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Mort et résurrection avant Jésus-Christ

Antoine Cavigneaux

On se rappelle l’importance de l’attente messianique au temps du Christ : “ es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? ” (Lc 7, 19). Les croyances messianiques occupaient certainement un grand nombre d’esprits malgré l’importance de l’attitude “ réactionnaire ” qui prétendait s’en tenir à la lettre des Écritures pour nier ces croyances et en particulier la résurrection. Il faut donc se demander comment la foi juive attendait le salut et se représentait la résurrection, comment elle pouvait entendre les paroles du Christ annonçant sa mort et sa résurrection ; si elle pouvait les concevoir comme l’achèvement de la Révélation sans repenser complètement le donné antérieur, ou si au contraire l’événement s’offrait comme un scandale pour la réflexion religieuse du temps. Sur le problème de la résurrection, il faut nous demander ce que représente la mort pour un Hébreu en remontant aux conceptions les plus archaïques qu’on trouve dans la Bible, qui servent de base à la révélation progressive des intentions de Dieu.

Les portes de la mort

Dans l’ensemble, les conceptions les plus anciennes de la mort chez les Hébreux sont proches de celles des autres peuples sémitiques, Akkadiens et surtout Cananéens plus proches. L’enfer est tout d’abord conçu comme quelque chose de local. C’est, il est vrai, le Shéol, mot d’origine inconnue (peut-être : “ l’examen ”, “ l’ordalie ”), qui est le plus employé pour désigner l’enfer, et il correspond déjà sans doute à un état de réflexion assez avancé sur le problème de l’au-delà. Mais on trouve pour rendre cette idée des mots à sens sûrement spatial : la “ terre ” (èrès) comme en ugaritique, car ce mot désigne la terre dans toutes ses dimensions, surface et profondeur, sa structure actuelle représentant une victoire sur le chaos. Mais “ terre ” a aussi un sens anthropologique : retourner à la terre, être dans la poussière, c’est retourner au chaos originel. Dans Jb 10, 21 et Is 26, 19, le mot est explicitement appliqué aux enfers avec le sens de “ pays ” : avant que je m’en aille sans retour au pays d’obscurité et d’ombre de mort, pays de ténèbres (Jb 10). Plus précisément encore, Erès désigne une ville fortifiée (Jon 2, 7 : “ de la terre les verrous étaient derrière moi pour toujours ”). L’enfer est aussi le “ vaste domaine ” (cf. Ps 31, 9 et akk. kigallu, la grande terre) ou “ l’endroit caché ” (Jb 40, 13).

Mais d’autres mots à résonance plus mythique peuvent évoquer la mort : Tehom, l’abîme chaotique (Ez 26, 19 : “ je ferai monter contre toi l’abîme ”), symbole du néant. On retrouve ce mot dans les mythes cosmiques ugaritiques en la personne de l’ennemi de Baal dans le combat de la création. On voit aussi Yam, “ la mer -, signifier dans certaines expressions la mort (Ps 68, 28 mesulot yam, les abîmes de la mer ; mayim rabbim, les grandes eaux). On trouve la même expression dans des psaumes akkadiens : “ il a été jeté dans le grand flot mugissant, la terre ferme est loin ” ou : “ prends-le par la main, sors-le du bourbier ” (prière à Nabu). La légende de Jonas présente aussi la mort sous un aspect aquatique : images de fleuves, de vagues...

La mort est aussi symbolisée par le puits, la prison, et Shahat qui signifie le puits est attesté à Qumran avec le sens de “ corruption ”. Plus directement liée à la notion de tombeau (cf. Gn 15, 2) le mot Bêt, maison, finit par s’étendre au monde des morts lui-même (Jb 30, 23 : “ la maison où se retrouvent tous les vivants ”). D’autres éléments tendent à donner à l’enfer une structure plus précise, celle d’une ville, avec des portes (les portes de l’enfer désignant métonymiquement l’enfer lui-même), comme en sumérien Urugal, la grande ville. L’enfer est aussi une prison avec des barrières (Ps 107) et l’emprisonnement désigne métaphoriquement une forme du châtiment divin. Plus précisément encore une chambre (Pr 7, 27) munie de lits. Job (17, 13) dit : “ j’ai espoir d’avoir le Shéol comme maison, d’étendre ma couche dans l’obscurité ”. Car l’enfer est aussi lieu d’obscurité, d’“ ombre de mort ”, “ terre de descente ”.

On peut penser aussi que, parallèlement aux conceptions akkadiennes, les Hébreux ont connu la mort comme un pouvoir personnel : Job (18, 14) parle du “ roi effrayant ”, avec peut-être des démons messagers (Pr 16, 14), analogues à ceux de Nergal, le dieu akkadien des enfers.

Mourir, c’est “ revenir ” (à la poussière d’où on vient) ou simplement “ passer ”, “ aller ” (le chemin de toute la terre, comme dans 1 R 2, 2 ; en akk. “ passer le fleuve ”), ou bien “ être réuni à ses parents ” (dans le Shéol, et non dans le tombeau). C’est encore, comme en ugaritique, “ être planté dans le Shéol - (l’image de l’arbre planté, dans les Psaumes, est donc plus ou moins liée avec la mort).

Une vie après la mort ?

Dans la Bible, l’enfer est peuplé de “ rephaïm ”, mot qui correspond à 1’ugaritique Rpwm, qui désigne des êtres sans doute assimilables aux dieux du monde inférieur. Les Rpwm ont aussi un lien avec la fertilité et peut-être un pouvoir guérisseur. Dans l’Ancien Testament, les Rephaïm restent liés au monde inférieur, mais comme des êtres indéterminés, sans qu’on puisse dire grand chose de leur nature.

Pour ce qui est de l’état même des morts dans la Bible, on sait qu’ils “ dorment ”, qu’ils “ sont couchés ”, qu’ils “ passent la nuit ” dans le Shéol. Ils sont quasiment passifs et leur condition est décrite par contraste, par voie de négation : le mort n’a plus ni biens (Ps 49, 17) ni souvenir (Ps 88, 13) ni connaissance (Qo 9, 10) et cet état est sans fin, “ ils ne s’éveilleront pas ” (Jr 51, 39).

Les Hébreux, au début de leur histoire, associaient à la mort des notions mythiques, mais d’autre part lui appliquaient des termes et des notions du domaine de la vie. Alors, la mort est-elle quelque chose de transcendant, de divin, ou un simple prolongement de la vie ? Le pouvoir des dieux sémitiques est lié à la vie : on trouve souvent des mythes de fertilité où un dieu passe une partie de sa vie aux enfers pour revivre l’autre partie (mythe de Tammuz, l’Adonis des Phéniciens). Leur existence est donc incluse dans un cycle de vie et de mort. Mais, en principe, les dieux ont en partage la vie éternelle, la “ plante de vie ”, la “ salive de vie ” ; ils communiquent le souffle à toute créature (“ que je sois vivifié par ton souffle ”, dit un texte ; cf. Ps 104), ils règlent les destins de la vie, mais ne sauvent pas de la mort, comme le montre l’échec du héros Gilgamesh à la recherche de la plante de vie.

Mais il faut souligner que, pour les Sémites, vie et mort ne sont pas seulement des notions physiologiques. lls ne conçoivent pas la division âme-corps et ils voient dans l’être humain un tout-vivant irréductible. Quand la vie diminue de quelque façon, et surtout par la maladie, elle ne se distingue déjà plus bien de la mort qui en est la diminution extrême. La possibilité d’échapper à la mort n’effleure pas la conscience d’un Mésopotamien, par exemple, car il est avec son dieu dans un rapport essentiellement transcendant et il ne peut rien imaginer de commun ou d’intime avec lui. Aussi la vie est-elle, même pour la conscience religieuse, la valeur essentielle, qu’on demande aux dieux dans toutes sortes de prières et d’incantations : fixe-moi un destin de vie  ; vie sur laquelle les dieux ont un pouvoir discrétionnaire : Ishtar, là où tu regardes, le mort devient vivant, le malade se lève. On croit aussi que la mort est liée à la transgression mais que la puissance du dieu peut l’annuler : “ engloutis sa faute, mais lui, tire-le du bourbier ”. La prière mésopotamienne a des formules stéréotypées pour demander le plus efficacement possible l’intervention divine. On retrouve souvent le ton et les expressions des Psaumes bibliques : “ Marduk qui saisit la main du tombé, délie le lié, éveille le mort à la vie ” ou : “ Marduk..., ordonne que mon âme ait la vie ; puissé-je me rassasier d’une continuelle allée joyeuse devant toi ” (cf. Ps 16, 10).

Il ne faut pas surcharger ces formules de notions qui leur sont absolument étrangères ; c’est la vie, cette vie, qui est le nœud de la relation ; l’implorant akkadien vise à se concilier son dieu à “ apaiser son cœur ” pour obtenir le “ rassasiement de vie ” mais de vie terrestre afin de jouir de toutes ses possibilités.

La Réaction monothéiste

La position du Peuple Élu vis-à-vis des croyances communes aux Sémites se caractérise naturellement par un refus du polythéisme en faveur d’un “ Yahvisme ” radical, mais aussi par le refus des notions mythiques qui les accompagnent ; à vrai dire, ce refus n’est pas absolu, mais son effort doctrinal tend à vider ces notions de tout contenu, pour les rendre inoffensives. Dans le Yahvisme, Dieu fixe les temps et les saisons. Il n’est pas lié dans son existence à la mort et à la vie cycliques de la nature, dont Il est le maître absolu et qu’Il règle par grâce d’après la promesse de Gn 8,22. Le Shéol lui-même est défini négativement et n’a plus de réelle présence. Dans la Bible, il n’y a pas de descente aux enfers. C’est seulement l’imagination poétique qui utilise le fonds mythique dans des contrastes saisissants : Isaïe décrit l’arrivée au Shéol du roi de Babel “ astre brillant, fils de l’aurore ” et “ les vers sont sa couverture ” (14, 11). Ézéchiel donne un tableau des nations, Égypte, Élam, Assur, qui “ répandait la terreur sur la terre des vivants ” et “ qui sont descendues dans le gouffre ”. Le Shéol est un domaine indéterminé dont la situation cosmologique est à peu près analogue à celle du ciel : pour échapper au regard de Dieu, on se réfugie au Shéol ou on escalade le ciel (Ps 139,8 ; Am 9,2). Une éventuelle évocation du royaume des Rephaïm est à la rigueur possible, comme en témoigne le passage de la nécromancienne d’Endôr, mais elle est interdite par l’orthodoxie et elle est pour Saül une solution de désespoir (1 Sm 28). L’interdiction du culte des morts (Dt 14, 1) et la réaction aux mythes païens accentuait certainement la négativité, le caractère angoissant de l’Au-delà, puisque rien n’avait plus d’influence dessus. Pour les Hébreux, plus encore que pour les autres peuples de l’Orient, la mort est une descente dans un monde désespérant.

Yahvé et la mort

La mort est pourtant considérée comme une bénédiction par le vieillard “ rassasié de jours ”, et, si désolante qu’elle soit quand elle frappe un homme jeune, Yahvé est affirmé comme responsable de cette mort ; Luî-même se révèle ainsi : “ C’est moi qui fais mourir et qui fais vivre ” (Dt 32,39). Au niveau de la Bible, Yahvé n’a pas anéanti Môt le dieu de la mort, il a conquis son pouvoir, il l’a éliminé ; il reste juste quelques souvenirs de cette victoire dans des célébrations du type : Tu es le vainqueur, Tu nous feras revivre (Ps 85,7). Dieu est capable d’allonger les jours de qui il veut (il sauve Ézéchias de la maladie). Il est le maître de la mort, et la mort est une forme de son intervention dans l’histoire du salut : “ Il a frappé les premiers-nés des Égyptiens, car sa miséricorde est éternelle ”. Cette croyance permet tous les espoirs et Anne (2 Sm 1) reprend la formule du Deutéronome sur un ton d’espérance. La mort est aussi liée de près au péché (cf. la “ confession ” de Jos 7,19) ; la mort d’Adam est conséquence du péché, et, dans la conclusion du traité d’alliance entre Dieu et son peuple, vie et mort sont liées à la Loi : voici que je te propose aujourd’hui vie et bonheur, mort et malheur (Dt 30,15).

Dieu est également assez puissant pour faire échapper définitivement à la mort certains êtres exceptionnels : Hénoch qui marchait avec Élohim (Dieu) et qu’Élohim prit (c’est-à-dire enleva du monde des mortels) (Gn 5,24). Ou encore Élie le Tishbite enlevé dans un char de feu (2 R 2, 11). A Élie et Élisée, Dieu donne même le pouvoir de faire revivre des morts : Élie ressuscite le fils de la veuve de Sarepta (1 R 17,17), Élisée accomplit un miracle analogue et le simple contact de ses os ressuscite un cadavre (2 R 4,13). Le miracle d’Élie montre même plus précisément que l’esprit de Dieu, en son prophète, est assez puissant pour punir le péché mais aussi pour guérir et pardonner.

Mais, en dehors de ces actions extraordinaires, la mort est la fin de tout espoir. David prie pour son fils durant six jours (2 Sm 12), et, une fois qu’il est mort, il se parfume et reprend sa vie coutumière : “ c’est moi qui vais vers lui et lui ne reviendra pas vers moi ”. David rompt ainsi avec les coutumes traditionnelles du deuil (lacération des vêtements, imposition de poussière) qui sont une participation à l’état du mort et en même temps une façon de lui communiquer un peu de vie.

Signes d’espérance

Peut-être un texte ancien (écrit vraisemblablement au temps de l’Exil) atteste-t-il, sinon une croyance à la résurrection, du moins une résurrection. Il s’agit du “ Serviteur Souffrant ” dans la collection attribuée à Isaïe, qui meurt comme une victime expiatoire pour la faute du peuple. Pourtant, ce mort innocent “ verra une descendance, et prolongera ses jours (53,10), il “ verra la lumière (ajouté d’après le grec et Qumran), il sera rassassié ”. Il semble que le Serviteur soit réservé à un destin extraordinaire, mais, d’après le contexte, plutôt à une sorte de gouvernement glorieux qu’à un “ enlèvement ” comme celui d’Hénoch (et comme pourrait le suggérer Dn 12,13 qui rappelle Is 53,12). Le texte de Jb 19,25-27 atteste aussi une espérance de résurrection, mais il est d’interprétation très difficile.

C’est encore de l’époque de l’Exil que datent la plupart des prophéties de résurrection nationale. Le peuple, Jérusalem, sont comme des blessés, des malades que la grâce de Dieu fait revivre (déjà dans Os 6,1). Mais c’est Ézéchiel qui a évoqué avec le plus de force le redressement du peuple ; il est associé chez lui à un renouvellement spirituel : “ j’enlèverai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair ; je mettrai mon esprit au-dedans de vous ”. Dieu opérera sur son peuple une nouvelle création, transformera “ le pays dévasté en un jardin d’Éden ”. Ézéchiel, au chap. 37, décrit alors la transformation d’un champ d’ossements en êtres vivants et animés de l’Esprit de Dieu. Il s’agit là indiscutablement d’une restauration nationale, mais aussi d’une restauration spirituelle, d’un renouvellement de la vie conçue par Ézéchiel comme un don actuel de l’Esprit de Dieu. Ézéchiel croit moins à la pérennité du peuple d’Israël qu’à la grâce agissante du Dieu créateur.

Il n’y a certainement pas dans ce texte de croyance à la résurrection. L’aspect concret de résurrection corporelle est de l’ordre de l’image. Pourtant il serait faux de dire que le langage d’Ézéchiel se situe au niveau métaphorique. Si Ézéchiel parle de résurrection, c’est qu’il est dans un contexte de mort. Et en effet l’exil est pour les Hébreux une forme de la mort, sans rien de métaphorique. Comme dans l’ancienne croyance, la mort est une sorte de domaine, avec ses dimensions, perceptibles à l’expérience humaine. Il est quelquefois assimilé au désert : dans Jr 2,6 la traversée du désert est le véritable Voyage aux enfers du Peuple de Dieu. Pour un être ou un peuple qui se placent dans une relation spécifique avec Dieu, tout ce qui compromet cette relation met la vie en péril et inversement : la maladie, la souffrance, l’Exil sont la mort, qui n’est pas un état on un fait, mais quelque chose qui pénètre la vie elle-même, comme une expérience de vie, - et se révèle peu à peu comme une expérience de foi : dans la perspective d’Ézéchiel, la survie de la religion et de la foi sont évidemment liées intimement à la survie du Peuple, mais il est intéressant de noter qu’on ne trouve pas ici la notion de “ reste d’Israël ”, mais celle d’un salut opéré sur le Peuple en tant que tel, avec une conception plus radicalement nationale, mais aussi profondément religieuse.

“ A Dieu, le Salut ” (Ps 3,9)

C’est une expérience de la mort du même type, c’est-à-dire conçue comme une expérience de foi, que connaît l’auteur de certains psaumes, mais sur un plan plus personnel. Pour lui, comme pour tout lsraëlite, la mort représente la fin de la louange, la fin de l’amour et de la fidélité, en un mot la coupure de la relation avec Dieu. Ezéchias dit “ le Shéol ne te loue pas, la mort ne te célèbre pas, ceux qui descendent au tombeau n’espèrent plus en ta fidélité ”. La vie elle-même est redéfinie spirituellement : “ Yahvé est ma part d’héritage et ma coupe ”, dit le Psaume 16, avec une sorte d’exégèse spirituelle de l’ancienne expression appliquée aux Lévites (Nb 18,20). Par ce verset qui se retrouve sous d’autres formes (Ps 73,26 ; 142,6), on entrevoit la notion d’une consécration, à l’origine matérielle, et qui se spiritualise de plus en plus, de la vie humaine à Yahvé. L’orant n’est pas seulement l’homme consacré à Dieu, l’homme de Dieu au sens où le sont le nazir et le prophète : il revendique une relation exclusive à Dieu, exactement comme Job revendique son “ intégrité ”, sa tumma (Jb 27,5 au sens de “ totalité ”) ; il la revendique avec le même absolu, mais en la plaçant surtout au niveau de la relation elle-même : il ne s’affirme pas comme un parfait, mais comme un homme dépendant, vivant de Dieu. La relation à Dieu dépasse même la vie. Dieu est ma part sur la terre des vivants, mais : ton amour est meilleur que la vie.

Pour une telle spiritualité, le problème théologique de la mort se pose avec une particulière acuité. Comment une confiance en Dieu si radicale peut-elle imaginer que Dieu mettra un terme à cette relation en livrant son adorateur au Shéol, à ce monde diminué où tous les liens sont rompus ? De là naît cette protestation qui n’est pas désespérée mais qui est dans la logique même de cette spiritualité : moi qui suis ton hasid (c’est-à-dire qui suis lié d’alliance avec toi, et en acceptant de tout recevoir de toi), tu ne peux pas m’abandonner à la mort !

Aussi mon cœur exulte et mes entrailles jubilent et ma chair reposera en sûreté, car tu ne peux abandonner mon âme au Shéol ni laisser ton ami (hasid) voir la fosse ; tu m’apprendras le chemin de vie, devant ta face plénitude de joie, à ta droite délices éternelles (Ps 16, 9ss).

Il faut se garder d’interpréter trop vite ce texte, au demeurant peu clair, et de lui appliquer notre conception de la résurrection (Paul en Ac 13,35 l’applique au Christ), mais il est caractéristique par son refus de la mort, exprimé de telle sorte qu’on a l’impression qu’il l’ignore ; il saute en quelque sorte par-dessus la mort, tout au moins la mort temporelle et charnelle. L’espoir est plus fort que la mort. Les Psaumes 49 et 73 nous offrent une réflexion théologique plus poussée, dont le point de départ est le scandale de la réussite des impies. Ce scandale est pour le psalmiste un sujet de révolte et de méditation jusqu’au moment où “ il entre dans le sanctuaire ”, où il “ comprend le mystère ” : il comprend que la mort sera la catastrophe des impies, mais que son destin à lui sera radicalement différent : tu m’as saisi par ma main droite, par ton conseil tu vas me conduire, puis dans la gloire tu me prendras (Ps 73, 23-24). Tu me “ prendras ”, c’est-à-dire tu m’enlèveras, comme nous l’avons vu plus haut, pour une ascension dans la gloire. L’homme spirituel, l’homme qui vit de Dieu, échappe à la mort au niveau de la spiritualité.

Ce qu’il y a de changé

On peut retenir de la spiritualité de ces psaumes qu’elle conserve de la mort la conception traditionnelle, mais en l’appliquant surtout aux impies, qui sont menés au Shéol comme un troupeau stupide. Pour l’homme de Dieu, il y a un saut au-delà de cette mort. La mort, privée de son attirail mythique, était une notion vide pour Israël, et elle reste du point de vue théologique une notion vide à laquelle la pensée religieuse se heurte sans l’attaquer de front. Mais il est remarquable qu’elle est liée étroitement à l’amour de Dieu, puisque Job peut espérer d’être caché dans le Shéol pour un certain temps au bout duquel Dieu reprendrait contact avec lui, “ se souviendrait de lui ”.

Le livre de la Sagesse, marqué par la philosophie grecque, croit à une immortalité bienheureuse promise aux justes mais on ne trouve pas chez lui de trace d’une croyance à la résurrection. Les notions d’immortalité et d’incorruptibilité sont liées à l’idée de royauté glorieuse et aussi, vraisemblablement, au thème de l’enlèvement : le juste a été aimé de Dieu, comme il vivait parmi les pécheurs, il a été emporté ailleurs (Sg 4, 17), Dieu l’a mis en lieu sûr (Sg 4, 17). Il ne sera pas un cadavre comme les impies, mais se “ tiendra debout ” pour les juger (Sg 5, 1).

À travers l’apocalyptique tardive...

Contrairement à la Sagesse qui affirme la croyance à une survie éternelle, le courant messianique qui se développe dans le judaïsme à partir du IIème siècle avant Jésus-Christ, croit à une résurrection des morts. Le principal représentant de l’espérance messianique est le courant “ apocalyptique ”, et il est remarquable de noter que l’apocalyptique a tendance à reprendre comme moyen d’expression les formes mythiques archaïques (par exemple on trouve une descente aux enfers dans le livre (apocryphe) d’Hénoch 17 à 36). Cette inspiration lui fait aussi transformer des croyances bien ancrées dans le Yahvisme . par exemple, la mort devient l’ennemi de Dieu (“ il détruira la mort à jamais ” dit l’Apocalypse du livre d’Isaïe, chap. 24 à 27).

La résurrection est intégrée dans un système dogmatique décrivant un processus qui mène à la fin des temps. Cette croyance est déjà affirmée dans la partie apocalyptique de Daniel dont le thème central est la royauté universelle des justes qui s’accompagne d’une résurrection corporelle (Dn 12,2) : beaucoup de ceux qui dorment dans la terre de poussière se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour les reproches, l’horreur éternelle. On peut penser qu’au IIème siècle l’idée de Dn 12, 2 n’est pas encore un bien commun du judaïsme (les Sadducéens la refusent encore du temps du Christ), mais elle prendra de plus en plus d’importance dans l’espérance des Juifs. Il semble qu’on trouve aussi une croyance à la résurrection des justes d’Israël dans l’Apocalypse d’Isaïe : tes mots vivront, que mes cadavres se relèvent (Is 26, 19).

Il semble d’ailleurs, si on peut se permettre de systématiser rationnellement les données des divers textes messianiques, que la Résurrection des morts dont parle Daniel est liée au stade de la royauté splendide en Palestine, qui n’est qu’une phase dans le processus eschatologique, stade qui suit la venue du Messie, son combat contre les forces ennemies, le renouvellement de Jérusalem et le rassemblement des dispersés. A la royauté messianique est donc liée la résurrection des justes, car les justes morts participent avec les regroupés de la dispersion au royaume messianique. Daniel 7, 27, attribue à cette royauté messianique une durée éternelle, de même les Oracles Sibyllins (3, 49-50) et les Psaumes de Salomon (17, 4), mais plus généralement elle précède d’autres étapes avant la fin des temps (cf. Baruch et le 4ème livre d’Esdras). Esdras en particulier attribue au royaume une durée de 400 ans suivie de la mort du Messie (7, 28-29), puis durant sept jours règne le silence originel, et enfin advient le monde futur. Mais il est certain que la distinction des “ jours du Messie ” et “ du monde futur ” est tardive et vient du fait qu’on a fini par identifier au monde présent les temps messianiques eux-mêmes.

Nouvelles croyances

Pour en revenir à la Résurrection, qui précède le jugement dernier, elle est tout à fait bien attestée dans les croyances au temps du Christ, mais il règne une grande diversité de vue à propos de ses modalités ; la Résurrection est attestée dans notre canon par le texte de Daniel et dans le 2ème livre des Maccabées (7, 9, 14, 23, 29 ; 12, 43, 44) :

le roi du monde nous ressuscitera, nous qui mourons pour la défense de ses lois et il nous rappellera à la vie pour l’éternité (7, 9).

Cette croyance est également présente dans de nombreux apocryphes et elle était sûrement très répandue, au moins dans les cercles d’influence pharisienne (d’après Josèphe).

L’état des défunts pendant le temps qui s’écoule entre la mort et la Résurrection est difficile à déterminer. Il semble qu’assez tôt on établisse une distinction, dès cet état transitoire, entre les justes et les injustes : les uns connaissant déjà un avant-goût de la félicité, les autres de la damnation. Hénoch divise le monde des morts en quatre parties, dont une avec une source d’eau vive pour les justes, trois pour les pécheurs, qui seront eux aussi réveillés pour le jugement. Le Shéol, en tout cas, n’est plus considéré comme un lieu neutre, où tous connaissent un sort également diminué. Telle était aussi la croyance des Pharisiens d’après Flavius Josèphe : “ ils (les Pharisiens) croient que les âmes ont la propriété d’être immortelles et que ceux qui se sont bien ou mal conduits dans leur vie seront récompensés ou punis, les uns étant emprisonnés pour l’éternité, les autres ayant la faculté de revivre ”. Dans le 4ème livre d’Esdras, il est souvent fait allusion aux promptuoria (par ex. 4, 35) qui sont des espèces de réservoirs où les âmes des justes sont enfermées en attendant le Jugement (cf. “ les chambres de la mort ” de Pr 7, 27) qui arrivera quand sera accompli le nombre des justes. Le passage de 2 M 15, 12 ss) semble attester la croyance que les morts peuvent intervenir pour les vivants, puisqu’à la prière d’Onias, Jérémie apparaît pour remettre une épée à Judas. D’une façon générale, il semble que le caractère spécifique de cette étape intermédiaire s’efface de plus en plus : la vision d’Hénoch (39, 3ss) semble faire croire à une félicité des justes devant Dieu, mais qui n’est peut-être pas éternelle (malgré 39, 5), ou du moins qui ne supprime pas la perspective du jugement. Cette conception poussée à l’extrême nous ramène à la croyance à l’enlèvement auprès de Dieu des hommes exceptionnels comme Élie ; Baruch (13, 3) sera mis en réserve jusqu’à la fin des temps, pour porter témoignage des vicissitudes de Sion.

Nous avons vu que l’enlèvement du juste pour être transporté dans la félicité dès sa mort est caractéristique du judaïsme hellénistique. C’est aussi la croyance du 4ème livre des Maccabées malgré ses attaches indéniables au pharisaïsme. (17, 18 : “ Ils sont maintenant auprès du trône de Dieu et vivent une éternité bienheureuse ”). A la limite cette doctrine fait apparaître la résurrection.

Il se pose encore le problème de savoir si la résurrection est la loi de tous les morts ou si elle est réservée aux justes seulement. La seconde conception (attestée dans les Psaumes de Salomon 14, 2ss) est sans doute la plus ancienne, mais la première, qui en résulte vraisemblablement, est la mieux représentée. On peut également considérer en gros que la notion de résurrection s’élargit progressivement du peuple d’Israël à l’humanité entière (Esd 7, 3 ; Ba 50, 2). De plus cette résurrection est une résurrection corporelle, “ la terre rendra ses morts sans rien changer à leur aspect ”. (Ba 50, 2) ; et le judaïsme postérieur a beaucoup réfléchi sur le processus de revivification de l’ancien corps en imaginant des théories assez étonnantes. Mais il existe aussi une croyance à l’entrée des âmes dans un corps nouveau à la résurrection attestée chez les pharisiens par Josèphe. Il est vraisemblable aussi que le 4e Esdras croit à l’immortalité de l’âme et à la destruction du corps, mais il est difficile de savoir comment il se représente la résurrection.

Un autre problème qui se pose à la spéculation eschatologique est de savoir si la résurrection a lieu avant ou après les temps messianiques. Dans Daniel la résurrection inaugure le règne messianique, mais des conceptions plus tardives la situent après lui (cf. Baruch et 4 Esdras). L’Apocalypse du Nouveau Testament mêle les deux conceptions avec une résurrection des justes précédant le règne messianique qui est suivi de la résurrection générale (Ap 20, 4 ; 20, 13).

En attendant le Messie

Il est difficile de savoir comment le courant apocalyptique se rattache à la réflexion religieuse antérieure d’Israël. On peut sans doute le rapprocher au mouvement des écrits de sagesse, encore que d’une façon abstraite ; on peut aussi invoquer des influences étrangères (en particulier iraniennes : la littérature mazdéenne distingue aussi des phases dans la rénovation finale). De toute façon, on peut poser qu’au temps du Christ l’idée de salut et de résurrection était tout à fait familière, mais toujours comprise dans des systèmes spéculatifs. Au contraire, ce qui apparaît le plus nettement peut-être dans le Nouveau Testament, c’est l’originalité décisive de l’expérience du Christ : celui-ci en ressuscitant, tel le Serviteur d’Isaïe, par la volonté du Père instaure la résurrection à son niveau propre. Elle n’est plus une étape parmi d’autres dans un processus eschatologique ; avec la Résurrection opérée dans le Christ, toute la plénitude du Salut est là et modifie l’avenir d’une manière imprévisible jusque-là. La seule “ apocalypse ” (c’est-à-dire . révélation des fins dernières) possible est celle du Nouveau Testament, parce qu’elle se fonde sur le seul événement qui ait jamais changé l’horizon de la vie humaine : la Résurrection du Christ.

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