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Saint Augustin, l’amour sans mesure (Marcel Neusch)

éd. Parole et Silence, 2001.
Charles-Olivier Stiker-Métral

Cet ouvrage présente la pensée d’Augustin sous la forme d’une lecture commentée de quelques-uns de ses textes majeurs. L’image que Marcel Neusch donne de l’évêque d’Hippone est bien celle de l’homme brûlant du désir et de l’amour de Dieu, qui tient dans sa main son cœur enflammé. On lira, ou relira, donc des extraits des Confessions, de la Cité de Dieu, des Commentaires des Psaumes, du Commentaire de la première épître de saint Jean, mais aussi de la Règle, d’une lettre sur la prière ou encore de grands textes sur le Christ, comme un itinéraire placé sous le signe de la conversion de l’amour de soi à l’amour de Dieu. Augustin apparaît ici avant tout comme un maître de prière. Il l’est au premier chef par sa connaissance de l’Écriture. Il le répète, ce fut une de ses découvertes les plus difficiles : ses années de manichéisme et son amour de l’éloquence cicéronienne la lui avaient rendue méprisable, jusqu’à ce qu’Ambroise de Milan lui enseigne l’exégèse spirituelle. Ses sermons et ses commentaires sont dès lors une méditation assidue de cette parole de Dieu qu’Augustin écoute pour pouvoir la prêcher et la vivre. C’est l’Écriture Sainte qui lui inspire quelques-uns de ses textes les plus lyriques, telles ces Ennarationnes in Psalmos (commentaires sur les Psaumes), dont on ne peut que regretter qu’il n’existe aucune édition française récente. “ Tout ce qui est écrit ici est notre miroir ”, écrit Augustin des Psaumes, ils sont la prière du Christ et de l’Église, alternativement prière de la tête et du Corps, qui conduisent à la fois à la jubilation et à la supplication. Ce sont alors les Psaumes qui expriment peut-être le mieux toute la Christologie d’Augustin, méditation sur les deux natures du Christ, qui en font le Médiateur, à la fois médecin et remède d’une humanité malade de son péché, à la fois la voie et la patrie. C’est moins aux modalités de la rencontre des deux natures qu’à la nécessité pour la nature humaine de se réaliser dans la communication aimante de la nature divine pour laquelle elle est faite, qu’Augustin est sensible. Il découvre le Christ comme un maître intérieur, qui ramène l’homme tourné vers l’extérieur à une intériorité où Il n’a jamais cessé d’être présent. Augustin le rappelle dans une des plus belles pages des Confessions que ce livre nous permet de relire : “ Mais toi, tu étais plus intime que l’intime de moi-même et plus élevé que les cimes de moi-même ” (tu autem eras interior intimo meo et superior summo meo). Maître de prière, Augustin est aussi maître de vie, maître d’une recherche inlassable de Dieu qu’il peut voir jusque dans ses dérèglements, maître d’une vie fondée sur la charité et que propose la Règle, qui entre ici avec bonheur en résonance avec l’ensemble de l’œuvre.

On pourra toutefois trouver que l’Augustin de Marcel Neusch est bien bénin, et les textes les plus durs, qu’une lectio difficilior se doit de prendre en compte, sont presque passés sous silence. Le polémiste anti-pélagien n’apparaît presque jamais, et le théologien qui, pour sauvegarder la toute-puissance de la grâce de Dieu, est conduit à parler de l’humanité comme une massa damnata, à considérer que les damnés sont là pour manifester sa gloire, aurait au moins mérité qu’on l’évoquât. Peut-on en effet séparer la prière et la christologie augustinienne de cette anthropologie de l’homme livré à ses propres forces, incapable de satisfaire ce désir d’infini pour lequel il a été fait, et qui, s’il n’est pas prédestiné par Dieu au salut, ne peut que se damner ? Vision radicale et terrifiante, dira-t-on, mais qui affleure bien souvent chez Augustin et qui demanderait qu’enfin on la prît à bras-le-corps, tant elle eut une influence durable sur la théologie occidentale.

Mais ce sont là des questions qu’un livre d’introduction ne pouvait peut-être pas traiter. Prenons-le comme guide vers les textes d’Augustin. Car elles sont là, les pages qui ont marqué la culture occidentale, de Pétrarque à Pascal ou Chateaubriand. On y trouvera un imaginaire puissant qui dit la condition humaine, une langue tout entière irradiée par cette tension de l’homme vers son Créateur. Le maître de rhétorique n’a pas disparu derrière le maître de vie, mais a su faire d’une maîtresse d’erreur et de fausseté, une servante de la vérité.

Charles-Olivier Stiker-Métral, né en 1976, marié, pensionnaire de la Fondation Thiers.

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