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Sainte Catherine de Gênes, une sainte en Purgatoire

Florent Thibout

Sainte Catherine de Gênes (1447-1510) a été gratifiée d’une expérience mystique par laquelle il lui fut donné d’éprouver dans sa chair la souffrance des âmes du purgatoire mais surtout d’en comprendre, autant que faire se peut, la nature et les raisons.

Rappelons en passant que la doctrine du purgatoire n’est pas, comme on le croit aujourd’hui trop souvent, une trouvaille tardive de l’Église. Son existence est attestée dans les Évangiles (Mt 5,25-26 ; Lc 12,58-59), surtout dans saint Paul (1 Co 3,15), mais aussi dans l’Ancien Testament. Dans le deuxième Livre des Maccabées (ch.12), il est question de prier pour les morts, donc pour des âmes qui ne sont ni au ciel ni en enfer.

Les curieux seront déçus. La révélation de sainte Catherine de Gênes ne donne lieu a aucune imagerie fantastique mais à un véritable traité théologique dont les informations (et c’est évidemment une garantie) concordent en tous points avec l’enseignement de l’Église, qu’elles éclairent sans rien y ajouter, avec sa foi, qui est la même hier, aujourd’hui et demain. Le Traité du purgatoire est, stricto sensu, une œuvre traditionnelle.

Il pourrait aussi bien s’appeler « traité du péché » ou « traité de la justice divine », ou encore « traité de la miséricorde de Dieu ». Ce sont des pages de feu dont la lecture donne vraiment envie de gagner ici-bas notre paradis sans faire le détour par un purgatoire que l’on a tendance aujourd’hui (dans la mesure, et elle est faible, où l’on s’en soucie encore et où les paroissiens entendent prêcher les fins dernières) à considérer comme une salle d’attente assez tranquille, un peu ennuyeuse sans doute, mais guère plus, avant la vision béatifique. Détrompons-nous. Les souffrances du purgatoire sont aussi vives que celles de l’enfer quand même elles s’accompagnent, mais sans les diminuer, d’une joie intense due à la certitude d’être sauvé et, au terme de la purification, d’être pleinement uni à Dieu.

C’est dans cette tension que réside l’essentiel des souffrances des âmes du purgatoire. Elles sont unies à Dieu par un lien de charité parfaite (elles veulent ce que Dieu veut) et elles voient par conséquent toute l’horreur du péché. C’est une souffrance d’amour. Leurs peines sont d’autant plus intenses qu’elles sont attirées vers Dieu et qu’elles voient toute la laideur des souillures qui les empêchent de Lui être déjà unies. Un raisonnement hâtif pourrait faire croire que leurs souffrances diminuent à mesure que le feu de l’amour les débarrasse de leurs scories. Il est vrai qu’à mesure qu’elles sont purifiées, elles voient de mieux en mieux la bonté, la beauté et la pureté de Dieu, et c’est le motif d’une paix grandissante. Mais en même temps, c’est aussi leur regard sur leurs péchés, sur tout ce qui les sépare encore de Dieu, qui gagne en acuité, et c’est la source de la plus vive souffrance. Le temps de la peine diminue, pas l’intensité des souffrances.

C’est l’amour de Dieu, l’amour que Dieu a pour les âmes, qui les attire à Lui et suscite en elles un amour toujours plus grand :

L’amour divin, en subjuguant cette âme, lui confère une paix inimaginable, quoique celle-ci ne diminue en rien ses souffrances, puisque c’est l’amour différé qui les occasionne, et elles sont d’autant plus grandes que Dieu l’a faite plus capable de son amour ». (chapitre XII)

Et pourtant,

comme la volonté de ces âmes est si complètement unie à celle de Dieu par la charité parfaite, et qu’elles se trouvent si heureuses d’être placées sous sa divine dépendance, on ne peut pas dire que leur peine (qualifiée néanmoins ailleurs « d’épouvantable ») soit une souffrance. (Chapitre II)

Les peines du purgatoire ne sont pas d’ordre « psychologique ». L’âme y souffre, elle ne se torture pas. C’est une souffrance sans médiation aucune. L’âme souffre parce qu’elle n’est pas encore unie à ce Dieu pour lequel elle est faite : la souffrance est l’effet direct de son exil ontologique et non pas la conséquence d’une quelconque ratiocination, de quelque rumination de ses fautes. Une âme exilée, oui, mais pas une conscience malheureuse.

Ses souffrances ne peuvent pas être de type psychologique parce qu’à l’heure de la mort, les âmes sauvées sont débarrassées de toute intériorité.

A l’instant où elles quittent la terre, elles voient pourquoi elles sont envoyées en purgatoire, mais plus jamais après ; autrement, elles retiendraient encore quelque chose de personnel, ce qui ne peut avoir accès en ce lieu. Étant affermies en la charité, elles ne peuvent plus en dévier par aucun défaut (la peine du purgatoire, c’est donc d’être dans un rapport de pleine charité avec Dieu mais non encore satisfait par une pleine union avec Lui) et n’ont plus d’autres désirs que la pure volonté du parfait amour, ne pouvant en être séparé par quoi que ce soit. Elles ne peuvent ni commettre le péché, ni mériter en s’en abstenant. (chapitre I)

C’en est fini du remords, de la contrition, de la considération du temps passé et des fautes commises. Nous sommes dans l’éternité. Affranchis du temps et de l’espace. Il y a un mystère de cet état qui nécessairement est hors temps, puisque nous avons franchi les portes de la mort, mais où, pourtant, l’on endure. Mystère, puisque toute endurance suppose une forme de temporalité. Au moins pouvons-nous supposer qu’au purgatoire celle-ci ne se compte plus en jours [1]. Elle doit être une sorte d’écoulement mais sans possibilité pour l’âme de se projeter vers un lendemain ou de se retourner vers un hier. Donc une sorte de durée sans passé ni avenir..., sans être pour autant l’Instant éternel, sans durée ni endurance, le perpétuel présent de l’éternité bienheureuse.

Où l’on voit aussi confirmé ce que nous avons l’occasion de constater ici-bas bien souvent : que la temporalité est peineuse et pénible. Certes, l’endurance du temps peut être sereine puisque l’espace temporel est la carrière qui nous est ouverte pour la course vers le ciel. Mais le temps demeure le milieu où la psyché trouve à languir et à souffrir ici-bas et apparemment, mais d’une façon nouvelle (plus pure dans son être donc plus dure), dans l’au-delà. Ainsi, les damnés, bien que se retrouvant dans l’éternité propre à ce qui est post mortem, semblent, d’après sainte Catherine et contrairement aux âmes du purgatoire, ne pas être affranchis de la rumination du passé, de la considération de soi et donc de l’enlisement dans la temporalité qui en est la condition. Les âmes du purgatoire souffrent de la peine de leur péché mais pas de la culpabilité. Les damnés, si. Ils demeurent dans la prison de leur moi, à jamais rongés par le désespoir, entre un passé qui les condamne et un avenir sans avenir, animés d’une éternelle volonté mauvaise que la bonté de Dieu ne peut plus toucher puisqu’avec la mort, ils sont fixés dans l’état où leur liberté les a mis.

L’intensité des souffrances des âmes du purgatoire et même celles des damnés ne doivent pas nous faire douter de la miséricorde de Dieu. Bien au contraire. Ces souffrances sont dans l’ordre. Cet ordre est juste et cette justice est miséricordieuse. Ce n’est pas Dieu qui veut la souffrance, c’est le péché qui les imposent.

On se plaît depuis quelques années à opposer de façon caricaturale (et pas toujours innocente) une Église d’aujourd’hui qui aurait « redécouvert » que Dieu est miséricorde à une Église du passé (n’y en a-t-il pas qu’une ?), dite « janséniste », qui aurait été exclusivement préoccupée, pour ne pas dire obsédée, par la justice d’un Dieu vengeur. Et d’invoquer, pour soutenir ce poncif lancinant, l’enseignement de Thérèse de Lisieux dont aucune parole, pourtant, n’a jamais opposé justice et miséricorde, mais qui toujours rappelle que la justice de Dieu est d’autant plus miséricordieuse qu’elle inclut la considération de notre faiblesse (et cela jusqu’au purgatoire où, d’après sainte Catherine, pour ne pas désespérer l’âme qui Le désire, Dieu a la bonté de la libérer de la considération réflexive des fautes dont elle doit être purifiée. Considération qui, vu leur nouvelle et entière lucidité, serait la source d’une douleur, d’un désespoir insupportable). Oui, la justice de Dieu inclut la charité mais inversement, comme dit saint Vincent de Paul, « il n’y a point de charité qui ne soit accompagnée de Justice ».

La justice de Dieu est miséricordieuse, même aux damnés. Les âmes sont conduites dans le « lieu » qui correspond à l’état de péché mortel ou de sainteté où elles sont trouvées, du fait de leur liberté, à l’heure de la mort. Ce n’est pas Dieu qui les y conduit.

A l’instant même où l’âme se sépare du corps, elle va au lieu qui lui est assigné, n’ayant besoin d’autres guides que la nature du péché lui-même, si elle a quitté le corps en état de péché mortel. Et si l’âme était empêchée d’obéir à ce décret (procédant de la justice de Dieu), elle se trouverait dans un enfer plus profond encore, car elle serait en dehors de l’ordre divin, dans lequel la miséricorde trouve toujours place et mitige la peine complète que l’âme a méritée. C’est pourquoi, ne trouvant pas de lieu mieux approprié, ni dans lequel la peine serait moindre, elle se précipite d’elle-même dans celui qui l’attend. (chapitre VII)

Il n’est nulle « partie » de l’ordre voulu par Dieu qui ne soit habitée de la présence de Celui qui l’a instituée. L’enfer est dans l’ordre des choses divines. Il faut donc croire que Dieu n’en est pas absent, pas complètement, même si l’enfer se définit comme l’état de séparation définitive d’avec Dieu — « Si descendero in infernum, ades » (Psaume 138). Il y a au moins une relation entre l’enfer et Dieu, c’est qu’il appartient à l’ordre voulu par la divine prudence. Il y a donc pire que les pires décrets de l’ordre divin, et ce serait, s’il était possible, le désordre : une situation (ou plutôt non-situation) sans aucun référent pour dire même en quoi elle serait désordonnée, une situation où Dieu serait alors, en tout sens absolument absent.

La vision de sainte Catherine nous est aussi l’occasion d’évacuer un autre lieu commun, lié au premier en ce qu’il est lui aussi l’effet d’une allergie très moderne à la notion même de justice. Il se manifeste par l’incompréhension des notions de peines et de rachats. On n’y voit guère autre chose que l’exigence d’un Dieu rémunérateur, comptable, et finalement bien peu généreux, pour ne pas dire cruel. En général, on ne manque pas de conclure la tirade en parlant de « juridisme ».

Mais ce n’est pas Dieu qui veut la peine, elle est le fruit (amer, sans doute) de la liberté — de la liberté de l’homme dans son rapport à la vérité, donc, le fruit de la justice.

On se demandera alors, pourquoi Dieu ne passe-t-il pas tout simplement l’éponge ? Ce serait Lui demander d’aller contre son ordre, au Logos d’aller contre sa Logique et de commettre une absurdité, au Tout-puissant de commettre l’impossible. Sans doute, Dieu est-il maître de l’ordre des choses, puisque celui-ci est un décret de son infinie liberté. Cela n’implique pourtant pas que Dieu puisse se contredire en le bouleversant (l’exception du miracle est une exception, qui, d’ailleurs, loin de bouleverser l’ordre, le manifeste avec plus d’éclat). La liberté de Dieu est infinie, elle n’est pas arbitraire. L’ordre qu’Il a voulu Lui est, de quelque façon, « co-naturel » (même si, évidemment, la création n’est pas pour Dieu une nécessité).

Qui réfute la nécessité des peines de l’enfer et du purgatoire, réfute aussi, contre toute évidence (quelques catholiques, ou prétendus tels, catholiques à gros tirage, le font aujourd’hui volontiers), la nécessité des souffrances que doit endurer sur terre celui qui veut se sanctifier, et même celle des souffrances du Fils pour la rédemption des hommes (et pourtant, « Il faut qu’il souffre beaucoup », dit l’évangile). A chaque fois, c’est faire peu de cas du péché originel, méconnaître la nature du mal et celle de la créature qui doit être sauvée puis, sauf accès direct au Paradis, être encore purifiée.

Récrimination classique : Dieu ne pouvait-Il pas nous sauver autrement ? D’un coup de force, ou de baguette magique, faire notre salut en expulsant à tout jamais le péché du monde ? Mais c’est l’homme que Dieu veut sauver. Et l’homme est une créature libre : une personne. Ce coup de force reviendrait à nier sa liberté. Il n’y aurait alors plus personne à sauver puisque l’objet du salut ne serait plus une personne... Sauver l’homme, c’est s’adresser à sa liberté, c’est sauver sa liberté faussée par le péché originel. Or, en toute logique (logique ontologique, certes mise à mal depuis notre père Adam), une liberté ne peut être sauvée que par elle-même. Elle se perd ou elle se sauve elle-même. Sinon, elle n’est plus libre. Le salut est son affaire, son choix. Situation paradoxale : pour se sauver, il faut une liberté parfaitement libre ; or, non seulement, celle-ci ne l’est plus — depuis la Chute, elle est bien incapable de se restaurer elle-même — mais si elle l’était encore, elle n’aurait pas besoin d’être sauvée, étant alors d’elle-même toujours en accord avec la vérité, avec la volonté de Dieu.

Cercle vicieux dont seul Dieu peut nous... libérer. Et cela, seulement par l’Incarnation, qui fait paraître sur terre, une liberté humaine authentique, parfaitement libre, qui veut toujours ce que veut Dieu parce qu’elle est aussi celle d’un Dieu : la liberté du Christ, seule liberté humaine qui n’a pas besoin d’être sauvé mais qui a le pouvoir de faire l’humainement impossible : sauver toutes les autres libertés, les libérer du péché, les sauver à leur place. A la seule condition que celles-ci acceptent de prendre place en Lui, de faire corps avec Lui. Donc, aussi de souffrir avec Lui.

Nécessité de la souffrance. L’œuvre du salut est nécessairement une souffrance. Souffrance d’une liberté parfaite, qui, dans un monde de péché, veut absolument ce que veut le Père. Souffrance du pur qui se fait impur (le sans péché s’est fait péché pour nous, dit saint Paul) pour le purifier. Abaissement de l’Incarnation : pour un Dieu, c’est la première (« Il ne s’est pas prévalu de sa condition divine, mais il s’est anéanti... devenant semblable aux hommes... », Ph 2,6) Le Christ souffrira les injures, les coups et la croix. Dans sa chair, mais plus encore, et plus durement que tout homme soumis à un même calvaire, dans son âme, avec une sensibilité surhumaine, avec une inimaginable aversion pour le mal, parce qu’il est le Bien en personne.

Une pure souffrance, plus qu’humaine, plus que physique et psychologique, une souffrance vraiment ontologique, où le Bien souffre du Mal. Et cela n’est pas arbitraire, ce n’est pas l’exigence d’un Dieu cruel, c’est dans la nature du bien et mal, de l’être et du non être. Le Christ, qui n’est que Bien et Bonheur, pur esprit qui ne peut donc souffrir, ne peut néanmoins que souffrir, et jusqu’à la croix, dès qu’Il s’incarne. C’est nécessaire et volontaire. Il veut souffrir ce que nous devrions souffrir, si nous le pouvions et le voulions, pour vaincre le mal et redevenir les êtres bons que la bonté divine avait créés à son image et ressemblance.

Toutes proportions gardées, c’est une souffrance du même ordre — en ce qui concerne la nécessité, l’acuité dans la sensibilité, et le consentement — qu’endure l’âme du purgatoire (avec, bien sûr, au moins cette différence que la sensibilité du Christ au mal est extrême et que ses souffrances sont d’autant plus cruelles qu’il ne les a mérité en rien). Elle voit en toute lucidité le mal, ce qui la sépare encore de Dieu et elle veut sa purification. Elle souffre de ses impuretés « comme » le Christ souffrait de l’impureté de sa création ; et, « comme » Lui, bien plus que physiquement (bien obligée : elle n’a plus de corps).

L’âme du purgatoire, qui est une âme sauvée, est désormais en pleine communion de charité avec Dieu. Elle veut ce que veut Dieu, à la façon dont le Fils veut tout ce que veut le Père) et elles ont donc désormais une aversion semblable pour le péché. Une aversion, en tout cas, bien plus grande que le plus grand saint sur terre, qui souffre et mérite, qui se bat contre la chair, mais qui aussi sera toujours empêché par cette même chair, jusqu’à la mort, de voir parfaitement l’horreur du péché. Le Christ a été le seul homme pour qui la chair n’a pas été une telle limite.

Le Christ devait souffrir parce qu’il est Dieu jeté dans le péché. Le Sauf dans la perdition. L’âme du purgatoire doit souffrir parce qu’elle est sauvée mais encore embarrassée par ses péchés, brûlants comme la tunique de Nessus ; parce qu’elle est dans un pur amour avec Dieu, mais pas encore avec Lui. Elle est du bien qui doit encore se séparer de ses maux, de l’être qui doit laisser se résorber le non-être qui la mine encore, afin d’être comme Dieu et pouvoir le rejoindre.

Nécessité, enfin, de la souffrance des damnés. De ce point de vue, les peines de l’enfer sont l’inverse de celles du purgatoire. Ce ne sont pas les souffrances du pur encore flétri par de l’impur, mais qui sait qu’il rejoindra le Saint. Ce sont les souffrances de l’impur qui sait qu’il ne rejoindra jamais le Pur (c’est donc, s’il est vrai que seul le même connaît le même — « nous serons comme Lui parce que nous Le connaîtrons », dit saint Jean — c’est donc que le damné garde une idée de Dieu. Comment souffrirait-il, sinon, de son éternelle séparation d’avec Dieu, le parfaitement Pur ? Une parcelle, non pour sa consolation, mais pour son désespoir. Encore que l’on puisse y voir aussi l’effet de la miséricorde divine dont parle sainte Catherine, selon laquelle, on l’a vu, il y a pire que l’enfer).

Si, à la mort corporelle, les jeux sont faits ; si l’âme ne peut plus mériter, elle n’en reste pas moins l’âme immortelle d’un être créé libre. Même en enfer, l’homme reste libre en quelques façons : non plus libre de choisir entre le bien et le mal, non plus libre de se purifier en participant aux souffrances du Christ, mais libre parce qu’il reste une personne, non une chose ni un animal. Il reste donc affronté aux conséquences de sa liberté (une liberté qui désormais a un bilan mais plus de champs d’action, une liberté qui s’est détruite en se séparant de Dieu). Il reste une liberté au sens où il reste esprit, qui pense, veut, considère, et souffre (il est, dit sainte Catherine, animé d’une éternelle volonté mauvaise). Et comme être séparé de Dieu est toujours une souffrance, il souffre pour toujours d’être à jamais séparé de Dieu.

On souffre sur terre de n’être pas à Dieu (et c’est vrai même du pire incroyant, puisqu’objectivement Dieu manque à tous — sans, en un autre sens, Lui qui est toujours fidèle, avoir jamais manqué à personne). Au purgatoire de n’être pas encore à Lui. En enfer, de n’être plus jamais à Lui, mais séparé de Dieu comme personne ne l’a jamais été sur terre.

On souffre de n’être pas ce pour quoi, ce pour Qui on a été fait. Sur terre, notre liberté souffre de n’être pas libre. On souffre, pour parler comme Nietzsche, parfois chrétien malgré lui, d’être humains, trop humains. Il aurait dû lire sainte Catherine de Gênes :

Finalement, pour tout conclure, comprenez bien que tout ce qui est humain est entièrement transformé par notre Dieu tout puissant et miséricordieux et que c’est l’œuvre du purgatoire.

Florent Thibout, né en 1959. Maîtrise de Philosophie. Auteur de Après le déluge (Gallimard).

[1] Ce qui, soit dit en passant, n’ôte rien à la pertinence des indulgences partielles que l’Église accordait naguère (elle n’en accorde plus que des plénières pour éviter justement toute équivoque dans les esprits modernes, donc calculateurs), en vertu du pouvoir que son Fondateur lui a donné de remettre les péchés et de dispenser sur terre les grâces divines. On croit souvent qu’une indulgence, par exemple de 100 jours, signifie 100 jours de purgatoire en moins. En vérité, il s’agit d’une rémission de la peine « temporelle » qui reste due (sur terre ou au purgatoire) quand le péché a été confessé et que l’âme est de nouveau en état de grâce — non pas une rémission de 100 jours de purgatoire mais une rémission équivalente à celle qu’aurait obtenu une pénitence de 100 jours, telle qu’elle se pratiquait couramment dans l’Église primitive. L’Église garantit la réalité de la réduction de peine, mais c’est Dieu seul qui connaît les termes de l’équivalence, qui sait ce que valent ces 100 jours, Lui seul qui se charge de faire la conversion de ces jours de pénitence terrestre en telle ou telle durée de cette mystérieuse temporalité propre au purgatoire.

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