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Te igitur. Le Missel de saint Pie V, Herméneutique et déonto-logie d’un attachement. (François Cassingena-Trévedy)

(Sophia), éd. Ad Solem, Genève, 2007, 94 p.
Matthieu Cassin

François Cassingena-Trévedy, moine de Ligugé et spécialiste de la littérature syriaque, mais aussi poète, offre ici un très beau petit livre, qui est à la fois une étude des raisons de l’attachement maintenu ou découvert par certains pour le missel tridentin et une méditation ancrée dans l’histoire sur les facteurs nécessaires pour qu’un livre liturgique puisse porter les fruits qu’a portés autrefois celui-là. Les deux fils sont constamment entrelacés, ce qui n’aide pas toujours à faire clairement la part des choses, mais ce qui en rend la lecture aisée et fluide, admirablement servie par le sens de l’écriture de frère François.

Le second fil retient, plus que le missel tridentin lui-même, son intégration dans un système religieux cohérent et unifié, au croisement de quatre pôles, théologique, dévotionnel, social, esthétique. L’auteur montre comment, au sein du système catholique élaboré à partir de l’édifice tridentin, ce missel a pu porter des fruits nombreux dans chacune de ces dimensions, au long des cinq siècles où il a été employé comme forme normale de la liturgie catholique latine. Frère François souligne en particulier comment il a pu être au centre d’une telle fécondité dans la mesure où il reflète exactement, au plan liturgique, l’ensemble du système alors bâti, et aujourd’hui disparu comme système intégrant la totalité de la société, qu’il s’agisse du cadre social comme du cadre ecclésial.

L‘auteur s’attache aussi à mettre en évidence les mauvaises raisons qui conduisent beaucoup à s’attacher à l’objet qu’est le missel tridentin : selon lui, beaucoup en font un signe de ralliement, c’est-à-dire un moyen de se différencier, de se mettre à part comme un groupe excellent et protégé, alors même que le missel, livre de la célébration commune de l’Église, et plus encore celui de Trente, voulu également pour unifier la liturgie du monde latin, est le livre de toute la communauté de l’Église, établi par son magistère. En ce sens, quelques traits sont esquissés à partir du missel de Paul VI, soulignant d’une part qu’il est le livre actuel de l’Église et d’autre part qu’il est jeune encore, au regard du temps liturgique – qu’on ne peut donc lui demander d’avoir déjà porté les fruits de son prédécesseur, qui en a certes livré de grands, mais en cinq cents ans d’histoire, pas en cinquante.

Une comparaison des traits propres des deux missels est esquissée, sans doute trop rapidement, de même qu’il n’est que trop rapidement rappelé à la fois que le missel tridentin n’est pas le missel de l’Église dès l’origine, bien loin de là, et que le missel Paul VI s’ancre lui aussi largement dans la tradition catholique et dans une conception unifiée de l’Église, certes différente de la chrétienté tridentine opposée à la Réforme, mais réelle et vivante. Frère François met également en évidence l’ethos de la célébration propre à chacun, l’un plus mystérique, l’autre plus social, et envisage comment la relecture du missel tridentin pourrait aider à enrichir encore le missel Paul VI : cette piste est simplement esquissée.

La préface de Grégory Solari, directeur des éditions Ad Solem, est parfois en décalage assez net avec l’esprit du livre, ne retenant que les traits positifs relevés par frère François quant au missel tridentin, et laissant de côté tout l’autre fil, c’est-à-dire la critique des mauvaises raisons de l’attachement à ce missel. Elle oriente la lecture du livre d’une manière qui est peut-être préjudiciable, et l’on souhaiterait presque qu’elle ait plutôt été placée en postface.

Matthieu Cassin, Né en 1980, élève de l’Ecole Normale Supérieure.
http://matthieu.cassin.org

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