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Brèves réponses aux grandes questions (Stephen Hawking)

éditions Odile Jacob, 2018, 236 pp.
Roland Hureaux

La vie de Stephen Hawking est une belle histoire. Atteint à vingt ans de la maladie de Charcot qui entraîne une paralysie presque générale, il n’en a pas moins eu une femme qui l’a soutenu tout au long de son existence et deux enfants, et il a poursuivi, des prothèses sophistiquées aidant, une belle carrière scientifique à Cambridge.

Mort à 76 ans, alors que la médecine ne lui en promettait que 25, il a écrit peu avant sa mort un ouvrage de vulgarisation : Brèves réponses aux grandes questions.

Sur un certain plan, le lecteur sera désappointé. À la plupart des questions que l’auteur pose, il n’apporte pas de réponse nette, ou alors elle est décevante :

  • Comment l’Univers a-t-il commencé ? Par le Big bang ; mais nous y reviendrons, il ne nous en dit guère plus.
  • Y a-t-il de la vie intelligente ailleurs ? Au premier abord probablement, vu le nombre incommensurable de planètes qui, comme la nôtre, pourraient la voir émerger, mais pas certain pour autant : « Il se peut que la probabilité d’apparition de la vie soit si faible que la terre soit le seul endroit où cela s’est produit ».
  • Peut-on prévoir l’avenir ? Clairement non.
  • Qu’y a-t-il dans un trou noir (sa spécialité) ? On ne sait pas.
  • Peut-on voyager dans le temps ? Très probablement non.

Toutes ces mises au point ne sont pas inutiles.

  • Faut-il coloniser l’espace ? Optimiste invétéré, comme il se qualifie, Hawking dit que oui, et il a sans doute raison, mais il ne s’agit que de la Lune et de Mars, plus certains satellites de Jupiter et de Saturne (Titan) où il fait ‒ 200°C. Aucun espoir de voyager aussi vite que la lumière et donc de jamais sortir du système solaire. Il ne le dit pas, mais cette colonisation du système solaire servira plus à entretenir notre moral qu’à déverser un trop plein de population.

Sur d’autres aspects du futur, Hawking est plus inquiétant. Clairement transhumaniste, il pense que les robots qui n’ont pour le moment que le cerveau d’un ver de terre, seront vite, vu leur vitesse de progression, plus intelligents que l’homme et qu’en outre, l’homme arrivera nécessairement à créer d’autres hommes ayant plus de capacités que lui. Mais il ne s’en réjouit pas.

Le seul sujet sur lequel Hawking est catégorique est que Dieu n’existe pas. Il le pensait déjà avant sa maladie : nul ressentiment dans cette opinion donc. En tous les cas, Dieu n’est pas selon lui nécessaire à la compréhension du monde. Le Big bang, qu’il reconnait, est une « singularité » où l’espace et le temps apparaissent ensemble, mais il y en a d’autres comme les trous noirs où ils disparaissent ensemble. Se demander ce qu’il y avait avant le Big bang est comme se demander ce qui est au sud du pole sud : le temps a un commencement, il faut le prendre comme tel. La première particule est née de rien, mais la théorie quantique montre que des particules apparaissent à partir de rien [1]. Il en va de même du monde. « Je pense que l’univers s’est créé spontanément à partir de rien, en obéissant aux lois de la nature ». Peut-être rationnel, mais peu convaincant.

« Il paraît extraordinaire que l’univers soit si finement ajusté ». Notre monde est fondé sur des constantes indépendantes et pourtant assez cohérentes pour qu’il fonctionne mais, si elles n’étaient pas cohérentes, dit-il, nous ne serions pas là pour en parler. C’est ce qu’on appelle le principe anthropique : nous n’en sommes pas plus avancés.

Cet athéisme obstiné se fonde, il faut bien le dire, sur une connaissance limitée de la philosophie et de la théologie. Pour Hawking, la foudre s’explique par la colère de Jupiter ou par les lois de la physique, rien d’autre. Il fait à juste titre l’éloge d’Aristarque qui, 300 ans avant notre ère, expliqua scientifiquement les éclipses. Mais saint Augustin, pourtant père de la théologie chrétienne, ne cachait pas qu’il préférait ces explications rationnelles aux spéculations fumeuses mêlant science et croyance.

Hawking ignore tout du mystère fondamental du christianisme : celui de la double détermination naturelle et surnaturelle, de l’Homme-Dieu d’abord, du reste du monde ensuite, « sans confusion, ni séparation », telle qu’elle a été définie au Concile de Chalcédoine, où Marcel Gauchet a vu, à juste titre, la matrice de la pensée occidentale.

Il célèbre Newton, initiateur de la physique mathématique ‒ et qui était croyant ‒ mais ignore que le philosophe français Kojève, tout aussi athée que lui, a montré comment cette émergence de la science moderne n’avait été possible que dans la matrice du christianisme.

Plus pertinente l’idée qu’« il est difficile à un chrétien de réconcilier deux mille ans de christianisme avec un univers de 14 milliards d’années. » Mais le psalmiste ne dit-il pas que « Mille ans sont à tes yeux comme un jour » (Ps 90, 4) ? Mille, et donc un milliard ? Et saint Pierre : « en ces temps qui sont les derniers » (1P 1,20).

Passons plus vite sur les positions politiques qui apparaissent ici ou là. Rien qui dépasse la doxa d’un universitaire de gauche du mainstream anglo-saxon dans sa banalité : il ne doute pas que le Brexit soit mauvais et Trump méchant, que la planète se réchauffe et que la population mondiale explose (alors que, de fait, sa croissance se ralentit). Que ceux qui pensent comme lui [2] soient à l’origine des principales guerres des trente dernières années lui a échappé.

Dire que « l’histoire est en grande partie celle de la bêtise humaine », une formule facile que l’on trouve souvent chez les savants qui philosophent, est faire bon marché de cinq millénaires de civilisation.

Hawking dit lui-même que le savoir est devenu si immense que chacun doit se limiter. Dès lors, pourquoi pontifier hors de son domaine strict de compétence, qui est déjà immense ?

Il reste, outre un grand savant, un homme sympathique qui, par son enthousiasme pour la recherche et son héroïque combat contre la maladie, a témoigné plus que bien d’autres que, malgré tout, le monde était bon.

Roland Hureaux, ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud et de l’ENA, agrégé d’histoire, rédacteur en chef de Résurrection de 1975 à 1976, auteur de Jésus et Marie-Madeleine (Perrin, 2005), et de Gnose et gnostiques des origines à nos jours (DDB, 2015).

[1] Mais dans un champ électromagnétique déjà existant. Hawking semble considérer que notre univers se situe lui-même dans un champ beaucoup plus vaste, mais sans la moindre preuve.

[2] Par exemple Tony Blair.

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