Rechercher

Les étapes de la Gloire

P. Jacques Benoist

On aurait tendance, devant les négations dont est aujourd’hui l’objet la Résurrection corporelle de Jésus, à s’en tenir à un travail d’historien ou de philosophe : comment l’événement est-il possible ? que s’est-il réellement produit ?

Ce travail est nécessaire et il a été fait [1], mais il est insuffisant : on ne doit pas oublier que la Résurrection, si elle est garantie pour la foi (cf. Ac 17, 31), est aussi mystère de la foi et mystère digne d’adoration. Car Jésus ne se manifeste jamais avec la puissance de Dieu, sans nous révéler en même temps quelque chose de la splendeur et de l’amour divin. Notre méditation sur l’être profond du Christ ne doit pas s’arrêter au dernier soupir du Crucifié, elle doit se poursuivre et s’épanouir dans la contemplation de cette humanité rachetée, dans les différentes étapes de sa vie après la Résurrection : la Quarantaine entre Pâques et l’Ascension, l’Ascension, et finalement l’installation à la droite du Père.

DE PAQUES A L’ASCENSION

Les disciples, sous l’action de l’Esprit, pendant leur extraordinaire aventure, réfléchirent sur la cohérence de ce qu’ils vivaient. Riches de tout l’Ancien Testament et de leurs trois années passées avec Jésus, ils rapportèrent par écrit ce qui fondait leur foi : la vie du Christ jusqu’à son départ. Comme eux et avec eux, il faut se reporter aux Écritures pour comprendre Jésus et surtout Jésus ressuscité. Non pas tellement pour y chercher les annonces de la Résurrection [2] que pour y découvrir le projet de Dieu dans son ensemble. Car, un des éléments de prédication primitive est justement l’annonce de son accomplissement.

Les Écritures rappellent sans cesse que Dieu veut témoigner son amour pour les hommes et rétablir avec eux des relations rompues par le péché. Les prophètes parlent d’un jour où le Seigneur montrera cet amour. L’acte par lequel il le fera sera décisif et définitif. Alors le jugement et le salut seront manifestes dans un monde renouvelé. Le jugement, c’est l’acte de Dieu qui révélera à tous combien chacun est capable de le recevoir et de se donner à lui, c’est-à-dire de l’aimer. Le salut, c’est l’amour de Yahvé pour son peuple qu’Amos compare à celui du mari pour sa femme. Ainsi la logique du monde nouveau sera la logique de l’amour que l’on peut présenter ainsi : Dieu en ce jour-là, parfaitement maître de lui-même et du monde, se donnera à tous selon la capacité de chacun au point de n’être qu’un avec tous et avec chacun.

Le mode d’être ancien est assumé

Ce premier temps montre à la fois que la Résurrection de Jésus est un renouvellement, c’est-à-dire qu’elle ne détruit pas l’ancien monde, et qu’elle est comme une sorte de jugement pour ceux qui en sont les témoins.

Un ensemble de témoignages souligne un aspect du Ressuscité : la continuité qu’il y a entre avant et après la Pâque. “ La stupeur et l’effroi des apôtres ” montre qu’ils ont pu, une fois au moins, reconnaître les traits de Jésus dans ce qu’ils voyaient puisqu’ils “ imaginaient voir un esprit ” (Lc 24, 37). La proposition de Jésus aux disciples de toucher ses plaies dès son arrivée (Jn 20, 20) et la réflexion de Jean sur le bord du lac (Jn 21, 12) mettent aussi en évidence que celui qui est là, présent devant les disciples, est celui qui a été enseveli. C’est pourquoi nous parlons d’un constat de continuité de la part des apôtres : Jésus ressuscité se pose lui-même et est reconnu, d’emblée, dans certains cas, comme le Crucifié [3].

Un autre ensemble montre que Jésus pouvait être pris pour une personne quelconque. Les pèlerins d’Emmaüs déçus (Lc 24, 13) [4], Marie de Magdala sanglotant (Jn 20, 14), les disciples pêchant sur le lac (Jn 21, 4) ne le reconnaissent pas. Ils constatent d’une façon sensorielle ordinaire la présence d’un homme. Jésus ressuscité est, indépendamment de la foi des disciples, un sujet extérieur, localisable dans l’espace, attirant l’attention sur lui en posant une question. Ces deux aspects sont à affirmer ensemble, comme le font les évangélistes. L’expérience du Ressuscité montre bien que Jésus assume parfaitement son mode d’être ancien, qu’il est revenu à une vie au moins semblable à la nôtre.

Jésus révèle chacun à soi-même

Les témoignages des femmes (Mt 28, 9) et ceux des disciples, tant sur la montagne (Mt 28, 17) qu’à table (Mc 16, 14), complètent les précédents. L’ensemble montre que Jésus se révèle selon la capacité que chacun a de le recevoir [5]. A chaque fois qu’il se manifeste, lui qui sait ce qu’il y a dans le cœur de l’homme, avec une finesse psychologique parfaite, il conduit ceux qu’il s’est choisis à une meilleure connaissance. Il les juge en quelque sorte, c’est-à-dire qu’il leur révèle les dispositions qu’ils ont à son égard. La diversité de relations que Jésus peut établir avec chacun, ne démontre donc pas qu’il est une projection des désirs de chacun, mais qu’il est capable de s’adapter.

Un mode d’être nouveau est inauguré

Avec ce dernier point, nous trouvons ce que nous avons appelé la logique de l’amour, et nous pensons éclairer les apparitions et les disparitions de Jésus par celle-ci [6].

En effet, elles ne s’expliquent pas par une logique tirée de notre expérience quotidienne. Dire que Jésus se transformait en une matière visible ou invisible, ou bien, dire qu’il passe à travers les murs parce qu’il se rend présent “ toutes portes closes ” (Jn 20, 19. 26), c’est vouloir expliquer le plus par le moins, c’est vouloir réduire Jésus à nos cadres mentaux habituels. Les évangélistes ne se permettent pas de donner des explications de cette sorte. Eux, ils constatent simplement que Jésus accomplit ses promesses.

Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que Jésus ressuscité réalise le projet de Dieu. Ainsi, il est en lui-même celui qui peut parfaitement se donner en tant qu’Homme-Dieu et à son Père et aux hommes qui ne le refusent pas, et tout aussi bien, les recevoir. Tout en étant radicalement différent de tous et de chacun, il est ainsi capable pour l’éternité de ne faire qu’un avec tous et chacun. La cohérence exigée par l’intelligence est à trouver à partir de cette logique. Il ne s’agit pas seulement de celle du monde matériel dans lequel les hommes sont enracinés. Il s’agit de celle du monde des parfaites relations personnelles auquel ils sont invités à participer. Celle-ci n’abolit pas celle-là. Mais elle l’intègre en un ensemble nouveau. Cette logique de l’amour explicite la promesse du Seigneur d’être présent là où seraient réunis en son nom ses disciples. Les apparitions n’en sont dès lors qu’un cas particulier.

Jésus ressuscité devait vivre sur terre

“ Exposant en détail le soin mis par Dieu et le plan de son œuvre en faveur de l’humanité ” [7], nous soulignons le fait que Jésus, pendant quarante jours a vécu en ressuscité, sur cette terre qui est la nôtre. Bien plus, qu’il était conforme au projet créateur de Dieu qu’il y vécût. En effet, par la création du couple humain, à son image et à sa ressemblance, Dieu avait envisagé de l’établir maître du monde, source de vie en lui-même et partenaire d’un dialogue d’amour avec lui. Ce projet saboté par le péché, a été repris par Dieu lui-même et mené à sa fin par Jésus. Comme pour cela, il a accepté, lui, Homme-Dieu, d’être traité comme un pécheur par le Père pour le salut des hommes, il convenait que, ressuscité, Dieu le traitât encore comme un simple homme ressuscité, comme le nouvel Adam dont parle saint Paul. Ainsi, durant ces quarante jours, Jésus ressuscité, lui, “ l’Image du Dieu invisible ” (Col 1, 15), vécut sur cette terre de la façon dont Dieu l’avait prévu.

C’est pourquoi, non seulement il y proclama que tout pouvoir lui avait été remis, mais il s’y comporta en maître. A celui qui, pendant une autre quarantaine (Mc 1, 12 sq), jeûna et fut tenté par le Maître de ce monde, il était réservé de jouir de ce monde créé d’une façon parfaite. Combien dut-il le savourer, lui qui déjà avant sa mort savait si bien le regarder. C’est ce qui explique encore que Jésus ressuscité durant ces jours, grâce à l’Esprit qui lui a été donné, se préoccupa de communiquer sa vie à ses disciples. Non seulement il les enseigna (Ac 1, 4), mais en soufflant sur eux il leur donna pouvoir de remettre les péchés (Jn 20, 23). C’est pourquoi enfin, Jésus ressuscité, encore en ce monde, dut expérimenter, dans sa psychologie et son corps, la plus parfaite communion qui jamais n’existât entre une créature et Dieu. Il a dû être dans des conditions humaines une pure action de grâce et une louange de chair et de sang. Ainsi le “ Premier-né de toute créature ” (Col 1, 15) entonna, on n’en peut douter, cette prière parfaite qui depuis jamais ne cessa, en lui et aussi sur terre, reprise qu’elle est par les générations de baptisés (Lc 24, 53 ; Ac 2, 47).

JÉSUS RESSUSCITÉ EST MONTÉ AU CIEL

La tradition la plus ancienne est unanime à affirmer le départ physiquement constaté de Jésus ressuscité [8]. Si les témoignages concernant sa date semblent varier, c’est que les évangélistes portent d’abord leur attention sur le statut de Jésus. En constatant tous, grâce aux apparitions, que sa chair était désormais incorruptible, ils ont compris, par le fait même qu’il était Seigneur à l’égal de Dieu. De cet événement, il importait à chacun de manifester un aspect. Aux uns, il fut donné d’en percevoir la continuité avec ceux de la vie et de la mort de Jésus [9] ; à d’autres, d’en remarquer les incidences concrètes pour la vie des disciples (Matthieu et Marc) ; à Luc enfin, d’en rapporter le déroulement chronologique et le caractère liturgique (n’est-ce point en effet au cours d’une bénédiction que Jésus se sépare d’eux ?) [10].

Dès lors que Jésus avait achevé sa mission par l’établissement au sein de ce monde d’une source inépuisable d’Esprit, ne convenait-il pas enfin, qu’il fût traité en Dieu, lui l’Homme-Dieu ? En Jésus, la Résurrection a rétabli une personne humaine dans sa condition primitive voulue par Dieu ; par l’Ascension furent manifestées son origine divine et sa filiation. Par le passage au Père ainsi réalisé, le Fils communique à cette humanité qu’il avait saisie lors de l’Annonciation, un surcroît gratuit d’épanouissement : celui de participer au monde invisible et mystérieux de Dieu.

L’Ascension et nous

Les spirituels ont usé fréquemment de ce mystère. A leur exemple, il est nécessaire d’en découvrir la valeur pour nous et pour notre salut puisqu’il a été établi pour cela [11]. L’Ascension ne doit pas demeurer une belle image qui attire et réjouit le regard, mais être connue de façon à changer la qualité de l’existence. Or quelle interprétation est plus autorisée que celle de l’Écriture elle-même ? “ Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel ? Celui qui vous a été enlevé, ce même Jésus viendra comme cela, de la même manière dont vous l’avez vu partir vers le ciel ”(Ac 1, 11).

Paradoxalement, un départ est signe d’un retour. Un enlèvement qui est arrivé à Jésus en présence des Apôtres est signe d’une venue “ comme cela ” lors de l’avènement définitif. Ces propos sur le départ et le retour de Jésus introduisent à des propos avec Jésus puisqu’il est toujours vivant. Celui qui les tient est qualitativement changé. Désormais, fort de la promesse du Christ (Jn 14, 3), l’assemblée de ces hommes attend son retour. Ils ont découvert qu’ils ne s’épanouiront que dans un monde au-delà de celui dont ils ont l’expérience. Ce monde à venir récupérera et achèvera ce qu’il y aura eu de bon dans l’ancien. Car Jésus leur a montré qu’ils ne sont pas faits pour vivre simplement comme des créatures sur cette terre, mais qu’ils sont invités à vivre filialement dans un monde nouveau.

JÉSUS EST ÉTABLI EN DIEU

Pour les hommes, de l’Annonciation à l’Ascension, Jésus a vécu sur la terre sa vie humano-divine dans des conditions humaines. Lors de la venue d’un ciel nouveau et d’une terre nouvelle (Ap 21, 1), ce même Jésus y vivra visiblement cette même vie dans sa plénitude. Entre ces deux temps, toujours pour nous et pour notre salut, il accepte d’être l’Homme-Dieu vivant en Dieu. Comment parler de cet état inaccessible à nos simples moyens humains ?

L’achèvement de l’Incarnation

Bérulle [12] indique une voie : “ pour autant que nous ne pouvons pas, de nous-mêmes, considérer cet état du Fils de Dieu avec la lumière de vie, nous devons prendre liaison avec les saints qui conversèrent avec le Fils de Dieu en cet état et qui eurent plus de communication avec lui... ”. Grâce à ce conseil, une lecture du Nouveau Testament fournit un fil conducteur. Les premiers missionnaires de Marc (16, 20) connaissent le “ Seigneur agissant avec eux et confirmant la Parole par les miracles qui l’accompagnaient ”. Étienne qui allait être lapidé “ voit les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu ” (Ac 7, 55). A Paul le persécuteur, le Seigneur se présente en disant “ je suis Jésus que tu persécutes ”. A ceux qui sont persécutés et qui douteraient de Jésus, Jean révèle parmi beaucoup d’autres visions, celle où il voit debout “ l’agneau comme égorgé, portant sept cornes et sept yeux ” (Ap 5, 6), c’est-à-dire le Christ agneau pascal immolé tout-puissant et omniscient qui s’offre pour le salut du peuple élu. A d’autres persécutés, l’auteur de l’épître aux Hébreux rappelle que le Christ est pour eux un grand prêtre, toujours vivant pour intercéder en leur faveur (He 7, 25) [13].

De ces exemples et de nombreux autres, il est permis de conclure que Jésus en sa vie auprès du Père assume parfaitement toutes les expériences qu’il a faites en son corps et en son esprit, de sa venue sur terre à son départ. Dans son action de grâce éternelle à l’égard du Père, il les actualise dans sa réalité humaine divinisée. Il a en effet prêché et fait des miracles. Il s’est tenu debout devant Pilate en se reconnaissant roi et en reconnaissant en l’action de celui-ci le pouvoir que Dieu lui avait donné. Il a pris lui-même la défense de ses disciples devant les accusations des disciples de Jean (Mt 9, 14). Il a accepté qu’on le présente comme le véritable agneau de Dieu (Jn 1, 29), “ conduit à la boucherie ” (Is 52, 7). C’est lui qui, enfin, dès cette terre, a prié non seulement pour ceux qui étaient avec lui, mais aussi pour “ ceux-là qui, grâce à leur parole, croiront en lui ” (Jn 17, 20).

Ainsi Jésus, pour nous et pour notre salut, dans le monde transcendant de la gloire, vit parfaitement son Incarnation, car celle-ci n’a pas pris fin lors de son Ascension. Un morceau de notre monde est désormais capable de supporter la vie de Dieu lui-même. Porter, en esprit et en vérité, notre regard vers le ciel, c’est y découvrir un peu de terre dont Jésus s’est saisi pour l’éternité.

Se revêtir du Christ ressuscité

Sainte Thérèse d’Avila a formulé simplement ces quelques réflexions en écrivant sa vie :

Le Seigneur se manifestait presque toujours à moi dans la gloire de sa Résurrection ; parfois, cependant voulant me soutenir dans la tribulation, il me montrait ses plaies. Je l’ai vu quelquefois en croix et au jardin des Oliviers, rarement avec la couronne d’épines... Ils se conformait alors, je le répète, aux nécessités de mon âme... Mais il m’apparaissait toujours dans sa chair glorifiée [14].

Bérulle, admirateur de “ la Mère Thérèse ” s’est sûrement souvenu de ce passage lorsqu’il a approfondi ce qu’il a appelé les “ états ” de Jésus [15]. C’est lui qui en a montré l’importance pour la vie chrétienne. Jésus est prêt à communiquer une vie déjà parfaitement vécue à ceux qui veulent bien s’ouvrir à son action. Regarder le Christ, ce n’est pas se reporter à un passé de notre histoire, aujourd’hui révolu, c’est se tourner et se donner à celui qui, étant notre contemporain, se donne conformément à la logique de l’amour. Etre chrétien en ce sens, ce n’est pas d’abord imiter Jésus extérieurement, c’est “ se renouveler par une transformation spirituelle du jugement et revêtir l’Homme Nouveau, qui a été créé selon Dieu, dans la justice et la sainteté de la vérité ” (Ep 4, 23). Or cet Homme Nouveau, c’est Jésus vivant qui donne à tous de sa plénitude et grâce pour grâce (Jn 1, 16), c’est-à-dire “ une grâce correspondant à la grâce qui est dans le Fils unique ” [16].

Ainsi, Jésus, tout en étant avec le Père en l’éternel repos bienheureux de la vie trinitaire, travaille aussi en ce monde par le don qu’il fait sans cesse de lui-même pour recréer ce monde (Jn 5, 17). Dans la mesure où il nous rend maîtres comme lui de l’ennemi, il nous communique la vie de ressuscité qu’il a acquise pour nous et dans la mesure où il nous associe à l’offrande qu’il fait de lui-même au Père, il nous permet de “ compléter en notre chair ce qui manque à ses épreuves, pour son Corps qui est l’Eglise ” (Col 1, 24). Car nous sommes déjà ressuscités, mais pas encore complètement. Tant que nous n’aurons pas été associés par notre mort à la mort du Christ, nous ne pouvons prétendre à la récompense du juste (1 Tm 2, 12).

L’achèvement de la rédemption

De même que le Verbe incarné nous découvre une profondeur nouvelle de son mystère, si nous le laissons attirer notre attention vers lui vivant au ciel, de même, le Crucifié, tout en demeurant scandale pour les juifs et folie pour les païens (1 Co 1, 23), devient pour nous, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car pour lui, l’entrée dans le royaume n’a pas été seulement une assomption de la nature par la grâce [17]. Sa grandeur définitive est le fruit de multiples renoncements jusqu’à la Croix. Le Fils d’homme que voit Jean au début de son Apocalypse (1, 18) dit : “ J’ai été mort et me voici vivant pour les siècles des siècles... ”. Non seulement, Jésus se souvient de sa passion mais il en porte encore les cicatrices comme Thomas a pu le constater avec son doigt (Jn 20, 27). Porter en vérité notre regard vers le ciel, c’est donc aussi y découvrir un peu du sang que Jésus a versé “ une fois pour toutes ” (He 9, 26).

Vivre en passage vers le Père

C’est pourquoi, il est bon d’accepter l’union avec le Christ vivant dans le monde de Dieu, car dans celle-ci s’opère notre contact et avec sa mort et avec sa résurrection [18]. Ces deux temps du mystère sont inséparables. Grâce au versant lumineux, tout le renoncement qu’il réclame à ses disciples est acceptable. La participation à la gloire suppose pour le chrétien la participation à cette “ dépossession non pas de notre esprit, mais de toute complaisance en notre esprit, de toute propriété, pour être rempli de l’Esprit du Fils de Dieu ” [19]. Les efforts faits, les difficultés supportées expriment une réponse d’amour lors même que l’on serait tenté de se refermer sur soi en accusant Dieu. Bien plus, ils constituent, associés à la passion du Christ, une source de salut pour les autres.

Mais il y a des sacrements !

Pour belle qu’elle nous paraisse, la vie de Jésus ressuscité en elle-même nous laisse sur notre faim. La description de notre rapport avec lui ne semble pas vraiment humaine. Ni lui, ni nous n’y sommes vraiment engagés jusque par notre corps.

Cette légitime exigence est le signe même de la cohérence du dessein de Dieu. Lui qui fit de l’homme un être de chair, lui, dont le Fils s’incarna, a aussi choisi et institué pour nous et pour notre salut les sacrements qui joignent la réalité de l’action du Christ à la signification du geste.

Bien plus, il a voulu offrir à quiconque perçoit dans la foi sa réalité d’homme dans l’eucharistie, une mise en face de l’Homme-Dieu. Le Christ fait en effet de sa chair une nourriture et de son sang une boisson (Jn 6, 55).

P. Jacques Benoist, né en 1946, prêtre du diocèse de Paris a vécu de longues années à la Basilique du Sacré Cœur à Montmartre comme étudiant, comme séminariste, puis comme chapelain. A fait sa thèse sur le monument et son histoire, publiée sous le titre Le Sacré-Cœur de Montmartre de 1870 à nos jours, 2 volumes parus, Collection Patrimoine, Éditions Ouvrières 1992. Il est auteur de nombreuses autres publications sur l’art et l’histoire.

[1] Voir les articles de Michel Gitton et Jean-Luc Marion dans ce numéro.

[2] Voir l’article d’Antoine Cavigneaux.

[3] Nous n’adoptons pas ici toutes les vues de Pousset, Nouvelle Revue Théologique, décembre 1969, qui, tout en admettant la réalité du “ constat sensoriel ”, ramène tous les récits d’apparitions à la prise de conscience progressive que celui qu’on voit n’est autre que celui avec qui on a vécu. Il nous semble au contraire que les disciples saisissent conjointement les deux faits : le Christ est à nouveau présent dans son corps et c’est le même qu’avant.

[4] Le rapprochement de ce passage avec celui de Marc (16, 9) soulève une difficulté. Voir la solution théologique dans saint Thomas, Somme Théologique, IIIA q. 55.

[5] Voir aussi la question 55 de la Somme.

[6] L’Ascension sera traitée pour elle-même.

[7] Voir saint Irénée qui décrit la fonction du théologien (Contre les Hérésies 1, 10, 3).

[8] Nous empruntons les conclusions de l’examen de la question fait par le P. Benoît, Revue biblique, 1949.

[9] C’est le cas de Jean. Son évangile donne une grande place aux annonces de l’Ascension.

[10] C’est une remarque de Schlier, Essai sur le Nouveau Testament, Paris, 1968.

[11] N’est-ce pas ce que nous disons dans le Credo ?

[12] Théologien et spirituel français du XVIIème siècle.

[13] Voir l’article de Rémi Brague, "La Prière du Christ", Résurrection, n° 31 (ancienne série).

[14] Œuvres complètes, éd. du Seuil, p. 301-302.

[15] Voir Jacques Benoist, “ Bérulle ”, Résurrection, n°30 (ancienne série).

[16] Note de la Bible de Jérusalem.

[17] Voir Cognet, “ Bérulle ”, Revue du XVIIème siècle, octobre 1955.

[18] Voir Durwell, La Résurrection, Mystère de salut, Paris, 1954.

[19] Ce passage de Bérulle montre bien que l’abnégation qu’il réclame n’est pas destruction de ce qui est créé, mais changement de l’utilisation qu’on peut faire de ce qui est créé.

Réalisation : spyrit.net