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Les personnages dans l’évangile de Jean

Alain Marchadour, Cerf, 2004, 230 pages, 21€
J-S Règue

« Jésus a fait sous les yeux de ses disciples encore d’autres signes, qui ne sont pas écrits dans ce livre. Ceux-là ont été mis par écrit, pour que vous croyez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant vous ayez la vie en son nom » (Jn 20,30-31). Partant de cette présentation de son auteur, Alain Marchadour va procéder à l’analyse de la construction du quatrième évangile. On est loin d’une lecture de type fondamentaliste, et pourtant Alain Marchadour dépasse la perspective purement archéologique. Ce qui l’intéresse ici est de procéder à une christologie narrative. Il lui est apparu que Jean « s’est servi, avec une habileté incomparable, de quelques personnages croisant le chemin de Jésus », pour nous faire entrer dans la révélation du Christ.

« Un de nos objectifs consiste à relire l’évangile de Jean à partir de quelques personnages qui, ayant croisé la route du révélateur, et subi l’impact de sa lumière, ont été contraints de faire un choix ». Afin de présenter à nos lecteurs le corps du livre d’Alain Marchadour, nous donnons ici un aperçu du chapitre « Thomas, le disciple des extrêmes ».

En effet, contrairement aux trois autres évangiles (synoptiques), où Thomas apparaît peu, son rôle est important chez Jean. « On pense que celui-ci (Jean) a eu des connexions étroites avec les courants gnostiques. Or Thomas était une figure importante de ces milieux ». En araméen, Thomas signifie « jumeau », et ce pourrait n’être que le surnom de l’apôtre. D’après l’Évangile apocryphe de Thomas, cette ressemblance avec le Christ serait plus qu’une coïncidence, puisqu’il y est présenté comme le jumeau de Jésus ! Quoi qu’il en soit, « c’est vraiment un personnage johannique, qui permet de mieux comprendre le passage du ‘voir’ au ‘croire’ ». Après la période d’enseignement, c’est à l’approche de la Passion, que les disciples commencent à s’inquiéter de l’hostilité manifestée à l’égard du Christ et d’eux-mêmes. Intervient alors Thomas pour inviter ses compagnons à s’engager pleine-ment sur le chemin de Jésus, leur permettant ainsi de surmonter leur hésitation (Jn, 11,16).

Mais plus tard, même s’il n’ira pas jusqu’à renier comme Simon-Pierre son appartenance aux disciples de Jésus, il sera absent au moment de la révélation suprême de la croix. Cette absence se prolonge : « Or Thomas, l’un des Douze, appelé Didyme, n’était pas avec eux, lorsque vint Jésus » (20,24). Ce passage fera dire à certain exégète que Thomas « manifeste un refroidissement retentissant envers le maître et ses compagnons » (R. Vignolo). En effet, Jean ne manque pas de souligner l’absence du disciple au premier rassemblement post-pascal. Il rappelle la traduction grecque de Thomas, « Didyme », et ajoute : « l’un des Douze », cette référence étant rare chez lui. On la retrouve pour désigner Judas (6,71). Ainsi on peut comprendre que Thomas « n’aurait pas dû manquer le rendez-vous, pas plus que Judas n’aurait dû trahir ». Ce jugement négatif sur Thomas est aggravé par son refus du témoignage de la communauté apostolique, quand elle lui fait part de sa rencontre avec le Seigneur. Cela, alors que le témoignage est « la voie privilégiée d’accueil de la Bonne Nouvelle. (…) Huit jours plus tard, Jésus vient encore et Thomas est là pour accueillir à son tour la paix ». A l’invitation de Jésus : « cesse d’être incrédule, deviens croyant » (20-27), Thomas répond par « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (20,28), ce qui est « le cri de foi le plus grand qu’un homme ou une femme aient jamais poussé dans l’évangile. (…) Thomas a voulu voir, alors qu’il aurait pu être le premier bienheureux à croire sans avoir vu. Précisément, dans sa difficulté à croire, dans ses contradictions, sa solitude aussi, il reste l’un de nous : « disciple en position précaire, il prend valeur typologique. À ce titre peut-être est-il notre ‘jumeau’ à tous (Y. Simoens) ».

Comme dans le reste du livre, Alain Marchadour, cite d’autres commentateurs dans son chapitre sur Thomas, et il émaille sa prose de divers textes. On lira ici un passage sur « Thomas dans les apocryphes » et un autre sur « Thomas transfiguré après la Résurrection » chez Jean Chrysostome. Ce livre n’a pas l’ambition d’être exhaustif sur tous les passages de l’évangile et renvoie pour cela à d’autres auteurs. L’ouvrage est complété par un chapitre sur les « Ouvertures christologiques » et quelques annexes. Il séduira par son approche décomplexée ainsi que par le naturel et l’accessibilité de son style.

Réalisation : spyrit.net