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Lettres, T.2 (Bernard de Clairvaux)

Éditions du Cerf, coll. Sources Chrétiennes, Paris, 2001.
Simon Icard

Depuis 1992, les Éditions du Cerf se sont lancées dans une entreprise d’envergure : proposer une édition bilingue des œuvres complètes de saint Bernard, dans la collection Sources Chrétiennes. Cette publication correspond à un réel besoin : la dernière traduction en français des œuvres complètes de l’abbé de Clairvaux remonte au XIXe siècle ; quant aux traductions plus récentes, qui datent pour la plupart des années 1940-1950, elles se basent sur l’édition en latin de la Patrologie de Migne, qui reprend l’édition Mabillon de 1690. Les traducteurs des Sources Chrétiennes se sont appuyés sur l’édition des Sancti Bernardi Opera que Dom Jean Leclercq a établie, et fait paraître de 1957 à 1977, en huit volumes, à Rome, aux Éditions cisterciennes. Les textes latin et français, en vis-à-vis, sont accompagnés d’un solide apparat critique, et le plus souvent précédés d’une introduction à la fois complète et accessible. Cette vaste entreprise éditoriale est l’une des contributions les plus importantes au renouveau des études bernardines. Si l’abbé de Clairvaux reste connu pour son rôle capital dans l’essor du monachisme cistercien et dans la construction politico-religieuse de la chrétienté du XIIe siècle, on a quelque peu oublié qu’il fut l’un des plus grands théologiens de son époque, et surtout un immense auteur spirituel dont la postérité est impressionnante : sa doctrine mystique fut une source majeure de l’Occident chrétien, des préscolastiques à Maurice Blondel.

La dernière parution en date des œuvres complètes est le deuxième volume des Lettres de saint Bernard : sont traduites les lettres 42 à 91. Deux volumes seront encore nécessaires pour achever la traduction des 436 dernières épîtres. La correspondance de l’abbé de Clairvaux constitue le plus important ensemble épistolaire du Moyen Age. Saint Bernard a bien sûr été en contact épistolaire avec les moines et les abbés des « abbayes-filles » de l’ordre cistercien, mais il a également correspondu avec toute l’Europe ecclésiastique, politique et intellectuelle de son époque. Papes, cardinaux, évêques, abbés, empereurs, rois, nobles, mais aussi simples clercs, religieux et laïcs : la liste de ses correspondants nous montre un homme qui ne s’est jamais dérobé aux multiples sollicitations que lui valait sa réputation de sainteté. Les lettres de saint Bernard offrent un aperçu unique sur l’Europe du XIIe siècle. Elles montrent surtout le paradoxe d’un homme qui n’aspirait qu’à la retraite, et qui fut sans cesse arraché à la contemplation par ses missions apostoliques. La correspondance de saint Bernard nous plonge au cœur de ce que fut son ministère, laissant voir un homme sensible et passionné, tout entier saisi par sa fonction d’abbé : il corrige, conseille, réconforte, enseigne. Son style cicéronien, véritable fleuron de l’humanisme chrétien du Moyen Age, est au service d’une spiritualité omniprésente, qui se décline au gré des circonstances de l’Histoire. Ses lettres ont par le fait même une portée universelle, et constituent un excellent contrepoint à ses œuvres majeures.

Beaucoup d’écrits de saint Bernard, longtemps considérés comme des traités, sont en fait des lettres doctrinales. On trouve deux « lettres-traités » dans le volume qui vient de paraître. La lettre 42 sur « les mœurs et les devoirs des évêques », adressée à l’archevêque de Sens, n’est pas une simple œuvre de circonstance sur la moralité des prélats. Il s’agit d’une véritable réflexion sur l’humilité, notion capitale dans la pensée de saint Bernard. La lettre est à rapprocher du traité sur Les degrés de l’humilité et de l’orgueil, de certaines pages des sermons sur le Cantique des cantiques, et du traité de La considération. La lettre 77, quant à elle, a pour sujet le baptême. Elle est une réponse de saint Bernard à Hugues de Saint-Victor, qui avait reçu une lettre lui posant des problèmes théologiques. Le correspondant reste mystérieux, mais il est fort probable qu’il s’agit d’Abélard. Saint Bernard ne polémique pas à distance avec lui, mais préfère se référer aux Écritures et aux Pères de l’Église. On reconnaît dans cette méthode l’attachement de l’abbé de Clairvaux à ce que l’on appellera plus tard la « théologie positive », par opposition à la « théologie spéculative ».

Simon Icard, Né en 1975. Chercheur au Laboratoire d’études sur les monothéismes. Il a publié Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux. Saint-Cyran, Jansénius, Arnauld, Pascal, Nicole, Angélique de Saint-Jean, Paris, H. Champion, 2010.

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