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Plan-guide Vézelay 2014

« Je veux voir Dieu »
Résurrection

A. VOIR DIEU

• L’universel désir des hommes de voir Dieu : au commencement était la mystique… ; besoin de voir, de toucher, de s’émerveiller, d’être « ravi ».

• La perversion idolâtrique du désir de voir Dieu :

– Du fait du péché, le désir de l’homme se fait possessif à l’égard de la divinité, les médiations (forces de la nature, spécimens éclatants du règne animal, représentations brillantes dues à l’art et au génie humains) s’opacifient et deviennent de plus en plus envahissantes ; le divin n’est plus que l’image agrandie de l’expérience humaine, avec ses valeurs et ses limites ; l’idole, production du désir de l’homme, provoque une trouble fascination, faite de peur et d’illusion.

– D’où l’interdit biblique : nul ne peut voir Dieu sans mourir (« Yahweh dit : “ Tu ne pourras voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre ” » Exode 33,20).

• L’Incarnation comme réponse divine et purification du désir de voir Dieu :

– Jésus exégète du Père (Jn 1,18 : « personne n’a jamais vu Dieu ; Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé »), « qui m’a vu va le Père » (Jn 14,9) ; dans la vie concrète de l’homme Jésus, Dieu est vu en longueur d’ondes humaine : ses mots sont les mots de Dieu, ses gestes sont ses gestes ; loin d’être une réduction du mystère, la visibilité de Dieu en Jésus Christ est un redoublement de la transcendance divine (« nul ne connait le Fils sinon le Père » Mt 11,27) : même les anges n’accèdent qu’en tremblant à la sainte humanité du Fils de Dieu.

– Rôle du Saint Esprit qui nous fait « lire » l’humanité du Christ dans sa vraie profondeur (vision stéréoscopique) ; l’Esprit nous permet de comprendre de l’intérieur l’être et les paroles de Jésus : « lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière (…), il me glorifiera, car il recevra de ce qui est à moi et il vous le communiquera » Jn 16,13-14).

• L’icône et l’adoration sauvent le désir de voir Dieu :

– En régime chrétien la vision de Dieu ne peut venir que dans la suite des traces que nous a laissées le Christ de sa venue ; ce n’est pas l’homme qui cherche à s’élever vers Dieu en se le représentant sur l’échelle de ses grandeurs à lui, c’est Dieu qui vient vers l’homme en suscitant des médiations dont il est totalement le maître.

– Le deuxième Concile de Nicée (787) a redit la légitimité des images du Christ et des saints, non comme des manières de circonscrire le divin, mais comme un hommage rendu au processus par lequel Dieu lui-même s’est rendu visible chez nous. L’icône permet de rendre visible la personne du Christ dans son abaissement salutaire jusqu’à nous.

– L’adoration du Saint Sacrement nous met en contact avec l’anti-idole par excellence, puisque nous avons là le don à l’état pur de Dieu, jusqu’à être totalement caché sous une apparence de chose, forme méconnaissable qui n’est lisible que dans la foi.

B. THÉOLOGIE DE L’EUCHARISTIE

• De la Cène à l’eucharistie : les trois étapes

– la dernière Cène : Jésus s’inscrit dans le rituel (annuel) de la Pâques, fête de la libération d’Égypte, qui avait déjà une coloration sacrificielle, il y insère les paroles décisives qui disent sa propre offrande au Père et sa volonté de la voir se perpétuer sacramentellement par la main de ses Apôtres.

– la fraction du pain des premiers chrétiens : déjà séparée du rituel pascal (elle est hebdomadaire, les participants sont debout, elle ne comporte plus la manducation de l’agneau etc…), elle est encore conjointe à un repas, mais l’essentiel est désormais dans la prière d’action de grâce (l’eucharistie au sens propre) dite sur le pain et le vin, qui actualise le don pascal que le Christ a fait de sa vie (c’est cela le sens du mémorial).

– la messe : en milieu païen, il devient difficile de maintenir plus longtemps l’association entre le repas et l’eucharistie, celle-ci prend son autonomie et se développe selon sa logique propre, en intégrant désormais une liturgie de la parole (qui avait lieu jusque-là à la synagogue). C’est cette forme qui est décrite par saint Justin au milieu du IIe siècle et qui est encore substantiellement celle que nous connaissons.

• La mise à jour progressive du mystère de l’eucharistie

– Le mystère de la communion : c’est le premier aspect qui se dégage, les Pères à la suite de saint Paul soulignent à l’envi le lien qui unit l’eucharistie à la réalité profonde de l’Église, celle-ci n’étant pas vue d’abord comme réalité sociologique, mais comme mystère de foi, symphonie des libertés rachetées, en cours de guérison, autour du Christ Époux. La communion, en nous unissant personnellement au Christ, nous place au cœur de l’Église, crée en son sein notre unité entre nous, à partir de nos origines diverses (image du pain formé d’innombrables grains de blé de provenance diverse, image de la tour qui intègre de nombreuse pierres qu’il a fallu d’abord équarrir).

– La présence réelle : les Pères affirment très vite que pour nous unir réellement au Corps et au Sang du Christ, le pain et le vin consacrés n’ont plus que l’apparence du pain et du vin, la parole du Seigneur qui a dit : « ceci est mon corps/mon sang » n’est pas vaine, le Dieu qui a créé le ciel et la terre peut toucher la réalité la plus matérielle et la transformer, notre foi doit être à la hauteur de ses dons. Les Docteurs médiévaux, avec des catégories plus précises, essaieront de dire la profondeur de ce changement, qui n’est pas seulement dans les mots et dans l’usage, mais au cœur de la réalité (transsubstantiation).

– Le sacrifice eucharistique : une très ancienne conviction anime les chrétiens, c’est que la célébration de l’eucharistie n’est pas une cérémonie commémorative, mais l’offrande d’un vrai sacrifice, c’est d’ailleurs ce que signifie la prière eucharistique où l’Église, à l’imitation de son Seigneur, rend grâce des dons reçus, y compris le plus grand de tous, la victoire définitive sur la mort et s’offre avec lui, rendant à nouveau efficace le salut opéré sur la Croix. Face à la contestation protestante, il faudra préciser que le sacrifice de la messe ne rajoute rien à la Croix, mais qu’elle en est l’actualisation dans un temps et dans un lieu : c’est toujours le Christ qui se donne, mais de façon non sanglante, par la main du prêtre.

C. THÉOLOGIE DE L’ADORATION

Étymologie : ad - os (oris) « à la bouche », ce qui peut vouloir dire deux choses : 1) se mettre la main sur la bouche (admiration, stupeur, on s’impose silence) 2) jeter des baisers en direction de la divinité, de son image etc...

L’adoration correspond à la première manducation dont parle Jésus dans Jn 6 : il est le Pain vivant que nous mangeons par la foi et la prière, il veut imprégner nos cœurs avant de venir sur nos lèvres. Dialectique cœur/corps : l’amour, c’est toujours ainsi, d’abord voir l’être aimé, l’écouter, le comprendre, entrer dans ses pensées, l’admirer et ensuite éventuellement s’unir à lui. La communion sans adoration (oraison, contemplation...) devient un simple rapprochement physique au quel il manque l’amour. L’ajustement des cœurs demande du temps, de l’attention, c’est bien une mastication, comme dit Jésus.

L’adoration s’inscrit dans la ligne ascendante de la prière après la prière de demande, l’intercession, la prière de louange. Elle est plus désintéressée dans la mesure où elle s’occupe de l’autre plus que de soi, elle veut faire sa joie, elle trouve sa nourriture dans les perfections de l’Aimé. Elle réalise vraiment ce que Jésus appelle « demeurer en lui » (comme lui en nous), il s’agit de ne plus s’appartenir, être tout occupé de lui.

L’adoration est vraiment rendue possible par l’Incarnation, puisque les perfections divines (difficiles à percevoir pour nous) se trouvent comme transposées dans la sainte humanité de Jésus : ses gestes, ses mots, ses silences, ses pensées sont celles d’un Dieu, mais elles jouent sur le registre des sentiments humains, elles ont pu être captées par des yeux humains, et être transmises par la mémoire...

L’adoration, qui est le climat général de la prière chrétienne, notamment liturgique, a trouvé son terrain d’élection dans la longue contemplation de Jésus présent dans l’eucharistie. Là, l’objectivité du don atteint un point extrême, puisque ce qui nous est exposé ou bien n’est rien (un bout de pain) ou c’est mon Dieu caché sous les apparences de l’hostie. Si je reconnais dans ce Don celui qui m’a aimé et s’est livré pour moi, j’ai tout de lui : son humanité et sa divinité, son enfance, sa vie cachée et sa vie publique, sa croix et sa gloire, j’ai son corps et son âme, son cœur, c.à.d. ses pensées, ses sentiments, son amour du Père et des hommes, tout cela comme concentré en un point infime de mon espace, disponible à ma vue et à ma prière.

Le caractère relativement tardif (XIIIe siècle) et limité à l’Occident de l’adoration eucharistique ne doit pas nous impressionner : l’antiquité chrétienne a connu autour de la liturgie eucharistique une longue contemplation, des rites pleins de respect et d’une douce rumination des mystères du Christ. Les Églises d’Orient ont toujours vécu cela et la contemplation des icônes dans une autre direction a mis en valeur le regard qui s’attache aux beautés divines reflétées sur des visages illuminés de l’intérieur par la Gloire du Ressuscité. La pratique de l’adoration eucharistique est une de ces richesses que l’Eglise latine a reçues du Seigneur et qui correspond sans doute aux défis de l’heure.

D. LES TROIS ÉTAPES DU PÈLERINAGE

1. La présence réelle :
– présence vraie, réelle, substantielle ;
– Jésus caché non seulement dans sa divinité, mais dans son humanité ;
– le plus grand des miracles ?

2. L’adoration :
– l’origine de l’adoration eucharistique ;
– l’objection d’idolâtrie ;
– Corps et Cœur du Christ ;
– du bon usage de l’adoration pour se préparer à la communion (et la prolonger).

3. La communion :
– l’intégration au Corps du Christ ;
– personne et communauté ;
– préparer la communion et la faire suivre d’une action de grâce.

E. LES ENJEUX

1. Communier à la quête religieuse des hommes de tous les temps

Les théoriciens de la sécularisation nous ont habitués à penser que l’homme moderne n’était plus religieux ; pour le rejoindre malgré tout, on a prétendu à un christianisme qui serait une foi détachée de son support religieux (Barth, Bonhoeffer). On voit ce qui est arrivé quand un christianisme rationnalisé et moralisant s’est présenté comme le seul vrai : pendant ce temps les religions et les sectes ont fait flores, avec toutes les dérives possibles. Si on définit au contraire la religion comme le moyen de la « relation » de l’homme à Dieu, et si l’on reconnaît dans l’homme d’aujourd’hui comme dans celui d’hier un être fondamentalement fait pour Dieu, on peut dire que le Christ, seul homme vraiment et complétement religieux, donne un sens à toutes les démarches humaines même maladroites et entachées de superstition qui ont tenté de s’élever vers la divinité. Nous ne pouvons donc pas mépriser l’ambition de voir Dieu, de se donner complétement à lui, qui habite toute démarche cultuelle, toute mystique, toute prière sincère. Et si l’adoration eucharistique était la bonne nouvelle que nous pouvions apporter aux âmes assoiffées de Dieu ?

2. Redonner un nouveau souffle à la vie eucharistique dans l’Église

La communion, jadis rare chez les catholiques, est aujourd’hui reçue à chaque messe par la presque totalité de l’assistance. Si on peut se réjouir de voir la communion d’avantage vécue que par le passé, on constate que, dans beaucoup de cas, cette généralisation s’accompagne d’une réelle ignorance de ce qu’est l’eucharistie, ainsi que des exigences morales et spirituelles qui font corps avec elle. L’adoration, qui suppose un temps notable consacré à la contemplation, qui repose sur une perception plus nette de la présence réelle, peut dans bien des cas aider à approfondir la communion, à redonner le sens de la sainteté de Dieu, etc…

3. Unir plus profondément la piété personnelle et le sens communautaire

Le « Mouvement liturgique », qui a abouti à la réforme promulguée par le Concile Vatican II, avait le souci de retrouver le sens communautaire qui était celui de l’Église ancienne : en regroupant les fidèles autour de l’autel, en faisant en sorte que les paroles soient audibles et comprises de tous, on marquait que l’eucharistie était le rassemblement de la communauté et non un rite sacré pendant lequel chacun vaquait à sa piété personnelle. Ceci était sans doute vrai, mais on ne s’est pas aperçu tout de suite que la dimension communautaire, quand elle n’est pas appuyée sur une participation intérieure dans la foi et la prière, devient vite superficielle et même ennuyeuse. La désaffection de nos assemblées vient en partie de là. Dire que l’eucharistie a pour premier but de nous réunir dans le Corps du Christ est juste à condition de ne pas voir dans cette réunion un simple rassemblement humain autour d’un repas, mais un mystère de foi où chacun de nous réalise l’essence nuptiale de l’Église en se donnant au Christ qui vient à lui dans la communion. Nous ne sommes ferments d’unité dans l’Église qu’à condition d’être allés le plus loin possible dans le cœur à cœur avec Jésus. Une messe dite par un prêtre avec un seul servant dans la ferveur du petit matin fait autant et sans doute plus pour la vie du monde et la croissance du Corps du Christ qu’un rassemblement pagailleux…

Réalisation : spyrit.net