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Science ou religion : un faux débat ?

Isabelle Rak

Le scientifique croyant est, encore de nos jours, considéré comme une bête curieuse, qui accueille en général avec une indulgence mi-ironique, mi-résignée la sempiternelle interrogation sur la “ compatibilité ” entre sa foi et la science, et qui en appelle trop souvent à un cloisonnement absolu des deux domaines pour éluder une question systématiquement posée depuis trois siècles. La séparation totale est un fait qui, aujourd’hui encore, ne se discute pas ; le scientifique qui, par la grâce de Dieu, se dit à la fois attaché à l’étude raisonnée de la création dont il a fait son métier et adepte d’une religion, est condamné à la schizophrénie intellectuelle. A la science le discours rationnel sur le monde, à la foi l’irrationalité, l’obscurité des transports mystiques. Alors que la raison scientifique a depuis longtemps perdu la foi, celle-ci par là-même a perdu la raison. A entendre certains cantiques dominicaux, on serait presque tenté d’approuver cette caricature...

Ce même scientifique constate par ailleurs bien souvent que la science qu’il pratique chaque jour diffère profondément de l’image qu’en ont gardée, non seulement le petit nombre de ses collègues encore accrochés au positivisme d’un autre siècle, mais aussi et surtout les non-scientifiques, philosophes, écrivains, journalistes - et tout un chacun-, pour lesquels la science serait potentiellement capable d’expliquer tout ce qui existe dans le monde réel. En conséquence, tout événement ou phénomène inexplicable par la science est considéré comme le fruit de la seule imagination humaine, fertile en mythes explicatifs et rassurants sur la destinée de l’homme et du cosmos.

Il conviendrait donc d’examiner en quoi cette vision de la science comme auto-explication positiviste du monde n’est pas pertinente, ni du point de vue de la démarche scientifique elle-même, ni du point de vue de la logique formelle, et encore moins au niveau philosophique et anthropologique. Les travaux de Karl Popper constituent à cet égard une avancée décisive, et nous nous en inspirerons tout au long de cet article. Il restera, à la lumière de cette mise au point, à tenter de montrer à quel point l’antagonisme prétendu entre la science et la foi est largement surfait, et peut être dépassé au profit d’une vision qui, loin de confondre les deux domaines, identifie les véritables différences sous les auspices d’une seule et unique raison.

Un préjugé tenace : le déterminisme scientifique

L’idée fondamentale de ce déterminisme est en général celle que “ le grand public ” se fait de la science : celle-ci serait susceptible de rendre compte quantitativement, avec n’importe quel degré de précision, de tout événement passé, présent ou à venir, à condition que soient établies les lois de la nature et que soit connu l’état présent ou passé (ce qu’on appelle les “ conditions initiales ”). La toute-puissance prédictive de la science est ainsi clairement définie par Laplace, dans son Essai philosophique sur les Probabilités (1819) :

Nous devons ... envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée, et la situation respective des êtres qui la composent : .... rien n’en serait incertain pour elle, et l’avenir comme le passé serait présent à ses yeux.

Ainsi, tout événement pourrait être prédit avec la précision désirée, à condition d’en connaître exactement les conditions initiales. Plus encore, toute prédiction devrait être capable de définir quel est le degré de précision requis concernant les conditions initales qui permettent de la réaliser.

Cette forme de déterminisme absolu implique une toute-puissance qui est d’ordinaire un attribut divin. Une telle vision de la science positiviste n’est-elle pas, plus simplement, une transposition d’un déterminisme d’origine religieuse à la sphère profane ? Karl Popper, dans L’Univers Irrésolu (1984) en est pour sa part convaincu :

D’un point de vue historique, l’on peut considérer l’idée du déterminisme “ scientifique ” comme le résultat de la substitution de l’idée de nature à celle de Dieu, et de l’idée de loi naturelle à celle de loi divine. La nature, ou faudrait-il dire plutôt la “ loi de la nature ” ? est toute-puissante autant qu’omnisciente. La nature détermine tout par avance.

Cette identification tenace de la démarche scientifique à une vision déterministe du monde et de son fonctionnement imprègne encore bien des esprits. Mais la “ vraie ” science, celle qui se construit tous les jours dans les laboratoires, fonctionne-t-elle selon ces principes ? Plus encore, le déterminisme est-il vraiment de son côté, lui qui enferme toutes choses dans un schéma pré-établi qu’il suffirait de découvrir pas à pas pour parvenir à la toute-puissance ?

Un schéma bien fragile

Remarquons en premier lieu qu’une définition aussi “ totalitaire ” du déterminisme dit scientifique est en même temps d’une grande fragilité : il suffit d’un seul exemple mettant en défaut ce déterminisme pour que tout l’ensemble s’écroule. Or, bien des domaines des sciences de la nature, en physique, en chimie et plus encore en biologie, échappent encore et toujours plus à ce schéma très strict, né des succès impressionnants de la mécanique newtonienne au XIXe siècle. Bien plus, la prédictibilité d’événements uniques, pourtant nombreux tout au long de l’histoire de la Terre et de l’homme, n’a guère de sens : la science s’efforce de valider ses théories par l’explication d’événements reproductibles ou la mise en place d’expériences répétables. Les astrophysiciens recherchent dans d’autres galaxies la “ répétition ” de l’événement, pourtant bien singulier, qui amena la formation de notre système solaire.

Déterminisme et causalité

Bien sûr, les partisans acharnés du déterminisme répondront que la non-prédictibilité apparente de certains événements résulte de notre seule ignorance de certains maillons de la chaîne des causes qui ont permis à ces événements de se produire. Ils confondent par là déterminisme et causalité. Si nous admettons que le monde peut être décrit par la raison, il faut admettre le principe d’une causalité universelle et que tout ce qui existe est le résultat d’une succession de causes. Mais la causalité ne s’identifie pas pour autant au déterminisme défini par Laplace et ses successeurs positivistes : il s’agit d’une notion plus qualitative que quantitative. La connaissance d’un mécanisme, par exemple dans le cas d’une réaction chimique, même si elle s’établit sur des mesures quantitatives, n’implique pas nécessairement la prédiction du résultat de ce mécanisme avec un degré de précision aussi élevé que l’on veut. Le chimiste a beau connaître parfaitement - dans le cas idéal - l’enchaînement des causes qui conduit à la synthèse d’une nouvelle molécule, il rirait au nez de celui qui prétendrait prédire le rendement de sa réaction au millionnième près !

Un autre problème lié au déterminisme “ scientifique ” est celui de la complexité. Connaître les conditions initiales d’un système avec une précision infinie rend le problème tellement complexe que la modélisation exacte devient impossible. L’exemple classique en la matière est celui de l’horloge, objet au comportement hautement prédictible au premier abord, par opposition au nuage, encore largement imprévisible malgré la complexité des modèles proposés et la puissance grandissante des ordinateurs qui les appliquent. Le positiviste prétendra que la science pourrait prédire l’évolution du nuage aussi bien que celle de l’horloge à condition de disposer d’un nombre suffisant de données initiales ; mais on peut lui répondre que, pour être en mesure de prédire le comportement de l’horloge (avance, retard) avec une précision infinie, il faut la décomposer en éléments de plus en plus ténus et de plus en plus nombreux (atomes, molécules) dont la somme constitue un objet aussi complexe que le nuage !

Complexité et approximations

La complexification d’un système constitue d’ailleurs, à terme, un obstacle à sa connaissance. La modélisation de la nature que suppose toute démarche scientifique est toujours une simplification. Celle-ci commence dès qu’un système comprend plus de deux entités élémentaires : on sait que la mécanique est incapable de le décrire rigoureusement. On doit alors réduire l’objet en question à un objet plus simple, qui n’est qu’une approximation du précédent. Toute la physique moléculaire, en particulier, repose sur cette démarche. La connaissance rationnelle et non empirique du monde, qui suppose une modélisation de celui-ci, exige sa simplification, ce qui implique que l’on renonce à le connaître et à le prédire de façon exacte. “ Plus on avance dans la connaissance, moins on en sait ” écrivait déjà Confucius. En d’autres termes, ce qui reste à connaître dépasse largement notre capacité de connaissance, n’en déplaise à Husserl qui n’a sans doute, à sa décharge, jamais mis les pieds dans un laboratoire. La rencontre de l’homme avec la nature à travers la démarche scientifique n’est pas une marche triomphale, elle est une première découverte de l’altérité, de la résistance de ce qui n’est pas soi et qui déjà nous dépasse. Nous y reviendrons. Plus simplement, les théories scientifiques sont limitées par les limites mêmes de l’homme, être fini et perpétuellement en apprentissage. Prétendre qu’elles sauraient un jour décrire et prédire la totalité du réel est un non sens, non seulement du point de vue de la méthode scientifique , mais aussi du point de vue de la logique formelle.

Le déterminisme contre la science ?

On sait depuis Gödel (et sans doute bien avant lui) qu’aucun système fermé n’est auto-explicatif. Un système ne peut se décrire lui-même, et point n’est besoin de savantes démonstrations pour le comprendre ; considérons simplement un dessinateur qui doit faire de la pièce où il se trouve un plan le plus exact possible. Il doit donc se représenter lui-même, ainsi que le dessin qu’il fait de la pièce en question, lequel le représente à nouveau avec son plan, et ainsi de suite à l’infini... On peut transposer cet exemple à celui de l’auto-prédiction scientifique : si, d’après le déterminisme scientifique, tout peut être prédit, le scientifique doit pouvoir prédire quelles découvertes il fera à tel moment de l’avenir, ce qui est éminemment absurde, puisque dès que cette prédiction est faite, la découverte l’est aussi et appartient alors au temps présent. Et, bien sûr, l’autoprédiction de l’homme est impossible.

Certains vont plus loin encore dans la réfutation du déterminisme scientifique. Un certain Haldane (The inequality of Man, 1932), reprenant des arguments de Descartes et avant lui de saint Augustin, fait remarquer que

... si le matérialisme est vrai, il me semble qu’il est impossible qu’on sache qu’il est vrai. Si mes opinions sont le résultat de processus chimiques ayant lieu dans mon cerveau, elles sont déterminées, non point par les lois de la logique, mais par celles de la chimie.

A travers le matérialisme, c’est le déterminisme “ scientifique ” qui est visé ici. Car un aspect fondamental de la démarche scientifique a été négligé jusqu’ici : la part d’argumentation et de décision qui conduit le chercheur et sa communauté de spécialistes à établir qu’une théorie est plus “ vraie ” qu’une autre, parce qu’elle paraît plus adaptée pour décrire le réel. Le processus qui conduit à cette décision est de l’ordre de la délibération raisonnée, du discours - du logos. Pour qui serait entièrement déterminé par des processus physico-chimiques, la notion de décision, de jugement, si importante dans le développement de la pensée scientifique, n’aurait plus aucun sens. En forçant un peu le trait, on pourrait parfois se demander si une vision trop “ déterministe ” de la science ne serait pas le pire ennemi qu’elle puisse rencontrer.

Et la liberté ?

Dès lors, ce n’est plus une affaire de logique, mais un problème philosophique et anthropologique qui est posé par le déterminisme absolu. Celui-ci exclut toute décision et donc la liberté. Il ne s’agit pas pour autant de s’en remettre à la Mécanique Quantique, à la Physique Statistique ou à tout autre modèle qui semble admettre quelque forme que ce soit d’indétermination du monde physique, pour en conclure que la liberté vient précisément habiter ces zones d’inconnu. La liberté n’est pas un autre nom du hasard ou du principe d’incertitude de Heisenberg [1]. Certes, la “ décision ” scientifique d’adopter une représentation plutôt qu’une autre pour rendre compte d’un phénomène advient toujours aux frontières de la connaissance, lorsque la compréhension du système étudié est en cours. Mais la liberté humaine s’exerce aussi au cœur de la connaissance elle-même : lorsque le scientifique ou l’ingénieur conçoit et réalise de nouvelles expériences, de nouveaux dispositifs, ils exercent au plus haut point leur liberté en prenant, à chaque étape du développement, des décisions impliquant des choix technologiques. A ce titre, la technique, tant de fois décriée par Heidegger et quelques successeurs moins talentueux, demeure le lieu d’excellence du déploiement d’une liberté appelée à s’exercer constamment dans la mise en place d’instruments nouveaux.

Démarche scientifique et expérience religieuse :
rapprochements et divergences

Quand bien même la question du déterminisme dit “ scientifique ” aurait enfin, pour le plus grand profit de tous, perdu de son acuité, on ne peut pour autant confondre la sphère des sciences de la nature de celle de la connaissance de Dieu. L’expérience religieuse est marquée par un caractère unique et non-reproductible, parfois difficile à communiquer et indescriptible. L’événement de la rencontre de Dieu et de l’homme, dans la vie spirituelle de chacun aussi bien que dans le déploiement de l’histoire du salut, est non-prédictible et non-quantifiable. Il s’agit de l’établissement d’une rencontre interpersonnelle, affective bien qu’objective, qui est rendue possible par ce qui est commun à Dieu et à l’homme, parce que celui-ci est créé à l’image et à la ressemblance de son Créateur. L’homme entre avec Dieu dans une “ communion ” qui n’a rien de comparable avec ce qu’il peut éprouver face au monde des réalités physiques, qui lui resteront toujours irréductiblement extérieures. Il ne peut lui appliquer la méthode de “ réduction ” qui consiste à ramener l’objet à connaître à une représentation simplifiée de celui-ci.

Mais d’autre part, la transcendance divine place l’objet de la recherche religieuse hors du monde, au-dessus de lui. Contrairement à l’objet physique, le divin n’est pas accessible aux sens ni aux instruments de mesure. Le regretté Gagarine, qui croyait prouver l’inexistence de Dieu pour ne pas l’avoir rencontré dans l’espace, a été abondamment brocardé à cette occasion. L’homme se trouve vis-à-vis de Dieu dans une situation d’infériorité et de soumission, alors qu’il est appelé à soumettre et à dominer toutes les autres créatures visibles. La capacité de détecter, de mesurer et de prédire le comportement de ces créatures ne relève pas d’un déterminisme pré-établi, mais constitue la marque irréfutable de la prééminence de l’homme sur le monde, n’en déplaise aux tenants d’une écologie radicale.

Il n’en reste pas moins vrai que sur bien des aspects, activité scientifique et recherche de Dieu peuvent relever de démarches similaires. D’un côté comme de l’autre, il s’agit d’une expérience on ne peut plus radicale de l’altérité : l’objet dit “ inférieur ”, même maîtrisable par l’homme, lui reste irréductiblement différent ; non seulement parce qu’ils n’ont pas grand chose en commun en ce qui concerne leur nature propre, mais aussi parce qu’une créature du monde physique ne se laisse pas si facilement dominer, ni pour la comprendre, ni pour l’utiliser. Et si tel est le cas, ce n’est peut-être pas seulement parce que l’intelligence humaine est obscurcie par le péché ; la “ résistance ” que la nature oppose à l’investigation scientifique est bien plutôt le signe qu’elle est habitée par une rationalité, une cohérence, une logique qu’il appartient à l’homme de découvrir au cours d’un patient apprentissage. Le monde, comme l’homme, comme Dieu lui-même, est doté d’une raison, d’un logos. A moins d’en être resté à une vision du divin identifiée à des forces obscures et arbitraires, la nature nous apprend que le Créateur lui-même est Logos. “ Peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de science y ramène ” écrivait Pasteur qui avait démonté le mythe de la génération spontanée, reliquat en plein XIXe siècle positiviste d’une sacralisation des forces de la nature.

Et pour qui a goûté quelque peu à l’investigation théologique, la cohérence interne du développement de ce discours sur Dieu est marquée d’une rigueur particulièrement séduisante pour un esprit scientifique. En découvrant qu’à partir de quelques données de base, il peut accéder - de manière incomplète, certes, mais qui demeure rationnelle - à tous les aspects sous lesquels le Dieu de la révélation biblique se fait connaître, le scientifique se voit engagé dans une démarche qui lui apparaît beaucoup plus familière que celle du philosophe ou du critique littéraire...

On dira que l’objet de la recherche théologique dépasse infiniment ce que nous pouvons en connaître. Mais nous avons cru aussi que, d’une certaine manière, la science étudie un monde dont la richesse dépassera toujours ses propres capacités à le connaître entièrement. Elle aussi est confrontée, dans un certain sens bien sûr très différent de celui qui préside à la démarche religieuse, à un “ objet ” qui ne pourra jamais être décrit dans sa totalité, parce qu’il dévoile de plus en plus, au fur et à mesure que l’on progresse dans sa connaissance, sa richesse et sa complexité.

La nature et ses “ lois ” : un autre regard ?

Le malentendu noué entre la foi et la science par le déterminisme scientifique pourrait peut-être être levé par une approche élargie du concept de “ loi de la nature ”. Pourquoi les hommes, qui sont censés la dominer, se pensent-il toujours soumis à ses lois ? Pourquoi certains esprits scientifiques ne peuvent-ils admettre ne serait-ce que l’éventualité d’un événement inexplicable ou “ miraculeux ” parce qu’ils n’entre pas dans le cadre de ces lois ? Que la nature fonctionne suivant un enchaînement logique de causes et d’effets n’implique pas nécessairement, on l’a vu, un déterminisme absolu. La considérer comme obéissant à des lois incontournables ne relève-t-il pas d’une conception un peu réductrice de ces “ lois ” ? Il serait temps de comprendre que si nous pensons la logique du monde créé en termes de lois, c’est peut-être à cause de notre vision incomplète, bornée, parfois biaisée du monde physique.

Lorsqu’un phénomène inexplicable se produit, faut-il l’éliminer immédiatement du champ des possibles en invoquant des lois qui ne sont après tout que le reflet de nos propres limites, ou bien ouvrir ces lois à des potentialités plus vastes de la nature, que nous sommes pour l’instant incapables de maîtriser ou de comprendre du fait de notre péché ? Il n’est pas besoin de faire appel à une violation de la rationalité du monde pour rendre compte d’événements singuliers ; on peut très bien admettre que la création est gouvernée par une logique beaucoup plus complexe et plus riche que ce que nous pouvons en appréhender aujourd’hui. Et quand se produit ce que nous appelons à juste titre un “ miracle ”, celui-ci n’est-il pas la réalisation de ces potentialités que seule la puissance et la sainteté divines sont en mesure d’utiliser pleinement ?

Refuser les idoles

La question suprême, quand il s’agit d’étudier la nature, est, pour le scientifique comme pour le croyant, de la désacraliser, de refuser d’en faire une idole. L’exemple cité plus haut de la génération spontanée montre à quel point cette sacralisation est tenace. La connaissance raisonnée comme la Révélation judéo-chrétienne reposent l’une et l’autre - l’une par l’autre ? - sur l’exigence fondamentale de dé-divinisation de la nature, et de dé-naturalisation de l’idée de Dieu. Il peut être instructif à cet égard de mettre en parallèle l’énumération des créatures que l’homme est appelé à dominer : “ Emplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre ” (Gn 1, 28) et l’interdit de la représentation sculptée de ces mêmes créatures : “ Tu ne feras rien de sculpté figurant quoi que ce soit de ce qui est en haut dans le ciel, ou en bas sur la terre, ou plus bas dans les eaux ” (Ex 20, 4) [2].

La véritable “ domination ” du monde par la raison humaine passe par cette exigence incontournable de refus de l’idolâtrie, qui est non seulement, pour l’homme de science, désacralisation de la nature, mais aussi volonté de rechercher sa rationalité au-delà de la présence brute - brutale ? - de l’objet qui s’imposerait alors de lui-même, dans cette tyrannie de l’apparence qui en fait alors une idole. Rechercher une cohérence au-delà de la manifestation première, au-delà d’une vision superficielle, naïve et risquant de tomber à tout instant dans la superstition, constitue le fondement même de la démarche scientifique : pour elle aussi, “ l’essentiel est invisible pour les yeux ” (Saint-Exupéry).

Isabelle Rak, née en 1957, mariée. Professeur des Universités (Sciences Physiques) et chercheur à l’Ecole Normale Supérieure de Cachan. Membre des comités de rédaction des revues Communio et Résurrection.

[1] Principe fondamental de la Mécanique Quantique, selon lequel il existe des couples de grandeurs physiques (position et vitesse, énergie et durée) qui, à l’échelle atomique ou sub-atomique, ne peuvent être connus simultanément avec une précision infinie.

[2] H. et J. Zyss, communication personnelle

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