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Mémoire sur l’occasion de mes écrits

Cardinal Henri de Lubac. Présentation par Georges Chantraine, Cerf, 2006, 506p.
Jean Lédion

Après avoir rendu compte des Méditations sur l’Église, parues en 2003, nous voudrions recenser en cette livraison l’un des volumes que les éditions du Cerf nous livrent, en 2006, de la magistrale édition des Œuvres Complètes du cardinal de Lubac. Il s’agit du trente-troisième volume de la collection. L’écrit qui donne son nom au volume, « Mémoire sur l’occasion de mes écrits  » (selon la 2ème édition de 1992), est suivi de quatre autres opuscules concernant la vie de l’auteur : Mémoire sur mes vingt premières années (1998-2001), J’éprouve joie et confiance (1983), Conversation en famille (1983, 1991), Hommage au Cardinal Lustiger (1983).

Une lecture rapide du titre pourrait induire en erreur le lecteur pressé. Il ne s’agit pas des « mémoires » de l’auteur mais d’un « mémoire ». Dans l’avant propos, le Cardinal de Lubac en donne l’explication : « Il s’agit d’un mémoire, non de mémoires, comme plusieurs m’ont conseillé, parfois pressé d’en écrire. On n’y trouvera (sauf quelque trait en passant) ni confidences intimes, ni souvenirs pittoresques, ni récits circonstanciés, ni jugements sur les contemporains, ni réflexions sur la vie spirituelle dans l’Église et sur l’apostolat ; a fortiori pas de tableaux d’histoire ou de portraits. J’y suis inapte, et j’ai toujours eu autre chose à faire  » (p.9-10).

« À mesure que les hommes approchent de leur fin, a écrit Newman au début de son Apologia, il leur en coûte de moins en moins de faire des confidences. » Je n’ai pourtant pas suivi cette pente. « Sensible alors, ajoutait-il, comme je l’ai toujours été aux imputations qui ont été si librement lancées contre moi… ». Chez moi, sans disparaître, la sensibilité a fini par s’émousser.

Ces phrases ont été écrites en décembre 1981, alors qu’Henri de Lubac avait déjà quatre-vingt cinq ans. Il ne se faisait pas d’illusions sur sa longue vie, mais il souhaitait expliquer les raisons du caractère disparate de ses écrits, écrits qui, pour la plupart, étaient rendus nécessaires, à un moment donné, par la gravité d’une situation qui mettait en cause la foi chrétienne : occupation allemande, tyrannie d’une certaine théologie néo-thomiste, préparation du concile Vatican II, sécularisme post-conciliaire, etc.

Ces précisions apportées, ce livre fourmille cependant d’éléments qui nous permettent d’entrevoir la vie de l’auteur, vie marquée par d’incessantes maladies, par de longues périodes de persécution, à l’intérieur de la Compagnie de Jésus comme à l’extérieur. Tout cela nous permet d’entrevoir le bon serviteur, qui fait son travail intellectuel de théologien quoiqu’il arrive, avec constance et fidélité.

Cette fidélité sans faille, le P. de Lubac l’a mise au service d’un certain nombre de collègues et amis, eux aussi injustement attaqués, mais qui, morts prématurément, ne pouvaient plus se défendre. Le lecteur découvrira donc dans ce mémoire des indications précieuses sur des personnalités comme les PP. Rousselot (tué pendant la guerre de 1914-1918), de Moncheuil (fusillé par les Allemands en 1943), et sur leur pensée de haute valeur.

Une place particulière est faite à la personne du P. Teilhard de Chardin. Celui-ci est mort en 1955 et son œuvre, originale et discutable sur divers points, se trouvait attaquée avec violence par certains milieux catholiques. Par ailleurs, dans la décennie qui suivit sa mort, des admirateurs, plus ou moins bien intentionnés, révélèrent sa pensée au grand public. Bien que n’étant pas un « admirateur » de Teilhard, H. de Lubac a toujours pris la défense de son ami et a contribué à faire connaître sa pensée authentique. Ce mémoire donne une quantité de renseignements sur ce sujet. On a, par ailleurs, quelques lignes où le Père de Lubac a donné son opinion sur le P. Teilhard : Avant tout, je voudrais vous dire qu’un homme de la valeur du P. Teilhard, qui disait quelque chose de neuf - chose qui n’était pas toujours comprise de manière correcte selon une certaine habitude d’esprit -, ne peut éviter, même sans responsabilité de part et d’autre, de susciter des problèmes. En outre, je ne me considère pas en mesure d’exprimer un jugement complet, parce, vous le savez, je ne puis me dire teilhardien. J’étais un ami du P. Teilhard, parce qu’il était un homme si bon que, cordialement, avec beaucoup de simplicité, il acceptait comme amis même des personnes beaucoup plus jeunes que lui. De toute façon, il y a des choses que je ne puis juger moi-même et par-dessus tout, je n’ai pas la même forma mentis. Je ne puis me considérer comme un teilhardien, mais je l’admire beaucoup, je reconnais chez lui des choses admirables et significatives. Du point de vue catholique, je trouve que c’est une chose très belle. (Conversation en famille, p. 473-474).

L’autre caractéristique de ce volume est l’abondance des annexes. On trouve, pour tous les sujets traités, plus de pages d’annexes que de texte. Ces documents sont tout à fait précieux et souvent passionnants à lire. On peut, notamment à travers les correspondances, retrouver quelques aspects de la personnalité de divers penseurs qui ont marqué la vie intellectuelle du XXème siècle. Citons, parmi tant d’autres, E. Gilson, M. Blondel, J. Maritain.

Le Mémoire sur mes vingt premières années est beaucoup plus bref : il ne fait que dix pages, pourvues par les éditeurs de notes abondantes. Ce texte nous donne un éclairage sur un de Lubac qui n’est pas encore jésuite, dont le milieu familial n’est pas un milieu intellectuel, et qui lui-même obtient le baccalauréat de justesse ! Rien ne laissait donc prévoir la carrière intellectuelle, au service de la foi, de celui qui deviendrait, un jour, l’auteur d’une œuvre monu-mentale formant cinquante volumes d’Œuvres complètes.

Jean Lédion, marié, trois enfants. Diplôme d’ingénieur, docteur d’État ès Sciences Physiques. Enseignant dans une école d’ingénieurs à Paris.

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