencontres avec les principaux tenants des religions. Le tour d’horizon auquel invite ce petit livre fort synthétique sur l’action du pape émérite sur un tel sujet s’avère au bout du compte des plus passionnants.

Alexis Perot, né en 1975, marié, cinq enfants. Études de géographie (Sorbonne) et sciences politiques (I.E.P. Lyon). Attaché territorial dans le domaine de l’urbanisme.

Réalisation : spyrit.net