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Paradoxe et mystère de l’Église, suivi de L’Église dans la crise actuelle (Cardinal Henri de Lubac)

Paris, Cerf, 2010, 487 pp.
Jean Lédion

Ce volume IX des œuvres complètes du cardinal de Lubac renferme en fait 26 textes qui concernent de près ou de loin le mystère de l’Église. Ce sont en général des textes de conférences prononcées dans diverses occasions, dont la plupart ont ensuite été revues pour être publiées. C’est le cas de « Paradoxe et mystère de l’Église ». Ce livre reflète la pensée du théologien au cours des années 1965-66. Nous sommes alors à la fin du concile Vatican II où, déjà, s’opposent ceux qui veulent imposer « leurs » réformes et ceux qui veulent mettre en pratique les vraies orientations conciliaires. Le P. de Lubac appartient évidemment aux seconds, et, fidèle à sa ligne de conduite habituelle, il s’efforce de faire avancer les choses en évitant la polémique et en développant inlassablement sa vision d’une Église authentique, vision que le concile venait de renouveler dans la constitution Lumen Gentium, mais aussi dans les autres constitutions, sur la révélation et sur la liturgie.

À travers les divers textes publiés dans ce volume, le lecteur découvrira comment Lubac reste fidèle à sa méthode de pensée et de travail. Tous les thèmes abordés dans cet ouvrage bénéficient des précédents travaux du cardinal. Il suffit de renvoyer le lecteur à son ouvrage antérieur Méditation sur l’Église (tome VIII des œuvres complètes) pour voir comment ce qu’il convient d’appeler « le mystère de l’Église » est approfondi à la lumière des textes de Vatican II.

L’intérêt de ce volume ne se limite pas à l’écrit principal. Le second texte, « L’Église dans la crise actuelle », date de 1969, époque où le désarroi dans l’Église est devenu omniprésent. Avec la lucidité qui lui est coutumière, le P. de Lubac analyse les causes de ce désarroi pour aller jusqu’aux racines du mal. Plutôt que de chercher à arracher l’ivraie, il en appelle à ceux qui ont un réel amour de l’Église : « C’est ici que peuvent se rejoindre les esprits les plus soucieux de maintenir le trésor entier de la Tradition catholique dans une continuité parfaite, et les plus conscients des forces inéluctables qui, en conformité avec le souffle de l’Évangile, nous poussent toujours en avant. C’est ici qu’ils se rejoindront. Pourvu que les uns et les autres comprennent que le seul salut, la seule unanimité désirable se réalise dans un même attachement sans faille à l’Église vivante, au sein de laquelle chacun jouera loyalement son rôle [...]. Quelques-uns sont tentés aujourd’hui de s’attarder aux eaux de Meriba, ces eaux amères et croupissantes de la "contestation" ; eaux corrosives qui, lorsqu’on s’y abandonne, rongent l’esprit, le vident jusqu’au nihilisme. Peut-être, lorsqu’ils en seront abreuvés jusqu’au dégoût, éprouveront-ils, plus ardente, la soif de la Parole de Dieu, cette Parole qui ne cesse de retentir au fond du cœur […].

Comment se dénouera la crise ? Tant que dure le monde il n’y a point à attendre de dénouement total […]. À celui qui approche de sa fin, il ne sera pas donné de la voir s’apaiser. Il n’en chantera pas moins, dans la joie, son Nunc dimittis, car s’il ne doit pas contempler de ses yeux de chair, ni tenir dans ses mains le salut, il se repose sur la Parole infaillible : "Bienheureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru", – ceux qui n’ont pas vu, et qui ont espéré. » (pp. 253-254)

Les autres textes de ce volume ne doivent pas être négligés, même s’ils sont imprimés en caractères plus fins, car ils illustrent bien, chacun à leur manière, ce souci du service de l’Église qui a animé, toute sa vie, le Père de Lubac. On retiendra, plus particulièrement, les textes relatifs à Karol Wojtyla, à Hans Urs von Balthasar, à Jean Daniélou, ainsi que les remarques concernant Joseph Ratzinger dans plusieurs opuscules. À travers ces divers écrits, on est frappé de l’étonnante perspicacité de l’auteur, qui écrivait bien avant que les deux derniers papes ne soient appelés au pontificat suprême. Ceux qui ont connu ces années difficiles apprécieront la lecture de ces divers textes. Quant à ceux, plus jeunes, qui ne les ont point vécues, ils pourront constater que la voix de la vérité n’est jamais totalement étouffée.

Jean Lédion, marié, trois enfants. Diplôme d’ingénieur, docteur d’État ès Sciences Physiques. Enseignant dans une école d’ingénieurs à Paris.

Réalisation : spyrit.net