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Péguy et Maritain : le conflit de deux observances chrétiennes

Damien Le Guay
Il ne suffit pas que nous ayons été créés, que nous soyons nés,
que nous ayons été faites fidèles.
Il faut, il dépend de nous que femmes et fidèles,
Il dépend de nous chrétiennes
Que l’éternel ne manque point de temporel,
(singulier renversement)
Que le spirituel ne manque point du charnel,
Il faut tout dire : que l’éternel ne manque point de temps,
Du temps, d’un certain temps.
Que l’esprit ne manque point de chair.
Que l’esprit ne manque point de chair.
Que l’âme pour ainsi dire ne manque point de corps.
Que Jésus ne manque point d’Église, de son Église.
Il faut aller jusqu’au bout : Que Dieu ne manque point de sa création
C’est à dire il dépend de nous
Que l’espérance ne mente pas dans le monde.
Le porche du mystère de la deuxième vertu [1]

Offert à l’enthousiasme de Jean Bastaire.../]


De neuf ans plus jeune que Charles Péguy, Jacques Maritain, étudiant en philosophie, le rencontre, en 1901, alors qu’il n’a que dix-huit ans, par l’entremise de Robert Debré, et devient, progressivement, un « collaborateur et un disciple (…) totalement dévoué » [2] car, de 1901 jusqu’en 1907-1908 tout les rassemble.

1/ Jacques Maritain, fils de Geneviève Favre et petit-fils de Jules Favre (l’un des fondateurs de la Troisième République), est un socialiste fougueux, anarchiste et disciple de Tolstoï, plus à gauche que Péguy, et continuant d’admirer Jaurès alors même que celui-ci s’en est déjà détaché, dénonçant, chez lui, la politique qui dévoie la « mystique » (celle du dreyfusisme) et son besoin d’unité à tout prix [3].

2/ Il devient, progressivement, un collaborateur zélé des Cahiers de la quinzaine et sera même considéré, par Péguy, comme son « coadjuteur » [4] et, indique Raïssa Maritain, comme son successeur à la direction des Cahiers [5]. Il lit des manuscrits, corrige les épreuves et va même jusqu’à prêter de l’argent pour renflouer les caisses, souvent vides.

3/ Sans se concerter, Péguy et Maritain vivent, à peu près aux mêmes dates, une même conversion au catholicisme. D’origine protestante, Maritain [6] épouse, malgré certaines réticences de sa mère (levées, pour partie, par Péguy) Raïssa Oumançoff (jeune juive russe née en 1883), le 26 novembre 1904. Ensemble, le 11 juin 1906, en secret, ils sont baptisés avec comme parrain et guide spirituel Léon Bloy – que Péguy n’aimait pas beaucoup en raison de son antirépublicanisme et son antidreyfusisme. Quant à lui, Péguy, également en secret, sans en parler à ses proches, il retrouve la foi catholique. Le 5 mars 1907, il confesse sa foi à Maritain qui note dans son journal : « il a fait le même chemin que nous », et, en 1908, confie à Joseph Lotte : « Je ne t’ai pas tout dit... j’ai retrouvé la foi... je suis catholique » [7].

Tout semble alors aller pour le mieux. Dans une lettre du 15 mai 1907, Péguy souhaite que Maritain prenne une place encore plus importante dans les Cahiers : « Vous êtes une pièce essentielle de mon système » [8] : système pratique (les Cahiers) mais aussi intellectuel (débat avec Renan [9] et développement du thème du salut par les juifs). Péguy eut pour Maritain « une de ces amitiés profondes et généreuses qui lui faisaient tout accorder à l’homme qu’il aimait quitte, au lendemain de leur brouille, à tout lui refuser » [10].

Plutôt que de sceller leur amitié, de souder leur foi catholique et de les lancer, ensemble, comme Péguy l’envisage, dans des entreprises intellectuelles communes, ces conversions jumelles mais séparées, révéleront, par la suite, successivement, des agacements, des divergences, des incompatibilités et pour finir une rupture franche et nette. Rupture de caractère, de tempérament, mais surtout de deux fidélités chrétiennes qui porte tout à la fois sur des questions personnelles (mariage religieux et baptême de la famille de Péguy) et surtout sur deux conceptions antagonistes du christianisme (ce qui apparaîtra clairement au moment de la publication du Mystère de Jeanne d’Arc au printemps 1910).

DU COMBAT COMMUN AU COMBAT FRATRICIDE...

Sans reprendre tous les éléments de cette divergence d’amitié qui, au fur et à mesure qu’elle s’approfondissait, mit en évidence deux conceptions d’appartenance à l’Église (l’une, celle de Péguy, par la grâce ; l’autre, celle de Maritain, par les seuls sacrements), indiquons certains éléments biographiques indispensables à la compréhension de l’action de Maritain et des réticences, en retour, de Péguy.

La religion de Péguy

Charles Péguy, baptisé trois mois après sa naissance, appartient, contrairement à ce qu’on pourrait croire, « à un milieu déchristianisé, où le baptême n’est qu’une formalité » [11]. Son père, mort quand il avait dix mois, était « non fidèle », selon l’expression de son fils. Quant à sa mère, elle ne va pas à la messe – elle n’accompagne donc pas son fils quand il y va – et lui fit faire la prière matin et soir [12]. « Avant douze ans, conclut Jean Bastaire sur ce point, il a pour religion réelle non pas celle de Pie IX ou de Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans lorsqu’il est né, mais celle de Victor Hugo et de Michelet, de Jules Ferry. (...) Dans cette perspective, sa conversion au socialisme, durant ses années d’étudiant, apparaît comme une suite sinon inéluctable du moins logique. » [13] C’est donc tout logiquement, ayant perdu la foi (du moins à la surface de sa vie), qu’il se marie, civilement, en octobre 1897, avec Charlotte Baudoin, la sœur de Marcel – l’un de ses meilleurs amis, de deux ans plus jeune, côtoyé au collège Sainte-Barbe et mort prématurément, le 25 juillet 1896, à vingt et un ans. Mariage sans grand amour, pour rendre service à la famille Baudoin dira-t-il à sa mère – opposée à ce mariage [14]. La famille de Charlotte était socialiste, de tendance anarchiste, et notoirement anticléricale. Sa mère, une forte femme, veuve à vingt-quatre ans, avait été l’une des meilleures amies de Louise Michel. Ainsi, par choix, ni Charlotte, ni les trois enfants du couple (Marcel, 1898 ; Germaine, 1901 ; Pierre, 1903 [15]) ne furent baptisés à leur naissance. A l’époque, précise Robert Burac, « épouser une femme sans religion, était rare parmi les libres penseurs eux-mêmes » [16].

Péguy entre mariage et adultère

Pour être complet sur ce chapitre, il faut savoir que le mariage de Péguy traverse, durant la période qui nous concerne (1907-1914), de grandes turbulences.

D’une part la relation matrimoniale est pour le moins mauvaise. Charlotte, décrite comme « une puritaine sans Dieu » [17], « méprise son mari » [18]. Les colères sont nombreuses : « Chez moi, c’est la guerre » [19] confesse Péguy. Et la présence continuelle, sous le même toit, du beau-frère de Péguy et de la mère de Charlotte (qui considère son gendre comme un névropathe au cerveau dérangé) empêche tout dialogue un peu intime. Son isolement à son foyer est extrême : « Au foyer » écrit-il à Jeanne Maritain [20] (sœur aînée de Jacques et confidente de sa situation matrimoniale), « je suis seul entre mes os pariétaux et mon frontal. » [21]

D’autre part, Péguy vivra, à partir de 1906, « un adultère cérébral », selon la très juste expression de son ami Lucas de Peslouan [22], avec Blanche Raphaël (que Péguy connaît depuis 1902), une agrégée d’Anglais, de cinq ans plus jeune que lui. Maritain [23], à l’époque, ne sut rien de cet amour violent, grave et profond qui va provoquer, chez Péguy, « un dérèglement du cœur » – et fera naître de nombreux textes dont, en particulier, les Ballades du cœur, restées inédites à sa mort. Mais Péguy va souffrir et résister, comme dans Polyeucte – le chef-d’œuvre, à ses yeux, de la littérature française. Il parlera ainsi de lui en juin 1912 dans un texte posthume [24] : « C’est un pauvre homme. Bourrelé de scrupules, assailli, envahi, bourrelé de remords, pour des crimes qu’il n’a point commis, qu’il ne commettra jamais, que mille autres, que tout le monde autre commettront, il sent obscurément, très profondément, qu’il est en effet, qu’il est réellement responsable. Puisqu’il est père de famille. C’est un des plus beaux cas qu’il y ait de responsabilité sans faute, de culpabilité sans faute. . Blanche épousera en juillet 1910 Marcel Bernard (un admirateur de Péguy) et aura, en septembre 1911, une fille, Henriette – que Péguy aime autant que si elle était sa propre fille. Mais, malgré cela, il continue de la voir constamment, comme avant, et « pendant les cinq dernières années de sa vie, il va se débattre avec cet amour impossible, perpétuellement caressé, refusé, indompté, renoncé. » [25] Hans Urs Von Balthasar [26] indique que le besoin de pureté de Péguy le préservera de toute ambiguïté avec une « fidélité déchirante au mariage indissoluble, sans aucune transfiguration ». Pour n’avoir pas à se renier, Péguy reste fidèle à son engagement premier vis à vis de Charlotte. Sa parole fut engagée ; elle fut respectée – quoi qu’il lui en coûta. Cette fidélité au mariage alors même que son amour déchirant et solitaire pour Blanche aurait pu l’inciter au divorce, cette passion chaste qui l’entraîna dans des phases de dépression, furent pour Péguy, ainsi qu’il l’indique dans sa Prière de résidence [27] à la Vierge de Chartres, son « axe de détresse », son « centre de misère » :

Quand il fallut s’asseoir à la croix des deux routes
Et choisir le regret d’avecque le remords,
Quand il fallut s’asseoir au coin des doubles sorts
Et fixer le regard sur la clef des deux voûtes,
 
Vous seule vous savez, maîtresse du secret,
Que l’un des deux chemins allait en contre-bas,
Vous connaissez celui que choisirent nos pas,
Comme on choisit un cèdre et le bois d’un coffret.
 
Et non point par vertu car nous n’en avons guère,
Et non point par devoir car nous ne l’aimons pas,
Mais comme un charpentier s’arme de son compas,
Par besoin de nous mettre au centre de misère,
 
Et pour bien nous placer dans l’axe de détresse,
Et par ce besoin sourd d’être plus malheureux,
Et d’aller au plus dur et de souffrir plus creux,
Et de prendre le mal dans sa pleine justesse.
 
Par ce vieux tour de main, par cette même adresse,
Qui ne servira plus à courir le bonheur,
Puissions-nous, ô régente, au moins tenir l’honneur,
Et lui garder lui seul notre pauvre tendresse.

La rupture

Le drame d’amitié chrétienne entre Péguy et Maritain, va se jouer en trois temps.

A/ Le 24 mai 1907, Péguy donne mandat à Maritain (afin d’éviter les indiscrétions supposées de la poste quant à son retour à la foi chrétienne) pour « rétablir définitivement../.. ma communion spirituelle » auprès de Louis Baillet, ami de Péguy depuis le collège Sainte-Barbe, en 1893-1894, et qui était devenu prêtre en 1900 avant d’entrer à l’abbaye de Solesmes en 1902. Maritain se rend chez les bénédictins, à l’île de Wight, (il y rencontre aussi Dom Delatte, le père Abbé) et en revient porteur d’une exigence : Péguy doit faire baptiser ses enfants, s’il veut pratiquer et pouvoir recevoir les sacrements. En mai 1908, comme rien n’avance et que Péguy ne tient pas sa promesse d’aller, lui même, rendre visite à Baillet, Maritain, exaspéré, écrit à Baillet que Péguy est « maintenant trompé par le démon » et que s’il reçoit, en grand nombre, des « grâces sensibles », elles ne sont pas la « grâce sanctifiante ». Maritain, qui dit parler au nom de l’Église, lui demande d’aller au moins à la messe. Un autre obstacle apparaît : le mariage civil de Péguy. Baillet, après consultation canonique du prieur du monastère d’Oosterhout, indique à Maritain, avec la plus grande fermeté : « Son premier devoir est non pas d’aller à la messe, mais de régulariser son union (...) Il doit, continue Baillet, déclarer à sa femme sa résolution de rentrer dans l’Église et par conséquent de l’épouser à l’Église, et pour cela la faire baptiser (...) Si elle refuse, il sera libre et il sera temps, alors, de régler le détail de la situation. » Maritain fait lire la lettre à Péguy qui n’envisage pas de se séparer de sa femme et elle, de son côté, ne consent pas, à ce moment là, à se faire baptiser. S’il ne va pas à la messe, écrit Maritain à Baillet en 1909, s’il ne se confesse pas, s’il ne montre pas ses résolutions d’être sincèrement chrétien, « je l’abandonnerai à ses vaines pensées, je resterai son ami, mais je ne permettrai plus qu’il se dise chrétien devant moi. » [28] De guerre lasse, Baillet, en février 1909, renonce et confie sa charge au P. Clérissac (ami personnel de Dom Delatte) qui deviendra l’ami et le « maître spirituel » des Maritain et, en 1909, écrit à Maritain que Péguy est en « très grand danger de damnation, puisqu’il se croit l’objet d’un traitement de faveur auprès de Dieu » [29].

B/ Second épisode : visite de Maritain à la femme et belle-mère de Péguy. En juillet 1909, envoyé par Péguy et sur la recommandation de Clérissac, Maritain se rend au domicile conjugal des Péguy, à Lozère. Au P. Clérissac, à qui il rend compte de sa visite, il indique, au sujet des dispositions des deux femmes, qu’elles lui « paraissent si ennemies de Dieu qu’il semble bien que la plus grande faute de Péguy ait été d’entrer dans cette famille. Je croyais rencontrer des athées ordinaires, j’ai trouvé, du moins chez madame Baudoin, une perversion de la foi d’apparence démoniaque. Madame Péguy, elle (non baptisée), m’a paru le type de la nature âpre, brutale, aveugle d’esprit, telle qu’elle peut être dans l’ignorance complète et la privation de la grâce » Geneviève Favre vint, quelques jours après, à la demande de Péguy, consoler ces femmes encore sous le choc. Dans ses souvenirs elle raconte : « Sans ménagement, trop zélé, néophyte, me dirent-elles, il (Maritain) les avait terrorisées en exposant à Madame Péguy l’urgence de la consécration catholique de son mariage, en lui déclarant que si elle ne se rendait pas à l’évidence, elle attirerait sur elle et les siens les plus grands malheurs. ». Maritain, dans son journal, à la date du cinq août 1909, écrit qu’en persistant dans cette situation Péguy est « en péril de damnation » [30]. Une autre version de cette visite à Lozère, celle des Frères Tharaud [31] contestée en 1925 par Maritain [32] et jugée, en 1965, par Pie Duployé [33], de « pure invention », fait état de propos plus durs encore de Maritain indiquant à Madame Péguy qu’une « union qui n’est pas sanctifiée par l’Église n’est que du concubinage… » (ce qui, en droit canon, est vrai.) et ajoutant « les enfants de la rue sont plus les enfants de Péguy que les siens propres. »

C/ Réaction de Maritain à la lecture du Mystère de la charité de Jeanne d’Arc . Péguy publie, en janvier 1910, sa seconde Jeanne d’Arc (après celle de 1897, d’inspiration socialiste, anticléricale et antimilitariste) dont Jean-Paul II, en 1988, dira : « C’est tout à fait l’origine de la théologie qui est concentrée dans cette œuvre. La théologie pas seulement méditée, pas seulement spéculée, mais surtout vécue... » [34] Et le 2 février 1910, Maritain, après avis et consultation de Clérissac et Baillet, écrit à Péguy :

« Je ne peux pas vous cacher que votre Mystère m’a fait beaucoup de peine. (...) Je vois manifestement que vous êtes encore loin du vrai christianisme, avec l’illusion d’y être arrivé, et que vous faites part au public d’une illusion et d’une fausse piété comme si c’était la vraie foi et comme si c’était votre pensée définitive. Vous êtes dans l’illusion (...). Quand des âmes chrétiennes parlent des mystères de la foi, de l’Église triomphante, militante et souffrante, de la prière, des vocations religieuses, ce n’est point ainsi qu’elles parlent.(...) La vocation de la bienheureuse Jeanne est toute défigurée. Vous en avez retranché la force souveraine et la douceur du Saint-Esprit, les prévenances de la grâce, la simplicité et la paix de la foi, la confiance filiale de l’amour, l’ignorance de soi-même, la vue directe de toutes choses dans la lumière surnaturelle et selon la vue de Dieu, vous en avez retranché tout ; (...).Enfin, la méditation sur la Passion de Notre-Seigneur, puisque vous avez voulu toucher aussi à Cela, est pleine d’inconvenance et d’irrévérence.(...) Rabaisser la Passion à notre sentimentalité, rendre la Foi la plus médiocre possible ; faire de la naïveté à propre de la Rédemption, se complaire dans les émotions et les pensées du populo en croyant penser à Dieu, c’est une chose toute moderne, malsaine, littéraire. Notre-Seigneur souffre cela, ayant souffert bien d’autres outrages. (..) Dans cette œuvre (...) vous êtes resté lamentablement au-dehors. Malgré vous, malgré la piété de vos intentions, vous avez fait de la littérature. Cela m’a désolé, et indigné je vous l’avoue. Maintenant je pense que cela prouve simplement que vous avez encore du chemin à faire pour être un chrétien fidèle. Et comment s’en étonner ? C’est un chemin que nul homme ne peut faire de lui-même, où Dieu seul peut nous porter. Le fond de tout c’est qu’on ne peut être fidèle à Dieu et à l’Église par la vertu de soi, mais seulement par la vertu de Dieu et la vertu de l’Église, par l’obéissance et les sacrements, en recevant tout de Dieu. C’est qu’on ne peut combattre pour Dieu et pour ses saints que si l’on fait ce que Jeanne d’Arc demandait d’abord à ses soldats, si l’on se confesse, si l’on communie. »

Après cette attaque en règle, que Maritain, par la suite, regrettera, il poursuit dans la même veine. Dans son journal, en date du 26 avril 1910, il indique : « En même temps que Péguy s’approche de l’Église, en même temps il semble devenir hérétique de cœur. » Péguy, lassé par tant de maladresses, (une conduite d’une « maladresse consommée » dira Mgr Batiffol, en 1910), rompt avec Maritain et, le 25 avril 1910, met fin à son entremise : « À la date d’aujourd’hui prend fin le mandat spirituel que je vous avais donné pour me représenter auprès de Baillet. Quand un ambassadeur met une telle opiniâtreté à s’acquitter mal de son mandat, il ne reste plus qu’à lui retirer ses pouvoirs. » [35]

Les méprises

Ce cheminement entre les deux hommes, qui passe de la confiance (1907) à la rupture brutale (1910) repose, en fait, sur une triple méprise.

A/ Absence de dialogue en profondeur entre Maritain et Péguy. Durant ces quatre années chacun, de son côté, approfondit sa foi, sans la moindre concertation, comme deux monologues qui jamais, en confiance, ne s’ouvrent l’un à l’autre. Du coté de Maritain : baptême sous les auspices de Léon Bloy (1906), rencontre avec le P. Clérissac (1908) et lecture, sur recommandation du même, de saint Thomas (1909). Du côté de Péguy : rédaction du début du Dialogue de l’histoire avec l’âme charnelle (texte posthume, été 1909), Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (publié en janvier 1910), Le porche du mystère de la deuxième vertu (1911). Dans les écrits de Maritain, l’œuvre de Péguy n’est jamais prise à bras le corps et discutée en profondeur. Dans sa correspondance avec Baillet, il n’est question que de la situation matrimoniale ou familiale de Péguy et nullement de son « christianisme » tel qu’il apparaît dans ses écrits. Et même, le Mystère n’est critiqué que de biais. Maritain constate que cette pièce de théâtre n’est pas conforme à l’idée que lui, Maritain, se fait du christianisme et à l’idée que Clérissac (auteur d’une conférence, en 1909, intitulée La bienheureuse Jeanne d’Arc) se fait de Jeanne. À aucun moment il n’est entré désarmé dans la pensée de Péguy. Quand, en 1972, Maritain regrette « la dureté et l’injustice » de ses reproches [36], il reconnaît avoir pris, à l’époque « en mauvaise part » ce qu’il lisait de Péguy en raison de ses « atermoiements ». Et pour finir, dans les pages, nombreuses, consacrées à Péguy dans Les grandes Amitiés, Raïssa Maritain qui, constate Pie Duployé [37], n’a rien compris à l’œuvre de Péguy, n’évoque aucun des textes de Péguy mais, seulement, des impressions, regrets, propos de première ou seconde main.

B/ Deux conversions de nature très différentes. L’espoir de Péguy (mars-septembre 1907) et la joie des deux hommes quand ils se confient l’un à l’autre, le 5 mars 1907, leur foi chrétienne, reposent, en fait, sur une méprise des retrouvailles, une sorte de trompeuse euphorie de deux « proscrits » qui n’ont pas encore, autour d’eux, proclamé haut et fort leur nouvelle fidélité chrétienne. Certes les conversions sont jumelles dans le temps et elles se font toutes les deux dans le plus grand secret pour ne pas éveiller l’ire des familles – sans parler de ses amis des Cahiers de la quinzaine. Cependant elles ne se ressemblent sur aucun autre point. Péguy était baptisé, alors que les Maritain ne l’étaient pas auparavant. Péguy a le tempérament d’un franc-tireur [38] ; Maritain celui d’un orthodoxe (au sens propre du terme) – orthodoxe dans son socialisme (défenseur de Jaurès contre Péguy) comme dans son christianisme (défenseur de Clérissac contre Péguy). Péguy entre seul dans l’Église ; Maritain y entre avec son épouse, sa sœur, sa belle-sœur. Péguy, chrétien, témoigne de sa foi là où il a été placé, sans vouloir convaincre ceux de son entourage ; Maritain aura, sa vie durant, un zèle prosélyte (Péguy, Psichari, Cocteau...). Péguy, d’un tempérament combatif, est un farouche défenseur de sa Patrie, conscient du danger allemand depuis 1905 ; il aimait ses périodes militaires et fera son devoir, en 1914, avec un enthousiasme nationaliste des plus évidents ; Maritain, lui, durant la Première guerre mondiale, ne manifestera pas, (c’est le moins qu’on puisse dire) une grande ferveur nationaliste [39]. Péguy retrouvait la foi, alors que les Maritain la trouvait. Péguy ne renia rien de son passé socialiste, alors que Maritain abjura le sien. « Ce n’est point une évolution (...) c’est un approfondissement (...) C’est par un approfondissement constant de notre cœur dans la même voie, ce n’est nullement par une évolution, ce n’est nullement par un rebroussement que nous avons trouvé la voie de chrétienté. Nous ne l’avons pas trouvée en revenant. Nous l’avons trouvé au bout (...) C’est pour cela que nous ne renierons jamais un atome de notre passé »  [40] déclare avec superbe Péguy au point de déconcerter ceux qu’il rejoint tout autant que ceux qu’il quitte. Romain Rolland analyse chez Péguy en quoi cette fidélité est liée à une notion d’approfondissement (qu’il oppose à la conversion) qui n’est autre qu’un retour au centre, une ressourcement, un recentrement [41]. Cette conversion est, au sens de Péguy (tel qu’il en parle en parle en 1904, dans une conception historique), une révolution (res nova), c’est à dire « une reprise de sève » [42] qui produira du nouveau : « une révolution est un appel d’une tradition moins parfaite à une tradition plus parfaite, un appel d’une tradition moins profonde à une tradition plus profonde, un reculement de tradition, un dépassement en profondeur ; une recherche à des sources plus profondes ; au sens littéral, une ressource. » [43] Si Maritain se dit un converti, pour Péguy toute conversion avait « une vague odeur de trahison » – c’est ce qu’il confie aux frères Tharaud lors de la conversion d’Ernest Psichari, petit-fils de Renan [44]. Il fallait être, pour lui, fidèle à soi-même : « Quand on aime, on ne peut désaimer » disait Péguy [45]. Si les Maritain entrent dans l’Église, à la recherche d’un mentor spirituel (en la personne de Clérissac), et y entrent de plain pied, avec armes et bagages, fureur et enthousiasme de néophytes, Péguy, lui, par choix et par situation familiale, reste, solitaire, sur les marches de l’Église, au pied des marches.

C/ Par une étrange incongruité, Péguy, soucieux de rétablir le contact avec Baillet, envoie Maritain vers ceux là-même qui non seulement sont bien éloignés de ses positions mais, de plus, les combattront. C’est par l’intermédiaire de Péguy que Maritain rencontre Dom Baillet, puis, par l’entremise de ce dernier, Dom Delatte et, sur les recommandations de celui-ci, le P. Clérissac qui, comme « premier et admirable conseil », incite les Maritain à lire saint Thomas. Après la condamnation par Pie X, dans l’encyclique Pascendi, en septembre 1907, des errances du modernisme (dont celles issues des travaux de Bergson), et sous la férule de Clérissac et de Dom Delatte (maurassiens tous les deux), Maritain, considéré, à l’Université, comme « un disciple de Bergson », écrira, en 1911, une critique du système bergsonien « du point de vue de la philosophie thomiste » [46], et fera, en 1913, des conférences contre Bergson avec « l’emphase et la raideur juvénile » – selon ce que dira lui-même Maritain, avec regret, quarante ans plus tard [47]. La publication de tous ces éléments, en octobre 1913, dans La philosophie bergsonienne, premier livre de Maritain, qui se considère, comme un « chevalier de la Vérité » [48], le place au première ligne du combat antimoderniste. Il participera même, selon toute vraisemblance, même s’il s’en est défendu, à la mise à l’Index, en 1914, des principales œuvres de Bergson [49], alors même que Péguy, dans le même temps, défend celui-ci, objet d’attaques antisémites ordurières de Léon Daudet dans l’Action Française lors de son entrée à l’Académie Française [50]. Comment expliquer un tel retournement de la part du jeune Maritain ? La condamnation par Maritain de Bergson s’explique, avant tout, par obéissance au pape. Mais comment comprendre qu’il se soit associé, de loin puis de près, aux disciples chrétiens de Maurras qui lançaient des attaques antisémites répugnantes contre Bergson – qui avait été son maître – sans les dénoncer, lui qui, témoignera de cet enracinement juif du christianisme ? Maritain explique à Henri Massis [51] que ses recherches, à l’époque, étaient seulement « d’ordre métaphysique » (et non d’ordre politique), qu’il n’avait jamais lu Maurras et, s’il s’abonna en 1911 au journal de l’Action française, s’il fit ses cours et son livre contre Bergson, ce fut « avec une docilité entière, par obéissance, par soumission à mon directeur » (Clérissac). Et, selon ses propres mots, il se convainquit que tout cela « faisait partie intégrante de tout ce que j’avais eu à accepter en entrant dans l’Église ». Il faut dire que pour le P. Clérissac, selon les propres termes de Maritain, (dans sa préface au Mystère de l’Église du même religieux), la vertu d’obéissance à la « direction marquée par le haut » doit s’imposer au chrétien comme « une chasteté du vouloir ». L’obéissance est donc un devoir. Admirateur de Maurras et thomiste (d’un certain thomisme, d’un thomisme de seconde main), proche de l’Action française et monarchiste, le P. Clérissac pensait que la restauration de la Monarchie était indispensable à la restauration de la plénitude des prérogatives de l’Église en France et avait en « dégoût » le monde moderne et la démocratie [52]. Reconnaissons, pour le moins, une extrême naïveté de la part de Maritain. Toujours à la recherche d’un maître (Jaurès, Bergson, Péguy, Clérissac, et, après la mort de Clérissac, le P. Dehau, le P. Garrigou-Lagrange, l’abbé Journet...), Maritain, donc, à cette époque, avec un esprit servile, sans comprendre (ou sans vouloir comprendre ou en feignant de ne pas comprendre) les tenants et aboutissants des combats politiques que Clérissac lui demande de mener [53], s’oppose à Péguy et aux causes qu’il défend avec une brutalité et une raideur inouïes – ce que Maritain reconnaîtra lui même plus tard, et, en particulier, en 1972 : « Je me sens honteux, maintenant, non pas certes des vérités que je tâchais de lui rappeler, mais du ton dogmatique et de la manière naïvement et insupportablement arrogante que j’employais pour cela. » [54]

Maritain naïf ?

Jusqu’à quel point pouvons-nous croire Maritain quand il déclare s’être lancé dans ces combats d’ordre « religieux » tout en ignorant leurs tenants et aboutissants politiques ? La déclaration de Maritain à Massis, où il plaide l’ignorance, date de 1932 (soit six ans après la condamnation officielle et sans appel par Pie XI de l’Action française [55]). Mais, en mars 1910, Maritain remercie Dom Delatte de lui « avoir fait montré si clairement les venins du libéralisme ». Et en 1922, dans Antimoderne, il écrit : « Nous ne luttons pas pour la défense et le maintien de “l’ordre” social et politique actuel. Nous luttons pour sauvegarder les éléments de justice et de vérité (..) et pour préparer et réaliser l’ordre nouveau qui doit remplacer le présent désordre. Georges Valois a droit à notre reconnaissance pour avoir vigoureusement affirmé cette vérité dans le domaine économique, comme Maurras l’a affirmée – avec quelle lucidité magnifique – dans le domaine politique : elle vaut dans tous les domaines. » [56] Et même si l’approche est différente (Maritain plaide pour la primauté du spirituel tandis que Maurras plaide pour la primauté du politique), Maritain, qui partage avec l’Action française « une communauté d’hostilité philosophique » [57] (les Lumières, Luther...), reste, malgré des menaces de condamnation par Rome qui pèsent sur le mouvement depuis 1911, un soutien fidèle et constant, manifestant dans son attitude « une adhésion sans équivoque, mais non sans réserve, à la plupart des thèses maurrassiennes » et ce jusqu’à 1926. Il est donc certain que Maritain appartient, durant toutes ces années, au clan, étroit et puissant, des thomistes-maurrassiens, avec, en tout premier lieu, le P. Clérissac, qui lui conseille la lecture des commentaires de saint Thomas par le P. Pègues [58] (qui soutenait que la doctrine politique de Maurras était celle de St Thomas [59]). Après la mort de Clérissac, il se rapproche du P. Dehau, rencontré en novembre 1915, et de son disciple le P. Garrigou-Lagrange. Ce dernier, conseiller spirituel des Maritain, exerça une véritable « dictature intellectuelle » [60] au nom, selon l’expression du P. de Lubac, d’ « un certain thomisme étroit et sectaire » [61] et responsable de la désaffection théologique vis à vis de Saint Thomas.

Pourquoi Péguy, de son côté, s’est-il, ainsi, illusionné sur Maritain, et les travaux qu’ils pouvaient mener ensemble ? Pourquoi cette triple méprise ? Par amitié, me semble-t-il, par sa passion de l’amitié. Isolé, en marge de bien des cercles, Péguy, fidèle avec ses amis, exigeant et fidèle avec eux, avait une « morale de bande, qui est peut-être la seule morale » (Notre Jeunesse [62]). Il considérait Baillet, ami d’enfance, comme un saint, Maritain, disciple de Bergson, comme un homme de sa « bande » et leur double conversion suffisamment forte pour les unir, de nouveau, dans la foi catholique.

LES ENJEUX THÉOLOGIQUES DE CES DEUX OBSERVANCES

L’opposition des deux hommes, durant ces années, est, avant tout, un conflit de deux « mondes », de deux conceptions chrétiennes, de deux tempéraments, de deux approches. Voyons comment.

L’ « anticléricalisme » de Péguy

Sans hésiter le moins du monde et sans mettre le moindre bémol à son propos, Raïssa Maritain, dans Les grandes amitiés [63], indique, au sujet de Péguy, trente ans après ces événements : « Il était pris au piège de ce vieil anticléricalisme catholique, qu’il chérissait comme une tradition populaire française. L’écorce lui cachait la substance, les “curés” l’empêchaient de voir en profondeur l’Église et sa réalité surnaturelle. En définitive, c’est sur ce mystère de l’Église qu’entre Péguy d’un côté, Bloy, le P. Clérissac et nous de l’autre, l’opposition était foncière. » Opposition foncière ? Certes. Mais non pas entre Péguy et « le mystère de l’Église », (comme si les Maritain voyaient ce mystère que Péguy, lui, ne voyait pas) mais entre « l’Église » de Péguy et « l’Église » de Maritain.

L’anticléricalisme de Péguy (clairement affiché) est, à partir de 1909, avant tout théologique. Péguy n’est ni contre l’Église ni contre les sacrements. Il ne dissout pas l’Église dans une masse chrétienne plus large ; il ne fait pas appel à la prière contre les sacrements – contrairement à ce que Raïssa laisse penser [64]. Péguy s’en prend à une sclérose scolastique et une certaine déviance cléricale – qui toutes les deux donnent naissance à « l’ecclésiocentrisme » [65]. D’où ses réactions violentes contre les « curés » : « Ce qu’il y a d’embêtant, c’est qu’il faut se méfier des curés. Ils n’ont pas la foi, ou si peu. La foi, c’est chez les laïques qu’elle se trouve encore. Ils sont d’ailleurs très forts, les bougres. Comme ils ont l’administration des sacrements, ils laissent croire qu’il n’y a que les sacrements. Ils oublient de dire qu’il y a la prière et que la prière est au moins de moitié ! Les sacrements, la prière, ça fait deux. Ils tiennent les uns, mais nous disposons toujours de l’autre. Songe donc à ce que c’est qu’un signe de croix ! Quelle communion avec Jésus ! » [66]

Non seulement, (et nous allons développer ces points, à la lumière des textes de Péguy), comme le dit, avec pertinence, le P. Duployé, « ce n’est pas tant les curés en général que Péguy a rejetés en 1913 que les curés de Jacques et Raïssa Maritain » [67] mais, d’autre part, la conception du mystère de l’Église existe, chez Péguy et est, semble-t-il, autrement plus porteuse d’avenir que celle des Maritain. H. de Lubac fait de Péguy « un prophète de la fidélité », par opposition à Nietzsche, prophète de la rupture [68]. Et le P. Congar, qui reprend à l’égard de Péguy ce terme de « prophète », ajoute : « Il a éclairé beaucoup de choses à un niveau de profondeur exceptionnel » [69].

En réalité il ne s’agit pas d’opposer deux conceptions du mystère général de l’Église mais deux tempéraments, deux comportements chrétiens, deux façons d’être en chrétienté. Il est à noter que Péguy n’aurait, sans doute, rien eu à redire à la conception exposée par le P. Clérissac (mort, lui aussi, en 1914) dans son livre posthume Le Mystère de l’Église – édité en 1917. Pie Duployé indique qu’entre la conception de Péguy et celle du livre du P. Clérissac « il s’agit bien du même mystère d’une Église atteinte dans sa même réalité mystique » [70]. Dès lors les oppositions entre Maritain et Péguy, pour fortes qu’elles soient, restent, dans le fond, au sein d’une même conception générale de l’Église et de son mystère. Les différences sont, alors, d’un autre ordre – ce qui ne retire rien de leurs virulences. Différence quant à l’insertion de l’Église dans le monde ; différence de tempérament intellectuel ou de plus ou moins grande dépendance vis à vis d’un projet politique ; différence relative aux moyens à utiliser dans l’inscription de l’Église dans l’histoire d’ici et de maintenant.

Les fautes du parti dévot

Péguy s’attaque, dans ses écrits, au « parti dévot » auquel appartient, dans la catégorie des « clercs », Maritain et, dans la catégorie des « curés (clerici) », Clérissac. Que reproche-t-il à ce parti ? D’être responsable de « l’inchristianisation » (le défaut de la christianisation) du monde, car « les curés (clerici) ont perdu ce monde qui leur était confié », et que Péguy impute à « une faute de mystique », « à un désastre mystique », à une « déficience des clercs » : une méconnaissance de l’histoire, un mépris du temporel : « la règle a historiquement méconnu, ignoré le siècle » [71].

Simone Fraisse [72] indique que cette dénonciation vigoureuse, pour ne pas dire virulente, que l’on trouve dans Clio II, est liée, dans l’esprit de Péguy, au non possumus douloureux que l’Église (et Maritain en particulier) lui opposa à partir de 1907.

Ce parti des dévots a, pour Péguy, commis trois fautes 1/ mépris du temporel ; 2/ mépris de la grâce ; 3/ mépris des païens.

Le mépris du temporel incombe aux clercs. Ce sont eux qui ont ignoré le siècle (temporel) et ainsi ont commis, pour Péguy, une « impiété » [73]. Péguy se bat, alors, sur deux fronts : contre les curés ecclésiastiques, d’une part, qui nient la part de temporel de l’éternel, et, d’autre part, les curés laïques, qui, eux, de leur côté, nient la part d’éternel du temporel. Il faut pour lui maintenir l’opération mystique de l’Incarnation : l’emboîtement du temporel dans l’éternel et de l’éternel dans le temporel. Mais le combat, des deux côtés, n’est pas le même. Les curés ecclésiastiques sont plus dangereux (et leur faute plus pernicieuse) que les autres. Leur faute est une faute d’Incarnation, en refusant pleinement l’humanité du Christ (hérésie du docétisme [74]) ils refusent la part d’humanité d’une Église insérée dans un temps et un espace précis. Ils font comme si l’Église, une fois pour toute, était établie, depuis son fondateur (Jésus) et qu’elle n’avait pas besoin de recommencements successifs, de reprises temporelles, de pièces complémentaires, de recommencements temporels pour se maintenir. Ils font comme si l’inauguration par le Christ suffisait à alimenter le monde sans avoir besoin de s’y reprendre dans les différents moments de l’histoire des hommes. Il n’en est rien, nous dit Péguy. « La règle d’éternelle intention » (celle de Jésus, le Fondateur de l’Ordre) « monte comme un élan, une fois donnée, à travers les couches sédimentaires, horizontales, à travers les sédimentations des siècles, à travers les séculaires ../.. Elle monte comme une prière » [75]. Et elle a besoin d’incorporation successives dans le fil du temps pour conjuguer, période par période, couche historique après couche historique, l’unique et seule Incarnation – celle du Christ.

Et pire, ajoute Péguy, l’idée de ces clercs-là est que la création a été crée « à vide » [76], d’une éternité immuable, sans le temps, sans l’Histoire. Non seulement une création à faux, ce qui se soutient, mais à vide, ce qui retire au christianisme sa responsabilité vis à vis de l’histoire spirituelle de la création. Pour ces clercs, il y a coupure entre Création et Incarnation-Rédemption, et non, comme ce qui est au cœur de l’œuvre d’Irénée de Lyon, l’unité du vouloir divin. La Création et la Rédemption sont inséparables nous rappelle H. de Lubac [77]. Il n’existe pas, en Dieu, de volontés successives.

Mépris de la grâce et de son lent travail. Ces clercs, donneurs de leçons, (et qui ne font pas leur mea culpa « eux qui l’ont tant fait faire aux autres »), ont des « pieds d’éléphants » dans les jardins de la grâce. Ils donnent des conseils aux laïcs. Et précise Péguy, avec, sans aucun doute, en tête, les « conseils » de Maritain, « ce que sont ces conseils, nous ne le savons que trop » [78]. Ces conseils sont assenés aux chrétiens dans le monde, « aux pères de famille, aux hommes qui portent dans le siècle l’épreuve de la vie ». Mais, ce ne sont pas des conseils, mais « des enseignements ; mais des directions, mais des commandements ». Et encore si ces conseils ou ces enseignements épousaient le jaillissement incontrôlé, sinueux, lent, en dehors des formes, de ces grâces, de cette sève ancienne qui toujours pousse sur le vieil arbre, Péguy serait, sans doute, prêt à les accepter. Mais ce travail du clerc est d’une brutalité effrayante : « Le moins que l’on puisse dire, c’est que leur propre, le propre de ces interventions, est de contrecarrer toujours l’opération de la grâce ; d’en prendre toujours le contre-pied, avec une sorte de patience effrayante. Il marche dans les jardins de la grâce, avec une brutalité effrayante.  » De quoi s’agit-il ? De la brutalité de ceux qui plaquent sur une réalité encore embryonnaire, avec sa part embryonnaire d’ivraie et de bon grain, sur une réalité en incubation de grâce, des attitudes, des catégories, des schémas de pensée, d’une raideur formelle injuste – c’est à dire tout à la fois inopérante et disproportionnée. Péguy critique le manque de proportion dans le conseil, le manque d’émerveillement quant au travail de la vie de la grâce à l’œuvre dans l’âme d’un individu. Non pas un travail d’investissement spirituel à partir des pensées de chacun comme le préconise Sevère d’Antioche [79], mais une confrontation, un désir, avant tout, de conformation, ici et maintenant, d’une pensée libre (celle de Péguy) aux formes de l’Église. Péguy critique le fossé gigantesque entre les outils conceptuels de ces clercs et, à raz de terre, à raz de grâce, cette incubation pré-chrétienne. Lorsqu’il s’inscrit, de lui même dans la chrétienté, en 1907, sans renier un « atome » de son passé, Péguy invoque sa « préfidélité invincible », sa « jeune préfidélité aux mœurs chrétiennes, à la pauvreté chrétienne », « notre obstinée, notre toute naturelle, toute allante préfidélité secrète » qui, continue Péguy, constituait déjà « une paroisse invisible » [80]. Il conclut : « Nous avons pu être avant la lettre. Nous n’avons jamais été contre l’esprit ».

Péguy défend donc ces centaines de milliers de « paroisses invisibles » qui sont pré-chrétiennes, en devenir de fidélité chrétienne, et qu’une attitude trop catégorique (celle d’un Maritain, par exemple) pourrait perdre à tout jamais. Car, pour Péguy, le christianisme est, avant tout une « opération moléculaire, intérieure, histologique, un événement moléculaire, qui a souvent laissé intactes les écorces de l’événement » [81]. Et pour ces événements-là, une médication trop brutale peut écraser dans l’œuf tous germes chrétiens et provoquer un avortement de grâce.

Ce mépris de la grâce privilégie la lettre, toujours la lettre, au détriment de l’esprit qui lui, comme le dit Péguy, dans sa Tapisserie de Sainte Geneviève, dirige et travaille et donne la vie quand la lettre tue [82] :

Les armes de Jésus c’est la lettre et l’esprit,
Mais c’est l’esprit qui mène et l’esprit qui nourrit,
Et la lettre n’est là que comme un mot d’écrit ; (…)
La lettre est ce qui tue et l’esprit vivifie,
Et la lettre est la mort et l’esprit est la vie,
Et la lettre est l’orgueil et la lettre est l’envie ;
C’est l’esprit qui commande et la lettre qui sert.

Ce mépris de la grâce, doublé de l’orgueil des gens de la lettre, procède, selon nous, d’une triple tradition théologique (à ces trois traditions peuvent s’y opposer trois autres) :

1/ Première tradition : pour ces clercs-là, rien de ce qui se fait contre la lettre ne se fait par ignorance ou manque de maturité spirituelle mais par le clair désir de s’opposer à Dieu. Cette conception vient, en droite ligne, de l’idée augustinienne du péché originel selon laquelle la « faute d’Adam » est une fière et orgueilleuse révolte contre Dieu. Bien entendu, il faut opposer à cette tradition celle d’Irénée de Lyon [83] (mais aussi, celle, avant Irénée, de Théophile d’Antioche, de Clément d’Alexandrie) pour laquelle Adam était un enfant, dont les pensées étaient « pures et innocentes ». Le péché, dont Satan fût le « chef et l’investigateur » est avant tout, pour ces auteurs, une désobéissance qui s’explique par l’immaturité spirituelle des premiers hommes.

2/ Seconde tradition : celle d’une grâce qui se superpose à la nature en la rabaissant plutôt qu’elle s’y incorpore pour l’assumer et la transformer. Tradition de « l’extrinsécisme » (ainsi identifiée et combattue par Blondel [84]) ou d’une théologie « dualiste » (à deux étages) développée dans la scolastique à partir d’une interprétation de Denys le Chartreux et reprise par Cajetan, selon laquelle « nature » et « surnaturel » constituaient, chacun, un ordre complet, le second étant surajouté au premier. Ainsi, l’homme n’avait, de lui-même, aucun désir de voir Dieu. La destination surnaturelle de l’homme est surajoutée. Le P. de Lubac cite le P. Luyten : « Nous avons dû payer cher l’erreur de maintenir le surnaturel bien à l’abri du naturel. L’intention fut sans doute excellente : sauvegarder la pureté du surnaturel. Mais le résultat n’en a pas moins été catastrophique : nous nous étions isolés, retirés du monde, dans des ghettos où nous nous étions enfermés nous-mêmes ». Avec l’intention de maintenir la gratuité absolue, et pure du don divin, « voulant protéger le surnaturel de toute contamination », cette théorie dualiste, qui avait isolé le surnaturel « hors de l’esprit vivant comme de la vie sociale », laissa le champ libre à « l’envahissement du “laïcisme” » [85] (un retrait de toute responsabilité vis à vis du monde). Et le P. de Lubac précise que le Concile a heureusement rompu avec cette tradition et rétablissant un continuum [86], en particulier dans Lumen Gentium (n° 2), et une « conception plus organique, plus unifiée » [87] par la remise à jour de cette union, cet « admirable échange », entre surnaturel et naturel. En tenant compte de l’insistance, chère à Péguy, du couplage et de l’infusion de la grâce dans la nature, nous pouvons faire de Péguy un « précurseur de Vatican II » [88]. Cette infusion donne à l’histoire une dynamique spirituelle, de laquelle le chrétien est responsable – ce qui va à l’encontre des « fautes » du parti dévot. Vatican II, a, selon le P. Congar, consisté à « passer des structures extérieures et juridiques à ce qu’on peut appeler l’ontologie de la grâce ou le niveau de l’existence chrétienne » [89]. Qui mieux que Péguy n’a exalté cette « ontologie de la grâce » !

3/ Troisième tradition : La foi considérée comme une adhésion à un système théologique imposé par le haut. Maritain, dans une lettre aux frères Tharaud [90], définit, en langage thomiste, la foi comme « un acte de l’intelligence, mue par la volonté sous l’action de la grâce, et adhérant, sur le témoignage de Dieu, à des vérités dont le sens est strictement révélé ». Cette définition de la foi rejoint la vision traditionnelle d’une Église « pyramidale et cléricale » [91]. C’est à partir de cette définition de la foi que Maritain, en 1910, dira de Péguy qu’il a « horreur du joug intellectuel de la foi sans lequel il n’y a pas de vraie foi. » [92]. En décembre 1929, dans un entretien avec E. Mounier, il déclare qu’il y a chez Péguy « un antithéologisme très accusé, indéniable » [93] ce que reprendra Raïssa, quinze ans plus tard, dans les Grandes amitiés quand elle reprochera à Péguy sa « passion antithéologique ». Mieux vaudrait parler d’un anti-thomisme ou d’une anti-scolastique ce qui, considérant le climat de l’époque, reviendrait, de ce fait, à un antithéologisme de la théologie officielle. Dans un dialogue rapporté par les Frères Tharaud [94], Péguy aurait répondu à Maritain, qui voulait le convaincre des effets destructeurs de Bergson sur la foi catholique : « Je donnerais toute la Somme pour l’Ave Maria et le Salve Regina. On n’atteint pas la certitude par des raisonnements. (..) Votre Thomisme est une algèbre où je ne trouve rien pour mon âme. C’est de la pensée morte, le durcissement des artères, la sclérose du catholicisme ». Mais, pour Maritain, en soldat fidèle et obéissant, il faut être thomiste pour être catholique : « Les papes nous disent de prendre saint Thomas pour guide. Un catholique doit écouter le pape. Vous ne faites pas votre métier de catholique si vous n’écoutez le pape. » [95] Péguy, lui, serait lui plutôt de la tradition du logos spermatikos (Justin), de la semence du Verbe innée et enfouie dans tout le genre humain [96], d’une présence fragmentaire, voilée parfois, obscurcie sans doute mais inhérente à la nature de l’homme.

Mépris des païens. Ce mépris des païens, est dû, avant tout, aux « fondés de pouvoir de l’éternel » [97], qui ont ignorés, à la suite du mépris du temporel, tout ce qui n’appartenait pas à l’appareillage des clercs. Pourquoi ? Par esprit de division, par souci de bien séparer ce qui appartient, par avance, à l’éternel et ce qui appartient, à la masse de cette histoire comptée pour rien. Par souci de séparer le bon grain de l’ivraie. Par désir de ne pas mêler, par peur de contagion, les élus et les autres. Cette division, cette séparation, cette hiérarchie, cette protection, ce cordon de sécurité instauré tout autour des clercs sont, pour Péguy, un renversement de la règle instaurée par Jésus pour « nourrir mystiquement le siècle » et pour le sauver. Au début, dans les premiers temps du christianisme, le Christ était la source unique, sans division, sans séparation, sans partage, l’aliment du monde, de tout le monde, venu s’offrir à tous « par la parole et par le corps, par la chair et par le sang » [98]. Et cette foi toute pure, cette foi des origines, était comme celle du « climat de la grâce », de ces premiers moments de foi, du paradis terrestre où

Une foi sans symbole et sans inscription
Remontait toute seule aux pieds du créateur,
Comme une loi sans table et sans description
Se courbait sous les pieds de son législateur.
 
Quand on avait la foi dans ces premiers moments
On ne demandait pas des formules astreintes.
Quand on avait la loi sous ces premiers serments
On ne demandait pas des règles de contraintes.
 
Et quand on avait Dieu, dans ces premiers moments,
On ne demandait pas des formules restreintes.
Quand on vivait heureux sous ces premiers tourments,
On ne demandait pas des règles et des craintes. (Ève [99])

Puis fut instaurée, après le Christ, par les clercs, une séparation des pouvoirs, « qui fut plus que funeste », entre le séculier et le régulier. Et cette coupure « qui ne s’est point cicatrisée depuis », renversa « tout le mécanisme de la mystique » et instaura un mépris des païens pour permettre aux clercs d’éviter le monde, de fuir le siècle et de dominer les hommes. Telles furent les conséquences de ce « cloisonnement longitudinal ». Péguy développe l’engagement du père de famille. Engagement dans le temporel : «  Nul homme au monde n’est engagé dans le monde, dans l’histoire et dans la destination du monde autant que l’homme de famille, autant que le père de famille, aussi pleinement, aussi charnellement. » [100]. Et le curé, clericus, fait du père de famille, du fait de son insertion dans le temporel, « l’homme le plus éloigné de la règle et de la cléricature ».

*

Maritain appartient, sans conteste à ce parti dévot qui, par ses trois mépris cumulés, tend, dans le catholicisme, à mépriser le monde païen, à l’abaisser, à le dévaloriser pour mieux s’élever vers Dieu. Or, c’est une « erreur de calcul » : « Parce qu’ils n’ont pas la force (et la grâce) d’être de la nature, ils croient qu’ils sont de la grâce. Parce qu’ils n’ont pas le courage temporel, ils croient qu’ils sont entrés dans la pénétration de l’éternel. Parce qu’ils n’ont pas le courage d’être du monde, ils croient qu’ils sont de Dieu. Parce qu’ils n’ont pas le courage d’être d’un des partis de l’homme ils croient qu’ils sont du parti de Dieu. Parce qu’ils ne sont pas de l’homme, ils croient qu’ils sont de Dieu. Parce qu’ils n’aiment personne, ils croient qu’ils aiment Dieu. » [101]

Erreur que cette séparation entre le séculier et le régulier contraire à toute la « charpenterie » [102] de Jésus dans laquelle n’existait nulle séparation entre le siècle et la règle. Tout retournait au monde pour le nourrir et le sauver.

"L’ÉGLISE" DE PÉGUY...

Nous nous sommes des êtres réels. Nous sommes des pauvres êtres, de très pauvres êtres. Il y en beaucoup de plus beaux et de plus purs que nous. Il y en a, dit-on, de plus heureux. Il y en a innombrablement de plus saints. Il y en a de plus héroïques. Mais nous sommes des êtres réels, des hommes réels, assaillis de soucis, battus des vents, battus d’épreuves, rongés de soucis, acheminés à coups de lanières dans cette garce de société moderne.
Victor-Marie, comte Hugo [103]

Péguy, l’insurgé, en appelle à « l’âme charnelle » contre ce parti dévot, contre « l’appareil d’Église », contre l’orgueil des clercs. Mais ce procès, pour tranché qu’il soit, n’en reste pas moins dans les strictes limites de l’orthodoxie catholique. Péguy n’a jamais remis en cause le magistère du pape [104] à l’exception de l’Index (quand celui-ci interdit certaines œuvres de Bergson, en 1914) car, dit Péguy, « l’Index n’était pas dans le catéchisme » [105]. Son attachement à la liturgie est grand et, conclut J. Bastaire quant aux fidélités catholiques de Péguy : « Péguy professe la foi chrétienne telle qu’elle est vécue et enseignée par l’Église catholique romaine » [106]. Et le P. de Lubac, lui aussi, reconnaît le plein catholicisme romain de Péguy [107]. Quant à Maritain, trente ans après le début de ces événements, sur la défensive, il reconnaît (un peu tard à notre goût), dans un échange de lettres avec sa mère, que la foi de Péguy était catholique : « C’est défigurer Péguy que de passer sous silence ce qu’il y avait de profondément, d’irréductiblement catholique en lui. (...) Péguy était un anarchiste et un anticlérical dont la foi (je ne dis pas l’obéissance), dont la foi catholique était entièrement sincère et d’une admirable profondeur. » [108] Péguy, dans toute cette aventure, ne fut entraîné ni dans le camp des modernistes ni dans celui des thomistes et restera, pour toujours : « un fils demi-rebelle, indocile de son vivant, facile à récupérer après sa mort » selon la belle expression de Simone Fraisse [109].

Fidélité à Charlotte, fidélité au temporel

Toute la difficulté tient à sa situation conjugale et à la position singulière qui fut la sienne au porche de l’Église : Péguy fut privé des sacrements. Et cette privation fut tout à la fois une conséquence de sa situation matrimoniale et un choix : « Je ne vais jamais à la messe. Cela serait trop violent pour moi. J’entre à l’église pour prier, mais c’est toujours avant la messe. » [110] Dans ses confidences faites à Joseph Lotte, en septembre 1912, il indique, avec un mélange de résignation et de fierté : « Je vis sans sacrements. C’est une gageure. Mais j’ai des trésors de grâce, une surabondance de grâce inconcevable. J’obéis aux indications. Il ne faut jamais résister. » [111]

Ne croyons pas que Péguy « excommunié » (à ne pas confondre avec un « ex-chrétien », en ceci que « l’excommunié est chrétien » [112]) soit resté en dehors du mystère des sacrements. Au contraire, tout au contraire. Tel est le point essentiel sur lequel nous voudrions insister. (Ce qui permettra de regarder d’une autre façon le combat de Maritain pour le respect des formes chrétiennes.) C’est pour avoir une claire conscience des sacrements et de ce qu’ils supposent que Péguy resta, quoi qu’il lui en coûtât, dans la situation affective et matrimoniale qui fût la sienne – situation instable et douloureuse. Il resta fidèle à Charlotte, son épouse, par fidélité à son engagement civil (et donc temporel) ; il ne trompa pas son épouse, conscient, plus que d’autres, de ses responsabilités vis à vis de ses enfants ; il ne voulait pas se servir de l’éternel (l’Église) pour contredire le temporel : nouer son mariage dans un engagement chrétien qui n’aurait pas été conforme au désir de Charlotte, se marier avec Blanche et en ne tenant, ainsi, aucun compte de son engagement antérieur avec Charlotte. Il avait promis ; il s’était engagé. Son engagement l’engageait dans le temporel et aussi pleinement dans l’éternel : « Tout d’un coup il pense à sa femme qui est restée à la maison, À sa femme qui est sa bonne ménagère, Dont il est l’homme devant Dieu. » [113]. S’il avait adopté l’une ou l’autre de ses attitudes, il aurait commis une faute du « parti dévot » tant critiqué. Allait-il être hypocrite et, comme la sœur de Maritain, obtenir une dispense formelle de l’Église (sanatio in radice) alors que celle-ci ne correspondait pas, dans le cas de Jeanne Maritain-Garnier ou dans le sien, au désir des deux parties, à la volonté expresse, au consentement explicite et chrétien des deux membres du couple ? Non. Il devait, coûte que coûte, « tenir l’honneur » – ainsi qu’il l’évoque dans sa Prière de confidence à la Notre-Dame de la cathédrale de Chartres. Et dans sa Prière de demande [114], demande-t-il, pour lui, que « la page écrite soit jamais effacée au livre de mémoire » ou « qu’une âme fourvoyée » (la sienne) « soit jamais replacée au chemin du bonheur » ? Non. Ni oubli, ni effacement. Seule la fidélité. Son christianisme est, comme nous l’avons vu, une reprise de sève, une révolution, une fidélité d’approfondissement, un recentrement vers un centre (le Christ) plus profond, plus vivant. Il critique, avec virulence, ceux qui, dans le christianisme, sépare l’éternel du temporel et s’arrangent avec le premier au nom de l’œuvre du second. Non, Dieu ne vient pas se plaquer sur une réalité qu’il mépriserait. Nous, gens de ce monde, chrétiens, sommes en infusion, en emboîtement, en ajustement, en mélange sans confusion, en dynamisme de vie. D’une vie première vers une autres plus profonde. Il ne faut pas, alors, que cette divinisation se fasse au nom d’une nature qui aurait été méprisée. Avant tout Péguy fait confiance au travail de la Grâce qui n’a pas besoin de l’abaissement de la nature pour s’imposer : « La grâce s’élèvera de toute sa hauteur au-dessus de la nature, sans que la nature ait été frauduleusement abaissée » [115]. Alors, au nom de tous ces combats, pour demeurer cohérent avec l’idée qu’il se fait du christianisme, Péguy restera fidèle à son épouse – même si cette fidélité l’éloigne des sacrements et de son amour charnel, platonique et dévastateur pour Blanche. « Ô reine il nous suffit d’avoir gardé l’honneur », « nous ne demandons... Reine que de garder sous vos commandements, une fidélité plus forte que la mort ». Et si dans cette Prière de demande, il n’est question, pour lui, que de fidélité, dans la cinquième prière à la Vierge, Prière de déférence [116], qui ne sera publiée qu’après sa mort, Péguy atteste qu’il se maintient sans fléchir dans cette fidélité obstinée (fidélité à la fidélité et non seulement à Charlotte ; fidélité à sa vocation [117]) malgré « les amis détournés », les « coups de fortune » et les « coups de misère ». Mais surtout (et Péguy pense ici, sans aucun doute, à Maritain) «  tant de malendurance et de brutalité / N’ont point laïcisé ce cœur sacramentaire.  »

Le cœur et les sacrements

Tout est dit : à la brutalité de Maritain s’oppose le « cœur sacramentaire » de Péguy. À la brutalité de celui qui veut faire passer Péguy par les sacrements formels, en brusquant les sentiments de son épouse, s’oppose le premier de tous les sacrements : le cœur, où l’homme s’unit à Dieu et où Dieu fait entendre sa voix, le cœur d’inquiétude – et dont l’inquiétude ne s’arrêtera que quand il reposera en Dieu, selon la formule d’Augustin.

Et pourquoi faudrait-il que Péguy soit fidèle à son « cœur sacramentaire » et que ce dernier ne soit pas réduit à l’état laïc, et ne soit pas déconnecté de tout emboîtement avec l’éternel ? (Les brutalités de Maritain auraient pu, donc, opérer cette séparation du cœur de Péguy d’avec Dieu.). Par un étrange renversement de perspective, c’est précisément au nom des sacrements que Péguy reste dans l’état qui est le sien et ne répond pas, avec autant d’empressement que souhaité, aux sollicitations impérieuses, pour ne pas dire comminatoires, de Maritain. Péguy, dans de belles pages sur les sacrements [118], (et que H. Urs von Balthasar juge « juste ecclésialement » [119]) insiste, en tout premier lieu, sur le caractère « indélébile » du christianisme et, par là même, des sacrements. « Tous ces sacrements sont indélébiles ». Les sacrements prennent date, ils ouvrent, au ciel, des registres : ceux, par exemple, des baptisés et des mariés. « Les registres ouverts ne se ferment plus, jamais, jamais en éternité temporelle ; jamais non plus en éternité éternelle » ; « sur les registres de Dieu, les noms ne s’effacent pas ». Péguy oppose cette idée chrétienne que « l’irréversibilité ne se reverse pas » à l’idée moderne qui prétend tout recommencer « quand elle veut, comme elle veut, à son gré, à son caprice (...) qui veut toujours tout reprendre, d’une main, et tout refaire, notamment le mariage ». Un mariage ne se reprend pas. Péguy ne reprendra pas le sien. Et à la fin de ce Long dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle, Péguy insiste sur la communion de tous avec tous : « tout est lié à tout et à tous entre soi et ensemble, en même temps, tout cela est lié au corps du Christ » [120]. Alors il ne faut pas croire que le péché d’un seul (le sien, par exemple, s’il était parjure à son serment de fidélité) resterait isolé : d’une part il serait irréversible ; d’autre part il aurait un retentissement éternel.

Mais cette fidélité au « cœur sacramentaire » est aussi une fidélité à la morale du cœur, plus exigeante, encore que les morales « raides » (celle des règles apparentes). A la fin de ses Notes sur M. Bergson et la philosophie bergsonnienne, d’avril 1914 [121], Péguy indique que les morales raides « sont infiniment moins sévères que les morales souples » en ceci qu’elles peuvent laisser échapper « les replis du péché » : « c’est la raideur qui triche ; (...) c’est la souplesse qui ne triche pas (..) et qui ne laisse pas tricher ». Alors, s’en prenant à l’habitude et défendant la souplesse préconisée par Bergson (souplesse des méthodes, des logiques, des morales), Péguy conclut que : « Ce sont les morales souples (..) qui exigent un cœur perpétuellement tenu à jour. Un cœur perpétuellement pur. Nous nous sommes lavés d’une telle amertume. » Cette référence, tout à la fin du texte, à la Prière de résidence dans la cathédrale de Chartres [122], renvoie, en sourdine, à son combat conjugal et son opposition à l’attitude rigoriste de Maritain. La souplesse de la morale conduit à la remise en ordre permanente et à la pureté du cœur.

La grâce à l’œuvre

Et cette fidélité pour la fidélité, ce souci du « cœur sacramentaire », cette liaison intime entre tous, cette morale souple du cœur, permettent d’approcher les articulations d’ecclésiologie sur lesquelles Péguy insiste. Elles reposent toute sur cette confiance absolue dans l’œuvre de la grâce – toujours à l’œuvre. Et, a contrario, Péguy s’en prend à la sécurité mystique des curés qu’il dénonce : « Les catholiques sont vraiment insupportables dans leur sécurité mystique. Le propre de la mystique est au contraire une inquiétude invincible. S’ils croient que les saints étaient des messieurs tranquilles, ils se trompent. » [123] Indiquons ici, seulement, certains éléments (qui s’opposent terme à terme à la conception défendue, à l’époque, par Maritain) et qui sont annonciatrices de l’inspiration et de l’œuvre du concile Vatican II [124].

Nouvelle approche chrétienne vis à vis du monde païen. Plutôt que de rester claquemuré dans ses certitudes, Péguy, pour retrouver cette source mystique première (celle du Christ), en appelle à une inversion de dépendance vis à vis du monde païen. Il ne s’agit pas seulement d’aller vers les incroyants, de porter la Bonne Parole, mais, en profondeur, que les chrétiens, sur le modèle du bon pasteur à la recherche de la brebis perdue, se mettent sous la dépendance des païens : « Celui qui aime entre dans la dépendance de celui qui est aimé et ainsi Dieu même entre dans la dépendance de celui qu’il veut gagner. » [125] Il n’est pas question de disparaître dans le monde (en y perdant son âme) mais d’être responsable du charnel pour la part de spirituel qui lui fait défaut, du temps pour la part d’éternité qui lui fait défaut, du corps pour la part d’âme qui lui fait défaut, de l’Église pour la part de fidélité qui lui fait défaut. Péguy invite à un « retournement de la création » en ceci que le « Créateur, à présent, dépend de sa créature » [126]. Et ce qui est vrai pour Dieu vis à vis de sa création l’est, tout autant, du monde chrétien dans son ensemble : « il faut que tout le monde chrétien entre ainsi dans la dépendance du monde païen » afin que ce dernier ne s’en retourne pas indemne « et sans une certaine blessure » [127]. Nous sommes loin de la conception de Maritain qui, à cet égard, est, vis à vis de Péguy, un parfait représentant de l’Église qui fut liquidée par Vatican II et que le P. Congar définit par « l’inconditionnalité du système » : « J’entends par “système” tout un ensemble très cohérent d’idées communiquées par l’enseignement des Universités romaines, codifiées par le droit canon, protégées par une surveillance étroite et assez efficace sous Pie XII, avec comptes rendus, rappels à l’ordre, soumission des écrits à des censures romaines, ... » [128]. Avec Péguy, le berger n’est pas, avant tout, responsable du troupeau, des fidèles, mais des brebis perdues. Et cette inversion, cette responsabilité sans raison, cet élargissement aux limites du monde, implique, en contre partie, une autre forme de dialogue.

Au regard des attitudes de Maritain et Péguy, nous voyons, ici, deux types opposés de dialogue avec le monde païen – et qui se retrouve tout au long de l’histoire du christianisme. Péguy, dans sa Note sur M. Descartes et la philosophie cartésienne [129] en juillet 1914, oppose deux attitudes différentes : celle relative au duel et celle relevant du désir de domination par la volonté.

Ces deux attitudes sont celles de deux « races » de pensée, d’observance et de fidélité. L’une des races procède du duel « où tout tend à la beauté du combat », à l’honneur de la chevalerie et qui « étant pour l’honneur est tout de même pour l’éternel ». L’autre race procède de la domination, où la victoire est recherchée pour elle-même, même si elle est déshonorante, pour la soumission de l’adversaire à sa propre volonté « et qui étant pour la domination est uniquement pour le temporel ». D’une part le duel cherche à faire prévaloir, dans le respect des règles, par la conviction du plus fort, les idées de l’un sur celles de l’autre. D’autre part, la domination cherche à soumettre l’adversaire par la force avec une visée impérialiste.

La philosophie du duel ou celle de l’écrasement sont aussi deux approches chrétiennes face au monde païen : « Quand le chrétien est en présence du païen », précise Péguy, qui penche, cela va sans dire, du côté du duel, « quand le chrétien entre en comparaison avec le païen,(...) il ne suffit pas que le chrétien vainque en lui-même et pour lui-même (...) et même qu’il vainque pour Dieu. Il faut encore, en outre, qu’il vainque pour l’autre (...) dans le système de l’autre. » Cette politique d’une haute image chrétienne donnée au monde païen fût, pour Péguy, celle de Saint Louis et aussi de Jeanne d’Arc qui voulait, dans sa « juste guerre » et son « combat d’honneur », « et un combat de Dieu et un combat de chevalerie », avoir raison, aussi, par cette sommation faite aux Anglais, « avec l’ennemi et devant l’ennemi » [130].

Un Christianisme-peuple. Cette attitude de dialogue avec les païens et cette inversion de dépendance sur le modèle du bon pasteur, permettent à Péguy, dans son attaque contre Fernand Laudet, de définir l’Église, celle qu’il appelle de ses vœux, « un christianisme peuple, directement sorti du peuple » [131] qui serait tout à la fois celle de la paroisse et celle du catéchisme.

De la paroisse : « Je suis l’homme dans la paroisse et d’ailleurs il est bien évident que la profonde unité de tous ces mystères c’est qu’ils sont le christianisme dans la paroisse » [132]. Et même si cette paroisse, lieu théologique central, est chez Péguy, pour partie imaginaire (croisement entre la paroisse de Domrémy, pour Jeanne d’Arc et celle de son catéchisme à Saint-Aignan) elle au cœur de toute sa théologie. La paroisse de toutes les solidarités locales et du compagnonnage chrétien ainsi qu’elle est exalté dans la Tapisserie de sainte Geneviève [133] :

Les armes de Jésus c’est la belle paroisse
Assise au cœur de France et c’est la noble angoisse
du curé soucieux que son troupeau recroisse ; (...)
 
Les armes de Jésus c’est tous les cœurs païens :
Pourvu qu’on les baptise et les rende chrétiens,
il en fait les plus purs de tous ses paroissiens

Du catéchisme aussi : « au fond je ne sais que ce qu’il y avait dans mon catéchisme, quand j’étais petit. » [134]. Maritain, en 1937 reconnaît lui même, après coup, cette foi centrée sur le catéchisme : « Péguy a maintes fois proclamé sa fidélité absolue au catéchisme, c’est-à-dire à l’abrégé de tous les dogmes de l’Église. » [135]

Maritain défend une conception étroite de l’Église (celle d’une entrée obligatoire par les seuls sacrements) ; Péguy, lui, défend, avec la paroisse et le catéchisme, une conception plus large, « le corps du Christ est plus étendu qu’on ne pense » [136]. Une Église qui part du « cœur sacramentaire » et s’étend au monde, par delà les distinctions limitatives entre séculier et régulier. Personne, mieux que H. Urs von Balthasar n’a vu, avec autant d’acuité, cette tentative, par Péguy, de renvoyer l’Église dans le monde. « Il se tient dans et hors de l’Église, il est Église in partibus infidelium, donc là où elle doit être. Il l’est grâce à un enracinement dans les profondeurs, où monde et Église, monde et grâce se rencontrent et se pénètrent jusqu’à être indiscernables . » [137] Cette conception large de la catholicité (« est catholique, écrit par ailleurs, le P. Balthasar, ce qui embrasse tout, ne laisse rien en dehors. » [138]) concerne, avant tout, le salut de tous. Daniel Halévy indique, au sujet de son ami, que « ce qu’il appelle l’Église, c’est l’ensemble des vivants qui espèrent le salut et des saints qui l’ont obtenu. » [139] D’où. l’idée, chère à Péguy « que la géographie, la carte du catholicisme, de l’Église ne recouvre pas la carte des créatures graciées. Je connais des juifs qui ont des grâces étonnantes. » [140] Cette idée est celle d’une présence active du Verbe en dehors des structures visibles de l’Église – doctrine traditionnelle mais, souvent, oubliée et que le Concile (Lumen gentium, 16) a remis à l’ordre du jour. « Les théologiens, écrit le P. Congar en 1968, reconnaissent de plus en plus qu’il y a des grâces de Dieu en dehors des limites assignables de l’Église et que, de ce point de vue là, les frontières entre l’Église et le monde n’ont pas le caractère défini et fixe qu’on a pu croire parfois. » [141]

Cette conception pleinement catholique de l’Église (qui rejoint la théologie de la mission) suppose, dans son dialogue avec le monde, de reconnaître la vertu sous toute ses formes (« Dois-je me contrister, dit l’histoire, pour plaire à quelques misérable dévots, que Dieu revienne par où je le l’attendais pas. » [142]), de maintenir de la souplesse pour maintenir l’élan créateur : « Nulle éternité de fondation ne garde que la fondation ne soit en un certain sens dans le siècle, que l’éternité ne soit en un certain sens dans le temps » [143] Le Christ est ainsi « non point un fondateur par la pierre et par la loi, mais, sur cette pierre, un fondateur par l’esprit et par la loi » [144]. Elle implique aussi, de maintenir, vivace, la sainteté, les floraisons de sainteté qui « partie de l’humanité, fondée sur l’humanité elle se retourne et que c’est encore elle qui nourrit l’humanité » [145].

Dans le fond, quelle fut la plus grande faute de Maritain ? L’impatience [146] ou pour mieux dire, l’impatience des propriétaires. La famille de Péguy était moins entêtée qu’il ne le pensait. Encore fallait-il lui accorder du temps et des épreuves. Trois des quatre enfants de Péguy furent baptisés, en 1925, par Mgr Batiffol et, en 1926, Charlotte Péguy reçut, elle aussi, le baptême. L’aîné des fils, Marcel, devint protestant. Et pendant cinquante ans Charlotte Péguy, à partir de 1916 fit, chaque année, comme le lui avait demandé son mari, un pèlerinage à Chartres. Comme quoi, il faut toujours faire confiance au travail de la grâce : « Il y a peut-être des prières qui sont mal adressées et qui arrivent bien, tout de même. » car « toujours une lumière veille qui ne sera jamais mise sous le boisseau. » [147]

Le P. Congar [148], dans un article consacré au livre du P. Duployé, indique, au sujet de Péguy, qu’ « On peut avoir la réalité de la grâce en dehors d’une pratique effective des “formes sacramentaires” ; on peut s’attacher à la réalité de la grâce plus qu’à la vérité de ses moyens. Péguy a retrouvé la communion des saints sans passer par les sacrements. » Car, l’impatience de Maritain (faute contre l’infinie confiance de Dieu) reposait, en fait, sur une appropriation statique de Dieu. Or, les sacrements sont faits pour conduire toujours au-delà des sacrements ; de même nous devons toujours savoir (ce que Maritain oublia) que la connaissance de Dieu est imparfaite et que Dieu est toujours au delà de l’idée que nous nous en faisons. L’explication des vérités de foi est approximative – même si la foi en Dieu, elle, n’est pas relative. Ainsi, le P. de Lubac indique, dans son livre sur Pic de la Mirandole [149], « dans aucun esprit la foi ne se maintient jamais en parfait équilibre avec la pensée qu’elle met en mouvement ; entre elles deux, comme on l’a dit à propos de Péguy, c’est une symbiose qui s’établit, non une synthèse achevée, une harmonie statique, si bien qu’un procès de tendance est toujours possible. »

Cette appropriation statique (celle de Maritain) relève, dans le fond, de l’habitude qui, toujours dans l’Église, sclérose la charité en devoir à respecter, la foi en dogmes, la prière en répétition, la morale chrétienne en code à suivre à la lettre. Toujours il y aura une Église de l’habitude et une Église de l’émerveillement ; une Église de la routine et une Église des commencements juvéniles toujours à refaire. Péguy, lui, réalise « une ouverture vers une théologie totale de l’espérance » [150] en ceci qu’il fait de « la jeune et l’enfant espérance » (« la contre-habitude » [151] par excellence, la « contre-mort ») ce qui maintient la nouveauté en l’homme et sa jeunesse spirituelle permettant, ainsi, à la liberté de l’homme de s’articuler sur la grâce « pour la vie éternelle et le salut ». Car sans l’espérance, « la Foi aurait pris l’habitude du monde et sans elle la Charité aurait pris l’habitude des pauvres. Et ainsi la Foi sans elle et sans elle la Charité auraient pris chacune de son côté l’habitude même de Dieu. » [152]

Or, par un renversement propre à Dieu, nous devons nous placer dans l’Espérance qu’Il a pour nous. Telle est la grande leçon de Péguy.

Dieu nous fait espérance. Il a commencé. Il a espéré que le premier des pécheurs,
Que le plus infime des pécheurs au moins travaillerait quelque peu à son salut,
Si peu, si pauvrement que ce fût.
Qu’il s’en occuperait un peu.
Il a espéré en nous, sera-t-il dit que nous n’espérerons pas en lui.
Dieu a placé son espérance, sa pauvre espérance en chacun de nous, dans le plus infime des pécheurs. Sera-t-il dit que nous infimes, que nous pécheurs, ce sera nous qui ne placerions pas notre espérance en lui. [153]
BIBLIOGRAPHIE

Les œuvres de Charles Péguy dans la Bibliothèque de la Pléiade :
A  : Tome I de l’édition Robert Burac.
B : Tome II de l’édition Robert Burac.
C  : Tome III de l’édition Robert Burac.
D : Œuvre en prose, 1909-1914, avant-propos et notes par Marcel Péguy, 1961.
E : Œuvres poétiques, 1948.
L.E. : Lettres et entretiens, Cahiers de la Quinzaine, 1927.

I/ Références principales :
PPE : Péguy au porche de l’Église, Cerf, 1997, préface de Jean Bastaire.
Maritain, (Raïssa), Les grandes amitiés, 1949.
Burac, (Robert), Charles Péguy, la Révolution et la grâce, Robert Laffont, 1994.
Duployé (Pie), La religion de Péguy, Klincksieck, 1965.
Bastaire, (Jean), Péguy l’inchrétien, Desclée, 1991.
Balthasar (Hans Urs von), la Gloire et la croix, 1972, II Styles, T. II, p. 277-379

II/ Références secondaires :
Rolland, (Romain), Péguy, Albin Michel, 1944.
Tharaud, (Jérôme et Jean), Notre cher Péguy, Plon, 1926.
Guillemin, (Henri), Charles Péguy, Seuil, 1981.
Mabille de Poncheville, (A) Jeunesse de Péguy, Éditions Alsatia, 1943.
Massis, (Massis), Maurras et son temps, Paris, 1961.
Halévy, (Daniel), Charles Péguy et les Cahiers de la quinzaine, Payot, 1918.

Damien Le Guay, né en 1961. Licence de droit, ancien élève de l’I.E.P. de Paris. Prépare un doctorat en philosophie à Caen, avec Luc Ferry. Collaborateur de la revue Communio.

[1] Péguy, Œuvres poétiques, Pléiade (E. p. 234). Les références bibliographiques sont précisées à la fin du texte.

[2] PPE (Péguy au Porche de l’Église). p. 8.

[3] Cf. Burac, 1994, p. 165-167.

[4] B. p. 456.

[5] A. p. 1903.

[6] Cf. Burac, 1994, p. 214.

[7] L.E. p. 57.

[8] Burac, p. 215.

[9] Le livre de Renan, L’avenir de la Science, 1848, est, pour Péguy, le livre fondamental du monde moderne.

[10] Duployé, p. 381.

[11] Introduction de Jean Bastaire, PPE, page 9.

[12] Mabille de Poncheville, p. 31.

[13] PPE. p. 11.

[14] Cf. Burac, page 85.

[15] Charlotte et Charles Péguy eurent un dernier enfant, Charles-Pierre, né, le 4 février 1915, après la mort de son père. Lui non plus ne fut pas baptisé à sa naissance.

[16] Burac, p. 88.

[17] Expression de Louis Gillet, cité par H. Guillemin, Péguy, 1981, p. 405.

[18] Burac, p. 201.

[19] Propos rapporté par les frères Tharaud, in Guillemin, p. 406.

[20] Les situations matrimoniales de Jeanne Maritain et Péguy se ressemblent sur bien des points. Sœur de Jacques, de deux ans plus jeune que Péguy, Jeanne Maritain (dont Ernest Psichari avait été follement amoureux avant qu’elle ne se marie) épousa civilement, en 1903, Charles-Marie Garnier (futur collaborateur des Cahiers de la Quinzaine) et, à la même époque que son frère, elle se convertit au catholicisme. Et, malgré le baptême de sa fille, Eveline, en 1906, (qui se fit à l’insu de son mari) elle rencontra toujours, chez son mari, une opposition ferme quant à sa pratique catholique. Elle obtient, en 1907 la sanatio in radice (la guérison dans la racine), c’est à dire la validation religieuse de son mariage civil. Elle put, ainsi, communier et, en 1908, reçut sa confirmation. Tout cela n’empêcha pas, avant la première guerre, un divorce – bien que les raisons religieuses ne furent pas les seules causes de cette séparation. Péguy fera avec Geneviève Favre (venue par amitié), Jeanne Garnier et sa fille Eveline, son troisième pèlerinage à Chartres, à Pâques 1914. (Cf. J. Bastaire, Prier à Chartres, p. 63). Maritain indique (PPE. p. 222-223) que la conversion de sa sœur se fit en parallèle de la sienne.

[21] Cité par les frères Tharaud, Notre cher Péguy, 1926, T II p. 42.

[22] Burac, p. 208. Grand ami de Péguy, Charles Lucas de Peslouan, né en 1878, fut un camarade de Péguy au collège Sainte Barbe et soutint financièrement, par la suite, les Cahiers de la Quinzaine.

[23] . Les Maritain évoquent ce « secret » ignoré d’eux, à cette époque, dans les Grandes amitiés, p. 239-241 et indiquent que « dans cette épreuve, la loyauté de Péguy ne fléchit pas ».

[24] Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle (texte posthume), C (édition Burac), p. 661.

[25] J. Bastaire, Prier à Chartres avec Péguy, DDB, 1993, p. 37. Voir, sur Blanche Raphaël, Burac p. 206-208, Guillemin, p. 404ss.

[26] La gloire et la croix, II, Styles, II, p. 289-290.

[27] E. p. 698.

[28] PPE. p. 31, 58, 59, 66, 129.

[29] PPE. p. 136.

[30] PPE. p. 130, 141, 142.

[31] Tharaud, T II, p. 98-102.

[32] PPE. p. 220-230.

[33] Duployé, p. 386.

[34] Cahier des amitiés Charles Péguy (CACP), 10-12/1988, p. 238.

[35] PPE. p. 167-169, 179, 181.

[36] . PPE. p. 231.

[37] Cf. Pie Duployé, p. 390-391.

[38] « Il ne faut marcher avec personne. J’ai les raisons personnelles les plus graves pour ne pas accepter qu’on me confère aucune grandeur, même de l’ordre spirituel », disait Péguy aux frères Tharaud (cf Tharaud, T II, p. 147.)

[39] Sur le nationalisme de Péguy, voir en particulier, Eric Cahm, « Péguy et le nationalisme français », CACP, 1972, et Géraldi Leroy, Péguy entre l’ordre et la révolution, Presse de Sciences-Po, 1981. Quant à l’attitude de Maritain durant la Première Guerre mondiale, elle ne fut pas dictée par un farouche patriotisme. La guerre éclata lorsque les Maritain venaient juste d’arriver à l’île de Wight pour rendre visite aux bénédictins de Solesmes. Malgré des rappels à l’ordre, patriotiques et véhéments, de sa mère, Maritain, sous des prétextes fallacieux, reste en Angleterre jusqu’en octobre 1914. Un premier conseil de révision confirme son exemption. Et durant les trois premières années de guerre il enseignera à l’Institut Catholique et ne sera incorporé qu’en avril 1917, dans un régiment à Versailles, mais sera réformé en août 1917 (à cause des séquelles d’une pleurésie !), sans avoir été (me semble-t-il) au front. (Cf. J.-L. Barré, Jacques et Raïssa Maritain, les mendiants du ciel, 1996, p. 181-185). Tandis que toute une génération se bat et meurt dans les tranchées (mort de Péguy, Psichari, Fournier et de millions d’autres), Maritain, lui, enseigne et conclut doctement, du haut de sa chaire, que la race ne sera sauvée que si elle « prend parti pour saint Thomas contre Kant » et restaure une civilisation « purement, intégralement catholique »( !).

[40] D.(Fernand Laudet) p. 1054.

[41] R. Rolland, Péguy, 1944, T II, p. 211.

[42] Burac, p. 170.

[43] A. (édition de Burac), p. 1305. La révolution dont il est question est historique mais s’applique parfaitement au domaine spirituel.

[44] Tharaud, tome II, p. 176. La conversion de Psichari mit en fureur Péguy. C’est lui, Péguy, qui fut, d’une certaine façon, à l’initiative de son entrée dans le christianisme mais c’est Maritain (et le P. Clérissac) qui lui firent faire son baptême. Péguy considéra Psichari, rallié à la cause de Clérissac, comme « perdu ».

[45] . Maritain, p. 231.

[46] . Maritain, p. 201, 90, 376.

[47] Avant propos de la traduction anglaise de la Philosophie bergsonienne, en 1954, cité par J.-L. Barré, p. 176.

[48] Selon ce qu’en dit Raïssa. (Cf. Jean-Luc Barré, p. 176.)

[49] Essai sur les données immédiates de la conscience, Matière et Mémoire, et l’Évolution créatrice.

[50] « Une intrigue savamment ourdie se poursuit en ce moment pour l’entrée d’un juif à l’Académie française en la personne du philosophe Bergson... Bergson est un juif militant.. C’est le juif d’endormement idéologique » (27/01/1914) ; « L’avertissement solennel des Évangiles sur les faux prophètes, qui viennent à nous revêtus de peaux de brebis et qui sont des loups ravisseurs s’applique en tous points au Juif Bergson... La manœuvre que la juiverie tente actuellement avec un philosophe... est que Bergson entrât à l’Académie non comme juif mais comme penseur... C’était le point le plus sensible et le plus important de l’intrigue. C’est pourquoi nous nous appliquons à la déjouer. » (30/01/1914) ; « Tout Israël a les yeux fixés sur cette élection considérée par cette race ennemie de la nôtre comme un épisode de la guerre franco-juive » (12/01/1914).

[51] . Massis, Maurras et son temps, 1961, p. 121-122.

[52] Id.

[53] Le thomisme militant de ces années, dont le développement fût encouragé par Rome, visait, clairement, à lutter contre le modernisme sous toutes ses formes. En 1910 Pie X demande à tous les évêques et les maître généraux des ordres religieux de garder les principes de la philosophie « posée par saint Thomas (...) contre les erreurs matérialistes, monistes, panthéistes, socialistes et les diverses formes de modernisme ». Rome impose la signature d’un serment anti-moderniste. A partir de 1914, Pie X avait ordonné de suivre les principes de St Thomas et toujours en 1914 un groupe de thomistes rédigea 24 thèses thomistes, approuvées par Rome et auxquels il était demandé d’adhérer. Lors de la publication de son livre contre Bergson, Maritain reçut de nombreux encouragements de la part de Maurras (qui salue le courage « d’un jeune philosophe catholique brillamment connu ») et des plus hautes autorités ecclésiastiques dont le cardinal Pacelli, futur Pie XII et le pape lui-même. (Cf. Jean-Luc Barré, p. 176). Et il est indéniable que cette attaque en règle contre Bergson « lança » la carrière universitaire de Maritain. C’est à l’intervention, note Jean-Luc Barré, p. 178-179, du cardinal Lorenzelli, préfet de la Congrégation des Études à Rome, que Maritain, contre l’avis du recteur de l’Institut catholique, Mgr Baudrillart, doit d’accéder, en juin 1914, à la chaire d’histoire de la philosophie moderne. Et, en 1917, il recevra le titre de docteur des Universités romaines pour lui permettre d’obtenir le rang de professeur titulaire.

[54] Texte de 1972, in PPE p. 231.

[55] Le 20 décembre 1926 Pie XI condamne officiellement l’Action française et interdit aux catholiques d’adhérer à ce mouvement « dont les écrits, en s’écartant de nos dogmes et de notre doctrine morale, ne peuvent échapper à la réprobation »

[56] Cité par J.-L. Barré, p. 141, p. 341-342.

[57] . Expression de Philippe Bénéton, cité par Jean-Luc Barré, p. 341.

[58] J.-L. Barré, id., p. 341, 361.

[59] Commentaire du P. de Lubac, Lettres de Etienne Gilson au P. de Lubac, Cerf, 1986, p. 27.

[60] Selon l’expression du P. de Lubac, id., p. 86.

[61] H. de Lubac, Mémoires sur l’occasion de mes écrits, Culture et Vérité, 1989, p. 272.

[62] D. (Notre jeunesse) p. 557.

[63] Maritain, Les grandes amitiés, p. 301.

[64] . Duployé, p. 181.

[65] Le P. Congar définit ainsi « l’écclésiocentrisme » : quand l’Église est préoccupée surtout d’elle-même, de sa croissance, de sa propre unité, plutôt que d’un service de la croissance et de l’unité des hommes. (Église Catholique et France Moderne, 1978, p. 63.)

[66] L.E. 1, Avril 1910, p. 138.

[67] Duployé, p. 391.

[68] H. de Lubac, Le drame de l’humanisme athée, Spes, 1945, p. 94.

[69] Y. Congar, À mes frères, 1968, p. 218.

[70] Duployé, p. 392. Notons que l’œuvre du P. Clérissac eut « une assez grande influence » sur la pensée du P. Congar – qui n’est en rien suspect de complaisance avec l’Action Française – : « il me découvrit ce que j’appellerais la poésie du catholicisme » (cf. Une vie pour la vérité, 1975, p. 74).

[71] D. (Dialogue de l’Histoire et de l’âme Charnelle, Juin 1912) p. 365, 361-362, 367, 364, 368, 369.

[72] Simone Fraisse, Péguy, écrivain de toujours, 1979, p. 80

[73] D. p. 358.

[74] Origène lutta contre l’hérésie des docètes. Mais, comme l’a montré H.de Lubac, Histoire et Esprit, l’intelligence de l’Esprit d’après Origène, Aubier, 1950, p. 95, ce refus de l’humanité du Christ était double : refus de la réalité charnelle du Christ, refus, aussi, de la liaison étroite entre Israël (l’Ancien Testament) et le Christ (Nouveau Testament).

[75] D. (dialogue de l’Histoire et de l’âme charnelle) p. 355.

[76] D. p. 359.

[77] . H. de Lubac, Dieu se dit dans l’Histoire, p. 51.

[78] D. p. 416, 361, 360.

[79] H. de Lubac, Catholicisme, 1941, p. 223.

[80] D. (Fernand Laudet) p. 1055.

[81] D. (Dialogue de l’Histoire et de l’âme charnelle) p. 484.

[82] E. p. 653.

[83] Cf. Irénée de Lyon, La prédication des apôtres et ses preuves, DDB, # 16

[84] Blondel disait : « On craint de confondre, il faut craindre de ne pas unir assez. » (in L’itinéraire philosophique de Maurice Blondel, p. 261) Le P. Congar précise : « l’extrinsécisme qui est la maladie du catholicisme moderne en matière de péché et de grâce et qui a fait longtemps méconnaître le plein caractère du vœu de la nature » (cité par H. de Lubac, Athéisme et sens de l’homme, Cerf, 1968, p. 96). Le même P. de Lubac regrette, par ailleurs, que Maritain se soit lancé avec « une inconcevable légèreté » dans les années 1920 contre Blondel, comme, dans les années 1960, contre Teilhard. Cf. Teilhard posthume, Fayard, 1977, p. 112.

[85] Athéisme et sens de l’homme, Cerf, 1968, p. 98, 101.

[86] H. de Lubac, Entretien autour de Vatican II, Cerf, 1985, p. 28. Voir surtout l’article de B. Sesboüé, « Le surnaturel chez H. de Lubac », Recherches de sciences religieuses, 80/3 (1992), p. 373-408. Dans sa Petite catéchèse sur Nature et Grâce, Communio/Fayard, 1980, H. de Lubac cite à plusieurs reprises Péguy (p. 80, 85 et 92). Sur les rapports étroits entre le P. de Lubac et Péguy, lire l’article de J. Bastaire, « Henri de Lubac, disciple de Péguy », CACP, 10-12/1991, p. 253-258.

[87] Athéisme et sens de l’homme, p. 100.

[88] J. Bastaire, Péguy l’inchrétien, Desclée, 1991, p. 11.

[89] Y. Congar, À mes frères, p. 17.

[90] PPE. p. 229.

[91] Le P. Congar qui montre les changements opérés par Vatican II à l’égard de cette tradition, cite, à titre d’exemple, un texte de Dom Guéranger (6 septembre 1857), caractéristique de cette conception : « Dans l’Église, en un mot, le pouvoir descend de haut en bas, et ne remonte jamais de bas en haut (...) La masse du peuple chrétien est essentiellement gouvernée (...) Qu’à voulu fonder Jésus-Christ ? Une société dont laquelle l’obéissance, la soumission, obtinssent, à tous les degrés, la plus complète réalisation » (Y. Congar, Église catholique et France moderne, Hachette, 1978, p. 65.)

[92] PPE. p. 184.

[93] Duployé, p. 220. De son enquête le P. Duployé considère que la légende d’un Péguy « anti-théologien » vient d’une part de Maritain et d’autre part de Mgr Batiffol qui, dans un article de la Croix, du 19 mars 1916, indiqua que Péguy s’était refusé, préférant dans le christianisme l’émotion, à construire un ensemble cohérent. (Duployé, note du bas de la page 118)

[94] Tharaud, T II, p. 119. Dans sa lettre aux frères Tharaud, en 1925 (PPE, p. 227), Maritain, conteste, seulement, la chronologie de son évolution thomiste. Maritain indique, d’une part, que pour Péguy il n’apparaissait pas sous les traits d’un « philosophe thomiste » et, d’autre part, que ce n’est que vers 1912 ou 1913 que « Saint Thomas est entré en ligne de compte pour lui » (lui, Péguy).

[95] PPE. p. 229. Il y aurait bien des choses à dire sur le thomisme de Maritain qui s’est attaché à un thomisme modifé par la tradition de Cajetan et de Jean de Saint-Thomas plutôt qu’à saint Thomas lui même.(Voir sur ce point : Lettre de E. Gilson au P. de Lubac, Cerf, 1986, et en particulier p. 187-196.) Le P. de Lubac note que l’appréciation de l’œuvre de Cajetan est l’un des point capitaux sur lesquels Gilson et Maritain se trouvaient en désaccord (p. 24). Et quand on sait l’importance de Cajetan, mise en évidence par le P. de Lubac, dans la tradition « impure » de la « pure nature », on comprend bien que le thomisme de Maritain est différent de celui de Gilson ou de celui du P. de Lubac.

[96] H. de Lubac, Catholicisme, p. 216.

[97] D. (Dialogue de l’Histoire et de l’âme charnelle) p. 369.

[98] D. p. 370.

[99] E. p. 723. Voir le commentaire fait par Albert Béguin de ce premier climat, celui de la grâce (le paradis terrestre) in « L’Éve de Péguy », CACP, 1948. p. 28ss.

[100] D. (Dialogue de l’Histoire et de l’âme charnelle) p. 371, 373-381, 377.

[101] D. (Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne.) p. 1446. Il est à noter que les Maritain, ensemble, firent un vœux solennel et définitif de chasteté conjugale le 2 octobre 1912. (Cf. J.-L. Barré, p. 162-163.) Ils ne furent pas, de ce point de vue là, dans leur couple, de la nature, du charnel et ce pour être tout entier « du parti de Dieu ». Cette chasteté charnelle s’ajoute à la « chasteté du vouloir » préconisée par Clérissac quand il est question d’obéissance dans l’Église.

[102] . D. (dialogue de l’Histoire et de l’âme charnelle) p. 371, 384.

[103] D. p. 667.

[104] Bastaire, p. 33.

[105] D. (note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne.) p. 1541-1542. Il est à signaler que Péguy lui-même fut, semble-t-il, menacé par l’Index, en 1914. C’est hypothèse semble plausible à H. de Lubac et J. Bastaire (Claudel et Péguy, Aubier Montaigne, 1974, p. 124) Voir aussi, PPE, p. 213.

[106] Bastaire, p. 35.

[107] H. de Lubac et J. Bastaire, p. 125.

[108] Lettre adressée à Geneviève Favre, mère de Jacques Maritain, en mars 1937. CACP, 04-06/1994, p. 95-96

[109] S. Fraisse, id., p. 81, évoque la tentative de récupération de Péguy faite, lors de la Seconde Guerre mondiale, par certains affidées intellectuels du gouvernement de Vichy. Tentative dénoncée, en son temps, par E. Mounier.

[110] Confidence faite à Henri Massis, in Bastaire, p. 36.

[111] L.E. p. 156-157. En ce qui concerne « le choix » de Péguy de rester en dehors des sacrements, malgré des arrangements possible (dont ceux de pure forme proposés par Mgr Batiffol), il semble d’une part que Péguy ne voulait rien faire qui puisse aller à l’encontre de la volonté de sa femme, et, d’autre part, certains témoignages, dont celui de R. Secrétain et Romain Rolland, laissent à penser qu’il ne fit rien pour sortir de cette situation d’exclusion par choix chrétien et incertitudes quant à la suite à donner à son mariage. (cf. les témoignages rassemblés par Guillemin sur ce thème, p. 274-278. Les éléments rassemblés ont plus d’intérêt que les thèses sous-jacentes qui tendent, toujours, à rabaisser Péguy.)

[112] D. p. 424.

[113] E. p. 179.

[114] Prière de demande, E. p. 696-697.

[115] D. p. 1447.

[116] E. p. 702.

[117] Quand il écrit les Ballades du cœur qui a tant battu, pour purger en lui cette passion dévorante, cette tentation d’infidélité, ce drame, en lui, d’une fidélité plus têtue que toutes les tentations, il écrit à Geneviève Favre (04/09/1910) : « Je travaille à bloc pour me mettre à la raison. J’en ai été un peu malade. Mais j’aime mieux être un peu malade de travail que de manquer ma vocation par un dérèglement du cœur. » Cité par Thierry Dejond, Péguy, Culture et Vérité, 1989, p. 64.

[118] Dans Véronique, à partir de D. p. 433.

[119] La Gloire et la Croix, Style, II, p. 289.

[120] D. p. 434, 498.

[121] D. p. 1345-1347.

[122] Dans la strophe 22 , premier vers, de la Prière de résidence, E. p. 691.

[123] L.E. 1 Avril 1910, p. 138.

[124] Dans l’œuvre de Péguy, les éléments annonciateurs de Vatican II sont nombreux en ce qui concerne la nouvelle approche de l’Église comme peuple de Dieu, le dialogue avec les païens, l’ouverture au monde, le rôle des laïcs, la solidarité chrétienne vis à vis du monde et l’inscription du christianisme dans l’Histoire. Le P. Congar indique que le Concile fut traversé par deux conceptions de Dieu : « Pour les uns Dieu est vu comme suprême ordonnateur d’un monde hiérarchisé et statique, pour les autres, il est le Dieu vivant, le Dieu de l’histoire – la vie du monde étant vue comme histoire du salut et non pas seulement comme création posée une fois pour toutes » (Une vie pour la vérité, interviews, Le Centurion, 1975, p. 142). Nous retrouvons là, dans cette opposition conciliaire, les oppositions entre Péguy et les « curés ecclésiastiques » – du coté desquels Péguy range Maritain. Cette défense du Dieu vivant (qui s’imposa au concile) rejoint les principaux thèmes de Péguy.

[125] D. p. 1458.

[126] Le porche du mystère de la deuxième vertu, E. p. 252.

[127] D. p. 1459.

[128] Congar, Une vie pour la vérité, p. 220.

[129] cf. D. 1422-1423.

[130] D. p. 1455, 1461.

[131] D. p. 904.

[132] L.E. p. 88.

[133] E. p. 650

[134] D. p. 1541. Le catéchisme dont se réclame Péguy est celui de son enfance, à la paroisse de Saint Aignan, « le catéchisme de sa paroisse natale » (D. p. 903.)

[135] Amitié Charles Péguy, avril-Juin 1994, p. 96

[136] PPE. p. 17.

[137] H. Urs von Balthasar, la Gloire et la Croix, II, Styles, II, Montaigne, p. 280.

[138] H. Urs von Balthasar, Catholique, Fayard, 1976, p. 17.

[139] D. Halévy, Charles Péguy et les Cahiers de la quinzaine, Payot, 1918, p. 180.

[140] L.E., 27/09/1912, p. 156.

[141] Y. Congar, À mes frères, p. 31-32. Cf aussi Jean-Paul II, Entrez dans l’espérance, Plon-Mame, p. 135.

[142] C. p. 1129.

[143] . D. p. 356.

[144] D. p. 351.

[145] D. p. 1453.

[146] C’est ce qu’indiquent aussi le P. de Lubac et J. Bastaire dans Claudel et Péguy, p. 111.

[147] C. p. 1129 ; E. p. 265.

[148] Y. Congar, « La religion de Péguy », Le Monde, 12/08/1965.

[149] Pic de la Mirandole, Aubier-Montaigne, 1974 , p. 383.

[150] Balthasar, id., p. 359.

[151] D. (Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne) p. 1408.

[152] D. p. 1415, 1408.

[153] E. (Le porche du mystère de la deuxième vertu), p. 242.

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