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Les racines juives du christianisme

Frédéric Manns, Presses de la Renaissance, 2006, 307 p.
Jean Lédion

Voici un livre qui arrive peut être un peu tard… En effet, personne aujourd’hui n’oserait soutenir que le christianisme n’a aucun lien, depuis 2000 ans, avec le milieu juif où il est né. Naguère, on se plaisait à opposer le Jésus Libérateur des tabous et des observances à un judaïsme jugé universellement légaliste et ritualiste. Depuis quelques années, on a commencé à faire justice de ces préjugés. Mais l’ignorance du peuple chrétien sur les origines du christianisme reste encore abyssale. C’est pourquoi ce livre peut rendre bien des services.

L’auteur, franciscain, prêtre et directeur du Studium Biblicum Franciscanum de Jérusalem de 1996 à 2002, a été professeur d’exégèse du Nouveau Testament et de littérature juive. Sa présence à Jérusalem, comme ses travaux sur le judéo-christianisme, lui ont permis d’être en symbiose avec l’âme juive des premiers chrétiens.

Le livre est en quelque sorte une méditation spirituelle de l’auteur à partir des connaissances que nous avons des origines chrétiennes. Le lecteur érudit n’apprendra rien de nouveau, ni sur l’histoire des évangiles et de la prédication de saint Paul, ni sur la christologie primitive, mais il appréciera la démarche progressive de l’auteur qui, pour chaque livre du Nouveau Testament, dégage l’essentiel de son message. Il regrettera cependant l’impression que donne F. Manns de s’attacher à des lieux communs discutables de l’exégèse contemporaine, comme la datation tardive de certains écrits néotestamentaires. Le lecteur non spécialiste trouvera lui aussi son intérêt, s’il fait abstraction de certaines lacunes : ainsi certains mots hébreux ou grecs (par exemple Anabathmoi, p.196) sont utilisés sans traduction en français, ce qui peut être gênant. On regrettera aussi qu’il n’y ait aucune indication sur l’origine des textes extra-bibliques auxquels il est fait référence. Un non-spécialiste ne sait pas forcément ce qu’est la Tosephta ou le livre d’Hénoch éthiopien !

Ces petites difficultés ne doivent pas cependant effrayer le lecteur potentiel. La lecture est relativement facile, malgré la densité du contenu. Il faut retenir les chapitres consacrés à saint Paul, ceux dédiés aux quatre évangélistes et aussi le chapitre 9, qui traite de « La christologie de l’Église primitive ». On trouve, dans ce chapitre, une analyse de tous les « titres » donnés au Christ Jésus : le Serviteur, la pierre rejetée, l’agneau, le Fils de l’homme, le prophète, le Seigneur, le Nom, la Parole, la Sagesse, l’envoyé, le Fils de Dieu, avec toutes les connotations bibliques et judaïques de ces termes. Mais après tous ces rappels du plus haut intérêt, la conclusion du dit chapitre est plutôt décevante en matière de christologie. Citons-en un exemple : « Cette christologie est pluraliste. Chaque image développe un aspect qui complète les autres. Le messianisme juif était déjà pluraliste. Ainsi, la tension qui existait entre des courants comme ceux de Jacques et d’Etienne se prolongera dans l’Église. Diversité et unité sont les mots clefs de la christologie primitive Une telle diversité n’est pas une tare originelle ni le stigmate d’une déviance originaire. Elle correspond aux conditions d’implantation et d’expansion du christianisme (p.203) ».

Ainsi, après une analyse plutôt riche, on arrive à une conclusion quelque peu indigente. On sous-entend ainsi plusieurs lieux communs de certaines théologies contemporaines, comme si c’était une évidence qu’il y ait eu, aux origines, des croyances « à la carte » sur le contenu de la foi chrétienne primitive, croyances variables selon les communautés de Galilée, de Jérusalem ou d’ailleurs. Il est significatif que, dans ce chapitre, la croyance en la divinité du Christ n’est pas abordée. C’est laisser croire que la divinité du Christ n’a été reconnue que bien plus tard. C’est aussi laisser croire que des communautés pouvaient alors avoir une foi « orthodoxe » sans pour autant adhérer à toutes les vérités reconnues par d’autres.

C’est donc avec discernement qu’il faut lire ce livre, en profitant de la richesse des connaissances de l’auteur. Et ce que l’on peut souhaiter, c’est que cette lecture suscite chez le lecteur le désir de mieux connaître les Écritures, de mieux connaître l’histoire du judaïsme et les documents qui concernent les origines chrétiennes.

Jean Lédion, marié, trois enfants. Diplôme d’ingénieur, docteur d’État ès Sciences Physiques. Enseignant dans une école d’ingénieurs à Paris.

Réalisation : spyrit.net