Rechercher

Blaise Pascal. Des mathématiques à la mystique (Claude Genet)

préface de Philippe Sellier, avant-propos d’Élisabeth Santa-Croce, Paris, Salvator, 2010, 416 pp.
Simon Icard

L’ambition de ce livre est grande : présenter de manière synthétique l’ensemble de la pensée de Blaise Pascal. L’auteur part d’un constat pertinent. L’œuvre pascalienne est hétéroclite et d’un accès qui peut être déroutant pour le lecteur novice, confronté à « de nombreux écrits différant par la forme et le ton et touchant tantôt aux mathématiques et à la physique, tantôt à la philosophie et à la théologie » (p. 18). Claude Genet propose donc une introduction à l’étude de Blaise Pascal ou, pour reprendre son expression, « une “présentation générale” de ses écrits » (p. 14). De ce point de vue, le titre est un peu trompeur, car l’ouvrage ne se concentre ni sur la trajectoire intellectuelle de Pascal, de ses spectaculaires découvertes scientifiques à son expérience de Dieu lors de la « nuit de feu », ni sur la relation entre ses écrits scientifiques et ses écrits religieux. Publiant le livre de manière posthume, en suivant un manuscrit qui n’était pas totalement achevé, la fille de l’auteur a choisi ce titre, tout en reconnaissant qu’il « lui en aurait probablement donné un tout autre » (p. 15).

Fait peu courant dans les travaux sur Pascal, Claude Genet s’est donc attaché à prendre en compte tous ses écrits, sans se limiter aux Pensées et aux Provinciales, qui font partie du patrimoine littéraire du XVIIe siècle. L’attention portée aux travaux scientifiques doit être saluée, car l’œuvre de Pascal souffre souvent d’une lecture sélective, du fait de la séparation entre sciences et humanités, qui n’avait pas de sens à son époque. Sans doute prédisposé à cet aspect de l’œuvre pascalienne par sa carrière d’enseignant en classes préparatoires scientifiques, Claude Genet a voulu rendre hommage au génie universel qu’est Pascal. Toutefois, les Pensées se taillent nettement la part du lion dans l’ouvrage. On sent que le projet pascalien d’Apologie de la religion chrétienne a été le point de départ et d’aboutissement de la réflexion de Claude Genet.

L’ouvrage ne propose ni une présentation de chaque écrit de Pascal, ni un exposé systématique de sa pensée. Arguant du fait que Pascal est « un esprit méthodique mais non systématique » (p. 20) et de l’enchevêtrement chronologique de ses écrits, l’auteur a choisi de présenter un inventaire de thèmes pascaliens, illustrés par « des remarques disséminées dans divers chapitres ou mêmes dans divers écrits » (p. 18). Il n’est pas sûr que cette méthode facilite la tâche du lecteur novice de Pascal, pour lequel l’ouvrage est écrit. Présenter de manière discontinue une œuvre elle-même diverse et fragmentaire ne conduit pas forcément à l’éclaircir. Il est difficile de saisir le « projet fondamental qui perm[et] au lecteur de s’orienter à travers l’ensemble d’une méditation si complexe » (p. 18). L’inachèvement de l’ouvrage, notamment de la conclusion, contribue à cette impression et l’on ne peut que regretter que Claude Genet n’ait pas eu le temps et la force d’achever la composition de son étude. De plus, certaines citations des Pensées auraient gagné en clarté si elles avaient été présentées en lien avec les dossiers dont elles sont extraites, ce que ne permet pas une présentation purement thématique. Le plan de l’ouvrage ne rend donc pas justice à l’ampleur de l’enquête, qui ne laisse rien de côté : contexte historique, structure des écrits pascaliens, problèmes philologiques et éditoriaux.

Sur le plan de l’histoire de la théologie, Claude Genet explique de manière déroutante la théologie pascalienne de la grâce. Dieu sauverait non seulement le petit nombre des élus, prédestinés à la gloire, en leur accordant de manière imméritée la grâce efficace, mais aussi les appelés, qui seraient jugés quant à eux sur leurs mérites. Faute d’une démonstration qui reste à faire, cette présentation laisse très sceptique. Elle est d’autant plus étrange que Claude Genet est persuadé de l’orthodoxie augustinienne de Pascal. En effet, il reprend sans la discuter une thèse largement répandue : le jansénisme est une hérésie imaginaire, puisque les défenseurs de Jansénius, dont fait partie Pascal, n’ont fait que se battre pour la doctrine de saint Augustin. Comme tant d’autres ouvrages sur les querelles de la grâce au XVIIe siècle, l’ouvrage ne cherche pas à identifier ce que la lecture janséniste de saint Augustin a de spécifique. Ajoutons que la présentation historique de la crise janséniste tombe parfois dans des simplifications contestables.

Fruit d’un long compagnonnage avec l’œuvre de Pascal et d’une passion pour sa pensée qui se laisse deviner à chaque page, l’ouvrage de Claude Genet est une invitation à lire son auteur de prédilection, à défaut d’être un guide absolument sûr.

Simon Icard, Né en 1975. Chercheur au Laboratoire d’études sur les monothéismes. Il a publié Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux. Saint-Cyran, Jansénius, Arnauld, Pascal, Nicole, Angélique de Saint-Jean, Paris, H. Champion, 2010.

Réalisation : spyrit.net