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Les chrétiens et l’empire romain (Marta Sordi)

traduit de l’italien par Damien Bigini, éditions Certamen, coll. In illo Tempore, 1, avril 2015, 228pp.
P. Michel Gitton

C’est un petit chef d’œuvre que les éditions Certamen viennent de mettre à notre disposition. Marta Sordi, aujourd’hui décédée, est connue en Italie comme une des grandes spécialistes de l’Antiquité romaine et spécialement de la période du haut Empire ; elle avait fait paraître en 2004 une première édition italienne de son ouvrage, qui parcourt avec une érudition sans défaut les trois siècles qui séparent la première annonce évangélique de l’édit de Milan (313), lequel, comme on sait, mit fin aux persécutions romaines contre les chrétiens. Réédité en 2008, il attendait une traduction française, c’est maintenant chose faite. Tous ceux qui veulent mieux comprendre la manière dont le christianisme a pénétré profondément le premier empire universel et l’a peu à peu investi de l’intérieur devront lire ces pages denses.

On y découvre la rapidité avec laquelle la foi nouvelle s’est répandue dans l’Empire et spécialement à Rome, l’accueil qu’elle a tout de suite trouvé dans les élites éclairées, et jusque dans l’entourage des empereurs : Paul correspondait avec Sénèque, et il y a des chrétiens dans la famille des Flaviens, dans les dernières années du siècle. Les persécutions apparaissent ainsi sous un jour nouveau : si les hommes les plus tolérants du monde s’en sont pris si longtemps aux chrétiens, ce n’est pas dû à la réaction de défense d’une société civilisée devant le fanatisme de quelques marginaux qui défiaient l’empire et couraient au-devant du supplice, c’est que les chrétiens ont au contraire très vite joué un rôle non négligeable au sein d’une société, et qu’il était difficile de leur faire une place sans remettre en cause beaucoup de choses dans le fonctionnement du pouvoir et dans les rapports au sein de la famille. On apprend au passage que le premier empereur à professer le christianisme n’est pas Constantin mais, au siècle précédent, Philippe l’Arabe. On comprend mieux le mécanisme des persécutions, qui a constamment oscillé d’une attitude prudente (se contentant d’agir sur dénonciation) à une volonté d’opposition frontale, allant jusqu’à faire du culte des dieux traditionnels un système cohérent opposable au christianisme, pour exiger un acte d’allégeance explicite de tous les sujets de l’empire. La politique de Constantin se comprend mieux à partir de là : au lieu d’user les forces de l’empire dans un combat inutile, tirer parti des potentialités offertes par la minorité chrétienne.

Mais cela ne pouvait se faire sans un profond remaniement des mentalités, ce qui est une autre histoire…

P. Michel Gitton, ordonné prêtre en 1974, membre de la communauté apostolique Aïn Karem.

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