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Quand viendra le jour de Seth

Marie-Hélène Congourdeau, Presses de la Renaissance, 2004.
Jérôme Levie

Jonathan Liebermann, professeur de philosophie, n’est pas revenu d’un séminaire sur la philosophie en Europe. Sa femme Rachel, rongée d’inquiétude, prévient la police. L’enquête s’avère vite mystérieuse : « Une bible, dans un blouson, dans une voiture, dans un canal », résume le capitaine Gilles Lagarve, en charge de l’enquête. La découverte de menaces antisémites sur l’ordinateur de Jonathan par son fils Daniel, qui mène avec sa sœur Abigail une enquête parallèle, donne un tour nettement plus inquiétant à l’affaire, du ressort, non seulement des sectes millénaristes gnostiques, mais des groupuscules antisémites et extrémistes de tous bords.

Le livre cependant commence par le rapt, narré du côté des victimes, qui sont en fait deux, Jonathan, et Benoît, le propriétaire de la bible et du blouson, qu’il a pris en stop. Et le lecteur sait aussi peu qu’eux-mêmes dans quelle galère ils se sont retrouvés. Séquestrés dans une cave, Jonathan et Benoît, l’un philosophe, juif et agnostique, l’autre délinquant – et assassin ! – repenti, converti et baptisé, ont tout le temps de se raconter l’un à l’autre. Les membres de la famille Liebermann, Jonathan et Rachel, Abigail, Daniel, Nathaniel, parti en Israël, ont chacune leur réponse à la question : comment être juif après la Shoah ? Face à l’orthodoxie ultra-sioniste virant au racisme de Nathaniel, au judaïsme éthique et métaphysique de Daniel, le bon sens féminin préfère la confiance tranquille et l’ouverture à l’autre (Abigail a un petit ami chrétien irakien).

Le roman, tout pétri de citations et de langage bibliques, nous emmène dans le milieu des sectes néo-gnostiques, ici deux frères illuminés (Simon et Saturnin, prénoms gnostiques s’il en est), qui se prennent pour des réincarnations de l’apôtre Thomas, frère jumeau du Christ comme chacun sait. Membres de la race de Seth, qui seule n’a pas été irrémédiablement infectée par les juifs, cette « race de Caïn », ils se croient investis d’une mission divine... Or les dérives tristement habituelles ne tardent pas, du viol sacré au culte de la personnalité en passant par la surveillance paranoïaque des adeptes : Saturnin finit par interpréter cette mission au-delà du délire mythologique, et l’enquête révèle des liens avec des groupuscules néonazis de tous pays… Le pire est à découvrir.

L’itinéraire de Benoît, en prison à la suite de « conneries », éduqué là à la vraie truanderie, recueilli aux bords du gouffre du désespoir par des moines cisterciens, est celui, très réel et rendu très crédible, d’une renaissance par le pardon, l’accueil, la confiance, d’une ouverture à l’appel silencieux de Dieu. Tout fraîchement baptisé, sommairement mais solidement catéchisé, il est très émouvant dans ses réponses simples, face à la fois aux mythes et symboles devenus fous qui composent le galimatias pseudo-théologique de Saturnin, le chef de la Confrérie, et aux attaques de Jonathan, qui aux prises avec lui-même répète à l’envi les poncifs de l’histoire de l’Église et les « soupçons » usuels sur l’idée de Dieu. Cependant, face à ceux qui opposent le dieu des juifs, qualifié de mauvais démiurge, au vrai Dieu-Lumière transcendant, qui veulent détruire le monde pour sauver les parcelles de lumière qui y sont enfermées, Jonathan le philosophe agnostique se retrouve à défendre les droits du Dieu en qui il ne croit pas : « le Dieu en qui je ne crois plus est unique, bienveillant et créateur du ciel et de la terre. » La conscience de ces contradictions le mènera à reprendre « le compagnonnage du juif avec son Dieu ».

Décrivant les psychologies de ses personnages avec sa simplicité désarmante, l’auteur nous parle de nous, de nos histoires, nos blocages, nos peurs, nos contradictions, et montre comment ils peuvent favoriser ou gêner notre rencontre de l’autre, et de l’Autre. Elle montre aussi avec quelle facilité des idées d’hérétiques ou de fanatiques peuvent, pour le pire, entrer en résonance avec la religiosité anarchique contemporaine et avec le refus contemporain du judaïsme et du christianisme institués, de l’Église, qui seraient coupables de compromis – la confrérie de Seth existe vraiment aujourd’hui… (même s’il s’agit ici de la divinité égyptienne, et d’une idéologie plus proche du satanisme que de la gnose). Toutes idées qui reprirent vigueur à la faveur de la peur du troisième millénaire, dont on se demande si elle n’a pas été plus réelle que celle de l’an mil, et sur laquelle nous sommes si prompts à plaquer nos fantasmes.

Comme dans Le Silence du roi David, l’auteur met en scène la quête authentique de Dieu, et comment cette quête rapproche inévitablement les « enfants de l’Alliance » que sont les fidèles des trois monothéismes, tout en exposant les mécanismes et les tendances qui la remplacent, là par l’islamisme et le terrorisme, ici par l’obsession de la pureté et la violence tous azimuts. Pour elle, le dialogue entre fidèles authentiques aide chacun à progresser dans sa propre religion, à la découvrir dans les décombres de ses souvenirs d’enfance, à la redécouvrir plus authentiquement, à l’approfondir. Ainsi la fréquentation de Malik pousse (dans Le Silence du roi David) David à s’interroger sur sa religion oubliée, ainsi Jonathan se convertira au contact de Benoît, ainsi Nathaniel, ce juif orthodoxe, découvrira dans les yeux de l’Autre, l’arabe palestinien, le sens de toutes ses observances.

La fin du roman nous offre de superbes pages de spiritualité, l’auteur se tirant avec le brio qu’on lui connaissait déjà du pourtant délicat exercice de mettre en mots les émotions spirituelles. Le récit de la conversion de Jonathan à Adonaï, celui du baptême qui a fait couler le sang de l’Amour en Benoît sont de véritables joyaux. L’intrigue, très bien menée, est prétexte à l’auteur pour détailler l’histoire et la psychologie de ses personnages, et, comme nous le dit Jonathan dans les dernières pages : « toute cette aventure n’avait peut-être pas eu d’autre but dans le dessein de Dieu, que de l’aller chercher lui, Jonathan, du fond de l’athéisme où il se complaisait. » Cet émouvant récit du travail de la grâce amenant l’incroyant à Dieu est aussi témoignage de la fécondité du dialogue interreligieux. Mais l’Esprit qui nous fait crier « Abba ! » est aussi celui qui nous guide « vers la vérité tout entière ». On se prend alors à espérer que l’auteur mette sa vaste culture et sa puissance expressive à profit pour narrer la conversion d’un fils d’Abraham juif ou musulman au Christ, plénitude de salut et de paix, qui récapitule les aspirations présentes en les autres religions et unifie sous Son chef toute l’humanité pour l’amener à Dieu.

Jérôme Levie, ancien élève à l’École Normale Supérieure, poursuit actuellement une thèse de physique théorique et une maîtrise de philosophie.

Réalisation : spyrit.net