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Mgr Charles, aumônier de la Sorbonne 1944-1959

Samuel Pruvot, Paris, Cerf, 2002

C’est la vie d’un personnage « de moyenne grandeur », selon l’expression de l’auteur, que retrace Samuel Pruvot dans sa biographie de l’abbé Charles, ou du moins dans la fraction de sa biographie qui s’achève (trente-quatre ans avant sa disparition !) avec la fin de sa mission d’aumônier en Sorbonne. Mais le grand intérêt d’avoir choisi d’évoquer, non pas un personnage de premier plan de l’Église de France, mais un « petit abbé à lunettes, à la démarche nerveuse » et à la foi ardente, promu en 1944 par une décision du cardinal Suhard aumônier du groupe de lettres de la Sorbonne est de permettre à travers lui un éclairage historique sur les rapports de l’Église catholique avec la France du XXème siècle.

La première dimension de l’ouvrage de Samuel Pruvot est de nous mettre en scène ce personnage haut en couleurs que fut l’abbé Charles. Né en Périgord à Ribérac dans une famille athée et anticléricale, c’est de haute lutte qu’il obtiendra de réaliser sa vocation en devenant prêtre. Et l’expression « de haute lutte » est sans doute celle qui caractérise le mieux ce prêtre combatif qui tire de ses racines périgourdines un goût prononcé pour les attitudes théâtrales, les défis spectaculaires, les décisions tranchées. Homme de caractère, il accepte mal la sujétion d’un vicaire envers son curé et aura des relations difficiles avec celui de la paroisse de Malakoff dans laquelle il débute son ministère. Et les étudiants qu’il rassemble au Centre Richelieu garderont le souvenir de colères homériques.

C’est que Maxime Charles est un homme de son temps, un temps où l’Église part à la reconquête d’une société qui est en train d’échapper à ses racines chrétiennes et qui lui est disputée par l’expansion du communisme. Et il n’est pas surprenant que ce prêtre de choc fasse ses premières armes à Malakoff, dans cette banlieue rouge qui est terre de mission, ni qu’il consacre ses efforts à disputer aux communistes les âmes des jeunes ouvriers de la JOC dont il devient l’aumônier ou celles des Scouts au sein desquels il trouve quelques-uns de ses plus fidèles disciples. Nulle surprise non plus à constater que ce prêtre patriote, prisonnier évadé, soit naturellement maréchaliste, même s’il veille à préserver l’indépendance du religieux par rapport au politique. Devenu aumônier des Chantiers de jeunesse, ce qui lui vaudra quelques difficultés à la Libération, il se retrouve sans affectation à ce moment, l’aumônerie des Chantiers de la Production industrielle à laquelle il a été nommé se trouvant supprimée en même temps que les Chantiers.

C’est pour lui trouver une affectation que le cardinal-archevêque de Paris fait de lui l’aumônier du Groupe catholique des Lettres. C’est là que l’abbé Charles va donner véritablement sa mesure. Remarquable organisateur, doué en affaires, meneur d’hommes-né, assisté de jeunes prêtres dynamiques comme les abbés Coloni et Lustiger, il va transformer le Groupe catholique des Lettres en Centre Richelieu qui rassemble les étudiants chrétiens et dont l’influence s’étend bien au-delà des frontières de ceux-ci. C’est que l’abbé Charles qui finance son œuvre par des ventes de charité fait venir au Centre Richelieu des conférenciers prestigieux, écrivains, philosophes, historiens, savants. Sous son inspiration, le Centre se dote d’un journal, Tala Sorbonne qui concurrence le journal communiste Clarté. Son action d’évangélisation est fondée à la fois sur une solide formation doctrinale destinée à faire mûrir la foi de ses étudiants et fondée sur une connaissance précise des Écritures, et sur l’organisation de pèlerinages attirant des centaines, voire des milliers de participants au Sacré-Cœur de Montmartre, à Chartres ou en Terre Sainte. De 1944 à 1959, ce prêtre à l’évident charisme, en qui ses adversaires dénoncent un « gourou », joue ainsi auprès des étudiants un rôle apostolique de premier ordre, faisant d’eux des militants et des missionnaires de la foi à une époque où le militantisme et l’engagement se portent bien.

C’est donc toute une époque de l’histoire du catholicisme, vue à travers la personne et l’action d’un prêtre hors du commun que restitue le beau livre de Samuel Pruvot, un livre dans lequel les historiens retrouveront au fil des pages quelques-uns des plus prestigieux d’entre eux, de René Rémond à Philippe Vigier, et d’Yves-Marie Hilaire à Pierre Barral.

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