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Un écrivain contemporain entre Orient et Occident : François Cheng

Pauline Bernon-Bruley

Le dernier roman de François Cheng [1] nous offre une des plus belles réflexions sur l’amour de ce début de siècle. Peut-être faut-il commencer par présenter cet auteur. François Cheng, né en Chine en 1929, a choisi de faire dialoguer en lui l’Orient et l’Occident, dans une « quête du vrai et du beau » qu’il a commencée par la pratique de la calligraphie (Et le souffle devient signe, Editions de l’Iconoclaste, 2001). Arrivé en France en 1949, il connaît des années de précarité et d’incertitude. Il se forme à la traduction et à l’étude de la poésie, traduit, écrit. Son œuvre d’érudit, de philosophe, de romancier (Le Dit de Tinayi, Albin Michel, 1998, Prix Fémina), de poète (Double chant, Encre Marine, 1998, réédité en 2001, Prix Roger Caillois), consiste à « repartir de la feuille blanche, retourner sous terre, plonger dans les racines de l’être », pour recevoir et transmettre les « fugaces et indélébiles empreintes » du « vrai et du beau » (Et le souffle devint signe). Il s’inscrit dans l’espace traditionnel de communion entre l’homme et le cosmos, et dessine un nouvel espace de relations harmonieuses entre Orient et Occident. Assumant ce dialogue, il raconte avoir « résonné à la voix orphique et christique » (Le Dialogue, Presses littéraires et artistiques de Shanghai, DDB, 2002). Les épreuves de l’histoire et l’exil pouvaient le détruire [2]. Le choix du dialogue montre comment il sut convertir ce qui risquait de le déchirer en une quête de l’unité de l’être, et de sa vocation spirituelle. L’une des forces de sa réflexion est bien de montrer comment l’être ne se ressaisit, ne se construit que dans son ouverture à la vérité, qui se révèle dans la beauté. Enfin, il faut évoquer le versant spirituel de son œuvre de poète (Qui dira notre nuit, Arfuyen, 2001) : dans le dialogue originel et ultime entre la nuit et la lumière se dit le progrès de la conversion.

« L’éternité n’est pas de trop » pour vivre avec sa bien-aimée, et les années d’une vie d’aventure puis de quasi-pèlerinage ne l’auront pas été non plus. Voici, dans ce roman qui vient de paraître, une réponse lumineuse au drame de Tristan et Iseut. Le tragique d’une passion interdite s’y résout en itinéraire de salut, le désir de l’autre devient désir de s’effacer devant l’autre. Après le couple mythique, les héros de François Cheng apprennent à vivre ensemble, comme séparés par l’épée, mais dans un dépassement de soi où chaque obstacle est ressaisi dans une signification nouvelle, finalement dans une confiance approfondie en la dernière expression de l’amour, la révélation de la vérité dans sa beauté et dans sa paix. Nous n’avons certes pas l’intention de tirer du roman une pensée catholique de l’amour qui n’y est pas ! En revanche, dans la continuité de l’échange entre les personnages, entre le Chinois et le Jésuite, nous aimerions montrer à quel point la méditation sur l’amour humain, suspendue entre le tao et l’expérience occidentale, de François Cheng, peut entrer en écho avec ce que la Révélation chrétienne nous en dit. Dans ce roman au style sobre, mais lyrique et grave, se déploie une réflexion sobre elle aussi, mais belle et profonde. L’histoire du couple nous y semble porteuse d’une espérance de salut, et d’une sensibilité peut-être intuitive à la Révélation de l’amour absolu de Dieu. Ainsi la vocation du couple humain est-elle lue comme ouverture à une altérité qui le dépasse et l’accomplit, de même que la création de l’homme et de la femme constitue une ouverture vers le mystère de Dieu et la participation à l’abondance de ses dons [3].

Le mystère de l’autre révèle un appel absolu. Ce qui pourrait être fou, le pari de retrouver à tout prix une femme rencontrée deux fois, avec qui il a échangé un regard, Dao-sheng y voit au contraire un accomplissement de la sagesse. A cinq ans d’intervalle, lors de deux soirées, un violoniste joue en la présence discrète d’une jeune fille noble, bientôt mariée. La deuxième fois se produit entre eux un échange de regards. Dans cette rencontre fulgurante, digne de la tradition poétique de l’amour courtois, naît la tension de toute l’histoire, entre mystère et reconnaissance de l’autre. La beauté, la pureté, la lumière, la franchise comme première étape vers la vérité en sont les signes. Le ravissement des acteurs allie un émerveillement subi et consenti, appelé à se dépasser en espérance. Si l’espérance est d’abord une mémoire qui désire, le travail que fait Dao-sheng la mue progressivement en amour réel : le taoïste apprend « à ne pas trop désirer », chaque jour, il contemple secrètement l’hôte de son cœur. Cependant, le chemin est loin d’être facile. Les obstacles se succèdent.

Ce n’est pas bien sûr que la souffrance y soit acceptée et excusée comme telle. Au contraire, les injustices, le mal commis par des personnages ingrats sont décrits dans des scènes d’une lucide simplicité. « Fumée et poussière » sont le lot de Dao-sheng, un instant ébloui par « l’image d’un pétale qui tombe à terre », celui du mouchoir que la dame laisse tomber. Blessé, chassé, le héros trouve refuge auprès d’un monastère. Lan-Ying, elle, subit un mariage malheureux. Il n’y a pas non plus d’aveuglement vis-à-vis d’un amour proche de l’adultère, quoique celui-ci ne soit pas consommé, mais vécu avant tout dans des sentiments de compassion et de déférence envers la souffrance de l’autre [4]. Et c’est justement dans l’acceptation de ces limites que s’élabore la règle du jeu. Les obstacles deviennent autant d’épreuves, sont sauvés dans la dynamique d’une histoire où l’amour est d’abord vu comme principe salvateur et non comme cause de frustration. En fait, ces drames manifestent également l’incertitude de l’époque des troubles de la fin de la dynastie des Ming. Or c’est bien dans la force intemporelle de l’amour que les personnages se construisent intérieurement. François Cheng révèle, dans son bel « Avant-propos », comment il a découvert ce récit du XVIIème siècle, puis médite la leçon qu’il en a tirée :

D’aucuns pourraient se demander pourquoi « l’homme de la montagne » qu’est l’auteur, ayant été témoin d’une époque de bouillonnement sur le plan de la pensée, et de bouleversement, qui se traduisit par l’effondrement de la dynastie, s’est consacré à un récit de passion amoureuse, apparemment restreint, qui ne touche le cœur que de deux individus particuliers. Pour ma part, je ne m’en étonne pas outre mesure. Je conçois bien que l’auteur, afin de transcender les tourments de son époque, ait eu recours à un sujet pour ainsi dire « intemporel ». Et surtout, je ne manque pas de constater que la véritable passion amoureuse n’est pas seulement affaire du cœur et des sens. Elle relève éminemment de l’esprit, tant il est vrai que la passion la plus haute, la plus sublimée, s’épanouit souvent dans un contexte de contraintes sociales, mais aussi dans un terreau de recherches et d’interrogations spirituelles ; c’est bien le cas de cette période de la fin des Ming.

Après des années donc, Dao-sheng, devenu médecin, quitte le monastère où il vivait dans la discipline taoïste. Il est poussé par le désir de revoir le lieu de la rencontre. Pour le moment, il met un terme aux exercices de vacuité qu’il pratiquait, il cède à l’idée fixe qui l’obsède. Longuement habité par son amour fidèle, il n’aura fait que le creuser, faisant du renoncement monastique un silence intérieur pour l’abriter ! Au seuil de son pèlerinage, le voilà déjà dépouillé. « Il sait comment se rendre léger, n’emmenant avec lui que le minimum [...] Un long bâton à la main, le voilà engagé dans le sentier en pente. » Il est donné aux personnages de se retrouver, malgré la quasi-réclusion de Dame Ying. Les pérégrinations du héros, guidé par la femme, le mènent alors vers une connaissance d’elle et de lui, qui dévoile à chacun en même temps sa place dans un univers redevenu harmonieux. Le dernier obstacle pourrait résider dans l’inconnaissance de l’autre même. En fait, c’est justement dans la profondeur de son mystère que réside l’intensité de l’attrait qu’il exerce.

C’est que la connaissance de l’autre ne passe que par l’acceptation de son mystère, l’approfondissement du contact entraînant encore celui du mystère. Cette tension entre la connaissance et le secret joue ainsi dans la communication entre les amoureux :

Mais le langage d’une femme, est-ce si simple à saisir ? [...] Lan-ying a inséré sa pensée dans la moindre fibre de cette pièce précieuse ; elle m’invite à la lire avec attention. Ces images si pleines de fraîcheur, au demeurant simples, semblent pourtant mêler audace et pudeur, aveux sans détour et méandres subtils. C’est un tableau ; c’est un poème. Que veut-il dire ?

Dans l’inconnu, où rien de ce que l’on peut prévoir de l’autre n’en sera certes que la beauté, la vertu cardinale est la confiance : « Elle vous fera signe un jour, quand elle le saura [...] Pour toute réponse, Dao-sheng hoche la tête, signifiant qu’il patientera tout le temps qu’il faudra ». En dernière instance, ils ne sont pas maîtres de leur destinée, mais en font miraculeusement une image ou un poème, comme on dirait une parabole, parce qu’ils la transforment en un jeu signifiant de défis acceptés entre eux.

Si Dame Ying ignore le temps où elle pourra faire appel à celui qu’elle aime, c’est pourtant d’abord elle qui entend ces contraintes du temps, ces contrariétés de la destinée. Ses motivations ne sont pas toujours explicitées dans le roman, laissant comprendre ou imaginer l’empire d’une secrète nécessité. A l’écoute de ce principe qui guide ses actions et ses demandes, elle échappe ainsi pour une part à la curiosité du lecteur, à celle du héros, révélant par-là même la part de liberté qui fait le mystère de l’autre. Mais c’est peut-être aussi la voix de Celui qui l’habite et qui n’est pas nommé par elle. La rencontre de Dao-sheng avec un missionnaire jésuite éclaire cette dimension transcendante de l’amour qui n’est pas seulement fonction de l’homme et de la femme qui le partagent :

Force nous est de constater alors que, si nous aimons vraiment, l’amour que nous donnons est plus que nous-mêmes, qu’il nous dépasse. [...], on est prêt à croire qu’on peut mourir soi-même, mais que l’amour ne mourra pas.

Ce point de rencontre entre le Taoïste et le Jésuite montre d’une part l’espérance humaine, de l’autre la réponse de Dieu : « en réalité, pour que l’amour soit la Voie [le tao, est-il dit auparavant] de la vraie vie, une promesse a été donnée dès le début ».

Il nous faut ici donner quelques éclaircissements sur cette philosophie du tao, à l’intérieur de la pensée chinoise : nous le ferons à l’aide de F. Cheng lui-même :

Selon une intuition foncière nourrie par des observations, et à partir de l’idée du Souffle, les penseurs chinois, surtout de tendance taoïste, ont avancé une conception unitaire et organiciste de l’univers créé, où tout se tient, le Souffle étant l’unité de base qui anime et relie entre elles toutes les unités vivantes. Dans cet immense réseau organique, ce qui se passe entre les entités compte autant que les entités elles-mêmes (...). Le terme « Voie », en chinois « Tao », est une notion centrale commune aux deux courants de pensée taoïste et confucéen : il désigne l’immense marche de l’univers vivant, une Création continue. Comme le terme a double sens, le chemin et le parler, il se prête au même type de jeu homophonique qu’en français : Voie / Voix. Appliqué au destin spécifique de l’homme, il suggère une tâche, voire une mission dont l’homme, devenu un être de langage, doit s’acquitter : celle de dialoguer avec l’univers vivant, cela à tous les niveaux constitutifs, c’est-à-dire avec les êtres humains bien entendu, mais également, avec la Nature, le Cosmos, et un ordre supérieur, désigné par le terme « Ciel ». [5]

Voici le lieu où le dialogue se noue : le Jésuite essaie de partir de ce que connaît son interlocuteur.

Et justement, j’y pense, le Tao en chinois n’a-t-il pas double sens : chemin et parole, marcher et dire ? Eh bien, ne voyons-nous pas qu’en marchant et en disant, tous les êtres aimants ont formé, comme je viens de le dire, une immense voie qui exalte la vraie vie et dépasse la mort ? C’est ici que je voudrais vous révéler une chose : en réalité, pour que l’amour soit la Voie de la vraie vie, une promesse a été donnée dès le début. Dès le début, quelqu’un, par-delà de ce que nous pouvons concevoir, a dit : « Je t’aime, tu ne mourras pas. » L’étranger reprend son souffle ; ses yeux brillent d’une ardente lumière. Visiblement, il se sent, à son propre étonnement, inspiré.

L’Esprit Saint qui inspire le Jésuite est peut-être aussi discrètement partie prenante de quelques réflexions du héros, même s’il reste fidèle jusqu’au bout à sa pensée orientale. Cependant, la belle figure du missionnaire qui apporte l’ultime justification du pari qu’est l’amour, montre l’importance de la Révélation dans la réflexion que propose François Cheng.

En attendant que s’accomplisse pleinement ce dialogue, puisque le missionnaire n’est là que de passage, (esquissant discrètement un sens de l’histoire de Dao-sheng), la femme pressent cette promesse au cœur de son être. Réceptive, elle garde une attitude de veilleuse, et de disponibilité. Que nous dira-t-on si nous approfondissons encore sa ressemblance avec les figures féminines de la Bible, en ajoutant qu’elle vit et s’épanouit dans un jardin ? Certes, le jardin architecturé est un des arts chinois fondamentaux, mais ici pourquoi ne pas aussi penser au jardin de l’âme, hortus conclusus, figuré dans le Cantique des Cantiques (4,12). Dans toute la tradition littéraire courtoise ensuite, ce jardin reparaît, lieu poétique et eschatologique où l’âme apprend à renaître.

C’est ainsi que nous pouvons retrouver en l’héroïne une fécondité, un lien visible entre l’amour et l’être. Non seulement la croissance spirituelle est l’effet de cet amour partagé, mais encore la guérison du corps et son épanouissement. « Nullement éclipsée par la magnificence des fleurs, elle irradie d’on ne sait quel éclat transparent et serein qui dénote une chair secrètement épanouie ». Privée d’enfant, elle enfante pourtant spirituellement Dao-sheng et l’enfant adopté, Gan-er. Elle donne forme à des âmes comme on donnerait chair à des corps, les ouvrant à l’harmonie cachée du monde comme des parents gardent ouverte l’âme de leurs enfants pour Celui qui veut s’y révéler. D’où sa présence rayonnante et pourtant si discrète. Elle dépend d’autre chose, et elle initie à cette altérité ceux qui sont séduits par son éclat gracieux. Il semble ici que Lan-Ying porte en elle une lumière qu’elle ne voile pas, qu’elle ne possède pas. Cette disponibilité qui permet le don, Dao-sheng la connaît déjà puisqu’il pratique la médecine, art par lequel il rend de nouveau possible une rencontre avec Dame Ying, et qu’il fait passer entre eux le souffle de vie du Tao en une splendide scène de revivification. Alors qu’elle est donnée pour morte, le médecin accourt. Il ne perd pas l’espérance : conscient de son humilité, mais fort de sa confiance en la vie, il est disponible au « souffle vital » qui passera par ses mains [6]. L’amour et la croissance de l’être sont ainsi visiblement liés. De même l’amour, le don, sont liés à la vérité, puisqu’ils dévoilent l’ingratitude du mauvais époux de Dame Ying, et se retournent contre lui.

Peut-être le lecteur occidental, que connaît François Cheng, pensera-t-il à la restauration de l’image de Dieu en l’homme. [7] Pour le lecteur occidental, en effet, la participation à l’amour divin que permet la Rédemption, redonne à la créature le visage d’enfant de Dieu. Et déjà, cette image de Dieu en l’homme apparaît pendant la quête des héros, dans les visages de ceux qui souffrent ou de ceux qui apportent Son message. Ces annonces du Salut sont particulièrement remarquables. En fait, les échanges entre pensée orientale et révélation chrétienne sont forts (sans qu’il y ait pour autant syncrétisme ni confusion dans ce livre), parce qu’ils sont pensés à partir de la puissance de l’amour. A partir de là se rencontrent deux expériences qui consonent de façon troublante. Le lecteur catholique sera profondément touché par la fin du roman ; s’il prenait sa part dans le dialogue, peut-être dirait-il ceci : si, comme le pense Dao-sheng, « il faut croire qu’il y a [dans l’amour] comme un mystère dont on ne peut saisir les bornes ni toucher le fond », cependant, comme lui, l’homme et la femme sont appelés à l’expérimenter, entrant dans la gratuité d’une révélation non dissimulée, mais sans cesse approfondie. Comme lui, l’âme fait l’expérience de l’altérité à la faveur du mystère de l’autre, entrant dans le mystère de Dieu, « mystère du pur jaillissement, du pur échange » où l’un est parfaitement donné à l’autre. C’est l’espérance de l’innocence retrouvée, après une vie où se mêlaient « encore, comme malgré nous, tant de troubles, de craintes, de blessures, de scories, de fausses joies, de vrais remords ». Apparaît alors le visage « sans ombre ni trouble » [8] de ceux qui regardent Dieu et lui rendent enfin son image.

* * *

Les extraits de poèmes qui suivent, extraits du recueil Qui dira notre nuit [9], que nous avons cité en introduction, font assister à cette naissance de la lumière qui couronne l’entreprise poétique et mystique, héritée de Mallarmé, Rilke, mais aussi de mystiques comme saint Jean de la Croix.

Blessure d’autant plus béante qu’elle est aveugle
Douleur d’autant plus gouffre qu’elle est sourde
Mais c’est là notre propre voix que nous entendons !
Cette voix, notre seule défense, seul pardon
Qu’envers et contre tout nous faisons entendre
Sous peine de mourir
D’être si seuls dans l’univers
La nuit s’est faite notre confidente
Qui dira notre nuit
Sinon nous-mêmes ?
Nous qui touchons hors le non-voir
En nous portons le non-dire [...]
Nuit qui essuie
Nuit qui guérit
Qui déconseille
Qui désemplit
Rien qui n’y soit désormais à l’abri
A l’abri ceux qui se souvenant reviennent
Car la nuit s’est déchiré le voile
Une seule flamme unit toutes les étoiles.

Pauline Bernon-Bruley, née en 1976, mariée. A soutenu en 2005 une thèse de Lettres sur la rhétorique et le style de la prose chez C. Péguy.

[1] François Cheng (de l’Académie française), L’Eternité n’est pas de trop, Albin Michel, 2002.

[2] Il décrit lui-même ainsi l’état de la Chine en 1945 : « Le pays exsangue, miné par la corruption, en proie à la guerre civile, jeta la jeunesse dans le désarroi et la révolte. Terriblement perturbé moi-même, je connus un temps d’errements, jugeant toute étude inutile. »

[3] Il convient de faire ici référence à l’œuvre de l’écrivain catholique Paul Claudel, et particulièrement au Soulier de satin (Paris, Gallimard, 1929), pièce dans laquelle doňa Prouhèze et don Rodrigue expérimentent une semblable puissance purificatrice et révélatrice de l’amour humain.

[4] Encore une fois, il s’agit d’effacer son désir devant celui de l’autre, ce n’est pas un amour possessif, mais la volonté de se donner pour l’autre. D’où le respect (le côté courtois, pourrait-on dire, du service chevaleresque de la Dame) et le premier aspect de la relation entre Dao-sheng et Dame Ying, qui est d’abord celle d’une aide, d’une reconnaissance de la souffrance de l’autre, et du pacte tacite de faire front commun dans la lutte spirituelle.

[5] Cf. Le Dialogue (op. cit.), p. 14-15. Cette voie est certes une notion propre à la pensée taoïste et confucéenne, que l’on ne confondra pas avec la « Voie » chrétienne dont parlent les Actes des Apôtres (9,2) : cette dernière mène non à un à un idéal, mais à un Dieu personnel.

[6] Comment ne pas penser ici au sauvetage de Pauline de Théus par Angelo, dans Le Hussard sur le toit ? (Gallimard, 1951). La portée des deux scènes est comparable, puisqu’elles signifient une victoire de l’espérance sur la mort, une vision lucide de la maladie, qui s’allie justement avec une absence de peur devant elle. Cependant, la signification de l’échange entre Angelo et Pauline, n’est peut-être pas la même sur le plan amoureux qu’entre les héros de François Cheng. Ici, la dimension spirituelle du tao intervient, et il n’y aura pas de consommation d’un amour adultère de la part des personnages. Cela ne veut pas dire que le corps soit méprisé ; au contraire, c’est par la chair de Dame Ying que la vie repasse, dans un embellissement qui exprime la guérison de tout son être, âme et corps.

[7] Cf. Gn, 1, 26.

[8] Psaume 33, 6 « Qui regarde vers lui resplendira /sans ombre ni trouble au visage » (traduction du bréviaire).

[9] Arfuyen, Orbey, 2001, respectivement p. 32-33 et p. 12.

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