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Mon livre de prières (Lancelot Andrewes)

Postface de T.S. Eliot, Ad Solem, 2017, 160 p.
Marie-Claude Le Fourn

On n’est pas étonné que John Henry Newman ait contribué à la publication des Preces Privates de Lancelot Andrewes (1555-1626), théologien des débuts de l’Église d’Angleterre. Il les fit paraître dans le volume 88 des Tracts for the Times en 1840. Andrewes représente pour lui ce qu’il y a de plus authentiquement anglican à un moment où l’église anglicane semble perdre de son âme. Il est alors dans un questionnement douloureux sur l’appartenance à cette église qui se renie elle-même en reniant ses origines. Si l’Église d’Angleterre s’était séparée de l’Église romaine, elle relevait néanmoins de la succession apostolique et tenait à revendiquer son héritage catholique avec force.

Le manuscrit des Preces Privates fut découvert après la mort de l’évêque Andrewes. Il avait été prédicateur permanent à la cour d’Élisabeth Ière et doyen de Canterbury, et, à ce titre, connut une grande renommée. À la mort de celle-ci en 1604, il devint le confesseur du roi Jacques Ier ; il fut ensuite promu évêque de Chichester, et de Winchester. Son érudition n’avait pas d’égale, parlant de nombreuses langues, (le manuscrit était rédigé en latin, traduit en grec et une partie en hébreu), familier des Pères de l’Église, il contribua à la publication de la version autorisée de la Bible, chef d’œuvre anglais. Sa vie de piété et d’ascèse impressionnait : c’était un théologien mais avant tout un homme de prières. La publication des Preces Privates après sa mort confirmèrent son rayonnement spirituel.

Le livret des Preces Privates témoigne de l’attachement profond qu’avait Andrewes à la liturgie, au point qu’elle ne se séparât pas de sa vie. Il conçut donc un petit livre des heures à son usage personnel pour chaque jour de la semaine. Il nous entraîne ainsi dans un mouvement intérieur où tout est ressaisi des jours, des heures qui se succèdent dans une prière généreuse, vaste comme le monde, profondément christique et s’élevant dans une foi vive à la louange du Père. On y découvre la prière d’un homme religieux qui aimait l’Église, et son Église d’Angleterre ; il ne faisait qu’un avec elle et la servait comme il servait son roi et son pays, veillant et voulant l’entraîner vers les hauteurs. C’est encore la prière d’un pasteur qui avait souci des âmes et qui intercédait inlassablement.

Ces prières pour chaque jour prennent donc la forme d’un petit office privé mais de facture originale. Il comprend une prière du matin et une prière du soir, puis chaque jour est introduit par un invitatoire, à la manière d’un office du Prayer Book, livre liturgique traditionnel de l’Église anglicane, mais aussi sans doute selon d’autres usages liturgiques auxquels Andrewes se référait volontiers. Viennent ensuite la confession humble du pénitent, parfois très longue, qui reconnaît sa faiblesse et son péché, implorant miséricorde, puis, une demande de la grâce nécessaire pour le jour : elle est alors précise, vigoureuse, s’énumère en plusieurs points. La prière se poursuit par une profession de foi qui s’exprime par un hymne à la Trinité, fort et dense, suivie d’une longue intercession, et louange finale.

La prière se tisse sur la trame de psaumes avec une grande liberté : les mots des psaumes s’enrichissent, se colorent, prennent un accent, un rythme. Chaque jour reste cependant très différent avec sa tonalité propre. On y découvrira des réminiscences patristiques nombreuses. Certains y ont vu aussi celles d’écrivains de la Grèce Antique ou encore du Moyen-Age, issues des nombreuses lectures dont était nourri l’évêque Andrewes. Ces prières qui restent très personnelles, voire émouvantes, sont néanmoins sans emphase, sans affectation ni enflure quelconque. Cela tient essentiellement à leur portée contemplative, [….] elles sont complètement orientées vers Celui à qui elles s’adressent, sans retour sur soi. Tout est justement dit avec un va-et-vient du je au nous quand la prière veut entraîner tout un peuple.

En complément de ce petit livre des Heures, on trouve encore une prière pour la préparation à la sainte communion qui nous fait découvrir la place centrale qu’Andrewes accordait à cette communion dans la liturgie. Bien que séparant résolument les deux natures du sacrement, espèces et signe, comme étaient séparées en Christ, selon lui, ses deux natures, humaine et divine, il y voyait bien plus qu’une simple évocation de la Passion du Christ comme se le représentait la plupart des anglicans, mais une commémoration. Dans le sacrement de l’Eucharistie, on communiait au mystère du Christ dans sa totalité, mort, ressuscité, exalté au ciel jusqu’à son retour, spiritualité qu’il avait approfondie au contact des Pères. On trouva ce petit livre près de Andrewes « entaché de larmes », montrant de quelle manière cette prière l’habitait comme une nécessité, s’en faisant un devoir et lui coûtant beaucoup.

Pourquoi rééditer les Preces Privates  ? En dehors de leur intérêt historique, la qualité littéraire de cette œuvre suffirait à en justifier la réédition. La préface nous avertit que les anglicans sont nos frères proches. On acquiesce avec bonheur à leur goût de la liturgie et à l’amour de la prière bien charpentée. Mais l’originalité de Andrewes est de nous faire découvrir que l’office peut être pratiqué en privé et qu’il est la meilleure des prières, une voie pour l’oraison, quand il est dit avec le cœur, parce qu’il nous unit au Christ et à l’Église universelle. Cet ouvrage reste une référence spirituelle.

Marie-Claude Le Fourn, licence de psychologie et diplôme d’arthérapie. Membre de la communauté apostolique Aïn Karem.

Réalisation : spyrit.net