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Traité des sacrements. ( I –Baptême et sacramentalité. 2. Don et réception de la grâce baptismale).

Jean-Philippe Revel, Collection « Théologies », Cerf, 2005, 811p.

Après un premier volume intitulé « Origine et signification du baptême » (voir notre recension dans Résurrection, n°104), les éditions du Cerf nous livrent le second volume du « Traité des sacrements » du Fr. Jean-Philippe Revel. Il faut tout d’abord rassurer le lecteur. L’épaisseur de l’ouvrage ne doit pas décourager, car elle est justifiée par l’abondance des sujets traités. Mais une lecture tranquille, qui prend son temps, permet d’en venir à bout, même si certaines parties sont plus ardues ou présentent moins d’intérêt pour le lecteur d’aujourd’hui. Le souci de l’auteur d’être complet explique la richesse de l’ensemble des sujets traités.

Comme le laisse pressentir le titre, ce volume comprend deux grandes sections : la première est consacrée à l’étude du sacrement baptismal sous l’angle de l’action qui va de Dieu vers l’homme, donc du don. Ainsi, l’auteur commence donc par aborder le problème de l’efficacité du sacrement, ce qui le conduit à examiner et critiquer tout ce qui a pu être dit sur la « causalité efficiente » des sacrements, puis sur le problème de la grâce sacramentelle. La première section aborde en dernier lieu la question du ministre, en particulier de son rôle exact et des conditions d’exercice de sa fonction. Un des points importants est celui de l’intention avec laquelle il administre le sacrement.

Dans la seconde section, qui examine le sacrement sous l’angle de celui qui le reçoit, les questions étudiées sont nombreuses. Tout d’abord celle de la réception fructueuse du sacrement, liée à la bonne disposition du sujet, occupe la première place. Mais se pose alors le cas particulier — en fait très général de nos jours en pays de tradition chrétienne —, du baptême des enfants en bas âge. Puis est envisagé un autre problème : celui du salut des personnes qui n’ont pas reçu le baptême, pour une raison ou une autre. Enfin, est longuement étudiée la question de la réception du baptême par un sujet mal disposé, question qui débouche sur la notion de « caractère » dans ce sacrement.

Le lecteur appréciera le caractère pédagogique de cet ouvrage où tous les termes techniques sont traduits et expliqués soigneusement, de manière telle que la technicité ne devienne pas un obstacle à la compréhension. A titre d’exemple on peut citer un passage du chapitre consacré au baptême des petits enfants. On sait que cette pratique, qui remonte aux temps apostoliques, a néanmoins été contestée, de l’Antiquité à nos jours. Cette contestation a toujours porté sur le rôle de substitution des parents à leurs enfants. L’argumentation de l’auteur est ici très claire : « Il n’y a aucune raison que cette substitution temporaire des parents à leurs enfants pour choisir et décider à leur place, qui joue pratiquement dans tous les domaines de la vie courante, ne joue pas également dans le domaine religieux. Il est tout aussi légitime que des parents qui veulent transmettre à leurs enfants ce qu’ils ont de meilleur au plan humain, par exemple leur culture ou leur droiture morale ou leur sens de la vérité, veuillent aussi leur transmettre ce qu’ils ont de meilleur au plan spirituel, c’est-à-dire leur foi, leur relation personnelle au Christ, leur appartenance à l’Église. Ici et là, les problèmes sont exactement les mêmes.
Qui plus est, comme nous venons de le voir, c’est la seule façon normale de permettre aux enfants d’accéder à cet héritage. Certes, quelques êtres exceptionnels peuvent accéder à la foi, qu’ils ignoraient totalement jusque-là, par une illumination subite (c’est ce qu’on appelle la conversion), de même qu’ils peuvent découvrir la culture, quoique issus d’un milieu modeste ou même fruste. Mais outre qu’il faut, dans un cas comme dans l’autre, des qualités supérieures à la moyenne, la culture reste d’ordre humain, accessible aux facultés humaines et communi-cable par la rencontre de personnes humaines, tandis que la foi est d’ordre surnaturel, elle échappe aux prises de l’homme, et la conversion ne peut être l’œuvre que de la grâce. Il est donc tout à fait normal, légitime et souhaitable, que les parents fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour transmettre à leurs enfants leur foi et leur vie chrétienne et donc qu’ils demandent pour eux le baptême »
(p 374).

Le salut des non-baptisés est traité en plus de 200 pages, ce qui montre la complexité du problème. Un aspect important examiné est celui du baptême qu’on a nommé de « désir », et qui peut conduire à la justification, mais pas uniquement à cause du désir d’être baptisé. Pour l’expliquer, J-P. Revel fait sienne une argumentation médiévale en écrivant : «  L’auteur de la Summa Sententiarum (Traité V, chap. 7) a bien vu le problème quand il écrit : « Si par la foi et la vraie contrition du cœur, il (le sujet) est déjà délivré de ses péchés, qu’est-ce qui lui sera remis ensuite dans le baptême ? Rien ne lui sera remis dans le baptême, si déjà auparavant les péchés lui ont été remis. A cela on peut répondre que, même si celui dont nous parlons est déjà juste puisqu’il n’a plus la volonté de pécher et qu’il se repent de ses fautes passées, cependant il n’est pas encore justifié, puisqu’il est encore tenu à la dette de son péché. Même si, par la confession, la blessure du cœur a déjà été montrée au médecin, il reste encore à recevoir le médicament. Et qui ne sait que les sacrements sont des remèdes... Mais après la réception du sacrement, il est pleinement justifié et s’il meurt, il ira sans retard dans la gloire... Mais si quelqu’un, ayant la foi avec la charité, veut le baptême et ne peut pas le recevoir, l’article de la mort intervenant, nous croyons que sa dette lui sera remise par l’ineffable miséricorde de Dieu. Aussi longtemps qu’on peut se délier, on est tenu si on ne se délie pas. Mais quand on ne le peut plus et qu’on le voudrait cependant, Dieu ne peut plus vous l’imputer. Car Dieu n’a pas lié sa puissance aux sacrements et bien qu’Il ait décrété de donner le salut par les sacrements, Il peut donner le salut et le donne effectivement sans eux ». Même si ce texte reste dans la perspective des sacrements-remèdes et n’envisage l’efficacité du baptême que du point de vue négatif de la rémission des péchés, l’argumentation en reste très éclairante.
Il est à remarquer que, dans ce texte, comme dans tous ceux que nous avons cités, qu’ils soient de saint Augustin, de saint Ambroise ou de saint Bernard ou même de saint Thomas, il est toujours fait référence à la mort soit de façon explicite, soit par une périphrase. Il nous semble qu’on peut en déduire que ce qui sauve le catéchumène, ce n’est pas seulement son désir, si véhément soit-il, du baptême, mais ce désir, plus la frustration de celui-ci par la mort, qui le rend désormais incapable d’aboutir. C’est en raison de la mort du catéchumène que Dieu comble son désir et c’est au moment de sa mort que Dieu le sauve (et non pas au moment où le désir s’est affirmé dans son cœur). Ainsi, comme pour le martyre d’ailleurs (et comme pour les justes de l’Ancien Testament), il n’y a pas anticipation du salut. Il y a un salut en germe, qui justifie progressivement le catéchumène, mais qui n’aboutit à la pleine justification qu’au moment du baptême ou au moment de la mort quand celle-ci rend le baptême impossible.
 » (p. 466-468).

Il serait intéressant de citer bien d’autres passages de ce livre pour illustrer les divers chapitres que nous avons signalés plus haut. Celui qui étudie la question des sacrements à « caractère », à partir de la pratique de non-réitération du baptême, synthétise toute la réflexion chrétienne sur ce sujet, et est certainement un des plus éclairants de l’ouvrage.

Il ne reste donc plus maintenant qu’à attendre la parution des prochains volumes.

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