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Monseigneur Darboy (1813-1871), archevêque de Paris entre Pie IX et Napoléon III (Jacques-Olivier Boudon)

Paris, Cerf, coll. Histoire, 2011, 188 p., notes bibliographiques.
Paul Airiau

Nul autre que Jacques-Olivier Boudon n’était qualifié pour écrire une biographie universitaire de Georges Darboy, archevêque de Paris, fusillé par les Communards alors que la Semaine Sanglante battait son plein, le 24 mai 1871. En effet, qui d’autre connaît mieux que lui les archives de l’archevêché de Paris relatives à l’épiscopat Darboy et les dossiers des Archives nationales relatifs aux évêques français – puisqu’ils ont été l’objet de son habilitation à la direction de recherches et de sa thèse de doctorat ?

Aussi complète-t-il ici par un excursus biographique l’ample étude d’histoire religieuse urbaine qu’il a déjà menée sur le diocèse de Paris (Paris, capitale religieuse sous le Second Empire, 2001). De facture classique dans sa construction et son déroulement, le portrait dressé est celui d’un évêque issu de la petite bourgeoisie haute-marnaise (diocèse de Langres), né en 1813, ordonné en 1836, doté de capacités intellectuelles, orienté bientôt vers le libéralisme, conduit par une soif de réussite qui le conduit à s’inscrire dans le patronage des archevêques successifs de Paris, Mgrs Affre, Sibour et Morlot – et à réussir à conserver ce patronage malgré les successions. Gallican, hostile au pouvoir temporel du pape, acceptant de collaborer avec l’empire, il devient vicaire général de Paris en 1855. Promu à Nancy à son grand déplaisir (1859), car il visait le poste de coadjuteur de Paris, il atteint finalement son objectif en 1863. Réformes administratives, visites pastorales, prise en compte de la forte croissance de la population diocésaine, encadrement des congrégations : soucieux de la formation du clergé, il fait de Paris une capitale religieuse. Parallèlement, il s’insère dans les structures du Second Empire, en devenant Grand aumônier et sénateur (1864) et en jouant un important rôle de conseiller pour les affaires ecclésiastiques, notamment pour les nominations épiscopales.

Mais son libéralisme et son opposition à l’intransigeance romaine exprimée par le Syllabus et à la romanisation du catholicisme français l’empêchent d’accéder au cardinalat. Dès 1865, Pie IX a manifesté à Mgr Darboy son désaccord profond avec ses positions, accusant en particulier l’évêque d’ignorer la primauté pontificale. Le désaccord devient public en 1868-1869, sans doute par la volonté du Saint-Siège, qui veut manifester à l’Empire qu’il est souverain en matière de cardinalisation, s’il doit malgré tout négocier dans les affaires de nomination épiscopale, et s’achève par l’opposition de l’archevêque au vote de l’infaillibilité pontificale, en étant au cœur de la minorité à Vatican I. Mais Darboy a préféré quitter Rome avant le vote pour ne pas avoir à exprimer son désaccord. Saisi par la guerre franco-prussienne, il fait connaître à Pie IX son adhésion au nouveau dogme en 1871. Victime de sa position politique sous l’Empire, il est arrêté dès le 5 avril 1871. Des tentatives de négociation pour sa libération échoueront et permettront qu’il soit finalement fusillé, dans une perspective de décimation des otages – pour éviter des massacres plus généralisés, la Commune manifestant ici son souci de la légalité afin de ne pas reproduire septembre 1792. J.-O. Boudon insiste sur la dimension politique de cette mise à mort, en citant Mgr Darboy lui-même : « Et pourtant, j’ai aimé la liberté. » Il juge donc que l’anticléricalisme et non l’antireligion a présidé à l’exécution, et que Darboy a payé pour le rôle de pilier du régime impérial que l’Eglise a joué. Je nuancerai cette interprétation. Car, le libéralisme de Darboy est aussi un libéralisme religieux, et il n’y a pas de séparation entre les facettes politique et religieuse, les deux s’articulant l’une à l’autre, le christianisme étant perçu comme la religion de la liberté politique.

Il n’empêche que même cette interprétation ne permet pas la béatification du prélat. La haine de la foi n’est pas assez dominante – et le fait que Darboy soit resté debout après la première salve, qu’il en ait fallu une seconde, et qu’il n’ait été atteint que par trois balles, montre que la détestation n’était pas aussi claire qu’on s’est plu à le penser après la Première Guerre mondiale, en 1922, lorsque fut lancé le procès diocésain pour obtenir son élévation sur les autels. Mais la cause connaît une évolution erratique, liée aux circonstances politiques et religieuses, sans compter la mémoire contrastée qu’a laissée l’archevêque. Son rôle politique et ses positions théologiques prêtent suffisamment à polémiques et interprétations contradictoires au sein du catholicisme pour qu’il ne soit pas trop hasardeux de supposer que la béatification n’arrivera jamais. Aussi faudra-t-il peut-être, si l’on souhaite arriver à un tel objectif, réorienter la cause, et mettre en avant la vie spirituelle de Mgr Darboy, son souci de la dignité, de la modestie, de la gravité et de la formation du clergé, sa piété christocentrique, sa vie ascétique, son souci du salut des âmes qui lui sont confiées en tant que pasteur, bref, sa pleine participation au modèle gallican du prêtre français du XIXe siècle. Mais qui est prêt, aujourd’hui, au sein du clergé, à accepter un tel idéal, et à travailler à le promouvoir ?

Paul Airiau, marié, huit enfants, né en 1971. Diplômé de l’IEP de Paris, agrégé et docteur en histoire, enseignant dans un établissement public (ZEP) de l’Académie de Paris.

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