Rechercher

Traité des sacrements. II – La confirmation. Plénitude du don baptismal de l’Esprit. (Jean-Philippe Revel).

Collection « Théologies », Cerf, 2006, 799p.
Jean Lédion

Dans ce troisième volume du Traité des sacrements, après avoir étudié les questions générales portant sur les sacrements, puis le baptême, l’auteur, Jean-Philippe Revel, aborde le second sacrement de l’initiation chrétienne : la confirmation. Dans l’antique liturgie baptismale de l’Église, que ce soit en Orient ou en Occident, le baptême, généralement administré lors de la vigile pascale à des adultes qui se convertissaient au christianisme, était immédiatement suivi d’un rite (variable selon les Églises) d’effusion du Saint-Esprit, puis de la célébration eucharistique où le néophyte communiait pour la première fois. Tout semblait simple, car toute l’initiation chrétienne était célébrée en une seule célébration. À cette époque l’important est de participer aux « saints mystères » mais pas de les disséquer pour savoir quel est le rite (et le moment du rite) qui confère tel ou tel effet de la grâce sacramentelle.

Avec la confirmation, on a un bon exemple des difficultés qui apparaissent lorsqu’on veut répondre à des questions de ce genre. De plus, des divergences sont apparues très tôt entre l’Orient et l’Occident sur le moment de l’administration de la confirmation, lorsqu’on baptise des nouveaux nés, sur le rôle de l’évêque, et sur les rites proprement dits. C’est pourquoi toutes ces questions font que l’introduction, consacrée à la position du problème de ce volume est particulièrement abondante, soit 89 pages. Dans cette introduction l’auteur recense toutes les difficultés que l’on rencontre de nos jours au sujet de la confirmation. Ces difficultés sont d’ordre pastoral (âge de la confirmation par exemple), théologique (comme la différence entre la grâce propre au baptême et celle propre à la confirmation), et aussi liturgique (quel est le rite de la confirmation : imposition des mains ou onction ?). Il faut reconnaître que cette longue introduction est tout à fait intéressante, car elle dégage bien toute la complexité des questions qui tournent autour de ce sacrement.

Pour éclairer tous ces difficultés, la première partie du livre est consacrée à une histoire du sacrement de confirmation. Cette enquête historique occupe près de 400 pages de l’ouvrage et est d’une très grande richesse. Sa lecture est tout à fait passionnante, car l’auteur fait un examen qui est sans doute exhaustif de la question. L’étude est faite à l’aide des témoignages patristiques, tant en occident qu’en orient byzantin ou syrien. Il n’est pas possible, en quelques lignes, de la résumer. Cependant, on peut en tirer déjà une constatation de grande importance, que souligne l’auteur, bien avant la fin de sa vaste enquête patristique : « Il est évident que la séparation, maintenant pluri séculaire en Occident, du baptême proprement dit et des rites qui achèvent l’initiation, devenus de ce fait la confirmation, a puissamment contribué à la prise de conscience de la sacramentalité à part entière de celle-ci. Mais cette prise de conscience s’est faite dans un contexte d’éloignement à l’égard du baptême, car il n’est pas possible qu’une séparation matérielle, qui peut aller jusqu’à plusieurs années, n’entraîne pas une séparation au plan de la signification théologique. Il est typique que, dès le début du processus de séparation, au Ve siècle, un esprit analytique comme celui de Fauste de Riez se soit immédiatement préoccupé de distinguer la confirmation du baptême... » [p152]. Un autre point important, également lié à cette séparation du baptême d’avec les rites post-baptismaux, qui se dessine au cours de l’étude historique, est celui du rôle de l’évêque dans ces rites. Même si celui-ci intervient de manière variable, selon la diversité des rites d’Orient ou d’Occident, sa présence est impliquée dans toutes les célébrations, même s’il délègue aux prêtres une partie de ses fonctions pour des raisons pratiques. Mais avec la croissance de la taille des églises locales, avec la généralisation des baptêmes de nouveau-nés qui se font toute l’année, il ne préside plus à ces rites postbaptismaux. Ainsi, en Orient, c’est le prêtre qui les effectue, au nom de l’évêque, mais sans sa présence effective. En Occident, l’évêque se les réserve, mais au prix d’un décalage dans le temps, avec une conséquence fâcheuse, la perturbation de l’ordre normal de l’initiation : baptême, confirmation, eucharistie.

Une autre question que l’on ne peut éviter, et qui est sousjacente à cette enquête, est ce qui fait la spécificité de la confirmation, où le confirmand reçoit le don de l’Esprit-Saint, par rapport au baptême, où le don du Saint-Esprit est déjà effectif. Cette question est abordée dans la deuxième partie du livre intitulée « Éléments d’une théologie de la confirmation ». Le premier point abordé est celui des rites de la confirmation, dont l’étude montre qu’ils ont été très variables aussi bien dans l’espace que dans le temps ! Ainsi, le rite romain, en vigueur aujourd’hui est fort différent de ce qu’il était il y a cinquante ans. Certaines églises, syriennes notamment, n’ont jamais eu d’onction post-baptismale avec le Saint-Chrême, alors que Rome en pratiquait deux. De même l’imposition des mains de l’évêque (ou de son délégué) est elle primordiale dans le sacrement ? Ces questions sont largement étudiées par l’auteur qui arrive tout de même à dégager quelques conclusions :

- Ni l’onction, ni l’imposition des mains ne sont des gestes primitifs estime l’auteur, de façon peut-être un peu rapide (car que sait-on de ce qui a précédé ?). L’un comme l’autre n’apparaissent que vers la fin du IIe siècle ou le début du IIIe, comme explicitation et para-chèvement du baptême en tant que communication de la Vie divine et, plus spécialement, effusion de l’Esprit.

  • L’onction est sans doute la ritualisation d’une métaphore omniprésente dans le Nouveau Testament et enracinée dans les rites de consécration royale, sacerdotale et prophétique de l’Ancien Testament.
  • L’imposition des mains apparaît davantage comme une réinterprétation du geste apostolique mentionné dans les Actes, lequel, plutôt que l’ancêtre de la confirmation, semble lié aux manifestations charismatiques qui accompagnent la première expansion de l’Église “à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux confins de la terre (entendons l’Empire romain)” (Ac 1,8).

- Dans la liturgie chrétienne, ce geste d’imposition des mains est d’ailleurs commun à tous les sacrements (…) ayant la signification d’une épiclèse, c’est-à-dire la demande adressée au père d’envoyer l’Esprit-Saint (...).

- Cette action sacramentelle s’exprimera, habituellement, dans chaque sacrement par un geste spécifique (…). Dans la confirmation, le geste spécifique est l’onction d’huile parfumée, symbole d’imprégnation et de rayonnement [p. 598-599].

Ainsi, la diversité des rites suffit à montrer que la question posée n’appelle pas une réponse simple. Pourtant, l’auteur suggère que ce dédoublement entre baptême et confirmation pourrait s’appuyer sur ce qu’il appelle la double onction du Christ. Cet aspect est largement développé à partir de la page 612. Dans cette perspective la première onction du Christ est celle, invisible, mais totale, de l’Incarnation, où, sous l’action du Saint-Esprit, dès l’Annonciation, il y a l’union des natures divine et humaine. La seconde onction est celle du baptême dans le Jourdain, où l’onction primordiale est rendue manifeste à ceux qui en sont témoins (cf. par exemple le discours des Actes 1, 21-22, et les Évangiles qui inaugurent tous le ministère de Jésus par le Baptême de Jean).

Mais, après toutes ces réflexions, dont la richesse ne peut échapper au lecteur, les difficultés exposées au début du livre subsistent. L’auteur pose très clairement le problème à la page 628 pour finalement proposer un essai de solution (p 664-667) en proposant de caractériser la confirmation par la notion de « perfection ». Après cela il ne lui reste plus qu’à aborder le problème pastoral en proposant, là encore, diverses pistes de solution. Cependant, les diverses propositions qu’il fait sont loin d’emporter l’adhésion, car le problème à résoudre est proche de celui de la quadrature du cercle : comment, à la fois, respecter l’ordre des sacrements de l’initiation chrétienne (baptême-confirmation-eucharistie), la communion vers l’âge de 7 ans prônée par saint Pie X, et la pleine conscience du sens de la confirmation qui exige une catéchèse déjà poussée ?

Cela étant, on ne peut que conseiller la lecture de ce volume qui est encore plus intéressant que les volumes précédents. Sans excès de technicité, ce traité de la confirmation fait vraiment un tour extrêmement complet du sujet. Il reste à souhaiter que les volumes suivants soient aussi agréables à lire et que leur parution ne se fasse pas trop attendre !

Jean Lédion, marié, trois enfants. Diplôme d’ingénieur, docteur d’État ès Sciences Physiques. Enseignant dans une école d’ingénieurs à Paris.

Réalisation : spyrit.net