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Les Béatitudes évangéliques (P. M.-D. Philippe)

Parole et Silence, 2009.
Patrice Quaix

Pour avoir suivi moi-même, au Centre Jean-Paul II, dans les années 80, un cours du P. Marie-Dominique Philippe sur les huit béatitudes, j’avais été frappé par la lumière de ses propos. À chaque béatitude, il associait un athéisme, qui est en fait une hérésie. Le livre que nous donnent les éditions Parole et Silence reprend le meilleur de ses enseignements. Parcourons les grandes intuitions de celui qui fut un maître de vie autant que de pensée.

La science : au scientisme actuel (« néopositivisme »), le fondateur de la Communauté Saint-Jean opposait la béatitude des « cœurs purs » qui est associée à la contemplation. De fait, on assiste à un appauvrissement de la recherche scientifique moderne, faute d’émerveillement. Le P. Philippe voyait juste, car « trop de science tue l’amour ». Il ne conteste pas la valeur de la science mais son « idolâtrie », cela tout en réservant à saint Thomas d’Aquin (dominicain, du tiers ordre franciscain) le don de science.

La justice : « Bienheureux les affamés et assoiffés de justice, ils seront rassasiés ». Il ne s’agit pas de la justice sociale (les justices « commutatives », « distributives » et « légales »), mais il s’agit de beaucoup plus grand. Il cite le cantique de Zacharie qui établit un parallélisme entre sainteté et justice (Lc 1,75). Cela nous déroute parce qu’a priori l’homme vertueux est assez à l’aise dans la justice : le respect de l’autre et le respect de la loi, ce n’est pas un mystère, c’est chose normale. En fait, la justice dont parlent les béatitudes est relative au don de force, la justice est héroïque ! Là encore, on est dérouté, car la vertu de force domine l’irascible, alors que la justice semble plus intellectuelle. Mais la justice, c’est exercer des jugements dans le sens de Dieu : toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité (Ps 85 et Ps 89). Dieu a voulu un ordre dans l’univers. C’est là l’œuvre de sa sagesse qui est présente dans tout l’univers. Et Dieu achève la création en faisant l’homme et la femme, qui font partie de cet ordre. Avec le Christ offrant sa vie pour accomplir la volonté de son Père et nous racheter de nos fautes, la justice se trouve, au cœur de la nouvelle alliance, assumée par la miséricorde : la suprême justice se trouve accomplie dans la suprême miséricorde. Cela explique le fait que « Dieu peut permettre certaines injustices, certaines blessures (voir Job) pour communiquer davantage son amour. Chaque fois que Dieu permet une faute, c’est pour que sa miséricorde surabonde ».

La paix : « Bienheureux les pacifiques, car ils seront appelés fils de Dieu ». Les Béatitudes réalisent le dépassement de la Loi dans l’amour… Elles saisissent l’homme dans toute sa dimension d’homme… Saint Thomas a voulu faire une théologie « scientifique » et dans cette théologie, il est très à l’aise au niveau des vertus, parce que les vertus sont quelque chose de très déterminé… Mais les Béatitudes viennent nous rappeler que les vertus ne nous justifient que si elles sont mises en forme par la charité, qui seule sauve. Ceux qui font la paix, ce sont ceux qui tendent vers l’unité. On peut dire que l’exigence de la paix est une exigence radicale et fondamentale de l’amour. L’amour fait l’unité et c’est pour cela qu’il fait la paix. La caricature de la Béatitude des pacifiques, c’est la théorie psychanalytique : d’après Freud, le « ça », le « moi » et le « sur-moi » donnent toute la structure de l’homme, et fournissent donc la conception de l’ordre que nous devons acquérir. Or, la Béatitude des pacifiques, c’est l’unité dans l’ordre… Sans juger les intentions de Freud (qui avait, dit-on, beaucoup de compassion pour ses malades), celui-ci n’est pas allé assez loin. S’il était allé au-delà de son approche première, il aurait découvert qu’au-delà du ça, il y avait l’appétit religieux.

Finissons par cette remarque qui donne à penser : « les athéismes contemporains ne sont-ils pas tous des nostalgies de retour au Paradis terrestre ? Toutes les idéologies qui rejettent Dieu ne le rejettent-elles pas comme un rival, comme celui qui impose à l’homme une défense, qui vient le limiter ? Il faut donc supprimer ce glaive, et il faut supprimer Dieu pour retourner dans le Paradis terrestre, pour retrouver la béatitude humaine, le bonheur humain, un bonheur tel que l’homme le conçoit ».

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