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Une année liturgique avec l’Esprit Saint

Marie Beaudeux

Hormis la célébration de la Pentecôte, aucune fête n’est nommément consacrée à l’Esprit-Saint dans la liturgie occidentale. Il semble ainsi faire figure de parent pauvre au regard de l’ensemble des temps forts qui jalonnent une année liturgique. Même si son rôle n’est pas toujours mentionné ou défini explicitement, il est cependant bien présent dans chacune des étapes de la vie terrestre du Christ que nous aimons revivre au fil de l’année, et l’est tout autant dans chacune des nôtres, à sa suite. Il est Celui qui les anime et justifie toutes, source si souvent discrète, mais infaillible et omniprésente, de ces moments forts pour notre foi et pour notre prière.

De l’Avent à l’Épiphanie

C’est sous l’effusion de l’Esprit Saint que nous pouvons vivre pleinement tous les temps liturgiques. Et tout commence avec l’Avent, temps de l’attente, du désir, temps où l’Esprit-Saint nous invite à raviver notre espérance, temps où l’Église à travers chacun de nous aspire à la venue du Christ dans son cœur. Hymnes, intercessions et antiennes sont alors centrées sur notre demande de l’arrivée du Sauveur. « Ô viens, ô viens Emmanuel ! Ô viens sauver le monde ! », « Vienne le Seigneur, le roi de la gloire ! », ou encore « Viens Seigneur, ne tarde plus. » Tous ces appels tournés vers Dieu sont bien proches de celui que nous lançons en chantant « Viens en nous, Esprit Créateur » (Veni Creator Spiritus). En demandant la venue de Jésus pendant l’Avent, nous demandons aussi à l’Esprit-Saint d’être présent en nous, et ces deux prières se rejoignent dans la même attente. Nous prions l’Esprit-Saint pour qu’il renforce son action, qu’il saisisse notre cœur, le réchauffe, le prépare, le pénètre, afin que nous ressentions le renouveau de la venue toute proche du Christ, comme nous prions aussi Jésus de revenir intimement habiter notre âme. « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui.  » (Jn 14, 23)

À ce moment tout particulièrement, l’action de l’Esprit-Saint en nous est essentielle afin que nous recevions le Père et le Fils, le cœur rempli d’un grand désir et prêt à accueillir les grâces de la Nativité. Nous attendons le Fils de Dieu mais aussi l’Esprit-Saint, car c’est son intervention en nous qui suscite d’abord cette attente, puis l’intensifie, pour la transformer finalement en joie éclatante à Noël.

Car, une nuit, enfin, l’avènement projeté par Dieu – par l’Esprit-Saint – et attendu par les hommes survient dans une étable de Bethléem. Toute notre attention et notre amour se focalisent sur le nouveau-né qui vient nous visiter. Nous partageons l’émerveillement de Marie et de Joseph qui veillent sur lui avec tant de douceur. Voici, enveloppé dans un linge et couché sur de la paille, le fruit de l’Esprit-Saint. Les hommes peuvent maintenant contempler son chef-d’œuvre jusque-là invisible, réalisé dans le sein de Marie. Le divin Esprit l’a modelé afin que l’humanité du Christ soit parfaite dans sa beauté physique et intérieure. C’est lui qui a conçu cet Homme-Dieu et l’a baigné de toutes ses grâces. Noël est ainsi le grand jour de l’Esprit-Saint, le jour où la plus parfaite de toutes les créatures vient au monde, onction de joie et de lumière sur la terre, et surtout le jour où il l’offre aux hommes avec une grande humilité.

Et, de cette étable devenue le centre de toute la terre, l’Esprit-Saint agit encore. Après avoir tout préparé pour la venue du Christ, il va guider les pas de ses premiers adorateurs. Le Sauveur est né, et il faut le proclamer pour que s’accomplisse son œuvre dans le cœur des hommes. Il faut que cette extraordinaire nouvelle rayonne dans le monde. Sous le signe de l’étoile, il inspire les mages et leur voyage, prépare leur cœur à la rencontre et protège leur route.

Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. Lève les yeux, regarde autour de toi : tous, ils se rassemblent, ils arrivent ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur les bras. Alors tu verras, tu seras radieuse, ton cœur frémira et se dilatera. Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi avec les richesses des nations. Des foules de chameaux t’envahiront, des dromadaires de Madiane et d’Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens et proclamant les louanges du Seigneur. (Is 60, 3-6)

Les rayons de l’étoile qu’ils suivent les pénètrent de la vérité au fur et à mesure qu’ils avancent. En guidant les mages jusqu’à Bethléem, l’Esprit-Saint commence à rassembler les nations aux pieds de Jésus et prépare l’avenir où toutes les nations à leur suite seront unies dans la foi du Christ. L’Épiphanie est encore une manifestation essentielle de l’Esprit-Saint, où la gloire du Seigneur est communiquée au monde pour la première fois. Il éveille les hommes à la conscience de la présence de Dieu sur terre. Les riches présents que les Mages déposent près du nouveau-né en signe d’adoration reflètent l’élan de joie et l’amour qu’ils ressentent en reconnaissant le Messie, sous l’action de l’Esprit. « C’est toi qui sanctifies toutes choses, par ton Fils, Jésus Christ, notre Seigneur, avec la puissance de l’Esprit-Saint ; et tu ne cesses de rassembler ton peuple, afin qu’il te présente partout dans le monde une offrande pure [1]. »

Du Carême à l’Ascension

Puisque la grâce du Saint-Esprit anime tout désir de conversion, elle donne bien sûr toute son impulsion au Carême, en invitant chacun de nous de façon personnelle à renouveler en profondeur sa relation avec le Christ – et donc avec ses frères. La collecte du deuxième jeudi de Carême indique ce que nous devons chercher pendant ce temps de pénitence, et, appelant nos cœurs à s’ouvrir, désigne clairement l’Esprit-Saint comme étant la seule bonne direction à suivre : «  Dieu qui aimes l’innocence et la fais recouvrer, oriente vers toi le cœur de tes fidèles, pour que, dociles à ton Esprit, ils soient fermes dans la foi et vraiment efficaces. » Pour que meure en chacun le vieil homme et naisse le nouveau, il faut nous placer librement sous la conduite de l’Esprit de Dieu, esprit de vie, de réconciliation et de paix. Alors notre cœur ressent un grand désir de conversion, de guérison. Il connaît une volonté d’éclairer sa foi d’une lumière plus vive, de servir plus généreusement, de se laisser mener petit à petit au pied de la Croix pour y retrouver la manifestation de l’amour de Jésus et du Père. Cette fois encore, pendant quarante jours, c’est l’Esprit qui est à l’œuvre dans le cœur de l’homme, qui y fait naître un nouvel élan vers la sainteté, qui le soutient quand il défaille, qui le transforme lentement et qui, à la sortie du désert, lui ouvre les yeux sur le vrai message d’amour cloué sur la Croix. Une sentence des Pères du désert contenait ces mots : « Verse ton sang et reçois l’Esprit. »

Puis le grand accomplissement, l’œuvre grandiose et magistrale du Saint-Esprit, se révèle lors de la Résurrection. Nous avons assisté à l’arrestation injuste, à l’agonie cruelle de Jésus, et entendu ses dernières paroles du haut de la Croix, avant qu’il ne meure et que la porte du tombeau ne se ferme sur Lui. Le cœur des disciples d’hier et d’aujourd’hui est bien lourd de tristesse et de stupéfaction. Et c’est là que l’Esprit, comme cela avait été annoncé, intervient dans sa toute-puissance divine et, à l’heure choisie du Père, saisit le corps et l’âme de Jésus pour le remettre debout, le ré-susciter. Il lui donne sa splendeur de gloire définitive, il le baigne de sa lumière et le ré-anime entièrement en lui. L’humanité transformée du Christ, qui nous est aussi promise, manifeste une humanité radicalement renouvelée, une humanité qui échappe à toutes les misères et limites physiques et morales, aux lois du temps et de l’espace terrestres. En ré-investissant le Fils de l’homme de la vie éternelle, l’Esprit-Saint ouvre tous les tombeaux. « Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. » (Rm 8, 11) Jésus, vainqueur de la mort, libéré par l’Esprit, est capable de se manifester aux témoins choisis de tous temps, où, quand et comme il le veut. Il est à tout jamais vivant, vrai homme dans un corps glorieux. À Pâques tout particulièrement, l’Esprit nous visite et ré-anime notre foi, nous remplit du bonheur de savoir Jésus ainsi tout proche de chacun de nous, en tout lieu et en toute circonstance. Le jour de la Résurrection est l’instauration d’une ère nouvelle sur terre et, après avoir redonné la vie au Christ, l’Esprit allume au fond du cœur de tout homme qui entend et accueille la Bonne Nouvelle la grande lumière tant désirée pendant le Carême.

Aujourd’hui, Dieu notre Père, tu nous ouvres la vie éternelle par la victoire de ton Fils sur la mort, et nous fêtons sa résurrection. Que ton Esprit fasse de nous des hommes nouveaux pour que nous ressuscitions avec le Christ dans la lumière de la vie [2].

Mais le souffle de l’Esprit ne s’éteint pas au jour de la Résurrection. L’œuvre est loin d’être achevée ! Jésus reste encore quelque temps auprès de ses disciples, jusqu’à son Ascension, étape essentielle dans le projet de Dieu. Luc choisit d’ailleurs l’Ascension comme point de départ du livre des Actes des Apôtres et met explicitement en lumière le rôle de l’Esprit-Saint dans le chemin ascendant du Christ vers le Père : « J’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné depuis le commencement, jusqu’au jour où Il fut enlevé au Ciel après avoir, dans l’Esprit-Saint, donné ses instructions aux apôtres qu’il avait choisis. » (Ac 1, 1-2) Tout le temps pascal est le temps de l’Esprit, et l’Ascension, dans la continuité de l’émerveillement de Pâques, est une autre expression visible de son action. Certes, elle marque le dernier jour du Christ physiquement présent au milieu de ses proches, et, pourtant, elle ne clôt rien. L’Ascension n’est pas un évènement privé entre Jésus et ses disciples, c’est au contraire un temps qui marque en profondeur toute l’humanité, car la fin de sa vie terrestre est le commencement de sa présence auprès de chaque homme personnellement. En ce jour, une grande promesse nous est faite, que l’Église célèbre avec joie : quand le Christ sera élevé vers le Ciel et sera assis à la droite du Père, nous recevrons toutes les grâces pour suivre le même chemin.

Je ne vous l’ai pas dit dès le début, parce que j’étais avec vous. Mais maintenant je vais à Celui qui m’a envoyé, et aucun d’entre vous ne me pose la question : "Où vas-tu ?" Mais parce que je vous ai dit cela, la tristesse a rempli votre cœur. Cependant, je vous dis la vérité : c’est votre avantage que je m’en aille ; en effet, si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous ; si au contraire je pars, je vous l’enverrai. (Jn 16, 4b-7)

Jésus doit être en possession de sa gloire afin d’accomplir cette autre bonne nouvelle. Son départ déconcerte d’abord les apôtres et les laisse un moment sans réaction, mais l’Esprit-Saint est la force qui va leur permettre de mener à bien la mission dont Jésus vient de les investir, être ses témoins « jusqu’aux extrémités de la terre ». Il sait combien ses disciples de tous temps auront besoin du divin Esprit pour agir en son nom. Cette promesse, ainsi que la certitude de sa présence à leurs côtés « tous les jours jusqu’à la fin du monde », transforment la tristesse des apôtres en grande joie et les emplit d’une espérance solide. Et c’est cette même force qui est insufflée à l’Église pour perpétuer la mission du Christ jusqu’à aujourd’hui. L’Esprit nous assure de la présence désormais universelle et perpétuelle du Christ, présence qu’il renouvelle quotidiennement dans l’Eucharistie, et qui intensifie en nous le désir de rejoindre Dieu et de vivre nous aussi dans la gloire céleste, terme dévoilé par l’Ascension.

Pentecôte

C’est ainsi que, pleins de confiance et obéissant à la recommandation que Jésus leur a faite avant de les quitter, les apôtres restent à Jérusalem pour y attendre le cadeau promis. Jésus leur a bien précisé : «  Jean a donné le baptême d’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit-Saint que vous serez baptisés d’ici quelques jours.  » (Ac 1, 5) Dix jours… Dix jours pendant lesquels il leur faut s’habituer à vivre sans leur Maître, dix durant lesquels le cierge pascal est éteint en signe d’absence, dix jours pour prier l’Esprit-Saint de prendre une nouvelle place dans notre âme, dans nos vies, pour nous préparer à recevoir le feu qui éclaire toutes nos ténèbres. Et enfin, le jour de la Pentecôte, Jésus revient pour accomplir sa précieuse promesse sous les traits de l’Esprit qui ruisselle en langues de feu sur les apôtres et qui les emplit de ses dons. Tout est jaillissement lumineux, la flamme est à nouveau allumée, le cœur des disciples et les nôtres sont embrasés, renouvelés, et l’Esprit adapte tout notre être à Dieu. Même si, le soir de Pâques, le Christ a déjà donné son Esprit aux disciples (Jn 20, 22), il se manifeste maintenant de façon éclatante et spectaculaire, le bourgeon produit le fruit. Les apôtres sont consacrés et l’Église est en route. Ils ont beaucoup reçu de Jésus et à présent ils peuvent remplir leur mission pour lui et avec lui. L’Esprit de Vérité assurera leur fidélité au Christ, il poursuivra son enseignement auprès d’eux, il leur apprendra à transmettre le legs divin. Et c’est aussi ce qu’il fait en nous dès lors que nous lui ouvrons notre cœur et l’appelons avec ferveur.

Réponds à notre prière, Dieu tout-puissant, et comme au jour de la Pentecôte, que le Christ, lumière de lumière, envoie sur ton Église l’Esprit de feu : qu’il éclaire le cœur de ceux que tu as fait renaître et les confirme dans ta grâce.
Aujourd’hui, Seigneur, par le mystère de la Pentecôte, tu sanctifies ton Église chez tous les peuples et dans toutes les nations ; répands les dons du Saint-Esprit sur l’immensité du monde, et continue dans le cœur des croyants l’œuvre d’amour que tu as entreprise au début de la prédication évangélique [3].

C’est le jour de gloire, l’avènement du Saint-Esprit. Nous fêtons sa venue, lui rendons grâce, reconnaissons ses bienfaits car lui seul peut nous amener à connaître Dieu. Nous le saluons en chantant Veni Sancte Spiritus, le louons pour son secours et ses dons et le prions :

Sans ta puissance divine, il n’est rien en aucun homme, rien qui ne soit perverti. Lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé. Assouplis ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid, rends droit ce qui est faussé. À tous ceux qui ont la foi et qui en toi se confient, donne tes sept dons sacrés [4].

Toute l’histoire du salut aboutit au jour de Pentecôte. La volonté de Dieu était que nous recevions l’Esprit, le Fils de Dieu s’est fait homme pour nous l’offrir avant de s’effacer pour lui laisser la plus grande place. Le don de l’Esprit est perdurable, c’est un événement qui ne cesse de se répéter, une présence qui ne nous fera pas défaut. Pendant cinquante jours, l’Esprit a travaillé à l’intérieur de chaque homme de façon plus intensive et ce temps d’immenses grâces s’achève en laissant nos cœurs aussi brûlants que ceux des disciples d’Emmaüs.

Ils n’ont pas reconnu Jésus en chemin, et leur esprit ne s’est ouvert qu’à la fraction du pain. Avant son Ascension, Jésus a choisi d’instruire ses disciples sur la venue de l’Esprit et les assurer de sa présence continuelle autour d’un repas. Et la veille d’offrir librement son corps et son sang sur la Croix, il les a initiés à une première communion pendant la Cène. Saint Jean insiste beaucoup sur le discours de Jésus se présentant comme le pain de la vie éternelle. «  Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement ; et le pain que je donnerai, c’est ma chair.  » (Jn 6, 51) Le mystère eucharistique est si grand qu’il ne peut être accueilli et envisagé que par la foi, don de l’Esprit-Saint. « Le Verbe fait chair, par son verbe, fait de sa chair le vrai pain. Le sang du Christ devient boisson. Nos sens étant limités, c’est la foi seule qui suffit pour affermir les cœurs sincères [5]. » Depuis la Pentecôte, il continue d’œuvrer à chaque instant, selon la volonté de Dieu, dans l’intimité de nos âmes et de nos vies, dans l’Église et dans le monde, à travers la sainte hostie, de façon humble et silencieuse. L’Esprit est donc bel et bien au cœur de la Fête-Dieu, solennité du Corps et du Sang du Christ. C’est le moment où son action resplendit de tous ses feux dans le Saint-Sacrement et où, par sa grâce, nous éprouvons notre grande pauvreté et reconnaissons notre besoin d’être sans cesse ressourcés par cette nourriture spirituelle. Bien sûr, chaque communion est l’occasion de prendre part au banquet divin, mais ce jour-là, l’Esprit-Saint nous accompagne intérieurement vers une conscience plus vive de la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Il invite d’abord notre regard à une contemplation, une admiration, une adoration nouvelles devant le don le plus précieux que Dieu fait aux hommes. Sous la modeste apparence de l’hostie se cache la splendeur de Celui qui est au-dessus de tout, Celui qui nous attend, nous visite et nous aime. Puis l’Esprit prépare nos cœurs avec un soin tout particulier à recevoir avec foi et ferveur le Corps et le Sang du Christ et à en être comblés de paix et de joie. Avec cette fête, nous lui rendons grâce de nous permettre de partager quotidiennement la vie divine de Jésus ressuscité, les yeux levés vers le Père.

Celui qui s’unit au Seigneur n’est avec lui qu’un seul esprit. (1 Co 6, 17)
Seigneur Jésus Christ, dans cet admirable sacrement, tu nous as laissé le mémorial de ta passion : donne-nous de vénérer d’un si grand amour le mystère de ton Corps et de ton Sang, que nous puissions recueillir sans cesse le fruit de ta rédemption [6].

L’Esprit trouve à travers ce sacrement un lieu privilégié d’où il nous bénit, nous fortifie, nous éclaire, nous soigne. Il infiltre en profondeur notre humanité, nous donne de vivre le mystère pascal en notre chair et de devenir offrande à notre tour. Pour rester parmi nous, Jésus a choisi avec beaucoup de simplicité le pain et le vin, sur lesquels le prêtre, au cours de la consécration et au nom des fidèles rassemblés, invoque l’Esprit-Saint pour les transformer : « Sanctifie ces offrandes en répandant sur elles ton Esprit ; qu’elles deviennent pour nous le corps et le sang de Jésus, le Christ, notre Seigneur [7]. » L’Esprit de Dieu agit à travers le prêtre qui officie en la personne du Christ et, par ces mots, le Christ lui-même s’offre en sacrifice, devant le peuple tourné vers lui. Alors, nous devenons un seul corps avec lui et avec les membres de son Église, « par lui, avec lui et en lui, dans l’unité du Saint-Esprit ».

Assomption et Toussaint

Après la glorification du Christ, celle de sa Mère. Après le nouvel Adam, la nouvelle Ève. Contrairement aux fêtes précédemment évoquées, celle de l’Assomption ne repose sur aucun texte biblique qui relaterait l’élévation de Marie au Ciel. C’est une ancienne tradition, reconnue comme inspirée par l’Esprit-Saint, qui fut transcrite en dogme par le Pape Pie XII après avoir, longtemps avant, été célébrée dans la fête du 15 août. Marie enlevée au Ciel par Dieu rappelle la Femme de l’Apocalypse (12, 1) : « Un grand signe apparut dans le ciel, une femme vêtue de soleil, la lune sous les pieds, et sur sa tête une couronne de douze étoiles » – magnifique description du triomphe de la Sainte Vierge. Nous serions tentés de penser que le rôle de l’Esprit-Saint, outre la révélation du dogme, n’est pas central dans l’évènement de l’Assomption, et, pourtant, toute l’histoire de Marie est intimement liée au Saint-Esprit, depuis son Immaculée Conception jusqu’à son ascension. Élue par Dieu, mise à l’écart du péché originel, « bénie entre toutes les femmes » et « comblée de grâce », elle est l’icône de la pureté et de la sainteté. Lorsque l’Ange lui annonce que Dieu l’a choisie pour concevoir et donner naissance au Sauveur du monde et que le Saint-Esprit la couvrira de son ombre, son consentement entier l’unit à lui éternellement. Celle qui a toujours été la fidèle servante du Seigneur devient librement la nouvelle Arche d’Alliance, et se remet totalement à l’action de l’Esprit. Durant toute sa vie, elle est sans cesse tournée vers son Fils dans une communion parfaite et sainte. Tout aussi librement, elle étend sa maternité aux disciples au pied de la Croix, et sa présence à leurs côtés depuis la Résurrection de Jésus jusqu’à la Pentecôte – et sans doute après – l’établit comme Mère de l’Église. Élevée au Ciel, sa glorification annonce la glorification du corps entier de l’Église : l’Esprit-Saint fait entrer Marie dans la gloire de son Fils et, en accueillant au Ciel une créature humaine, il révèle le devenir de l’humanité entière. Tout en conservant sa réalité corporelle, une femme franchit pour la première fois les portes de la vie divine et les hommes peuvent maintenant contempler la gloire de leur Mère dans le Ciel avec l’espoir de connaître un jour la même proximité avec Dieu. Marie, figure d’humilité et d’obéissance, nous l’exprime d’ailleurs elle-même lorsque, rendant visite à sa cousine Élisabeth et soudain remplie de l’Esprit-Saint, elle s’exclame : « Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. »

La dernière étape de notre année liturgique est un épilogue heureux. Dans l’Église catholique, la fête de la Toussaint est célébrée à l’automne, telle la récolte du fruit de l’action de l’Esprit-Saint, tandis que nos frères chrétiens d’Orient fêtent la Toussaint le premier dimanche de Pentecôte, mettant en relief le fait que la sainteté est un effet direct du don de l’Esprit au Cénacle. Cependant, quelque soit la date, la Toussaint est la fête du bonheur de tous les saints du Ciel et de la terre, à ressentir dans la lumière des Béatitudes, le passage de l’Évangile qui est lu ce jour-là. « Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux ! Heureux les doux : ils obtiendront la terre promise !  » (Mt 5, 1-2) De cette solennité jaillit une joie presque semblable à celle de Pâques car nous comprenons qu’il n’y a pas que Jésus qui a traversé la mort, mais aussi la cohorte des grands saints du martyrologe et « une multitude d’autres saints dont les noms sont inscrits au Livre de Vie » et que seul Dieu connaît. Tous rassemblés dans le Ciel ils chantent les louanges du Seigneur et nous donnent à contempler la Jérusalem céleste, faisant grandir en nous le désir de les rejoindre.

Quelle joie quand on m’a dit : « Nous irons à la maison du Seigneur ! » Maintenant notre marche prend fin devant tes portes, Jérusalem ! Jérusalem, te voici dans tes murs : ville où tout ensemble ne fait qu’un ! (Ps 121, 1-3)

Tous ces saints font de la Toussaint une promesse d’éternité ! Ils ont vécu de l’Évangile, ils sont nos guides dans la foi, dans notre marche personnelle. Ils nous prouvent qu’il est possible de cheminer avec Jésus dans les joies et les difficultés de la vie humaine ; nous prenons alors conscience à quel point ils sont proches de nous. Ils nous rappellent que nous sommes tous appelés à la sainteté, par des voies différentes mais accessibles. Par leur exemple, ils nous invitent à admirer la réalité de la Bonne Nouvelle et la présence agissante de l’Esprit en tout homme. Ils sont ses meilleurs témoins, car ils sont des pécheurs pardonnés rendus saints par sa grâce. Seul Dieu est saint par nature. Dans leur vie et dans leurs actes, c’est le souffle divin qui a fait naître la charité, charité sans fin puisqu’ils agissent à présent en notre faveur, prient pour nous et partagent leur sainteté avec les vivants en participant aux assemblées liturgiques. En chaque homme, l’œuvre de sanctification commence avec le sacrement du baptême, au moment où le Christ, par l’Esprit-Saint, répand sa nature divine dans le cœur du baptisé. Tous les baptisés sont unis par l’Esprit pour former une seule Église, et lui seul peut ainsi ordonner en un unique corps harmonieux tous les membres dans leurs diversités.

Les dons de la grâce sont variés, mais c’est toujours le même Esprit. Les fonctions dans l’Église sont variées, mais c’est toujours le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est toujours le même Dieu qui agit en tous. […] Notre corps forme un tout, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps. » (1 Co 12, 4-6.12).

Il agence toutes nos différences dans une union autour du Christ, créant ainsi la sainteté, unifiée dans une même fête et une même louange.

L’Esprit se fait définitivement le compagnon fidèle et indispensable de notre progression tout au long des solennités et des moments forts de la liturgie. À travers ces mystères plus grands les uns que les autres, il guide notre foi, accompagne le moindre de nos pas, oriente notre désir dans la prière, fait germer et grandir notre espérance, notre allégresse, et tend toute notre âme vers Dieu avec une infinie patience et un amour débordant. Mais le Souffle divin ne pénètre dans notre cœur que si nous l’y invitons. S’il se fait si discret, c’est qu’il ne veut pas s’imposer à notre liberté. Don béni de Dieu, il offre à chacun ce qu’il a de meilleur, indéfiniment, et il n’a pas d’autre désir que cela. « Viens Esprit de Sainteté, viens Esprit de Lumière », lui demande-t-on souvent, avec raison, car sans lui, pas de foi, et, sans la foi, comment pourrions-nous trouver la source du vrai bonheur auprès de Jésus, nous nourrir de tout ce qu’il a laissé à notre intention, et partager ces merveilles avec ceux que nous rencontrons ? L’Esprit-Saint sait écouter et répondre à nos attentes, et nous pouvons en toute occasion et dans une confiance absolue invoquer, louer, chanter, rendre grâce à notre grand bienfaiteur pour son action sans cesse renouvelée en nous. « Seigneur, que l’Esprit-Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire pour que nous obtenions un jour les biens du monde à venir [8]. »

Marie Beaudeux, professeur d’anglais dans un établissement public, membre de la communauté apostolique Aïn Karem.

[1] Prière eucharistique no 3.

[2] Collecte de la messe du dimanche de Pâques.

[3] Collecte des messes de la veille et du jour de la Pentecôte.

[4] Séquence Veni Sancte Spiritus.

[5] Extrait du Pange Lingua Gloriosi, hymne des vêpres de la fête du Saint-Sacrement.

[6] Collecte du dimanche de la Fête-Dieu.

[7] Épiclèse de la Prière eucharistique no 2.

[8] Prière eucharistique no 3.

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