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Une figure paradoxale

Yves-Marie Hilaire

– Pierre, m’aimes-tu ?
– Oui Seigneur, tu sais, toi, que je t’aime tendrement.
– Sois le berger de mes brebis.

Maxime Charles a entendu cet appel très tôt et y a répondu en s’engageant totalement au service du Christ. Pourtant, à vue humaine, le petit abbé périgourdin a raté sa carrière ecclésiastique : ni évêque, ni grand théologien, ni fondateur d’œuvre caritative en faveur des pauvres. Il s’est contenté très longtemps d’être aumônier de jeunes. Il a été un témoin privilégié des grands événements de l’histoire de France qui ont atteint tout particulièrement la jeunesse : le Front populaire, la défaite de 1940, la Libération, les vicissitudes de la décolonisation, la crise de civilisation de 1968.

Sa pastorale est très simple : persuadé que le Ressuscité est à portée du cœur des hommes, il croit que l’annonce directe de la Parole de Dieu accompagnée d’une prière fervente, peut entraîner un retournement vers le Christ. S’inspirant de la devise de l’Association catholique de la jeunesse française, Prière-Etude-Action, il prie, il parle et il agit.

Envoyé « porter le Christ dans la banlieue » aux ouvriers de Malakoff, ses méthodes étonnent : prêt à « faire les pieds-au-mur pour annoncer Jésus-Christ », selon son expression, il parle dans les cinémas à la place des attractions. Après le désastre de 1940, aumônier des chantiers de jeunesse de Vichy, il se passionne beaucoup plus pour la prédication de Jésus-Christ que pour l’idéologie de la Révolution nationale.

Après la Libération, aumônier des étudiants de Sorbonne, il est un personnage atypique dans le monde intellectuel où il accumule les paradoxes :

– Cet écclésiastique, doté d’une vaste culture religieuse et intellectuelle, laisse au fond peu d’écrits.
– Ce prêtre, homme d’action avant tout, a exercé néanmoins un rayonnement doctrinal important.
– Ce blagueur, dont les bons mots séduisaient, était un spirituel marqué par Bérulle et l’École française de spiritualité.
– Ce gestionnaire réaliste des deniers qui lui étaient confiés croyait aussi à la prière, voire au « miracle », pour le succès des causes matérielles.
– Cet esprit indépendant et quelque peu frondeur, est resté fidèle à son diocèse et a rêvé de fonder une société de prêtres séculiers.
Cet homme qui voulait « tenir les deux bouts de la chaîne » y parvenait :
– Ses célébrations liturgiques étaient traditionnelles et elles annonçaient les réformes de Vatican II.
– Ses cours de théologie étaient attrayants et solides.
– Ses conceptions pastorales, nourries de la Révélation et de l’expérience, étaient éclectiques et exigeantes.

Témoin d’une histoire marquée par une succession de ruptures brutales, ce prêtre, réfractaire aux idéologies à la mode, est un pasteur pour temps de crise. C’est dans les périodes troublées qu’il rebondit et que, rejoint par des jeunes, il fonde durablement :

– Après 1944, où il guide la vocation de plusieurs étudiants jusqu’à la prêtrise, sans soupçonner que de grandes responsabilités leur seront confiées.
– Après 1968, où un groupe de jeunes des Écoles Normales Supérieures donne un nouvel élan à la revue Résurrection avant de fonder l’édition française de la revue internationale Communio.
– Recteur du Sacré-Cœur de Montmartre, il dépoussière une dévotion qui vieillissait, rénove l’Adoration eucharistique, répand la théologie du Cœur du Christ, fait connaître un Amour divin immense et proche. A une époque où certains veulent réduire Jésus-Christ à l’état de mythe, il fait découvrir la réalité d’un être de chair, concret, inséré dans un temps, dans un milieu et résistant à toute analyse dissolvante.

C’est bien d’une histoire d’amour qu’il s’agit.
– Maxime, m’aimes-tu ?

Yves-Marie Hilaire, Yves-Marie Hilaire est né en 1927 et décédé en 2014. Il était professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Lille III. Le sujet de sa thèse était « la vie religieuse des populations du diocèse d’Arras, 1840-1914 », en 1976. Il fut le co-auteur avec Gérard Cholvy de « L’histoire religieuse de la France contemporaine », 2 vol., éd. Privat, Toulouse, 1985-1988.

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