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Une forme inattendue de la Réconciliation des Pénitents

P. Michel Gitton

Un aspect moins connu du Mouvement liturgique, qui remit au cœur de la vie de l’Église l’intérêt pour la liturgie, fut la réflexion sur le Sacrement de pénitence, en apparence le moins liturgique de tous, puisque depuis des siècles, il était administré dans le secret du confessionnal [1]. Il avait existé, il est vrai, dans l’antiquité et jusqu’au haut Moyen Age, des célébrations communautaires, dans ce qu’il était convenu d’appeler la Réconciliation des Pénitents, lorsque des hommes et des femmes écartés de la vie de l’Église à la suite d’une faute grave y étaient réadmis solennellement après le carême. On avait dans le Pontifical Romain en usage jusqu’au concile Vatican II [2] une célébration bel et bien intitulée : De reconciliatione pœnitentium, mais qui n’avait plus guère d’usage sans doute depuis longtemps.

Des voix s’élevèrent pour réclamer une célébration plus communautaire du sacrement que l’on commençait d’appeler précisément de « réconciliation », afin de mettre en lumière les implications sociales de la pénitence, car le péché, tout en étant un refus personnel de l’amour de Dieu, n’en a pas moins des conséquences sur le corps entier de l’Église. La réconciliation n’était donc pas seulement un retour en grâce avec Dieu, c’était aussi une réadmission parmi les fidèles pour pouvoir célébrer avec eux les mystères du culte. Pour y parvenir, le pécheur pouvait être puissamment soutenu par la prière des frères. On se prit à souhaiter que la reconnaissance de l’état de pécheur, la demande de pardon, voire une partie au moins de la réparation se fassent dans l’assemblée des fidèles, étant sauf l’aveu personnel à un prêtre et l’absolution. On alla même plus loin dans les absolutions collectives qui firent disparaître tout aveu privé. Pour ce qui est de l’aspect liturgique, l’ordo pœnitentiæ de 1974 proposait plusieurs formules, mais il s’agissait en gros toujours du même schéma (celui désormais adopté pour presque tous les sacrements et sacramentaux) : salutation – liturgie de la parole – prière litanique – Notre Père – et, après la confession et l’absolution privée (s’il y en avait une), prière d’action de grâces – bénédiction et renvoi [3].

À notre connaissance, personne ne tenta de tirer parti de l’ancienne liturgie de la réconciliation des pénitents, pourtant si riche et si parlante, à l’exception de l’Abbé Maxime Charles, aumônier de la Sorbonne à partir de 1944, fondateur du Centre Richelieu, puis recteur de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, passionné par le Renouveau liturgique qu’il pratiqua à sa façon dans tous les lieux qu’il marqua de son empreinte. Pour apprécier sa tentative, il faut d’abord jeter un coup d’œil à la liturgie de la réconciliation des pénitents, telle qu’elle figure dans les anciens livres liturgiques.

LE RITUEL TRADITIONNEL DE LA RÉCONCILIATION DES PÉNITENTS

La cérémonie prend place le Jeudi Saint. Ce n’est pas une messe [4] (ce jour-là il y a déjà la messe chrismale et la messe in Cena Domini, toutes les deux le matin ; l’après-midi il y a le mandatum, c’est-à-dire le lavement des pieds, aujourd’hui intégré dans la messe du jour). L’évêque est revêtu de la chape de couleur violette et porte la mitre simple ainsi que la crosse ; il a près de lui son diacre et son sous-diacre, revêtus des ornements, il a en plus quatre sous-diacres également parés et un diacre âgé (noter le détail). L’archidiacre, qui est un dignitaire de la cathédrale, est aussi présent et porte l’étole sur son aube. Tous ces ministres sont à genoux autour de l’évêque qui s’appuie sur le faldistoire (siège bas adossé à l’autel). Pendant ce temps, les pénitents sont devant la porte de l’Église, pieds nus et agenouillés par terre, ils ont en main des cierges éteints.

Tout commence par le chant des sept psaumes de la pénitence (6, 31, 37, 50, 101, 129, 142). Puis on entonne les litanies majeures. Quand on est arrivé à « tous les saints patriarches et prophètes, priez pour nous », on observe une pause et là le pontife envoie deux sous-diacres portant chacun un cierge allumé. Quand ils sont arrivés à la porte, se tenant sur le seuil, ils brandissent leurs cierges allumés et chantent l’antienne : « je vis, dit le Seigneur, je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive ! » (Ez 18,23). Après quoi, ils éteignent leurs cierges et retournent à leur place.

Les litanies reprennent ; quand on dit : « tous les saints martyrs, priez pour nous », elles s’arrêtent et le pontife envoie deux nouveaux sous-diacres avec des cierges allumés, qui, pareillement, arrivés sur le seuil chantent l’antienne : « le Seigneur le dit : faites pénitence, car le Royaume des cieux est proche ! » (Mt 3,2). Après quoi, cierges éteints, ils retournent à leur place et les litanies reprennent.

Arrivé à « l’Agneau de Dieu » exclusivement, on s’arrête de nouveau et le Pontife envoie le diacre âgé [5], revêtu des ornements, avec un gros cierge allumé. Arrivé sur le seuil, il chante l’antienne : « levez vos têtes, voici qu’approche votre rédemption ! » (Lc 21,28). Alors on allume les cierges des pénitents avec cette cire. Le diacre n’éteint pas son cierge et revient avec lui à sa place.

Puis on chante : « Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde, aie pitié de nous, Seigneur ! » et on termine les litanies. L’évêque alors se relève et, avec tout son clergé, derrière la croix, l’encens et les acolytes, il sort du chœur ; il s’arrête au milieu de l’église où on lui a préparé un faldistoire, là il s’assoit regardant l’entrée de l’église, entouré de tout son clergé disposé de part et d’autre.

Alors l’archidiacre, se tenant sur le seuil de la porte, après avoir invité au silence ceux qui sont encore à l’extérieur, s’adresse à l’évêque et rappelle en des termes bibliques et particulièrement poétiques le bienfait de la pénitence qui rend à l’Église ses fils régénérés.

A ces mots, l’évêque se lève et, n’ayant avec lui que son diacre et son sous-diacre, se dirige vers la porte où il adresse une brève exhortation aux pénitents sur les bienfaits de la clémence divine et les principes qui doivent diriger désormais leur vie. Puis il chante l’antienne « venez, venez, venez mes fils, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte du Seigneur ! » (Ps 34,12), suivie de l’invitation (par le diacre) à se mettre à genoux puis à se relever. Il l’a répète avec une visible jubilation une deuxième, puis une troisième fois.

Puis le Pontife pénètre dans l’église pendant que l’archidiacre commence l’antienne : « venez à lui et vous serez illuminés, votre visage ne sera pas confondu » (Ps 33,6). Le chœur continue et chante le psaume 33 en entier. Pendant ce temps, les pénitents commencent à rentrer et se précipitent aux pieds de l’évêque. Alors l’archiprêtre (un autre dignitaire de la cathédrale) s’adresse à l’évêque et l’invite à dispenser sur ces pénitents les bienfaits de la réconciliation, pour « rendre les hommes proches de Dieu ». Le pontife lui demande, comme dans les ordinations, s’ils en sont dignes. Sur la réponse positive de l’archiprêtre, le diacre invite tous les pénitents à se lever, l’évêque prend la main de l’un d’entre eux et tous les autres se tenant la main s’attachent à celui-ci. Après des versets pris au psaume 50, dit en alternance, le Pontife commence l’antienne « je vous le dis, il y a de la joie chez les anges de Dieu pour un seul pécheur qui fait pénitence » (Lc 15,10), achevée par le chœur. Puis, tenant toujours la main du pénitent, suivi de tous les autres, il les conduit jusqu’au faldistoire au milieu de l’église et là debout sur un marchepied, tourné vers eux (qui sont à genoux), il commence l’antienne « il faut se réjouir, mon fils, car ton frère était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé » (Lc 15,32).

Il donne alors une première absolution : « que Dieu tout puissant vous absolve de tous les liens de vos péchés, pour que vous ayez la vie éternelle et que vous viviez, par JC… ». Là commence la grande préface qu’il dit les mains ouvertes devant la poitrine. Nous en donnons le texte plus loin.

Là-dessus, tout le monde se prosterne, l’évêque à genoux devant son faldistoire, les autres par terre.

Le chœur chante encore les Psaumes 50, 55 et 56 sous une seule antienne (« Dieu crée en moi un cœur pur… »). Puis l’évêque, s’étant relevé, ne dit pas moins de six oraisons pour implorer la guérison complète des pécheurs repentis. Puis vient la grande absolution, dite aussi en forme déprécative (« qu’il vous absolve par mon ministère de tous vos péchés »), au nom du sang très pur versé par Jésus-Christ pour le rachat de nos fautes. Puis il asperge les pénitents réconciliés d’eau bénite en leur disant : « relevez-vous, vous qui dormez, relevez-vous d’entre les morts, et le Christ vous illuminera » (Ep 5,14). Il leur accorde, s’il le juge bon, des indulgences. Puis il les bénit.

Après quoi, nous dit le texte du pontifical qui ne néglige aucun détail, ils peuvent se raser les cheveux et la barbe et quitter leurs habits de pénitence pour du linge frais !

On reste confondu devant un tel rituel, d’une extrême longueur, certes, mais surtout d’une telle force ! La multiplicité des références bibliques et leur pertinence, la profondeur de certaines des prières dites par l’évêque, la justesse du mouvement par lequel le pontife se rapproche des pécheurs en voie de conversion et les entraîne à l’intérieur, tout cela fait de ce texte un document incomparable de la foi et de la pratique de l’Église, qui par comparaison fait paraître bien pâles et bien cérébrales les compositions laborieuses qu’on nous sert aujourd’hui.

LA TENTATIVE DE MAXIME CHARLES

C’est dans les années où il était l’aumônier général du Centre Richelieu à la Sorbonne, que l’abbé (bientôt chanoine) Charles eut l’idée d’une cérémonie permettant de retrouver la richesse de l’antique rituel de la réconciliation des pénitents pour rendre sensible la démarche pénitentielle à ceux qui s’en étaient éloignés. Donc, entre 1945 et 1959, sans doute plus près des dernières années, fut inventée cette célébration, sans doute dans le cadre du pèlerinage à Chartres. On peut penser que l’élaboration du projet de Maxime Charles bénéficia de l’effervescence intellectuelle et spirituelle qui régnait au Centre et de la collaboration de prêtres de valeur qui y travaillaient avec lui (Léon Hamel, Georges Kowalski, Jean-Marie Lustiger,…).

La partie n’était pas gagnée d’avance, car le rituel antique tel qu’il se présente était pensé dans une situation où les pénitents formaient un groupe à part, qui s’étaient préparés par tout un Carême à leur réintroduction dans l’assemblée chrétienne, alors que, dans la situation des années 50 que rencontrait l’abbé Charles, la majorité de ceux qui se présentaient au Centre Richelieu étaient des baptisés, dont beaucoup avaient été catéchisés, au moins superficiellement, mais qui s’étaient éloignés de l’Église et avaient des préjugés sur son compte. Il s’agissait de profiter de la part de catholiques conscients et organisés déjà réunis pour entraîner cette masse à faire un pas en avant, et même le plus décisif de tous : se confesser.

Pour cela, Maxime Charles retint trois éléments essentiels du rituel de réconciliation des pénitents : la longue litanie de pénitence coupée d’éclairs de lumière, la démarche du clergé qui s’approche des pécheurs et les entraîne à sa suite vers la confession, l’anaphore du pardon donnant le sens théologal du sacrement célébré dans l’intimité du face à face.

La litanie de pénitence et les interventions diaconales

Ni les psaumes de la pénitence, ni les litanies majeures ne furent retenus, sans doute parce que les premiers allaient servir pendant le temps des confessions et que les secondes sont réservées à d’autres moments forts, comme la vigile pascale en train de renaître. Il paraissait mieux adapté de proposer un examen de conscience communautaire sous la forme d’une litanie égrenant, dans des termes les moins moralisants possible, les principaux péchés qui pouvaient apparaître à la conscience de ces étudiants. On admirera la manière délicate de parler des péchés de la chair : « parce que nous n’avons pas toujours gardé à notre corps sa dignité de temple de l’Esprit Saint », comme d’ailleurs d’autres fautes (ainsi la médisance sur l’Église … et son personnel).

▪ Parce que nous n’avons pas mis dans nos familles l’esprit qui aurait dû y régner, Ô SEIGNEUR, ÉCOUTE ET PRENDS PITIÉ !
▪ Parce que nous avons été trop timides pour répandre autour de nous ta Révélation, Ô SEIGNEUR, ÉCOUTE ET PRENDS PITIÉ !
▪ Parce que nous n’avons mis dans notre travail des réactions trop humaines d’ambition et de découragement, Ô SEIGNEUR, ÉCOUTE ET PRENDS PITIÉ !
▪ Parce que nous n’avons suscité ni climat de charité dans nos rapports humains, ni justice dans nos rapports professionnels, Ô SEIGNEUR, ÉCOUTE ET PRENDS PITIÉ !
▪ Parce que nous n’avons pas toujours gardé à notre corps sa dignité de temple de l’Esprit Saint, Ô SEIGNEUR, ÉCOUTE ET PRENDS PITIÉ !
▪ Parce que nous n’avons pas assez développé les talents qui nous étaient donnés pour les faire fructifier, Ô SEIGNEUR, ÉCOUTE ET PRENDS PITIÉ !
▪ Parce que nous n’avons pas reconnu que les dons où nous nous complaisions venaient de ta bonté, Ô SEIGNEUR, ÉCOUTE ET PRENDS PITIÉ !
▪ Parce que nous nous sommes découragés devant les difficultés, ne croyant pas à la force de ta grâce, Ô SEIGNEUR, ÉCOUTE ET PRENDS PITIÉ !
▪ Parce que nous avons parfois désespéré, ne croyant pas à ton amour plus fort que nos faiblesses, Ô SEIGNEUR, ÉCOUTE ET PRENDS PITIÉ !
▪ Parce que nous n’avons pas su assez te prier, Ô SEIGNEUR, ÉCOUTE ET PRENDS PITIÉ !
▪ Parce que nous n’avons pas approfondi et défendu notre foi, O SEIGNEUR, ÉCOUTE ET PRENDS PITIÉ !
▪ Parce que nous avons critiqué les responsables de l’Église comme s’ils nous étaient étrangers, Ô SEIGNEUR, ÉCOUTE ET PRENDS PITIÉ !
▪ Parce que nous n’avons pas su offrir des sacrifices qui nous auraient unis au Christ sur la Croix, Ô SEIGNEUR, ÉCOUTE ET PRENDS PITIÉ !
▪ Parce que nous n’avons pas eu confiance en ta providence paternelle, Ô SEIGNEUR, ÉCOUTE ET PRENDS PITIÉ !

Le rituel élaboré par l’abbé Charles ne pouvait se priver de cet élément si marquant de l’antique rituel qui consistait dans l’envoi à trois reprises d’un clerc (sous-diacres, puis diacre), un cierge allumé, en direction des pénitents restés dehors, afin de les réconforter et de les soutenir dans leur ultime effort. Là ce fut un diacre (ou un prêtre remplissant le rôle de diacre) avec une étole de couleur blanche, tenant à la main un cierge allumé et s’avançant devant l’assistance pour chanter une des phrases suivantes :

Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive !
Le Seigneur va se lever et vous prendre en pitié !
Faites pénitence, car le Royaume de Dieu est proche !

À chaque fois évidemment la litanie s’arrête (après la 4e, puis la 9e invocation, puis à la fin) laissant d’abord un temps de silence pour permettre au diacre de s’avancer, puis elle reprend vigoureusement après son intervention (sauf à la fin).

On remarque qu’il n’y a pas d’imitation servile, puisque, sur les trois interventions, deux (la 1ère et la 3e) dérivent du pontifical tridentin, mais la deuxième est nouvelle (elle s’inspire d’Is 30,18) et d’ailleurs très adaptée.

La démarche du clergé vers les pécheurs pour les entraîner à la pénitence

C’est un vrai tour de force d’avoir trouvé le moyen de transposer le geste si impressionnant de l’antique rituel par lequel l’Évêque tirait littéralement les pénitents pour les faire entrer dans l’église. Car la situation est évidemment très différente : les pénitents de l’ancien temps sont à l’extérieur et le pontife va les chercher, ils forment un groupe clairement désigné, tandis que, dans le cas que considère l’abbé Charles, il s’agit d’un grand rassemblement où tout le monde est mêlé et ce qui est visé, c’est de décider un certain nombre de participants à faire le pas et à se diriger vers un prêtre pour la confession.

La solution trouvée est la suivante : les prêtres (qui peuvent être près d’une centaine dans des veillées sur la route de Chartres) s’avancent deux par deux derrière la croix de procession en une très longue file, ils quittent l’espace autour de l’autel, s’avancent dans l’allée ménagée au centre, vont jusqu’au fond, et là, ils se séparent sur la droite et la gauche, entourant les carrés du fond (là où se réfugient de préférence les publicains de l’évangile !) et se reforment ensuite dans l’allée centrale en entraînant derrière eux tous ceux qui acceptent de les suivre. Le mouvement est coupé de trois moments où la procession s’arrête et où le célébrant principal chante, sur un ton de plus en plus haut, la formule : « aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs ! » (Ps 94,7-8). Cette phrase n’est pas prise au rituel ancien, mais elle est admirablement choisie et touche effectivement les esprits. Un chantre (ou le diacre) entonne à chaque arrêt « supplions à genoux ! » et après un temps de silence : « levons-nous ! ».

Les pénitents ainsi rassemblés se massent derrière les prêtres qui ont rejoint le devant de l’autel et entourent le célébrant principal qui va chanter l’anaphore du pardon.

L’anaphore du pardon

Nous sommes en pleine redécouverte des richesses anciennes de la liturgie, on sait qu’il n’y a pas seulement la préface de la messe, au début de la prière eucharistique, mais qu’il a existé d’autres formes d’ « anaphores » (de prières solennelles d’action de grâce) : l’ « eucharistie des lampes », la bénédiction du Saint Chrême, sans parler de celle du cierge pascal au moment de l’Exsultet, qui a aussi la forme d’une préface, avec le dialogue « le Seigneur soit avec vous/et avec votre esprit - élevons notre cœur/nous le tournons vers le Seigneur - rendons grâce au Seigneur notre Dieu/cela est juste et bon ! ». La bénédiction solennelle de l’eau au Baptistère durant la vigile pascale peut aussi s’apparenter à cet ensemble.

La préface chantée durant la réconciliation des pénitents est un magnifique exemple de l’ancienne écologie romaine. La vision est large et nourrie d’abondantes références évangéliques. Le ton est contemplatif et non catéchétique, comme trop de nos prières modernes, qui semblent d’abord être des leçons destinées aux participants. Il est un peu inexact de parler d’ « anaphore du pardon », car justement le mot pardon est complètement absent du texte (comme de l’évangile d’ailleurs) qui ne parle jamais que de rémission des péchés.

L’Abbé Charles se contenta de traduire la préface, avec quelques légers coups de pouce que fera apparaître la comparaison ci-dessous.

Le Seigneur soit avec vous
Et avec votre esprit
Élevons notre cœur
Nous le tournons vers le Seigneur
Rendons grâce au Seigneur notre Dieu
Cela est juste et bon !
Vraiment, il est digne et juste, équitable et salutaire de t’offrir notre action de grâce, toujours et en tout lieu, à toi, Seigneur très saint, Père tout puissant et Dieu éternel, par le Christ notre Seigneur. Lui que tu as fait naître d’une manière ineffable (du sein de la Vierge Marie), pour qu’il acquitte envers toi, notre Père éternel, la dette d’Adam, pour qu’il détruise notre mort par sa mort, pour qu’il porte nos blessures dans son corps, pour qu’il nettoie nos souillures dans son sang, afin de nous ressusciter, dans sa bonté, nous que la jalousie de l’antique ennemi avait pervertis Par lui, nous te prions et te demandons instamment de daigner nous exaucer quand nous te prions pour les fautes des autres, alors que nous ne parvenons même pas à te prier comme il faudrait pour les nôtres. Toi donc, ramène à toi avec ta constante bonté ces fidèles que leurs péchés ont séparés de toi, Toi qui n’as pas méprisé l’humiliation d’Achab malgré sa scélératesse et a écarté le châtiment qu’il avait pourtant mérité, Toi qui as exaucé les larmes de Pierre repentant et lui as donné les clefs du Royaume des cieux, Toi qui as promis au larron pénitent la récompense de ce même Royaume, Ainsi donc, ô Seigneur plein de clémence, réunis à nouveau ceux pour qui nous te prions et fais-les rentrer dans le sein de ton Église, de sorte que l’Ennemi ne se prévale jamais d’un triomphe obtenu sur eux, mais que ton Fils, égal à toi, les réconcilie avec toi, les purifie de toute tare, qu’il daigne les admettre au repas sacré de ta sainte Cène et qu’ainsi il les renouvelle par sa Chair et son Sang, pour les conduire après cette vie au céleste Royaume.
Par Jésus-Christ, ton Fils, notre Seigneur qui vit et règne avec toi, dans l’unité du Saint Esprit pour tous les siècles des siècles. Amen.
Vraiment, il est juste et bon de te rendre gloire, de t’offrir notre action de grâce, toujours et en tout lieu, à toi, Père très saint, Dieu éternel et tout puissant, par le Christ notre Seigneur.
Lui que, d’une merveilleuse façon, tu nous as donné pour qu’il acquitte envers toi la dette d’Adam, pour qu’il détruise notre mort par sa mort, pour qu’il porte nos blessures dans son corps, pour qu’il efface nos péchés dans son sang, afin de nous ressusciter dans ta bonté, nous que la jalousie de l’antique ennemi avait pervertis
Lui qui a exaucé les larmes de Pierre repentant et lui a donné les clefs du Royaume des cieux, Lui qui a promis au larron pénitent la récompense du Paradis, Lui qui, en remettant au paralytique ses péchés, lui a accordé une plus grande guérison que celle qu’il demandait, Lui qui a refusé de condamner la femme adultère et l’a renvoyée pardonnée. C’est par lui que, conscients de notre incapacité d’obtenir le pardon de nos propres péchés, nous te prions, te supplions de pardonner les errements du monde entier. Ô toi, Père très bon, dans toute ta tendresse, rappelle ceux que leurs fautes ont séparés de toi !
Regarde donc tous ceux pour lesquels nous te prions, ceux qui n’osent pas croire à ton amour, comme ceux qui ont peur d’y répondre totalement. Rappelle-les tous dans le sein de l’Église ; afin que le mal ne triomphe plus, mais que ton Fils les réconcilie, les purifie et daigne les admettre au repas sacré : que, par sa chair et son sang, il leur rende la vie et les conduise tous dans le Royaume éternel ! Par Jésus-Christ ton Fils, notre Seigneur et notre Dieu, qui règne avec toi et le Saint-Esprit, pour les siècles des siècles. Amen

Dans le schéma de l’Abbé Charles, une fois l’anaphore chantée, tout le monde récitait le Confiteor, puis les prêtres se dispersaient en différents points de l’assistance où avaient été disposés des confessionnaux mobiles, et commençaient à confesser. Les pénitents se succédaient pendant que la chorale chantait les psaumes de la pénitence et éventuellement des cantiques supplémentaires.

Une bénédiction finale était sans doute prévue dans les cas où la cérémonie ne débouchait pas sur une messe ou un autre office.

Avec l’arrivée à la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre de celui qui devenait bientôt Mgr Charles, l’ensemble fut transposé et prit place le Mercredi saint au soir dans le cadre des offices de la Semaine sainte. Comme il devenait possible dans ces années-là de dire une messe le soir, on prit l’habitude de célébrer, à la suite de la cérémonie de pénitence, la messe du jour (qui comportait alors toute la Passion selon saint Luc !), ce qui offrait la possibilité aux nouveaux réconciliés de communier sacramentellement dans la joie de leur renaissance baptismale. Après la réforme de 1969, la célébration qu’on vient de voir s’intégra dans le schéma d’une messe spécialement pensée par rapport à elle, avec (au début) une liturgie de la parole où on plaça les lectures qui, déjà dans l’état premier, précédaient l’ensemble (l’évangile de l’enfant prodigue, par exemple) et ensuite l’offertoire, la prière eucharistique et la communion. Pendant le pèlerinage en Terre Sainte, par contre, la célébration de pénitence avait lieu la veille de l’arrivée, sur le bateau, et ne comportait pas la messe. Aujourd’hui cette liturgie continue d’être en usage épisodiquement dans la communauté Aïn Karem, à l’initiative des prêtres qui ont été formés dans la suite de Mgr Charles.

CONCLUSION

Le mérite de la solution trouvée par le P. Charles réside dans le fait d’avoir rendu sensible, au cours de la liturgie elle-même, le travail de la grâce qui met en mouvement une liberté. Au lieu de supposer la démarche de l’homme antérieure en quelque sorte au sacrement qu’il viendrait simplement solliciter, elle montre que cette démarche est déjà le fruit du sacrement, en tout cas que c’est dans l’interaction qui se s’établit entre Dieu et l’homme, que ce dernier est appelé à faire un pas et à sortir de lui-même, assez pour devenir réceptif et coopérant à ce que Dieu lui propose. Bien des présentations actuelles du sacrement de pénitence font au contraire l’impasse sur les actes du pénitent pour montrer celui-ci comme un acte unilatéral de Dieu qui pardonne, lave, efface, etc… sans voir que la grâce est théandrique et qu’elle agit d’abord dans le pécheur pour en faire peu à peu un pénitent.

P. Michel Gitton, ordonné prêtre en 1974, membre de la communauté apostolique Aïn Karem.

[1] Cf. par ex. La Maison Dieu n°56 (1958), La pénitence dans la Liturgie.

[2] Édité en 1595-1596, dans la suite des livres liturgiques remis à jour après le Concile de Trente : Missel, Bréviaire, Rituel, Cérémonial.

[3] Traduction française : Célébrer la Pénitence et la Réconciliation, 1ère édition 1978. Dernière édition : 2010.

[4] Le Sacramentaire gélasien donne néanmoins les oraisons d’une messe pour la réconciliation des pénitents, mais celles-ci ont disparu dans le Pontifical tridentin.

[5] Cette insistance sur l’âge du diacre peut s’expliquer par le souci de représenter la miséricorde de Dieu sous les traits d’un vieillard.

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