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Les Instituts séculiers. Une vocation pour le nouveau millénaire

P. Langeron, Paris, Cerf, 2003.
Jacques-Hubert Sautel

Dans une collection dédiée aux documents d’Église et études canoniques, l’auteur, maître de conférences à l’Université, présente cette réalité de l’Église catholique, encore largement méconnue aujourd’hui, que sont les Instituts séculiers, nouvelle forme de vie consacrée, dont les prémices remontent au XVIème siècle, mais qui n’a trouvé son plein essor et sa reconnaissance officielle qu’au siècle dernier.

L’ouvrage comporte sept chapitres, dont les deux premiers offrent un panorama historique solide, en même temps qu’ils donnent les trois caractéristiques essentielles de cette forme de vie chrétienne : un don total à Dieu (consécration), compatible avec une vie ordinaire (vie séculière), et orienté par le désir d’annoncer l’Évangile de Jésus-Christ (apostolat). Dans le premier chapitre (« Les origines des instituts séculiers »), de grands noms de la chrétienté moderne sont avancés : Sainte Angèle Merici (qui fonde en 1535 la compagnie de Sainte Ursule), le père de Clorivière créant sous la Révolution française deux sociétés, l’une féminine et l’autre masculine, qui ont permis de vivre les intuitions jésuites sous le manteau de la persécution, et bien d’autres chrétiens œuvrant au XXème siècle pour des formes de vie consacrée qui ne soient pas soumises aux règles strictes de la vie religieuse séparée du monde (en communauté et en habit). Les réticences du magistère furent tenaces devant ces laïcs qui voulaient se donner totalement à Dieu sans se couper du monde, pour une plus grande efficacité de l’apostolat, car ils bousculaient ainsi la traditionnelle opposition de la vie laïque et de la vie religieuse. Mais la multiplicité des intuitions foisonnant dans les années 30 du siècle dernier conduisit peu à peu le magistère à assouplir la position traditionnelle. L’acte de naissance officielle des Instituts séculiers fut la Constitution Provida Mater Ecclesia, promulguée par Pie XII le 2 février 1947. Plusieurs étapes ultérieures conduisirent à approfondir la nature de ces Instituts, jusqu’à l’encyclique Vita Consecrata de Jean-Paul II (25 mars 1996), qui leur dédie un paragraphe entier (n°10).

Le second chapitre (« Dans la dynamique de Vatican II ») permet à l’auteur de s’arrêter sur une de ces étapes, celle du Concile. Elle fut fondamentale : elle donna aux tout jeunes Instituts séculiers, qui venaient d’être reconnus, les bases théologiques justifiant leur existence. L’intérêt personnel du pape Paul VI pour cette réalité nouvelle fut déterminant et l’auteur en découvre les grandes intuitions dans les Constitutions apostoliques conciliaires. Laissant au lecteur le goût de les découvrir toutes à travers le livre de P. Langeron, nous ne soulignerons que l’élément essentiel à nos yeux, celui développé par le chapitre 5 de Lumen Gentium : l’appel universel à la sainteté. Celle-ci n’est pas réservée à une élite retirée du monde (les religieux et religieuses) ou engagée dans un service exclusif de l’Église (les prêtres), elle est pour chaque chrétien un appel irrépressible à vivre la plénitude de son baptême. De la sorte, les laïcs possèdent en eux-mêmes les clefs de la mission.

Au fil des cinq chapitres suivants, qui décrivent la structure des Instituts séculiers, on découvre de nombreuses données juridiques qui donnent matière à réflexion. Nous mentionnerons ici seulement la frontière étroite, mais précise, qui sépare les instituts séculiers d’autres groupements de laïcs : les tiers-ordres (dominicain par exemple), les communautés nouvelles (Béatitudes, Emmanuel,…), les personnes associées aux Instituts. Dans la plupart de ces groupements en effet, il manque un des éléments essentiels de l’Institut séculier : le célibat associé à la pratique radicale (continence absolue) du conseil évangélique de la chasteté. Dans quelques autres (telle communauté nouvelle) fait encore défaut la reconnaissance canonique de la communauté : dès lors la consécration que tel ou tel membre peut y faire de lui-même au Seigneur Jésus est d’ordre privé et n’entre pas dans « l’état de vie consacré » reconnu officiellement par l’Église catholique. La règle du droit canonique, dans sa rigueur, invite à l’humilité : les appels de l’Esprit doivent être ratifiés par l’Église, pour prendre une dimension publique et officielle.

Le dernier chapitre, dédié à la vie concrète des membres des Instituts, fait apparaître l’intérêt profond de ces nouvelles communautés juridiquement bien structurées maintenant : être le levain dans la pâte humaine où vivent leurs membres. Ainsi, les membres laïcs sont dans leur milieu professionnel des témoins de l’absolu de Dieu et de la finalité transcendante et non aliénante du travail : ils sont des instruments privilégiés de la nouvelle évangélisation. Les membres clercs sont dans leur diocèse, au sein du collège des prêtres, des modèles et des points de repère discrets par leur choix de vivre pleinement les conseils de vie évangélique. On pourrait ajouter à ces analyses fines et précises qu’une comparaison avec l’oblature bénédictine, comme avec les tiers ordres ou les communautés nouvelles déjà mentionnées, aurait permis à l’auteur de montrer la parenté entre ces diverses formes de pénétration du monde par les valeurs évangéliques, en sorte que nos sociétés sécularisées retrouvent un sens à offrir aux hommes et aux femmes, particulièrement aux jeunes.

La conclusion, en dressant un panorama des Instituts séculiers aujourd’hui (leur nombre dépasse les 200 dans le monde) montre que cette réalité d’Église est en plein essor. On ne peut que recommander la lecture de cet ouvrage à tous ceux qui cherchent des voies pour la nouvelle évangélisation, à laquelle par son Église Jésus-Christ nous invite aujourd’hui.

Jacques-Hubert Sautel, Né en 1954, oblat séculier de l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes. Travaille au CNRS sur les manuscrits grecs (Institut de Recherche et d’Histoire des Textes).

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