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Les Pères de l’Église et la liturgie. Un esprit, une expérience, de Constantin à Justinien (François Cassingena-Trévédy)

Artège, Paris, 2016, 384 p.
Jean Lédion

Ce livre est une réédition de l’ouvrage paru en 2009 chez DDB. Comme c’est un travail d’abord universitaire, il est le reflet de travaux de recherche du début du XXIe siècle. L’auteur, moine bénédictin, universitaire et auteur de divers livres de spiritualité, est surtout connu comme traducteur des hymnes d’Éphrem qu’il a publiées aux Sources Chrétiennes. Il est donc particulièrement qualifié, à ces divers titres, pour parler de liturgie. Cependant le lecteur ne doit pas s’arrêter au titre, mais plutôt au sous-titre : Un esprit, une expérience. En effet, il ne doit pas s’attendre à une étude sur l’essence de la liturgie, sur son enracinement dans la tradition ecclésiale ou sur ses antécédents dans le judaïsme. Ce qui est traité, dans cette étude très érudite, c’est un ensemble de « photographies » de ce qu’on pense être les célébrations à l’époque considérée (de Constantin à Justinien) dans leurs diversités existantes entre Rome, Antioche et Constantinople. A ce sujet, il convient de se rappeler que ce qu’on connaît des pratiques de cette époque, repose sur les textes liturgiques qui nous sont parvenus, sur les récits de pèlerins (comme Éthérie) et surtout ce qu’en disent les Pères, principalement à travers leurs homélies ou leurs sermons. Ce qu’on va donc trouver dans ce livre, c’est la reconstitution de ce que peut être une assemblée chrétienne en prière autour de son pasteur, dans son aspect pratique, sociologique en quelque sorte, comme le ferait un observateur extérieur. Observateur, chrétien bien sûr, qui cherche à cerner ce que doit être l’attitude, le comportement de ce peuple impliqué par l’action liturgique. Parmi les divers Pères interrogés, la part la plus belle est faite à saint Jean Chrysostome et à saint Augustin dont d’abondantes prédications nous sont parvenues.

L’ouvrage se décompose en quatre gros chapitres intitulés : l’Assemblée, l’Accès, l’Action et l’Expérience. Le premier, en fait, s’intéresse surtout à la façon de constituer l’assemblée du peuple chrétien. Ceci implique diverses notions comme celles d’assiduité, de fidélisation, d’ordre et de décence. Cette décence est mise en rapport avec le fait que l’on célèbre avec les chœurs angéliques qui sont symbolisés par les diacres qui, tenant la place des anges dans l’assemblée, sont donc chargés du bon ordre de cette assemblée. D’où, pour l’auteur, des comparaisons avec les liturgies païennes, toujours présentes à cette époque, où le respect du rite, de l’ordonnancement est essentiel.

Le second chapitre concerne, lui, l’accès au mystère. Pour y parvenir les Pères insistent sur l’attitude que doivent avoir les participants : l’écoute attentive de la parole de Dieu et surtout sur la nécessité d’un silence révérenciel, notamment aux moments clés de la célébration comme pendant l’anaphore.

Le troisième chapitre, lui, est consacré à la participation au mystère, donc à la manière dont tous les acteurs, clercs et laïcs, doivent s’approprier ce qui est célébré. Et ce que l’on célèbre est d’autant plus important lorsque qu’il s’agît d’une fête. En effet, la fête, même païenne, est d’abord une pause où les soucis de la vie ordinaire sont mis de côté, où l’on ne travaille pas et, ainsi, une occasion favorable pour sortir du temps présent afin d’entrer dans l’eschatologie chrétienne.

Enfin, dans le dernier chapitre, l’auteur met largement à contribution les Pères pour montrer comment ces derniers développent une argumentation multiforme pour inciter leur troupeau à transposer dans la vie de tous les jours ce qu’ils sont censés avoir reçu lors des célébrations. La liturgie doit conduire à la conversion des mœurs. Et l’aboutissement ultime de la liturgie, c’est la divinisation (theosis) de l’homme telle qu’elle a pu être explicitée par Maxime le Confesseur.

Quel profit tirer de cette étude ? Tout d’abord, la possibilité, pour le lecteur, d’accéder à une traduction française des nombreux textes patristiques que l’auteur cite à l’appui de sa thèse, notamment ceux qui n’ont pas encore été publiés dans les Sources Chrétiennes ou qui ne sont disponibles que dans des traductions, quelquefois approximatives, du XIXe siècle. Ensuite, le point le plus important, c’est la comparaison que l’on peut faire en mettant face à face les pratiques de l’époque patristique considérée, vis-à-vis de ce que l’on peut observer de nos jours dans la plupart des églises (même les églises cathédrales) où tout semble un désaveu de cette immense révérence des Pères pour l’action liturgique. C’est pourquoi - et c’est la critique principale que l’on peut faire à cette brillante et très sérieuse étude - la description de la liturgie, au niveau de son cadre, de sa solennité, de son rôle transformant sur les mœurs de ses fidèles ne suffit pas. Il est nécessaire, si l’on veut s’adresser à un public plus large que celui des spécialistes en liturgie, de s’appuyer sur les fondements de la liturgie, c’est-à-dire sur son enracinement dans les pratiques de la synagogue et dans les pratiques du Christ lui-même, telles que l’épitre aux Hébreux, par exemple, peut les présenter.

Jean Lédion, marié, trois enfants. Diplôme d’ingénieur, docteur d’État ès Sciences Physiques. Enseignant dans une école d’ingénieurs à Paris.

Réalisation : spyrit.net