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Chercher et construire la paix : l’Église au travail

Mgr Patrick Le Gal

L’élection de Jean-Paul II au siège pontifical en 1978 s’est accompagnée d’un fort développement de l’activité de l’Église en faveur de la paix. Cette élection a aussi préludé à un certain nombre de bouleversements géostratégiques que, pour une part, Jean-Paul II a d’ailleurs contribué activement à provoquer par son action.

Action diplomatique et démarches spirituelles

L’Église s’est toujours montrée défiante vis-à-vis de toute entreprise guerrière dont la légitimité ne pouvait se justifier qu’en dernier ressort, d’où son attachement à l’action diplomatique pour préserver la paix et éviter la guerre. Sous les 25 ans du pontificat de Jean-Paul II, cette activité diplomatique du Saint-Siège s’est considérablement développée. Elle s’est traduite notamment par la multiplication des pays auprès desquels une délégation diplomatique du Saint-Siège est accréditée : on assiste à un quasi-doublement en 25 ans pour arriver aujourd’hui à plus de 175 délégations. À cela s’ajoute, outre les contacts pris par le Saint Père à Rome ou à l’occasion de ses voyages apostoliques, les missions spécifiques comme celles confiées au Cardinal Etchegaray, par exemple, au Proche et Moyen-Orient.

Sur le plan principalement spirituel vis-à-vis de la paix, deux séries d’initiatives semblent particulièrement significatives. Il s’agit d’une part des démarches au service de la réconciliation accompagnées de demandes de pardon, le cas échéant, comme celle faite tout récemment par Jean-Paul II lors de son voyage en Bosnie, à l’égard du peuple serbe. Ces démarches, qui n’ont pas toujours été bien comprises par un public plus large, manifestent l’urgence de ce travail de réconciliation pour permettre l’avancée de la paix entre ennemis d’hier et faire échec à l’esprit de revanche et au sentiment d’injustice.

Toujours sur ce plan spirituel et spécialement à travers les rencontres d’Assise, l’Église catholique, en la personne de Jean-Paul II, a aussi cherché à donner plus de poids et d’autorité à cet appel pour la paix à travers le témoignage unanime offert par les représentants des diverses religions réunis pour prier à cette grande intention.

Ces démarches spirituelles en faveur de la paix s’adressent, certes, à tout homme de bonne volonté, mais, de façon plus pressante, aux catholiques eux-mêmes, en raison de l’appel spécifique des Béatitudes au pardon et à la paix. Corrélativement, l’Église s’engage chaque fois que cela est nécessaire, et de façon privilégiée, à défendre et soutenir les communautés chrétiennes, spécialement celles qui sont en situation précaire ou qui endurent des persécutions.

De nouvelles perspectives par rapport à l’emploi de la force armée

À côté de ces démarches diplomatiques et spirituelles en faveur de la paix, l’Église est aussi présente à travers une réflexion et des prises de position relatives à l’éventuelle mise en œuvre de la force armée pour contribuer à résoudre les crises.

Durant son pontificat, Jean-Paul II est intervenu de façon significative à cet égard en trois occasions. En 1986 [1], il marque son intérêt pour le travail des aumôniers militaires en créant des diocèses aux Armées (par pays) dont le nombre va se multiplier progressivement. Cette innovation vient renforcer et qualifier le travail opéré jusque-là par les aumôniers militaires, un travail qui contribue (entre autres) à enraciner chez les militaires une éthique du soldat en phase avec l’Évangile (éthique dont on retrouve des éléments-clefs dans les conventions internationales et le ius in bello). Simultanément, les aumôniers peuvent contribuer à développer une spiritualité du combattant ouverte au pardon, à la réconciliation, à un vrai respect de l’ennemi, sinon à l’amour des ennemis, autant d’éléments susceptibles d’éviter des dérapages et une aggravation des hostilités en cas d’opération militaire.

En 1999, dans une autre direction, le Saint-Siège va déclarer légitime l’intervention militaire au Kosovo en raison de l’urgence humanitaire. Il s’agissait d’éviter le massacre par les Serbes du Kosovo de leurs compatriotes albanophones au nom de la purification ethnique. Si l’Église a toujours marqué sa défiance par rapport à la guerre, elle a cependant aussi été attentive à l’attitude du Dieu de l’Exode, qui entend le cri de son peuple esclave de Pharaon, et intervient avec puissance pour le libérer, le sauver [2].

La reconnaissance de ce mode relativement nouveau d’intervention assistance à personnes en danger- est venue définir aux militaires un nouveau champ d’action, légitime sur le plan éthique.

En novembre 2000, à l’occasion du jubilé des militaires, Jean-Paul II revient sur cette mission humanitaire des militaires et définit de façon plus large et positive leur rôle en les qualifiant de « sentinelles de la paix » [3]. Certes, il s’agit ici d’un rôle plutôt de l’ordre de la vigilance, de l’alerte ou de la défensive que de l’ordre de l’initiative et de l’offensive ; cependant, il est capital pour l’institution militaire de se voir ainsi reconnaître explicitement un rôle positif d’intendant ou d’artisan de la paix à la place qui est la sienne.

Ces prises de position du Saint-Siège au regard du métier des armes et de l’éthique militaire sont de nature à nous faire sortir de ces vieux clichés opposant le militaire guerrier et sans loi au pacifiste armé de l’Évangile mais irresponsable. Un cadre est esquissé pour un exercice du métier des armes, en phase avec l’Évangile, pour la définition d’opérations militaires au service de la paix.

Cette triple action conduite par le Saint-Siège sur le plan diplomatique, spirituel et de repositionnement des armées au service de la paix n’est pas achevée. Il reste à maintenir une vigilance à tous les niveaux mais aussi à répondre à des exigences nouvelles qui se font jour à travers les multiples conflits qui secouent la planète.

Des appels à de nouvelles actions en faveur de la paix

Au titre des exigences nouvelles qui apparaissent en faveur de la paix, on pourrait notamment évoquer deux points où la contribution de l’Église pourrait se révéler décisive, par la réflexion et l’encouragement d’initiatives variées.

Sur les théâtres d’opération de ces dix dernières années (Balkans, Asie Centrale, Golfe, Afrique), on constate que les opérations militaires qui y ont été programmées –à tort ou à raison- ont atteint leurs objectifs assez rapidement (destituer le régime de Sadam Hussein en Irak pour ce qui est de la deuxième guerre du Golfe ; faire cesser les massacres et pacifier Bunia pour ce qui est de l’opération Artemis du Congo – pour ne prendre que ces deux exemples récents). Cependant, cet objectif étant atteint, on découvre l’ampleur du travail exigé par la remise en route du pays, de la région…, où les services publics de base ont disparu ou sont totalement désorganisés. S’engage alors une nouvelle bataille où les militaires sont chargés de maintien de l’ordre, ce qui n’est pas principalement leur métier, et où un ensemble d’acteurs venus d’horizon potentiellement divers (souvent sous couvert de l’O.N.U.) intervient avec des mandats courts pour une mission qui devra généralement s’inscrire dans la durée (ainsi en va-t-il de la MINUK au Kosovo). Manquant de discipline, d’une cohésion et d’un savoir-faire coordonné, cette force civile n’obtient généralement que des résultats plus lents qu’on ne le souhaiterait et, finalement, décevants.

Tout un travail, parallèle à celui qui a été accompli à l’égard des militaires au regard d’une éthique et d’un savoir-faire adapté dans le cadre de ces opérations de rétablissement de la paix, reste à mener pour construire ces forces civiles chargées de la reconstruction des pays après la guerre. Pour l’heure, il n’est même pas sûr que l’opinion publique pressente l’ampleur du problème.

Tant l’action des militaires eux-mêmes que celle de la force civile au service de la reconstruction coûte cher et même très cher. Ce ne sont évidemment pas les pays en crise qui pourront eux-mêmes financer leur reconstruction. Il s’agit donc de sensibiliser progressivement les populations des pays dits riches à un autre type de solidarité « Nord-Sud » sachant que l’aide traditionnelle ne pourra, dans bien des cas, être de quelque efficacité qu’une fois un minimum d’état de droit rétabli, avec l’aide d’une force militaire puis d’une force civile de reconstruction. Prétendre contribuer à la paix implique aussi des choix budgétaires et une nouvelle solidarité internationale.

Si aujourd’hui en France il paraît si difficile d’obtenir de chacun la contribution d’un jour de travail supplémentaire en faveur d’une amélioration de l’accompagnement des personnes âgées, on peut imaginer l’intensité du travail d’explication et de persuasion auprès de l’opinion publique qu’il faudra assurer pour pouvoir financer à terme la reconstruction des pays en crise dans le monde. Il est évident que, dans ce travail de sensibilisation, l’Église peut jouer un rôle fort, y compris au-delà des limites des communautés de fidèles, ne serait-ce que par sa présence dans d’innombrables Organisations Non Gouvernementales (O.N.G.) intéressées à ce travail et par sa représentation auprès des organismes onusiens.

Conclusion

L’action de l’Église en faveur de la paix ne peut, certes, pas s’imposer par la force. Cela n’aurait d’ailleurs pas de sens. Elle dispose cependant de moyens multiples pour contribuer à orienter les esprits et les cœurs vers des objectifs en faveur de cette construction inlassable de la paix. Au sommet, à travers l’action diplomatique, comme à la base, à travers l’action des mouvements d’Église spécialisés ou l’enseignement du Magistère et la prédication chrétienne, l’Église peut progressivement sensibiliser et convaincre les hommes de bonne volonté de l’urgence de tel ou tel programme.

Dépassant l’idéologie pacifiste et tiers-mondiste, caractéristique des années 70 et 80, l’Église s’est engagée de façon multiforme et renouvelée au service de la liberté des peuples et de la paix dans les années 90, engagements décisifs par rapport à la chute de la dictature soviétique. De nouveaux défis sont apparus depuis, qui appellent à nouveau la lumière et la force de l’Esprit Saint, en vue d’un engagement renouvelé pour le pardon, la justice et la paix.

Mgr Patrick Le Gal, né en 1953, ordonné prêtre en 1982 dans la communauté Notre Dame de la Sagesse, ordonné évêque en 1997 pour le diocèse de Tulle. Évêque aux Armées Françaises depuis 2000.

[1] Cf. Constitution apostolique Spirituali Militum Curae, du 21 avril 1986.

[2] Ainsi, Jean-Paul II déclarait lors de son discours aux militaires sur la place Saint Pierre, le 19 novembre 2000, à l’occasion du jubilé des militaires : « Parfois cette tâche (celle des militaires) comme l’expérience récente l’a démontré, comporte des initiatives concrètes pour désarmer l’agresseur. J’entends ici faire référence à ce que l’on appelle « l’ingérence humanitaire » qui représente, après l’échec des efforts de la politique et des instruments de défense non-violents, la tentative extrême à laquelle on doit avoir recours pour arrêter la main de l’agresseur injuste. »

[3] Cf. ibid. Jean-Paul II disait précisément : « À chacun de vous revient le rôle de sentinelle qui regarde au loin pour prévenir le danger et promouvoir partout la justice et la paix ». Et, plus loin, il ajoute : « Faites en sorte que chacune de vos interventions mette toujours en lumière votre vocation authentique de « serviteurs de la sécurité et de la liberté des peuples », qui « concourent au maintien […] de la paix ».

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