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« Pondus meum, amor meus » : Méditations sur les Confessions

Lauren E. Butler Bergier

« Et voici que m’apparaît en énigme la Trinité, que tu es, toi, ô mon Dieu. Toi, Père, tu as fait le ciel et la terre dans le principe de notre sagesse », qui n’est autre que ta Sagesse ‒ ton Fils, par toi engendré, égal à toi. Il est l’enfant qui jouait devant toi « avant tous les siècles » (5,6).

Saint Augustin voit dans le « ciel du ciel, la terre invisible et incomposée et l’abîme ténébreux » l’image de la ‒ une seule ‒ créature spirituelle. Elle reste informe jusqu’à ce qu’elle se tourne vers toi, la Sagesse, ce Principe dans lequel le ciel, comme la terre, a été fait. À ce moment-là, elle devient vie « toute belle », c’est-à-dire, emplie de sens, pleine de béatitude et de beauté, vie angélique. C’est le royaume encore plus haut que ce ciel « créé entre l’eau et l’eau », plus haut que l’abîme qui tient notre planète en suspension comme une goutte d’eau, ciel visible et invisible peuplé de myriades et myriades (5,6).

Après le Père et le Fils vient l’Esprit, qui « était porté au-dessus des eaux ». Cette phrase conduit saint Augustin à l’aporie : pourquoi avoir parlé d’abord de la créature, ne fut-ce spirituelle, avant de t’avoir mentionné, qui es plus une Personne que nous ne le sommes ? Lors de la création (en figure, voyons la rédemption), tu étais porté au-dessus des eaux‒non au-dessus du Père, ou du Fils, mais au-dessus des eaux créées (6,7).

En effet, l’Esprit Saint, que toi, Père, nous as donné, « répand », comme le dit saint Paul, « ton amour dans nos cœurs ». Il nous instruit sur les réalités d’en haut, il nous montre la voie plus haute que toutes, il s’incline pour nous devant Dieu afin de nous faire voir par sa lumière, la Lumière, de nous faire connaître « la science suréminente de la charité du Christ » (7,8).

Là où la cupidité, dit saint Augustin, « nous entraîne par son poids vers les abrupts de l’abîme », ton amour nous élève. Ce désir d’avoir en dehors de toi devient de plus en plus dévorant à mesure que nous nous éloignons de toi, comme si ton absence devait créer au centre de la personne un effet d’aspiration. Mais ton amour « nous élève par ton Esprit-Saint porté au-dessus des eaux ». Ces eaux sont la géographie de notre cœur, de ses désirs ‒ « des soucis » et « de la sécurité ». L’Esprit nous sépare de « ces eaux sans substance », du désir d’avoir en dehors de toi, autre que toi, jusqu’à ce que notre cœur se dresse uniquement « vers toi ». Notre volonté dispersée et flasque devient ainsi comme une flèche, ramassée en elle-même et prête, enfin, à l’emploi ; mais ce mouvement ne se fait que grâce à l’Esprit-Saint. Ce qui n’était que distension et dispersion devient alors intention ‒ ton intention, et non la mienne, qui n’existe pas (7,8).

« L’ange a sombré, l’âme de l’homme a sombré et ils ont révélé l’abîme » de la création spirituelle, la création libre, image et différence, créée par et pour l’amour, si tu n’avais pas dit, au commencement de tout, « Que la lumière soit ! ». Saint Augustin voit en cette commande l’instant où « ta cité céleste », où tout esprit angélique, s’est attaché à toi « dans l’obéissance ». Ces créatures, muables, se reposent ainsi en ton Esprit immuable. Pour appuyer cette interprétation, il cite saint Paul : « le ciel du ciel est maintenant lumière dans le Seigneur » (Ep 5,8). La « misère inquiète des esprits qui sombrent » n’est qu’à la mesure de leur dépouillement : ils ne peuvent dès lors goûter qu’à leur propre insuffisance. Quant à moi, j’attends le jour où mes ténèbres seront enfin tout illuminées du « plein midi » de ta Présence (8,9).

« Ô mon Dieu, donne-toi à moi, redonne-toi » ; donne-toi à moi sur la croix, redonne-toi à moi dans l’Hostie et dans le secret de ta présence ; « Car voici que je t’aime ». Et s’il manque quelque chose à mon amour, c’est toi qui me la montrera ; c’est ainsi que toute ma vie ne deviendra qu’une course « vers tes embrassements », jusqu’à ce que tu me cacheras au plus « secret de ta face », comme l’enfant au sein de sa mère. Et en effet, je ne désire pas vivre en dehors de toi, même regardée de tous mes semblables comme une étoile qui n’en est pas une, mais vivre, vraiment vivre, en ton plein jour, où l’on ne voit que toi. Mieux vaut une heure sur le parvis de ton lieu que mille jours ailleurs. « Toute opulence qui n’est pas toi n’est qu’indigence » et l’unique chose que je demande aux autres créatures est de me parler de toi. Elle est là, leur richesse véritable (8,9).

Ce n’est que grâce à ton Esprit, qui est gratuité, lui qui s’appelle le « don de Dieu », que nous nous trouvons en repos ; notre repos, dit saint Augustin, est « notre lieu ». Comme le feu tend vers le haut et la pierre vers le bas, le poids conduit chaque chose à son lieu. Si l’ordre des amours dans l’âme est violé, « c’est l’inquiétude » de l’eau dans l’huile ; quand l’ordre est respecté, « c’est le repos » et chaque chose rentre à sa place. « Mon poids, c’est mon amour. » Grâce à ton Esprit qui embrase nos cœurs, nous nous envolons comme autant de montgolfières (9,10). (Regarde, lecteur, ce léger mouvement. Ne la sens-tu déjà, la flamme du feu qui t’élève ?)

Seigneur, ton Esprit est ce don de ton cœur qui l’unit à mon cœur. Il est celui qui enflamme et qui met en route, qui fait chanter le Cantique des degrés de l’amour et de l’humilité, le Magnificat de ta créature comblée, soupir de l’Épouse qui repose auprès de l’Époux. « Et là nous placera la volonté du bien, ta volonté à Toi, et alors, nous ne voudrons rien d’autre qu’y rester à jamais » (9,10).

(Traduction de Patrice Cambronne avec quelques modifications mineures)

Lauren E. Butler Bergier, née en 1983 à Houston (USA), mariée, cinq enfants. Chargée d’enseignement à l’UCO (Angers). Rédige une thèse sur les Cinq Grandes Odes de Paul Claudel à l’Université de Chicago, Committee on Social Thought.

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