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Trouver son lieu : le don de l’amour

Benoît Sibille

« Tout corps tend, en vertu de sa pesanteur, vers la place qui lui est propre » (XIII, IX, 10) [1] ce principe physique, qu’Augustin reprend d’Aristote [2] à l’occasion du commentaire de la Genèse qui clôt les Confessions, doit nous faire prendre conscience que bien avant la question du temps, c’est celle du lieu qui domine l’œuvre de l’évêque d’Hippone, ou du moins que celle-là ne peut se poser correctement sans commencer par celle-ci [3].

Le monde est pour Augustin un domaine où toute chose a son lieu propre, le feu a sa place en haut et la pierre en bas. Il ne faudrait cependant pas croire que ce principe établit un monde figé. Chez Augustin, comme déjà chez Aristote, le lieu de chaque chose n’est pas celui où elle est, mais celui vers lequel elle tend. Le monde n’est donc pas la somme bien rangée des choses mais l’agitation d’une multiplicité en quête de stabilité. « L’huile versée dans l’eau monte au-dessus de l’eau : l’une et l’autre obéissent à leur poids [4] spécifique et gagnent la place qui leur est propre » (XIII, IX, 10). L’huile et l’eau dans leur mouvement vers leur lieu propre révèlent la situation d’un monde qui est dans une sorte d’intranquillité physique. Tout « ce qui n’est pas à sa place s’agite » (XIII, IX, 10). Évidemment, la banalité de ces mouvements – « le feu monte, la pierre tombe » (XII, XVII, 10) – pourrait nous en faire manquer la signification profonde. Nous sommes tentés en effet de considérer que les principes physiques ne concernent qu’une part limitée de ce qui est. La modernité nous a habitués à mettre la nature devant nous et à ne pas nous sentir concernés par son mode d’être. Mais ce qu’Aristote appelle phusis (nature) et qu’Augustin appelle creaturae (créatures) c’est la condition que nous partageons avec toutes les choses de ce monde. Aussi, lorsqu’Augustin commente la création « du ciel et de la terre » (Gn 1,1), il fait de l’« instabilité » le principe régissant l’« étoffe » corporelle comme spirituelle de toutes les créatures et donc de nous-mêmes (VII, XVII, 25). En tant que nous sommes des « portion[s] de [la] création » (I, I, 1), la règle physique du lieu propre et de l’inquiétude hors de celui-ci nous concerne donc. Les questions physiques sont des questions existentielles. Comme pour tout ce qui est « du ciel et de la terre », la question de notre essence est celle de notre lieu propre. Le Qui suis-je ? que déploient les Confessions est donc fondamentalement un Où est mon repos  ?

Un lieu qui n’en est pas un – locus qui non est locus

Dès l’ouverture des Confessions, Augustin identifie cette destination propre de l’homme ; s’adressant à Dieu il écrit : « Vous nous avez fait pour vous et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il se repose en vous » (I, I, 1). L’huile s’agite jusqu’à ce qu’elle trouve son repos à la surface de l’eau, l’homme s’agite jusqu’à ce qu’il parvienne à s’établir en Dieu. Cette réponse à la question du lieu propre ne fait cependant qu’augmenter la difficulté, car si l’huile atteint le lieu de son repos par un mouvement local, quel déplacement l’homme peut-il accomplir pour se trouver en Dieu ? Quel changement de lieu peut l’y mener ? C’est à cette difficulté que s’affronte la série de questions qui, après la prière liminaire, ouvrent les Confessions.

[…] comment invoquerai-je mon Dieu, mon Dieu et mon Seigneur, puisque l’invoquer, cela implique que je l’appelle en moi-même ? Y a-t-il en moi une place où mon Dieu puisse venir ? Où Dieu puisse venir en moi, le « Dieu qui a créé le ciel et la terre » ? Se peut-il, Seigneur mon Dieu, qu’il y ait en moi quelque chose qui puisse vous contenir ? est-ce que le ciel et la terre que vous avez créés, et au sein desquels vous m’avez créé, vous contiennent ? ou bien, du fait que rien de ce qui est ne serait sans vous, s’ensuit-il que tout ce qui est vous contient ? puisque moi-même je suis, pourquoi vous demander de venir en moi, qui ne serais pas si vous n’étiez en moi. […]
Je ne serais donc pas, ô mon Dieu, je ne serais absolument pas, si vous n’étiez en moi. Ou plutôt je ne serais pas si je n’étais en vous « de qui, par qui, et en qui toutes choses sont » [5]. C’est bien cela, Seigneur, oui, c’est bien cela. » (I, II, 2)

Restant au niveau spatial, on peut concevoir le mouvement par lequel l’homme cherche son lieu propre, mais on ne saurait trouver ce lieu puisqu’il faudrait pour cela un lieu de l’espace pouvant contenir le Créateur. Si l’on quitte maintenant le niveau spatial au profit d’un niveau ontologique, on peut concevoir l’homme en Dieu, dans son lieu propre donc, – puisque tout ce qui est est en Dieu –, mais on ne comprend plus qu’il ait à rejoindre ce lieu. Soit donc, on y est déjà et on n’a pas à s’y rendre (niveau ontologique) ; soit on n’y est pas, mais on ne peut pas non plus s’y rendre (niveau spatial). Selon le point de vue, soit il n’y a pas de problème, soit il n’y a pas de solution. Augustin conclut donc cette salve de questions ainsi :

Où donc vous appeler, puisque je suis en vous ? D’où viendrez-vous en moi ? Où me faudrait-il me retirer par delà le ciel et la terre pour que, de là, vienne jusqu’à moi mon Dieu qui a dit « c’est moi qui remplis le ciel et la terre » ? (I, II, 2)

Loin d’une question rhétorique absurde, Augustin pousse au contraire à fond sa difficulté. Si tout est en Dieu, non seulement aucun mouvement ne peut nous mener en lui, mais lui-même ne peut venir en nous. Or Augustin ressent le besoin d’une venue à Dieu et de Dieu. La seule manière d’assumer cela serait donc de sortir du « ciel et de la terre » que Dieu remplit toujours déjà. En parlant d’une rencontre « par delà le ciel et la terre », Augustin indique donc clairement que la question du lieu propre de l’homme ne se posera ni spatialement ni ontologiquement. Les réponses intra-mondaines sont toutes insatisfaisantes. Aucun déménagement (Carthage, Rome, Milan, Hippone) ni aucune stabilité ontologique ne donne l’habitation en Dieu à laquelle tend l’homme. Trouver son lieu consistera bien à « se retirer par delà le ciel et la terre » c’est-à-dire à accomplir un mouvement non spatial, hors de la spatialité [6].

Le lieu propre de l’homme, contrairement à celui de l’huile, n’est pas localisable dans l’espace. Il s’agit d’un lieu « qui n’est pas un lieu » (XIII, IX, 10). L’éloignement de l’homme à son lieu propre « n’est pas question d’espace » (XIII, VII, 7).

Vouloir se tenir et ne pas tenir – Stas et non stas

« Portion de [la] création » (I, I, 1), l’homme se meut dans l’espace que forment le ciel et la terre, mais a son lieu propre en Dieu, dans un non-lieu – un lieu « qui n’est pas un lieu ». « Il ne lui faut rien moins que [Dieu] » (XIII, VIII, 9), rien de ce qui a lieu sous le ciel et sur la terre ne saurait apaiser son inquiétude, lui donner sa stabilité.

Partout ailleurs qu’en vous – non seulement hors de moi, mais en moi-même – je n’éprouve que malaise, et toute richesse qui n’est pas mon Dieu n’est pour moi qu’indigence (XIII, VIII, 9).

L’instabilité de l’homme radicalise donc celle commune à toutes les créatures, non seulement il tend vers son lieu, mais il tend vers un lieu qui ne se rejoint par aucun itinéraire spatial. C’est la disproportion bien plus que l’harmonie qui caractérise donc l’expérience humaine décrite par Augustin. Pour le dire avec Baudelaire, l’homme cherchant un lieu pour son âme s’épuise de déménagement en déménagement – « Dis-moi, mon âme, pauvre âme refroidie, que penserais-tu d’habiter Lisbonne ? […] Puisque tu aimes tant le repos, avec le spectacle du mouvement, veux-tu habiter la Hollande, cette terre béatifiante ? […] Batavia te sourirait peut-être davantage ? » – jusqu’à ce que son âme fasse « explosion » et lui crie « N’importe où ! n’importe où ! pourvu que ce soit hors de ce monde » [7]. Notre lieu propre nous est inaccessible, nous n’avons de repos ni en nous-mêmes ni en quelqu’endroit de la création, et pourtant un besoin d’exode nous presse – « Où mon cœur eût-il pu s’enfuir de mon cœur ? » (IV, VII, 12). L’homme est dans le monde sans pouvoir s’en satisfaire. Son existence consiste en une disproportion radicale entre ce qui est à sa portée – le mouvement spatial – et ce à quoi il aspire – être en Dieu. Cherchant en lui-même sa stabilité, il ne peut qu’augmenter le déséquilibre. « Quid in te stas et non stas ? – Pourquoi t’appuyer sur toi-même, et chanceler ? » (VIII, XI, 27). L’homme est ainsi livré à la quête, à l’exode.

Cette instabilité n’est cependant pas à déplorer. Le danger serait plutôt de ne plus sentir ce déséquilibre [8]. Dans la Cité de Dieu, Augustin n’aura de cesse de montrer l’horreur monstrueuse de l’homme qui s’installe dans le contentement de soi et la totale maîtrise de lui-même. L’apathéia des sagesses païennes est négation de notre condition humaine :

Et, si certains, par une vanité aussi monstrueuse que rare, se mettent à chérir leur maîtrise d’eux-mêmes au point qu’aucun sentiment ne les soulève ni ne les excite, ne les émeut ni ne les fléchit, ils perdent toute humanité au lieu d’atteindre la vraie tranquillité. (Cité de Dieu, XIV, IX)

Il nous semble donc important d’insister sur la positivité du déséquilibre. Il ne faut pas simplement lire les sept premiers livres des Confessions comme la description d’une errance loin de Dieu, ils sont aussi le récit d’une progression vers Dieu. C’est précisément la « tempête de [s]on cœur » (VIII, VIII, 19) qui jettera Augustin dans le Jardin de Milan – nouvel Éden où Dieu se laisse entendre. Reprenons donc la description qu’il livre de son instable poursuite. Au sortir de l’adolescence, Augustin rejoint Carthage – « chaudron des honteuses amours » :

Assoiffé d’amour jusqu’à l’intime de moi-même, je m’en voulais de ne l’être pas encore assez. Je cherchais un objet à mon amour […] mon âme […] se jetait hors d’elle-même […] je me précipitai ainsi dans l’amour, où je désirais être pris (III, I, 1)

La passion avec laquelle Augustin « hai[t] l’idée d’une vie paisible » et se jette dans l’amour exprime – bien que de manière encore confuse – l’impossibilité qu’a l’homme à se tenir en et par lui-même. Le changement spatial de lieu – l’arrivée à Carthage – n’y suffisant pas, c’est dans l’amour qu’Augustin cherche le moyen de se jeter et d’être pris hors de lui-même. L’errance indique donc déjà la voie du salut : le mouvement non spatial – par delà le ciel et la terre – que nous cherchions pour rejoindre le lieu propre de l’homme est l’amour.

Mon poids, c’est mon amour – Pondus meum, amor meus

Dire que la condition humaine consiste en une instabilité n’est pas assez. Celle-ci résultant d’une tension vers un lieu qui n’est pas un lieu enclenche l’homme dans un mouvement intérieur, dans un exode de son cœur : l’amour. Plus qu’instable, la condition humaine est aimante. « Nemo est qui non amet – Il n’est personne qui n’aime » (Sermon 34). Notre cœur est sans repos (I, I, 1), il ressent le besoin pressant de se jeter et d’être pris hors de lui-même. Ce « jeter  » du cœur humain est finalement le trait majeur de l’anthropologie augustinienne.

Pondus meum amor meus ; eo feror, quocumque feror – Mon poids, c’est mon amour ; où que je sois porté, c’est lui qui m’emporte. (XIII, IX, 10)

Le mouvement vers notre lieu propre s’appelle l’amour et il faut bien prêter attention à la tournure passive de cette phrase par laquelle Augustin le décrit. Ce n’est pas moi qui, par décision souveraine, me mets en mouvement, c’est l’amour « qui m’emporte ». L’amour est donc à la fois ce qui m’est le plus propre – il me constitue dans mon rapport à mon lieu, il est mon poids –, et ce qui m’arrive sans que j’en aie l’initiative. On voit ainsi comment l’amour est précisément la réalisation d’une sortie du soi hors de lui-même. Comme amant, je me définis par rapport à un aimé. La constitution amoureuse de l’homme établit son cœur hors de lui-même, vers l’aimé. « C’est vers cet asile que l’amour nous soulève » (XIII, IX, 10).

C’est par ce « soulèvement » qu’a lieu la conversion. Les Confessions, nous l’avons dit, racontent les tentatives d’Augustin de se jeter hors de lui-même – « mon âme […] se jetait hors d’elle-même […] je me précipitai ainsi dans l’amour, où je désirais être pris » (III, I, 1). Mais c’est précisément parce que l’âme se jette qu’elle erre hors de son lieu. C’est parce qu’elle tente encore d’enclencher elle-même le saut (et donc d’avoir encore sa stabilité en main [9]) qu’elle demeure étrangère à son lieu, c’est-à-dire à Dieu. À chaque étape décisive des Confessions, on pense que ça y est, qu’Augustin enfin va trouver le repos en Dieu et pourtant chaque fois la conversion est retardée – « demain je trouverai », encore « un moment toutefois », « le temps passait et je tardais à me tourner vers le Seigneur. Je différais de jour en jour de vivre en vous » (VI, XI, 18-20). Après avoir voulu se jeter dans les « honteuses amours » (III, I, 1), il entend bien le « Jette-toi hardiment vers Lui [Dieu] » que lui adresse sa conscience, mais ce « se jeter » est sans cesse ajourné – « sera-ce « demain » et encore « demain » ? » (VIII, XII, 28). Se jeter, c’est encore faire reposer le mouvement sur le moi, et donc encore y être enfermé – « c’était moi qui voulais, et c’était moi qui ne voulais pas ; c’était moi, oui, moi  » (VIII, X, 22), voilà le problème.

Il faut que l’amour m’arrive depuis un autre [10]. Ne pouvant me jeter, il faut que je sois jeté. C’est seulement après qu’Augustin ait senti son incapacité à faire seul le pas et ait imploré un secours – « Seigneur, jusques à quand ? » (VIII, XII, 28) – que la conversion peut enfin survenir. L’amour est un mouvement où l’intentionnalité s’inverse : mon amour advient par un autre que moi, je ne suis le sujet de mon amour – le je qui aime – qu’avec retard. Pour être enfin jeté, il faut que je cède l’initiative à un autre.

« Tard je t’ai aimé » (X, XXVII, 38) confesse Augustin à son Seigneur, l’amour est en effet toujours le retard d’un amant d’abord aimé. Que « mon poids » – c’est-à-dire l’orientation fondamentale de mon existence – soit « mon amour » – c’est-à-dire ce par quoi je suis arraché à moi-même par un autre, me constitue essentiellement comme retardataire. C’est à ce niveau-ci, donc, que la question du lieu se transmue en question du temps. L’écart dans lequel je suis par rapport à mon lieu propre me met en retard car en moi-même je suis précédé par mon Dieu. L’amour me fait à la fois retardataire (je suis aimé avant d’aimer) et rattrapant mon retard (j’aime en retour). Par l’amour, ma temporalité change « non distentus, sed extentus  » (XI, XXIX, 39), non plus dans la distension – dans la distanciation, l’accroissement continue du retard – mais dans l’extension – c’est-à-dire littéralement dans une tension par laquelle je suis mis en avant (ex–) de moi et reprends ainsi de l’avance sur mon retard. J’ « appel[le] à moi Celui qui m’appelait à lui » (XIII, I, 1) et dont l’appel premier rend possible mon appel. Je fonde mon avancée vers lui sur sa venue à moi, je m’approche parce que je suis approché.

Selon le mot de l’Apôtre, « il n’est donc pas question de l’homme qui veut ou qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde » (Rm 9, 16) et si en courant nous le rencontrons, c’est que, le premier, « il a couru, en nous criant par ses paroles, ses actes, sa mort, sa vie, sa descente aux enfers, son ascension, oui, en nous criant de revenir à lui » (IV, XII, 19).

Benoît Sibille, marié et père de deux enfants, agrégé de philosophie, professeur du secondaire dans l’Académie de Versailles, chargé de cours et chargé de TD à la Faculté de Philosophie de l’Institut Catholique de Paris, chargé de cours au Séminaire Interdiocésain d’Orléans.

[1] Nous citerons les Confessions dans leur traduction par Pierre de Labriolle, éditée en deux volumes aux Belles Lettres, Paris, 1933.

[2] Aristote, Physique, IV, 1, 208b 9-15, trad. A. Stevens, Vrin, Paris, 1999, « De plus, les transports des corps physiques simples, comme le feu, la terre, et les choses de cette sorte, montrent non seulement que le lieu est quelque chose, mais aussi qu’il a une certaine puissance. En effet, si rien n’y fait obstacle, chacun se porte vers son lieu propre. » Nous soulignons.

[3] Par respect pour l’unité des treize livres des Confessions, il faut s’interdire d’étudier de manière isolée le livre XI et sa fameuse définition du temps comme distentio animi.

[4] Le poids désigne dans le vocabulaire augustinien le dynamisme qui de l’intérieur de chaque chose l’oriente vers son lieu. Ce poids n’est donc pas une attraction subie, mais une orientation intime.

[5] Cf. Rm 11, 36.

[6] Cette nécessité d’un mouvement non spatial pour rejoindre notre lieu propre éclaire aussi le problème du manichéisme. En IV, VII, 12, c’est parce qu’il est pris dans le matérialisme manichéen – c’est-à-dire ne connaît rien d’autre que de la matière étendue – que le jeune Augustin ne trouve pas de lieu où « déposer [s]on âme » : « Je restais à moi-même comme un lieu d’infélicité, dont je ne pouvais ni m’accommoder ; ni m’éloigner. Où mon cœur eût-il pu s’enfuir de mon cœur ? où fuir loin de moi-même ? Où me dérober à ma propre poursuite ? ». Le manichéisme empêche tout « par delà le ciel et la terre » (I, II, 2).

[7] Baudelaire, Le Spleen de Paris, XLVIII « Any where out of the world », Poésie/Gallimard, Nrf, Paris, 2006, pp. 220-221.

[8] L’habitude peut en effet nous masquer le déséquilibre qui devrait nous faire tomber en Dieu. À l’opposé d’Aristote cherchant par l’habitus la stabilité d’une existence paisible et vertueuse, Augustin en appelle à la destruction des habitudes qui entravent la quête de notre lieu propre – « malheur à toi, torrent de l’habitude humaine » (I, XVI, 25). La Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne de Charles Péguy est en cela une pure continuation de la morale augustinienne : « Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme même perverse. C’est d’avoir une âme habituée ». L’œuvre du salut consiste à se déshabituer de notre existence.

[9] Cela est particulièrement flagrant au livre VI, où Augustin est tout à la fois « l’esprit tendu vers la recherche » (VI, III, 3) et « ten[ant] [s]on cœur en garde contre toute adhésion, de peur du précipice » (VI, IV, 6). Tendu mais retenu ; déséquilibré vers son lieu propre, mais refusant de tomber en lui, d’y être pris malgré lui.

[10] Cf. 1 Jn 4, 10 « En ceci consiste l’amour : ce n’est pas non qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimé ».

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