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Sauvés dans l’espérance. (Benoît XVI)

Paris, 2007
Jacques-Hubert Sautel

Il y a un an (le 30 novembre 2007) paraissait la seconde encyclique de Benoît XVI, dédiée à l’espérance. Il n’est sans doute pas inutile de la relire brièvement, en regard du thème de ce numéro, comme de l’actualité économique mondiale.

Comme dans sa première encyclique — Dieu est amour (Deus caritas est), 25 décembre 2005 —, le pape accroche l’attention du lecteur par une citation biblique : « Spe salvi facti sumus — dans l’espérance nous avons été sauvés, dit saint Paul aux Romains, et à nous aussi (Rm 8, 24) ». On peut voir là un hommage discret à Jean-Paul II, dont presque toutes les encycliques débutent par une semblable référence biblique ; mais à la différence de son prédécesseur — on pense au commentaire du dialogue de Jésus avec le jeune homme riche en Mt 19, 16 dans Veritatis Splendor —, Benoît XVI ne poursuit pas sur ce registre biblique, il choisit plutôt, comme dans Deus caritas est, de se placer sur le terrain des sciences humaines, par une investigation sémantique, historique et philosophique, sans pour autant évacuer, bien sûr, le substrat scripturaire de cette investigation.

La dimension sémantique de sa réflexion conduit Benoît XVI à souligner que les mots « foi » et « espérance » sont souvent interchangeables dans la Bible : l’espérance des chrétiens, c’est leur foi, c’est-à-dire la certitude que l’horizon du monde dans lequel nous vivons est trop petit pour être l’unique finalité de notre vie et de la vie de tous les hommes. Pour que ce discours ne demeure pas au plan des abstractions, le pape poursuit en mettant en valeur des figures de sainteté qui enjambent les siècles : de saint Paul, le Juif converti — à peine plus âgé que le Christ, puisque nous fêtons depuis le mois de juin le bimillénaire de sa naissance — à Joséphine Bakhita, la petite Africaine née il y a 150 ans, la même espérance parcourt l’humanité, celle qui vient aux hommes de la connaissance et de la fréquentation de Jésus-Christ, et de la conviction intime que, même dans les plus grandes détresses, nous ne serons jamais abandonnés de Lui.

Ces figures de saints — nous voyons ensuite Ambroise de Milan, Augustin d’Hippone, Grégoire de Nazianze, Maxime le Confesseur, Bernard de Clairvaux, Thomas d’Aquin —, comme aussi des penseurs contemporains comme le Père H. de Lubac, souvent cité dans ces colonnes, permettent à Benoît XVI de faire une discussion serrée, d’une grande technicité, sur l’Epître aux Hébreux, qui met en lumière le caractère réel et personnel de l’espérance — la vie éternelle est déjà tangible à celui qui croit en Jésus— comme aussi sa dimension communautaire, qui embrasse toute l’humanité. Puis, le pape prend « à bras le corps », toujours avec l’aide de ces autorités de foi que nous avons citées, la confrontation de l’espérance chrétienne avec tous les penseurs modernes : il dénonce la mise à plat, à l’horizontale pourrait-on dire, de cette espérance devenue celle du progrès scientifique et technique de l’humanité. Vidée de la relation personnelle à Jésus-Christ, qui est à vivre en société (dans l’Eglise), l’espérance que peut donner la possession des biens matériels a fait long feu : il faut redécouvrir des lieux concrets d’apprentissage de l’espérance.

Tel est l’objet de la seconde partie de la seconde encyclique de Benoît XVI, qui a donc, comme Deus caritas est, une dimension plus pratique que théorique. Toutefois, le parallèle est un peu trompeur, si on essaie de le prendre à la lettre : le pape ne fait pas ici une revue des modes d’action institutionnels de l’Eglise qui sont informés par l’espérance, comme il l’a fait pour la charité, il énonce plutôt quelques rappels de théologie morale qui s’imposent à tous ceux qui veulent suivre Jésus-Christ.

Ces rappels sont de trois ordres : la prière, la capacité de la souffrance, l’attente du Jugement. Ce n’est donc pas une morale « à l’eau de rose » qui nous est proposée : par de très belles lignes, illustrées encore de multiples références, notamment littéraires (Platon et Dostoïevski) sur le don de soi à Dieu dans la prière, puis sur la consolation et la compassion, le pape nous conduit au paradoxe suprême. Car le Jugement de Dieu est objet d’espérance pour le croyant : le fondement de son espérance, Jésus, est solide et il résiste à la conscience que le fidèle peut avoir de son propre péché. La rencontre définitive avec Jésus, loin d’inspirer la terreur, est plutôt, pour celui qui lui a donné sa foi, l’horizon de la vie d’ici-bas, puisque c’est la rencontre avec un Ami, très cher à son cœur.

Une belle prière à la Vierge Marie scelle ce texte dense, à lire et à relire. En voici les dernières phrases : « Sainte Marie, Mère de Dieu, notre Mère, enseigne-nous à croire, à espérer et à aimer avec toi. Etoile de la mer, brille sur nous et conduis-nous sur notre route ! ».

Jacques-Hubert Sautel, Né en 1954, oblat séculier de l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes. Travaille au CNRS sur les manuscrits grecs (Institut de Recherche et d’Histoire des Textes).

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