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Les conditions fonda-mentales de la prière (Yves Tourenne)

Préface de Mgr Marc Aillet, Artège-Lethielleux, mars 2017, 243 p.
Marie-Claude Le Fourn

On vient de fêter cette année les vingt ans de la disparition du philosophe Claude Tresmontant (1925-1997). Plusieurs manifestations ont eu lieu pour évoquer son œuvre. Le P. Yves Tourenne, qui fut un de ses disciples et a contribué largement à faire connaître sa pensée, aborde dans ce livre la dimension plus spirituelle de son œuvre. Le titre interroge : Les conditions fondamentales de la prière, titre remanié, apprend-on, de Métaphysique et prière chez Claude Tresmontant qui nous renseigne un peu plus. Comment un philosophe peut-il nous introduire à la prière ? Propos inattendu qui nous invite à nous pencher sur cet ouvrage avec intérêt, même s’il paraît d’allure plutôt didactique.

Claude Tresmontant fut un chercheur toute sa vie ! Enfant il bénéficia de la pédagogie de l’école Freinet où l’élève exerce sa capacité à interroger par lui-même et à expérimenter le réel, et ainsi parvient à progresser dans ses découvertes. On décèle chez lui une pensée non conventionnelle débordant les cadres institués. Il se convertit à l’âge de 17 ans et, dès lors, la recherche de la Vérité ne fit qu’un avec sa foi. Pour lui, l’intelligence était un acte majeur, nécessaire à la foi. Le don gratuit de Dieu ne se substitue pas à l’intelligence et l’accès à la Vérité demande un cheminement, procède par étapes. Sa philosophie se voulait donc résolument chrétienne. Comme son maître Blondel le disait : « la philosophie est normalement orante », parce qu’elle se réfère à une Pensée première. La prière, pour Tresmontant, rentre dans ce cadre de la quête de la Vérité, tel Abraham qui se met en route vers une destination inconnue. On va au-delà de ce qu’on connaît, on quitte l’ancien pour le nouveau.

Philosophe et métaphysicien, il coupait court au clivage artificiel des disciplines qui fausse le discours. Il travailla à rapprocher la philosophie et les sciences, la philosophie et la théologie et proposa une métaphysique qui débouche sur une prise en compte du réel.

La prière n’est-elle pas propre à la subjectivité, relevant de l’intimité de la relation de chacun avec Dieu ? Le livre tend à nous prouver le contraire. Pour Tresmontant, tout doit partir des faits, rien que les faits. Dieu est accessible et nous donne les moyens de le reconnaître, car il s’agit d’abord de le reconnaître, que ce soit à travers l’existence de l’univers, son histoire et son devenir ou encore, à travers le fait Israël, authentiquement observable tel que nous le rapportent les Écritures : comment Dieu a voulu se révéler à un petit peuple, communiquer ce qu’il est. La façon dont il veut se révéler nous dit beaucoup de lui et, si nous prétendons le prier, il nous faut le connaître tel qu’il est, et non, comme nous croyons le connaître.

Un des aspects les plus significatifs de la pensée de Tresmontant, c’est l’attention qu’il porte à ce qu’il appelle la métaphysique du sensible au centre de la pensée hébraïque, comment le réel est signifiant, intelligible. Il fustige les malentendus autour de l’Incarnation qui viennent de traductions helléniques trop dépendantes du néoplatonisme, opposant matière et idée. La langue hébraïque pour lui demeure le véhicule indépassable que Dieu a utilisé. Il sera un exégète exigeant avec des parti-pris autour de l’Écriture, qui ne seront pas toujours compris.

L’entrée en dialogue, qui est le propre de la prière, suppose donc, pour Tresmontant, qu’on ait accueilli le fait de la Révélation et que Dieu se révèle lui-même comme un Dieu personnel. C’est une condition fondamentale. La figure du Christ inaugure dans l’histoire un Homme nouveau. Nous entrons dans le mouvement de la création en train de se faire. Mais tout n’est pas joué d’avance. L’Église témoigne elle-même d’une humanité en gestation. Si, dans la première partie, Yves Tourenne nous fournit de larges passages sur la réflexion de Claude Tresmontant notamment sur le sens de la Création et sa métaphysique du temps, dans la deuxième partie de son livre “contempler avec Claude Tresmontant”, il fait le choix de présenter des textes plus en lien avec une attitude spirituelle qui est celui du consentement à cette Création nouvelle. “Le but de la Création, c’est la vie mystique” dit Tresmontant. On trouvera des pages remarquables où culminent la foi et l’espérance sans faille du philosophe, particulièrement dans l’échange de correspondance qu’il entretint avec Marie Bourgeois autour du problème du mal et de la mort.

Au final, il est difficile d’affirmer que Claude Tresmontant, philosophe et métaphysicien, fut un maître spirituel. Mais on reconnaît sans peine dans son œuvre un souffle nouveau que nourrit une réflexion riche et profonde et un sens spirituel peu commun enraciné dans une quête incessante de la Vérité. Yves Tourenne a su nous convaincre dans ce livre de considérer la place éminente de Tresmontant comme penseur du catholicisme et homme de foi.

Marie-Claude Le Fourn, licence de psychologie et diplôme d’arthérapie. Membre de la communauté apostolique Aïn Karem.

Réalisation : spyrit.net