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Précis de théologie morale générale (Jean-Louis Bruguès)

Parole et Silence, Paris, 2017, 579 p.
P. Laurent Sentis

Le titre de l’ouvrage ne doit pas faire illusion. Il ne s’agit pas ici d’une sorte de catalogue systématique de notions et de principes en lesquels le lecteur serait invité à trouver la substance d’une théologie morale supposée pérenne. Avec humilité, l’A. reconnaît qu’il s’agit en fait de la mise en forme du cours qu’il a élaboré et amélioré vingt ans durant. Nous pouvons regretter que son élévation à l’épiscopat l’ait empêché de rédiger la troisième partie de ce cours. Nous sommes donc en présence d’une synthèse inachevée. Il convient de se reporter aux prédications de carême données de 1995 à 1997 et au Dictionnaire de morale catholique (Chambray les Tours, 1996) pour avoir une idée d’ensemble de la pensée de l’A. Plus encore que la théologie dogmatique, la théologie morale est marquée par les circonstances historiques qui déterminent les interrogations du théologien. De toute évidence, notre A. est marqué par la situation de crise dans laquelle se trouvait la philosophie et la théologie morale en France dans les années 1970 et suivantes. Durant cette période, l’idée que l’on prouvait travailler de façon académique sur les questions de morale semblait étrange. L’A. a fait face à la situation avec une élégance remarquable, puisqu’il n’hésite à chercher chez Michel Foucault l’intuition directrice de sa recherche. Toute son habileté consiste à souligner que l’enracinement de son enseignement dans un thomisme classique, loin de correspondre à une éthique du code, à laquelle le thomisme est souvent identifié, correspond en fait à ce que Michel Foucault désigne sous le nom d’éthique de la construction de soi.

Il convient donc de recevoir cet ouvrage comme une introduction à la théologie morale catholique, disons même un plaidoyer destiné à mettre en lumière la pertinence de cette théologie dans la culture française de la fin du vingtième siècle. Dans un dialogue incessant avec ses contemporains, avec un louable souci de mettre en valeur ce qu’ils peuvent affirmer de juste et un désir d’éviter des polémiques trop teintées d’amertume et de ressentiment, notre auteur nous aide à maîtriser les concepts fondamentaux de la théologie morale catholique classique. Il faut toutefois remarquer que ces concepts sont marqués par une histoire et que, de l’aveu de l’A. (p. 151), nous ne disposons pas encore d’une réflexion historique et doctrinale suffisamment documentée qui nous permettrait de percevoir comment notre manière occidentale de penser demeure marquée, souvent à son insu, par les grandes œuvres philosophiques qui ont entrepris d’entrer en débat avec notre tradition théologique. De ce fait, en ce qui concerne les notions de bonheur, de loi, de liberté, de nature, de conscience, de bien et de mal, de vertu etc., il se peut que certains lecteurs demeurent quelque peu sur leur faim.

Incontestablement, c’est dans le premier chapitre du tome 2 (p. 213-286) que l’A. se montre le plus original et le plus éclairant. Dans ces pages, le lecteur trouvera de quoi nourrir une méditation approfondie sur l’homme et sa corporéité et son intériorité. Mais en bien d’autres passages du livre il trouvera matière à réflexion. Exprimons notre gratitude pour ce travail qui devrait trouver place dans la bibliothèque de nombreux chrétiens cultivés.

P. Laurent Sentis, prêtre, docteur en théologie. Professeur de théologie morale au séminaire de Toulon.

Réalisation : spyrit.net