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Le paulinisme est mort. Vive saint Paul !

P. Michel Gitton

L’année Saint-Paul donne l’occasion de nombreuses et fécondes initiatives pour mettre en valeur à frais nouveaux la figure impressionnante de l’Apôtre des nations. Elle permet ainsi de mesurer l’avancée des études qui lui sont consacrées.

À cause du caractère fortement dialectique de la pensée de Paul, on est toujours tenté de majorer un aspect de la synthèse dynamique qu’il nous a laissée, en négligeant les autres, édifiant ainsi un « paulinisme » qui n’a jamais existé que dans le cerveau de quelques auteurs. Il n’y a pas si longtemps l’opposition de Paul à la Loi était érigée en principe et on se souvient encore de cette étude tout à fait sérieuse, parue il y a une quinzaine d’années, et qui soutenait que l’Apôtre était si opposé à toute forme de prescription et d’obligation que même les règles qu’il édictait pour la communauté chrétienne n’avaient rien de normatif ! Depuis, fort heureusement, on a été plus sensible à la richesse de sa position et on est loin d’en faire un adversaire de la Loi d’Israël, à laquelle il ne cesse de se référer, même s’il manifeste la nouveauté de la situation chrétienne [1].

Bien des exclusives ont commencé ainsi à céder. Une des plus tenaces était celle qui opposait le Paul des lettres (surtout des « grandes » épîtres, et particulièrement de celle aux Galates) et le Paul des Actes des Apôtres. Saint Luc était reconnu a priori coupable d’avoir travesti la vraie personnalité de son maître, de l’avoir assagie, ramenée à une position consensuelle au sein de l’Église apostolique, alors que, chacun le sait, Paul est une personnalité avant tout contestataire ! On ne peut aujourd’hui prétendre aborder le grand Apôtre, sa vie et même sa pensée, sans faire état de ce que nous savons par les Actes, même si, comme il se doit, il faut parfois y regarder à deux fois. Les discours de Paul à la synagogue d’Antioche de Pisidie (Ac 13), à l’Aréopage d’Athènes (Ac 17), devant les anciens d’Éphèse réunis à Milet (Ac 20), devant le sanhédrin (Ac 23), devant le roi Agrippa (Ac 20) et surtout devant les notables de la communauté juive de Rome (Ac 28) sont tout sauf des exercices d’école. Qu’il y ait une part de reconstruction, comme c’était l’usage chez les historiens de l’époque, c’est probable, mais la longue fréquentation de Paul par Luc a permis à ce dernier de retrouver les axes de l’enseignement paulinien dans des situations contrastées où se manifeste tout son génie. Les ignorer serait insensé.

Un problème qui ne cesse de peser sur les études pauliniennes et qui n’est pas encore réglé est celui des limites du corpus « authentiquement » paulinien. La paternité de presque toutes les lettres qui lui sont attribuées par la tradition lui a été contestée à un moment ou à un autre [2]. Aujourd’hui il existe un accord assez général pour reconnaître en lui l’auteur de la première lettre aux Thessaloniciens, des deux lettres aux Corinthiens, de celle aux Romains et aux Galates, ainsi qu’aux Philippiens, sans oublier le billet à Philémon. Cela laisse encore six lettres, et non des moindres, en dehors (aux Colossiens, aux Ephésiens, la deuxième aux Thessaloniciens, les deux à Timothée, à Tite). Il ne nous appartient pas de revenir sur cette question, sinon pour souligner que cette exclusion n’est pas sans appel : les raisons invoquées n’ont visiblement pas toutes la même solidité, des spécialistes reconnus continuent à penser que des arguments de part et d’autre peuvent être invoqués. Tant que la question de la littérature dite « deutéro-paulinienne » n’est pas éclaircie, il reste évidemment un doute sur certains points de la pensée ecclésiologique de saint Paul (la place des ministères institués, par exemple) et sur sa synthèse christologique (la place du thème de la Sagesse). Mais, à supposer que des disciples aient prolongé les intuitions de Paul, il est probable qu’ils se sont appuyés sur tel aspect de l’enseignement du Maître, voire sur des éléments littéraires laissés par lui (les fameuses « hymnes » d’Ep 1 et Col 1 ou encore de 1 Tm 3,16).

Ce qui, d’une façon générale, progresse, c’est une perception renouvelée de la stature de l’Apôtre, qui réunit en lui des dons étonnants d’organisateur, de prédicateur, de théoricien et de contemplatif. D’un autre côté, son rôle apparaît mieux dans la continuité de l’Église primitive : non comme un créateur (qu’il se refuse d’être), non comme un épigone, mais comme un véritable « apôtre », en dépendance et à égalité avec les autres.

Le numéro qu’on va lire veut apporter sa pierre à l’édifice et contribuer à illustrer certaines des avancées de la recherche paulienne.

Dans le domaine de la théologie d’abord : là, comme le montrent chacun à leur façon les articles d’Isabelle Rak et Jérôme Moreau, l’œuvre de Paul est moins de renchérir sur des schémas conceptuels déjà élaborés avant lui, que de saisir à nouveaux frais toute la réalité du mystère chrétien, dans la suite des Écritures d’Israël et dans la lumière de l’expérience faite par lui sur le Chemin de Damas.

Mais aussi dans l’expérience missionnaire de saint Paul. Celui-ci se révèle étonnamment au fait des réalités nouvelles dans le monde gréco-romain, dont il utilise toutes les possibilités pour faire parvenir le message chrétien aux extrémités de la terre, comme le montre Madame Marie-Françoise Baslez. Mais il reste avant tout un homme d’Église soucieux d’assurer la communion entre les fidèles de diverses origines, et à faire le lien en sa propre chair entre tous ceux qui croient au Christ, et on appréciera particulièrement la contribution de Mgr Éric de Moulins Beaufort (ancien rédacteur de la revue, aujourd’hui évêque auxiliaire de Paris).

Un texte du cardinal Ratzinger, devenu notre Saint Père le Pape Benoît XVI, est également présenté pour montrer l’enracinement paulinien de l’actuel pontificat.

Souhaitons que ce numéro suscite d’autres vocations « pauliniennes » et amène à scruter toujours plus l’héritage du grand Apôtre.

P. Michel Gitton, ordonné prêtre en 1974, membre de la communauté apostolique Aïn Karem.

[1] L’ouvrage, désormais classique, qui a amorcé le retournement est celui de E. P. Sanders, Paul and the Palestinian Judaism, Philadelphia, Fortress, 1977. On lira avec profit dans la revue Sens (revue publiée par l’Amitié judéo-chrétienne de France) le numéro d’avril 2007 intitulé « Questions autour de Paul », notamment l’article du rabbin Rivon Krygier.

[2] Il n’est pas question ici de l’épître aux Hébreux, qui n’a jamais été sérieusement considérée comme faisant partie des lettres authentiques – la preuve, sa place à la fin du corpus paulinien, alors que les autres lettres sont classées par ordre de taille.

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