Rechercher

Notre ami, notre maître

P. Michel Gitton

Le P. Louis Bouyer, de l’Oratoire, a accompagné Résurrection dès son berceau. Sa signature apparaît dans le tout premier numéro en 1956 (« Humanisme et christianisme au XVIe siècle ») et revient plusieurs fois par la suite. Surtout, il est resté lié aux différentes équipes qui se sont succédées à la rédaction de la revue. On ne compte pas les conseils et les sessions auxquels il a participé et qu’il a lui-même animés, telles les sessions de La Lucerne d’Outre-Mer où une joyeuse équipe de khâgneux et de normaliens (parmi lesquels on comptait Jean-Luc Marion, Rémi Brague, Jean Duchesne, Michel Constantini, Marie-Hélène Congourdeau, Michel Gitton) découvrait près de lui les arcanes de la théologie du Saint Esprit, au milieu de beaucoup d’autres choses, comme la cuisine normande ou la manière de sonner l’Angelus. Mais surtout, c’est près de lui que maints rédacteurs ont trouvé la lumière sur des questions difficiles. Jusqu’à une date récente, le P. Bouyer maintint son soutien actif à l’œuvre de Résurrection, venant encore faire des conférences à Saint-Germain l’Auxerrois en 1991, 92, 93.

Le P. Bouyer n’est cependant pas le seul maître que nous ayions connu et qui nous ait soutenus. En leur temps, les Cardinaux Jean Daniélou, Henri de Lubac, Hans Urs von Balthasar, le P. Le Guillou ne nous ménagèrent ni leurs conseils ni (dans certains cas) leurs éloges. Nous les avons lus avec passion et nous pouvons nous flatter d’être aussi leurs disciples.

Mais pourtant, notre lien avec le P. Bouyer a quelque chose de spécifique : son œuvre énorme (moins immense pourtant que celle de H. Urs von Balthasar) se recommande par la variété de ses curiosités, mais qui restent toutes reliées au dogme trinitaire ; ce n’est pas pour rien que sa deuxième « trilogie » (Le Fils Éternel, Le Père Invisible, Le Consolateur) contient en fait des aperçus très riches, par exemple sur l’histoire des religions (Le Père Invisible), sur l’inspiration mytho-poétique (Le Consolateur). Cette manière à la fois très classique et très anticipatrice de poser les questions rejoint une manière de faire chère à Résurrection.

L’importance de la liturgie pour le P. Bouyer n’est pas à démontrer. Plusieurs d’entre nous ont commencé leur théologie avec Le Mystère Pascal, et y ont appris bien plus que dans toutes les introductions. La connaissance à la fois forte et savoureuse des richesses de la tradition liturgique et spirituelle de l’Église est un trait que nous avons tous beaucoup aimé chez lui. Le refus d’idéaliser le passé, la conscience des complémentarités, la perception des ruptures ont marqué notre perception de vingt siècles d’histoire.

Un dernier trait peut-être nous le rend très proche : c’est ce que j’oserais appeler sa liberté. Peut-être à cause de ses origines protestantes, le P. Bouyer est aussi éloigné du conformisme pieusard des uns que des remises en cause puériles des autres. Il peut dire que saint Thomas d’Aquin s’est quelquefois trompé sur certains points, que sainte Thérèse d’Avila a méconnu le Saint Esprit, que certains papes du XIXe siècle étaient plus soucieux d’ordre que d’intelligence, parce qu’il sait aussi s’incliner devant l’autorité de l’Église, la constance de sa Tradition, et la précision de sa doctrine. Il n’est pas impressionné par les titres et sait appeler un chat un chat, avec parfois une veine polémique ou satirique qui lui ont valu bien des ennemis. Un homme libre. C’est cela d’abord que nous voudrions garder de lui.

Les lignes qu’on va lire sont un hommage à certaines de ses intuitions les plus chères.

Puissent-elles lui dire notre reconnaissance et notre affection.

P. Michel Gitton, ordonné prêtre en 1974, membre de la communauté apostolique Aïn Karem.

Réalisation : spyrit.net