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Le sens littéral des Écritures. (sous la direction de Olivier-Thomas Vénard, o.p.)

École biblique et archéologique française de Jérusalem, coll. « Lectio Divina », Cerf, Paris, 2009, 359p.
Jean Lédion

Cet ouvrage collectif contient les actes d’un colloque qui a eu lieu à l’École biblique de Jérusalem du 28 au 30 novembre 2007. Lorsqu’on parle des divers sens de l’Écriture, les discussions portent généralement sur la légitimité des sens « spirituels » variés que l’on a pu en tirer au cours des deux derniers millénaires. Et, aujourd’hui, pratiquement tout le monde s’accorde à reconnaître qu’avant de dégager un sens « spirituel », qu’il soit tropologique, anagogique ou autre, il est absolument nécessaire de partir du sens littéral. Cela paraît à la fois simple et évident au commun des fidèles qui n’est pas un spécialiste de l’exégèse. Mais, à la vérité, la question est beaucoup plus complexe : c’est l’objet de la longue introduction d’O-T. Venard. Depuis Origène on sait que l’établissement d’un texte rigoureux des Écritures est déjà une entreprise difficile. Ensuite se pose un autre problème tout aussi ardu : doit-on, au niveau de la traduction, privilégier le « sens voulu par l’auteur » (autant qu’on puisse correctement l’appréhender !) ou au contraire respecter la littéralité des mots à traduire ?

Une réponse concrète à cette question est traitée dans par Christophe Rico dans le chapitre 8 intitulé « La traduction du sens littéral chez saint Jérôme ». Son exposé, tout à fait remarquable, illustre, à partir de divers exemples, la stratégie de traduction du grand docteur. Ce qui lui permet de conclure : « Les exemples que nous venons d’exposer soulignent l’extraordinaire précision de la traduction de Jérôme. Cette qualité se fonde d’abord sur une connaissance très fine de la langue grecque telle qu’on la parlait et l’écrivait à date ancienne en Judée ou en Galilée. Elle s’appuie d’autre part sur une stratégie interprétative qui le conduit à préserver, dans la mesure du possible, le sensus altior des figures au détriment du sensus inferior. Cette même stratégie le conduira, dans des passages clés, à laisser sa version se charger des connotations christologiques qu’acquiert un passage de l’AT quand il est lu dans la perspective globale du texte biblique, en vertu des phénomènes d’intertextualité. Ces qualités font de Jérôme un témoin privilégié du sens que reconnaissait à la Bible le milieu ancien qui l’a vue naître et l’a reçue. Et c’est à ce titre que la vulgate apparaît aujourd’hui comme une version d’une fidélité exceptionnelle que le traducteur contemporain aurait tort d’ignorer ».

Cette fidélité au texte biblique est au cœur des réflexions du magistère, depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours sur les difficultés, de l’exégèse catholique. La contribution de Maurice Gilbert, intitulée « Les enseignements magistériels sur le sens littéral », permet, en quelques pages, de bien saisir comment, « depuis Léon XIII, la doctrine en la matière s’est continuellement développée en raison des circonstances qui l’exigeaient, mais (…) toujours de façon cohérente ». Mais cet éclairage du magistère a-t-il-été vraiment été reçu dans le monde catholique ? Beaucoup en doutent. Aussi est-il intéressant de lire le chapitre consacré au « sens littéral de l’exégèse claudélienne » par Dominique Millet-Gérard. L’auteur montre bien que, derrière une exégèse raillée par les « professionnels » en la matière, il y a sans doute une appréhension du texte beaucoup plus sérieuse que ne pourrait le laisser croire le style polémique du poète dans sa correspondance avec divers théologiens. Elle insinue même, que, dans certains cas Claudel a quelquefois mieux compris le sens littéral que certains exégètes chevronnés…

Le dernier chapitre, dû à O-Th. Venard, est dédié à la recherche d’une synthèse pour le moins difficile. Il suffit de constater que l’auteur n’y consacre pas moins de 60 pages. Sans doute parce que le sens littéral n’est que l’asymptote d’un effort de compréhension sans véritable fin. Mais cela ne doit pas décourager le lecteur qui pourra lire avec beaucoup de profit ce travail de synthèse. Cependant, il ne faut tout de même pas oublier que « L’Écriture » est avant tout l’expression de la « Parole », du Verbe Divin qui, comme le dit l’épitre aux Hébreux, s’est exprimée de « bien des manières » et « qui en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils (..) [He, I,1-2] ». Or cette Parole a généralement été d’abord une parole proférée oralement, souvent dans un cadre communautaire, voire liturgique, dont l’expression était forcément plus riche que sa mise ultérieure par écrit. S’il en est ainsi, la recherche du sens littéral, comme celle des autres sens « spirituels », ne peut se concevoir que dans le cadre d’une lecture ecclésiale portée par la tradition. C’est pourquoi une lecture « christique », qui voit dans certains des faits et des paroles de l’Ancien Testament des allusions au Christ, est une lecture légitime, qui n’est pas contradictoire avec une lecture qui met en jeu toutes les ressources de l’histoire et de la philologie. L’Écriture ne peut pas être opposée, comme chez les réformateurs, à la Tradition, mais elle ne peut pas non plus être mise en « parallèle » avec la Tradition. Elle doit être lue dans la Tradition de l’Église, car c’est elle qui, aujourd’hui, a les « paroles de la vie éternelle » (cf. Jn 6, 68) que lui a confiées son divin fondateur.

Jean Lédion, marié, trois enfants. Diplôme d’ingénieur, docteur d’État ès Sciences Physiques. Enseignant dans une école d’ingénieurs à Paris.

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