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Paroles du désert d’Égypte. Une vie cachée en Dieu et ouverte au prochain.

Lucien Regnault, OSB, Éd. de Solesmes, 2005, 217p.
Jean Lédion

Le P. Lucien Regnault était moine à l’Abbaye Saint Pierre de Solesmes, où il est mort en 2003. Il a passé une grande partie de sa vie à l’étude des Pères du désert, dont il a publié de nombreux recueils entre 1966 et aujourd’hui. Le présent opuscule est une œuvre posthume, rédigée à partir de notes qu’il avait laissées et qui étaient destinées à des carmélites auxquelles il devait prêcher une retraite. C’est pour cette raison que le lecteur trouvera dans le texte de nombreux parallèles entre la pensée des Pères et celle de sainte Thérèse de Lisieux. Mais on doit surtout retenir l’essentiel, qui n’est pas forcément dans ces rapprochements de circonstance, mais dans la réflexion mûrie d’un spécialiste, lui-même moine, qui essaye de faire passer la substance de ce qui fait la vie de ces ermites du désert d’Égypte.

Ces paroles des anciens moines du désert, ou plutôt des déserts d’Égypte, sont connues sous le terme technique venu du grec d’« apophtegmes ». Sous ce terme se cache un genre littéraire tout à fait particulier. Souvent il est traduit par sentence, ce qui laisserait croire qu’il s’agit d’une pensée ciselée pour être aisément retenue par celui qui l’a entendue (ou lue).

En fait, la plupart du temps on se trouve en présence d’une petite histoire, de paroles destinées à un personnage particulier, dont le but est d’aider à vivre. C’est souvent la réponse à une question d’un moine qui interroge un ancien sur un problème de vie quotidienne, qui exige un discernement. Il s’agit donc toujours de la réponse à un cas particulier, mais dont la profondeur spirituelle va bien au-delà de la seule personne concernée. C’est pourquoi dans l’introduction (p. 7), le P. L. Regnault, qui nous livre le fond de sa réflexion et de sa propre expérience, au terme d’une vie passée au contact de ces paroles, écrit :

Ce que je crois de plus en plus, c’est qu’un apophtegme est un tout, un fragment indépendant qu’il faut traiter comme tel. On peut essayer de faire une synthèse,(…) mais cela fausse les perspectives.
Chaque apophtegme relate un évènement, une parole, une expérience, une tranche de vie qui est un tout indépendant, en cherchant à bien voir le contexte, les interlocuteurs en présence : le plus souvent il y a un disciple qui interroge un
abba et qui en reçoit une réponse appropriée.

Dans le présent ouvrage, l’auteur cherche surtout à dégager ce que pouvait être la vie intérieure de ces hommes que leurs disciples considéraient comme des maîtres spirituels. Une telle tâche est difficile, car les Pères ne font pas souvent des confidences dans ce domaine secret et intime, leur humilité et leur pudeur le leur interdisent (p. 8).

Une lecture attentive des apophtegmes permet-elle de deviner, dans une certaine mesure, ce que pouvait être cette vie intérieure ?
Les premiers habitants du désert, et beaucoup d’autres ensuite, ont vécu de longues périodes de leur vie dans la solitude complète. Nous savons quelles étaient en général leurs occupations corporelles, prière des lèvres et travail des mains, avec bien des variantes de détail, mais nous ignorons presque tout de leur activité essentielle, c’est à dire de leurs rapports avec Dieu et avec le monde invisible des anges et des démons. Des hommes qui avaient fui la société de leurs semblables pour s’enfoncer dans le désert, n’étaient pas portés à divulguer les secrets de leur vie intérieure. L’humilité, qui leur fait taire les faveurs divines, pourra tout au plus les pousser à rapporter leurs tentations et leurs combats, voire même leurs faiblesses et leurs chutes. Si l’un d’eux croit devoir, pour l’édification d’autrui, raconter un fait extraordinaire dont il a été le héros, il le fera à la troisième personne, comme s’il s’agissait d’un autre. Quelquefois un disciple pourra surprendre son ancien en extase ou en conversation avec les anges ou avec les démons, mais le fait est extrêmement rare (p. 14).

A travers quelques figures choisies, malgré ce qui vient d’être dit, Dom Lucien Regnault va donc tout de même tenter de nous dévoiler la vie profonde de ces personnages.

Le lecteur qui n’est pas un familier des Pères pourra donc découvrir ce milieu, au fur et à mesure de sa progression dans les chapitres consacrés chacun à un abba particulier.

Celui qui est déjà un familier pourra, grâce à la sélection de l’auteur, retrouver des choses connues, mais dont la portée se trouve approfondie grâce aux commentaires de ce grand spécialiste des Pères du désert qu’était dom Lucien Regnault.

Jean Lédion, marié, trois enfants. Diplôme d’ingénieur, docteur d’État ès Sciences Physiques. Enseignant dans une école d’ingénieurs à Paris.

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