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Concert autour de l’unique Esprit

Perspectives du Nouveau Testament à l’épreuve de la diversité
Paul de Saint-Aignan

Approfondir la compréhension que nous avons de l’Esprit-Saint conduit à revenir constamment auprès de ceux qui furent les premiers à décrire sa présence et son action dans l’Église, c’est-à-dire à revenir à ce que nous en disent les auteurs du Nouveau Testament. La place qu’occupe l’Esprit dans le Nouveau Testament présente une double particularité. D’une part, l’Esprit constitue un élément incontournable de la compréhension que les différents auteurs ont du mystère du Christ et de l’expérience de la vie chrétienne. D’autre part il ne semble pas, à première vue, que la conception qu’ils se font de l’Esprit soit identique. Le Nouveau Testament nous place-t-il alors en face d’une théologie de l’Esprit, fond commun de la pensée de l’Église primitive exprimé dans le langage propre de chaque auteur, ou bien en présence de plusieurs pneumatologies peu compatibles les unes avec les autres ?

Ce n’est que par l’étude de l’approche de chaque auteur que nous pourrons spécifier des recoupements ou des divergences de compréhension. Ils ont cependant en commun de désigner, le plus souvent, l’Esprit par le terme grec de pneuma. Certes, celui-ci concerne aussi l’esprit de l’homme. Et il peut arriver que déterminer s’il est question de l’esprit de l’homme ou de celui de Dieu ne soit pas toujours évident (cf. Ga 5,17 ; Mt 27,50). Le même terme sert pour les esprits impurs que Jésus affronte lors de son ministère public. Cet emploi du mot pneuma, conserve cette signification première de souffle, et même souffle vital, que suggérait la ruah dans l’Ancien Testament lorsqu’il évoquait déjà l’Esprit de Dieu.

La pneumatologie développée par Matthieu est inséparable de la vision dans laquelle il compose tout son évangile. Sémite écrivant principalement pour des sémites, Matthieu s’attache à montrer comment les Écritures trouvent leur réalisation dans la personne de Jésus. « Ne croyez pas que je sois venu abolir la loi ou les prophètes ; je ne suis pas venu abolir mais accomplir » [1]. Non seulement Jésus accomplit les Écritures, mais en lui se trouvent réalisées toute l’espérance et l’histoire du peuple d’Israël. Or, cette notion d’accomplissement, centrale chez Matthieu, est inséparable de la descente eschatologique de l’Esprit dont la venue participe à l’instauration, sur terre, du « Royaume des cieux » [2]. C’est parce que Jésus est né de l’Esprit-Saint [3] et qu’il est baptisé dans l’Esprit [4] que s’instaure avec Lui la venue du Royaume.

Les actes de puissance qu’Il accomplit, et particulièrement les expulsions démoniaques, trouvent leur source dans la présence en Lui de l’Esprit [5]. Ainsi s’éclaire l’enseignement sur le péché contre l’Esprit qui seul est irrémissible [6] puisque toute l’action salvifique du Christ s’opère par celui qui couvre de son onction le Serviteur de Dieu [7]. Le combat contre le démon, commencé au désert, où l’Esprit avait conduit Jésus [8], se poursuit dans le ministère public. Combat interprété par Jésus, en Matthieu comme dans les deux autres synoptiques, comme le dépouillement de l’homme fort préalablement ligoté [9].

L’accomplissement plénier se fait par la mort du Christ en croix et par sa résurrection. Ainsi détenteur d’une Seigneurie universelle, le Christ peut envoyer ses disciples évangéliser toutes les nations, « les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » [10].

Marc, quant à lui, en restera à une élaboration plus sommaire de la présence de l’Esprit. On sait que pour lui, l’évangile est avant tout Bonne Nouvelle de la personne même de Jésus, Fils de l’homme et Fils de Dieu [11], parole vivante de Dieu qui est l’expression même du Père. La vigueur descriptive du récit de Marc nous fait découvrir la présence de l’Esprit dans le déroulement même de l’action, qu’elle soit événement (comme au baptême) ou instruction.

Comme les autres évangélistes, Marc ne manque pas de signaler l’intervention de l’Esprit au moment du baptême du Christ [12], mais le verbe qu’il emploie pour indiquer que l’Esprit conduit Jésus au désert est original : l’Esprit chasse Jésus, il le « jette dehors » au désert. Verbe surprenant lorsque l’on sait qu’il sera aussi désigné pour décrire l’expulsion des esprits impurs. Pourtant cette mention est précieuse dans l’évangile de Marc car elle constitue la seule référence à cette implication de l’Esprit dans l’agir du Christ.

Certains auteurs n’ont pas hésité à qualifier la théologie de Luc de « raccourcis de la théologie paulinienne » [13]. Cela n’est guère étonnant de la part de celui qui fut compagnon et disciple de l’apôtre des nations, et qui s’est fait son apologiste à travers ses écrits. Dès les premiers chapitres de son évangile, les fréquentes mentions explicites de l’Esprit annoncent la place qu’il lui réservera dans sa pensée, bien que ces premières actions de l’Esprit s’apparentent plus à son mode d’intervention tel que l’Ancien Testament le connaissait. Le don d’Esprit que reçoivent Elisabeth [14], Zacharie [15], ou Siméon [16] est un don ponctuel d’inspiration prophétique comme en témoigne leurs paroles de dévoilement et glorification de l’œuvre salvifique de Dieu.

La nouveauté, pour saint Luc, se situe dans le mode de présence de l’Esprit dans la personne même du Christ. Dès le moment de l’Incarnation, par la parole de l’ange à l’Annonciation, Jésus est présenté comme un être saint à cause de la présence de l’Esprit reposant sur Marie [17]. Le P. René Laurentin [18] a montré que Luc 1,35 actualise ce que l’Exode dit de la prise de possession de l’arche d’alliance par Yahvé [19]. Luc 1,35 est à comprendre en parallèle avec Ex 40,35 et Marie doit être vue comme la nouvelle arche d’alliance. L’onction baptismale confirmera cette compréhension de l’union intime du Christ et de l’Esprit. Désormais, pour Luc, Jésus doit être perçu comme celui qui est « rempli d’Esprit-Saint » [20]. La venue eschatologique de l’Esprit s’opère dans la personne de Jésus qui, la première, est ainsi capable de recevoir la présence permanente de l’Esprit de Dieu. L’évangile de Luc traduit aussi la perception qu’à son auteur du fait que cette possession de l’Esprit est destinée à tous les croyants. Voilà pourquoi il insiste sur la prière de demande de l’Esprit [21] qui place le disciple dans une attitude de pauvreté volontaire qui est assimilation au dépouillement de la croix.

La théologie amorcée dans l’évangile de Luc prend tout son déploiement dans les Actes des Apôtres. La promesse du don de l’Esprit [22] détermine l’attitude des apôtres après l’Ascension. La prière apparaît nettement comme l’attitude nécessaire, presque une condition, pour se disposer à accueillir ce don plénier de l’Esprit que désormais Dieu veux répandre sur toute chair [23]. La Pentecôte devient alors l’événement fondateur de la mission de l’Église naissante, tout comme l’onction baptismale et son explicitation dans le discours inaugural de Jésus dans la synagogue de Nazareth étaient le point de départ du ministère public du Christ. Or cette mission de l’Église est décrite par Luc comme l’annonce kérygmatique du salut opéré par Dieu dans la personne de Jésus institué Christ et Seigneur [24]. Par son Nom, le pardon des péchés est accordé à tout homme qui place sa foi en Lui [25].

La première génération chrétienne expérimente que le don de l’Esprit est inséparable de cette adhésion de foi. Luc se fait le témoin de cette expérience, dans la multiplicité des formes qu’elle revêt. Les apôtres sont emplis d’Esprit au Cénacle ; ils annoncent alors la réception de l’Esprit comme conjointe à la réception du baptême [26] ; mais découvrent dans la descente de l’Esprit sur les païens instruits par Pierre le signe qu’ils doivent leur conférer le baptême [27].

Ainsi, de même que les apôtres reconnaissent dans l’Esprit le principe qui guidait et accompagnait Jésus dans sa mission, de même éprouvent-ils une présence similaire dans la communauté des croyants baptisés dans le nom de Jésus. L’Esprit, qui donnait à la prédication du Christ sa force et sa douceur, poursuit cette œuvre en inspirant les paroles des premiers chrétiens [28] et en assurant son efficacité dans le cœur des auditeurs [29] ; Il participe au gouvernement de l’Église en intervenant dans la conduite de sa mission [30] et dans les décisions adoptées par les apôtres [31] ; Il introduit dans la foi ceux qui le reçoivent, jusqu’à les conduire à la contemplation de la gloire de Dieu [32].

De par sa richesse, le corpus johannique revêt un caractère particulièrement important pour notre étude, c’est pourquoi nous nous y attacherons plus longuement que les auteurs précédents. Même si la plupart des exégètes actuels s’accordent pour reconnaître la contribution de plusieurs auteurs dans ce corpus, nous aborderons chacun des textes qui le composent sans oublier les liens qui le rattachent avec cet ensemble. En effet, il est possible de parler d’une école johannique concernant la compréhension de l’Esprit. Si le trait dominant de la théologie johannique est la perception du Christ comme la Parole, le logos révélateur du Père, l’Esprit lui est intimement lié. Jean parle de celui-ci en reprenant le terme de pneuma, et en le qualifiant parfois d’Esprit-Saint ou Esprit de Vérité. Le titre de paraclet, propre à Jean, illustre bien l’habitude de celui-ci de reprendre un terme courant dans son milieu et dans le monde hellénique mais en lui conférant un sens nouveau. Tout en conservant l’aspect juridique d’avocat, d’intercesseur, le terme se charge d’un contenu spécifique : l’Esprit comme témoin du Christ et maître de doctrine.

Dans le quatrième évangile, la référence à l’Esprit ne revient pas fréquemment, mais intervient à des moments clefs. Au baptême de Jésus, Jean-Baptiste porte témoignage de l’événement et de la compréhension qu’il tient de la part de Celui qui l’a envoyé en précurseur : « J’ai vu l’Esprit descendre, tel une colombe venant du ciel, et demeurer sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, celui-là m’avait dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint. Et moi, j’ai vu et je témoigne que celui-ci est l’Élu de Dieu » [33]. Dans ces quelques mots sont concentrés deux aspects fondamentaux de la pneumatologie de Jean : l’origine de l’Esprit est divine et désormais sa présence sera stable ; l’Esprit est envoyé par le Père pour demeurer auprès des hommes, à commencer par Jésus. Et dès cet épisode inaugural de l’évangile, le Père lui-même atteste que Jésus sera celui qui baptise dans l’Esprit-Saint [34].

C’est au chapitre 3, lors de la rencontre avec Nicodème que se déploiera la catéchèse baptismale. Elle est présentée comme une naissance d’eau et d’Esprit [35]. Certes, la relation de l’eau et de l’esprit apparaissait déjà fréquemment dans l’Ancien Testament [36] et dans le judaïsme, mais son originalité réside ici dans l’application individuelle qui en est faite. Ce n’est pas le peuple dans son ensemble mais bien chaque homme qui est appelé à devenir fils de Dieu en recevant la nouvelle naissance d’eau et d’Esprit. Nouvelle naissance qui signifie aussi l’accueil par la foi du logos manifesté dans la chair. Dans ce même chapitre, l’ultime témoignage de Jean-Baptiste interviendra pour présenter Jésus comme celui qui « donne l’Esprit sans mesure » [37].

La rencontre avec la Samaritaine marque une nouvelle avancée de la pensée de Jean. Les thèmes de l’eau et de l’Esprit y sont repris, mais, ici, l’eau donnée par Jésus pour calmer la soif est en lien avec son enseignement, avec la révélation définitive qu’il apporte, seule capable de combler la soif spirituelle de l’homme. Cette eau vive qui, dans le sein du disciple, « deviendra source jaillissante en vie éternelle » [38] évoque aussi l’Esprit puisque le verbe hallestai (bondir, jaillir) était employé dans la Septante (version grecque de la Bible) pour désigner l’Esprit de Dieu fondant sur certains juges [39]. Le dialogue avec la Samaritaine comporte une affirmation forte : « Dieu est Esprit » [40]. Ce trait johannique, semblable à d’autres expressions telles que « Dieu est lumière » [41] ou « Dieu est amour » [42], ne doit pas être perçu comme une définition métaphysique mais comme un dévoilement de sa manière d’agir. « Dieu se révèle dans l’Esprit et, en ce sens-là, comme Esprit » [43]. Et à Dieu qui cherche des adorateurs, l’homme est appelé à répondre par l’adoration « en esprit et vérité » [44]. Cette formule a reçu diverses interprétations : culte spirituel par opposition aux rites ; culte rendu par l’esprit, dans la droiture de conscience ; mais bien plutôt culte rendu sous l’action de l’Esprit-Saint. Ici l’action de l’Esprit est présentée en relation avec la prière. L’Esprit donne à l’homme de pouvoir répondre à l’initiative du Père de se révéler en son Fils Jésus.

L’explicitation de la relation entre l’eau vive et l’Esprit arrive clairement au chapitre 7 [45], et Jean annonce alors que le don de l’Esprit est lié à la glorification du Christ.

La promesse de l’Esprit qui se profile là réintervient dans les logia sur le Paraclet dans le discours d’adieu. L’Esprit paraclet, défenseur, apparaît dans ce discours comme une figure personnelle. L’Esprit introduit ceux qui le reçoivent dans la vérité toute entière [46], agissant comme Esprit de vérité. Les verbes associés à l’Esprit dans ce discours traduisent une action de l’Esprit dans l’ordre de la connaissance. L’Esprit enseigne [47], il rappelle les paroles du Christ [48], il témoigne [49], il parle [50]. Ainsi l’Esprit agit-il en tant que maître de doctrine transmettant et faisant intérioriser la révélation du Christ sur lui-même et sur son Père. Dans ces logia, L’Esprit se voit attribuer des actions qui manifestaient l’agir du Christ dans les chapitres précédents. Si ces nombreux parallèles ont pu faire dire que le l’Esprit était un alter ego du Christ, pourtant sa mission est particulière : glorifier le Christ en faisant fructifier sa parole, attester de la victoire du Christ en défendant les disciples de toutes les attaques du monde refusant d’accueillir le Verbe et son enseignement. L’Esprit intervient comme défenseur du Christ dans le procès que le monde lui intente au cœur même des disciples [51].

Lorsqu’arrive l’Heure du Christ, celle de son élévation et de sa glorification, le Christ accomplit la promesse du don de l’Esprit : passion-exaltation-transmission de l’Esprit constituent un seul mouvement dans lequel le Christ associe ses disciples à son propre baptême pascal et les baptise dans l’Esprit. La composition de l’évangile insiste sur l’identité entre le Crucifié et le Ressuscité soufflant l’Esprit sur ses disciples au Cénacle : de son côté transpercé jaillit l’Esprit, source de vie pour ceux qui croient en lui.

Des trois épîtres de Jean, seule la première fait référence explicitement à l’Esprit. La perspective qui s’y développe est différente de celle du quatrième évangile. Il ne s’agit plus tant d’un témoignage sur la vie de Jésus que d’une exhortation à la persévérance dans la vie chrétienne. La référence au paraclet ne revient plus mais a pour équivalent le chrisma [52], onction d’Esprit, don stable qui accorde la connaissance et donne la fidélité dans la foi ; ainsi le croyant peut-il résister aux attaques de l’Antichrist en discernant l’esprit de vérité de l’esprit de l’erreur [53]. Dans l’épître, le rôle de l’Esprit est double : il apporte la certitude de foi par rapport au message apostolique et il permet d’accueillir la charité (l’agapè divine [54]). Ces deux dimensions sont intiment liées. La rectitude de foi doit conduire à une vie chrétienne intégrale, celle qui consiste à marcher selon la vérité [55], à vivre l’agapè en vérité et en actes [56]. La dimension communautaire tient là une place primordiale. Le témoignage des contemporains du Christ [57] est recueilli par la communauté, et c’est l’Esprit qui assure la valeur permanente de ces témoignages. L’Esprit habite la profession de foi communautaire dans l’incarnation du Christ [58]. Les trois témoins évoqués par Jean, l’Esprit, l’eau et le sang, montrent que c’est dans l’activité baptismale de l’Église que l’Esprit exerce son témoignage, affermissant intérieurement les fidèles et leur donnant ainsi de vaincre le monde [59]. L’approche de Jean se centre donc essentiellement sur le rôle de l’Esprit dans la vie de foi, sans jamais référer à l’Esprit des actions extraordinaires, extases ou miracles, comme cela pouvait avoir cours dans les courants d’idées populaires qui lui étaient contemporains.

Dans le livre de l’Apocalypse, l’Esprit est vu essentiellement comme Esprit de prophétie [60]. Certes, le terme de pneuma peut désigner l’esprit démoniaque [61], mais, le plus souvent, il est en relation avec Dieu ou le Christ. Jean est « saisi en esprit » [62] ou « transporté en esprit » [63]. Il ne s’agit pas tant d’une manière de décrire une extase que la volonté d’affirmer l’origine divine du message transmis par Jean et donc son autorité. Jean se présente ainsi comme prophète [64], entouré de prophètes [65]. De plus, l’Esprit de prophétie est lui-même mis en relation avec le Témoignage de Jésus [66]. L’emploi du génitif martyria Ièsou induit une double compréhension. Le sens subjectif correspond pleinement avec la christologie du livre : Jésus est le Témoin par excellence, le Témoin authentique [67] et véridique [68]. Mais, de par le sens objectif, il s’agit aussi de la doctrine de Jésus, celle pour laquelle Jean est exilé à Patmos [69], et que les disciples doivent conserver fidèlement, même au péril de leur vie.

Une autre formule employée par l’Apocalypse pose plus de difficulté. A quatre reprises il est question des « sept esprits » [70]. La lecture chrétienne y a vu les sept dons de l’Esprit (selon le décompte de la Septante) cité en Is 11, 1-2. Rien ne prouve qu’il y ait eu, à l’époque de l’Apocalypse, une réflexion sur l’Esprit septiforme. Il apparaît cependant que les sept esprits sont présentés en relation étroite avec le Christ dont la place centrale dans la liturgie céleste est une des affirmations principales de ce livre. Et c’est du trône de Dieu et de l’Agneau que jaillit le fleuve d’eau vive [71]. Le verbe ekporeuesthai ici employé est le même que celui décrivant la procession du Paraclet dans l’évangile de Jean. Il concourt, avec la symbolique juive déjà reprise dans le quatrième évangile, à comprendre que le fleuve d’eau vive correspond à l’Esprit Saint. L’Esprit de vie vient féconder tout ce qu’il touche et introduire les hommes de la foi à la vision béatifique, dans un face à face que la liturgie terrestre prépare déjà, de par sa participation à la liturgie céleste.

La finale de l’Apocalypse expose, d’une manière originale le lien de l’Esprit à l’Église. Certes, le premier septénaire du livre affirmait déjà que l’Esprit parle aux églises [72], mais ici c’est à la voix de l’Église comme épouse du Christ que l’Esprit joint sa propre voix pour appeler le retour du Christ [73].

Avec Paul, nous abordons ce qui peut être considéré comme la première synthèse systématique de l’Esprit. Pour lui, l’expérience de la vie chrétienne se concrétise dans ce qu’il appelle « vivre selon l’Esprit » [74]. Reprenant les modes de pensée sapientiaux, il parle de « marcher selon l’Esprit » [75] et il oppose cette vie à la vie selon la chair. L’Épître aux Galates et celle aux Romains développent ce thème. La vie selon la chair désigne toute existence qui n’est pas animée par l’Esprit de Dieu. Et l’homme expérimente dans ses membres la présence d’une loi du péché et de la mort qui l’empêche de faire ce qu’il voudrait et qui s’oppose à sa raison. La loi mosaïque elle-même s’était révélée impuissante à en délivrer l’homme, puisque le précepte dévoilait la convoitise et fournissait au péché l’occasion de la séduction [76]. Désormais, la loi de l’Esprit donné par Dieu affranchit de la loi du péché. Faisant mourir les œuvres du corps [77], crucifiant la chair et ses passions [78] qui faisaient le vieil homme, le chrétien peut vivre de cette vie nouvelle, vivifié par l’Esprit [79], qui s’épanouit en pratique de la charité.

Il ne fait pas de doute, chez Paul, que la vie nouvelle s’inaugure par le baptême qui fait revêtir le Christ [80] en nous unissant à sa mort [81] et à sa résurrection [82]. Or le Christ, Fils bien-aimé du Père, en nous unissant à lui, en nous saisissant en lui, nous rend participants de son héritage : nous devenons fils de Dieu dans le Fils unique. Le don de l’Esprit dans le cœur des baptisés est la preuve qu’ils sont devenus fils de Dieu [83] et l’Esprit atteste à l’esprit de l’homme qu’il reçu cette assomption filiale en lui donnant de crier « Abba, Père ! » [84].

Et avec ce don de l’Esprit, la loi nouvelle du Christ se trouve gravée dans les tables de chair [85], dans le cœur des disciples pour la pratique des commandements et la vie de charité. Non seulement l’Esprit nous révèle l’amour de Dieu dans la croix du Christ [86], mais il nous donne de comprendre le Christ par ce même amour qu’il répand en nos cœurs [87] et de vivre à notre tour de l’amour que le Christ a manifesté pour nous. De là jaillit le dynamisme même de la construction de l’Église s’édifiant, selon les épîtres, comme temple saint, demeure de Dieu ou Corps du Christ. L’unique Esprit distribue à chacun les dons et charismes nécessaires pour la croissance et l’unité de l’Église [88]. Nous comprenons ainsi comment, dans la pensée de l’apôtre, la transfiguration individuelle est inséparable de la dimension communautaire qui se manifeste par la charité et la communion dans l’Esprit [89].

Pour l’auteur de l’épître aux Hébreux, l’Esprit est d’abord celui qui parle dans les Écritures [90] et qui permet de comprendre les étapes du plan de salut divin [91]. Mais il est aussi celui qui a permis au Christ de s’offrir et, rendu parfait par son sacrifice, de devenir le grand prêtre des biens à venir, le grand prêtre dont nous avions besoin, digne de foi et miséricordieux. L’épître aux Hébreux parle alors de « l’Esprit éternel » [92], employant là une expression unique dans le Nouveau Testament. Au sein même de cette lettre il est plus souvent question de « l’Esprit Saint ».

Dans ce sermon [93] exhortatif, il n’est pas surprenant de voir apparaître le rôle de l’Esprit dans le déploiement de la vie chrétienne. Face aux tribulations, les chrétiens sont invités à tenir ferme la confession de foi qu’ils tiennent des témoins de la prédication du Seigneur. Car Dieu a confirmé le témoignage de ceux-ci « par des signes, des prodiges, des miracles de toutes sortes, ainsi que par des communications d’Esprit Saint qu’il distribue à son gré » [94]. Ceux qui ont eu part à l’Esprit doivent courir avec endurance l’épreuve qui leur a été fixée [95] en gardant les yeux fixés sur le Christ, initiateur de leur foi et qui la mène à son accomplissement. Au terme ils pourront accéder au sanctuaire céleste dont le Christ leur a ouvert l’accès et où il intercède pour eux [96].

Les épîtres de Jude et de Jacques n’apportent pas d’éléments vraiment nouveaux. La seule référence à l’esprit dans la lettre de Jacques est habituellement interprétée dans le sens de l’esprit de l’homme [97]. Cet esprit qui désire avec jalousie et cause des divisions et des guerres. Jude, quant à lui, invite les fidèles à prier dans l’Esprit [98].

Nous achevons cet inventaire des auteurs du Nouveau Testament avec les deux épîtres de Pierre. Nous retrouvons là des connotations proches des évangiles avec le rôle prépondérant reconnu à l’Esprit dans la prédication. Pour Pierre, les prophéties méritent toute l’attention de ses auditeurs, car c’est toujours poussés par l’Esprit que des hommes ont parlé de la part de Dieu [99]. Et dans l’Esprit qui inspirait les prophètes de la première alliance, il faut déjà reconnaître l’Esprit du Christ à l’œuvre [100]. C’est encore lui qui guide et accompagne ceux qui, maintenant, annoncent l’Évangile. Sa relation au Christ intervient par rapport à l’événement de la Résurrection : l’Esprit rend la vie au Christ mis à mort dans la chair [101].

Les chrétiens plongés dans l’épreuve et la persécution ne doivent pas être surpris d’une telle situation. Ils sont unis aux souffrance du Christ et, puisque l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu repose sur eux, ils peuvent se réjouir d’être insultés pour le nom du Christ [102]. Le Christ, pierre vivante rejetée par les hommes, a été choisie par Dieu pour que sur lui s’édifie la maison spirituelle. Chaque chrétien est à son tour une pierre vivante qui se laisse intégrer à l’édifice spirituel de l’Église afin de pouvoir y exercer son sacerdoce saint en offrant à Dieu des sacrifices spirituels [103].

En conclusion, l’étude des écrits du Nouveau Testament dévoile des approches qui semblent à première vue trop diverses pour être facilement conciliables. Elle sont en effet l’expression de théologies différentes présentant chacune à sa manière le mystère du Christ. Pourtant, à y regarder de plus prêt, elles rendent toutes compte d’une économie commune du salut. Trois traits ou trois temps semblent s’en dégager concernant la place de l’Esprit Saint. La diversité des pneumatologies du Nouveau Testament dépendant en grande part, nous semble-t-il, de l’insistance plus forte sur l’un ou l’autre de ces traits, selon les circonstances et ses destinataires de chaque écrit.

Le premier temps de cette économie réside dans la contemplation de l’Esprit dans la personne même du Christ et dans son agir. Contemplation qui prend tout naturellement une place prépondérante dans les évangiles. Ils témoignent d’une nouveauté radicale qui réside dans la stabilité et dans l’intimité de la présence de l’Esprit en Jésus.

Or l’Esprit, qui s’est habitué par sa présence dans le Christ incarné à demeurer auprès des hommes, est destiné par Dieu à être répandu sur toute chair. Le don de l’Esprit est annoncé par le Christ ; il est rendu possible par l’offrande que le Christ sur la croix fait de sa vie et de son Esprit ; et il est réalisé par l’effusion sur les apôtres de l’Esprit du Ressuscité. Ceux qui ont le plus parlé de l’Esprit, Luc, Jean et Paul, s’accordent pour insister auprès de leurs auditeurs sur la réalité de ce don.

Désormais, son action s’exerce de manière privilégiée dans l’Église. Par son enseignement, il introduit dans l’intelligence du mystère du Christ et de la révélation du Père. Il est l’âme de l’Église, la construisant par ses charismes, assurant son unité, la fortifiant contre les attaques qu’elle peut subir et la poussant à témoigner de ce qu’elle a reçu. L’Esprit construit l’Église pour en faire ce Corps qui poursuit dans le monde l’action du Christ. De plus, don eschatologique qui nous permet d’utiliser l’accès auprès du Père que nous a ouvert le Christ, l’Esprit donne aux croyants de vivre déjà de la contemplation de Dieu par la liturgie terrestre, vraie participation à la liturgie céleste. Toutes les épîtres conduisent à dévoiler aux chrétiens la richesse de ces diverses harmoniques de la vie chrétienne afin de fortifier leur marche.

Les approches de l’Esprit Saint sont suffisamment variées et neuves par rapport à l’Ancien Testament et aux sources intertestamentaires pour que se pose la question de la source de ces affirmations (finalement) convergentes. Ne faut-il pas faire remonter à Jésus lui-même une telle innovation dans la manière de parler de l’Esprit ?

Paul de Saint-Aignan, Célibataire. Routier, chef de troupe scout, directeur de centre de vacances. Etudiant en sciences religieuses.

[1] Mt 5,17

[2] L’expression « Royaume des cieux » ou plus simplement celle de « Royaume » revient 44 fois sous la plume de Matthieu.

[3] Mt 1,18 et 20

[4] Mt 3, 16

[5] Mt 12,28

[6] Mt 12,31

[7] Mt 12,18-21 citant Is 42,1-4

[8] Mt 4,1

[9] Mt 12, 29 ; Mc 3, 27 ; Lc 11, 21-22

[10] Mt 28,20

[11] Mc 1,1

[12] Mc 1,10

[13] Louis Bouyer, Le Consolateur, Cerf, Paris, 1980, p. 101

[14] Lc 1,41

[15] Lc 1,67

[16] Lc 2, 25-27

[17] Lc 1,35

[18] Les évangiles de l’enfance du Christ, R. Laurentin, DDB, Paris, 1982, pp. 70-73

[19] Chez Luc, ejpiskiavsei renvoie à l’hébreu sakan d’où vient le mot shekinah.

[20] Lc 4,1

[21] Lc 11,13

[22] Lc 24, 49

[23] Pierre explicitera ce projet divin de la sorte en référent à cette citation de Jo 3,1

[24] Ac 2, 36, pointe du discours de Pierre lors de la Pentecôte.

[25] Ac 10, 43

[26] Ac 2, 38

[27] Ac 10, 44-48

[28] Ac 2,4

[29] Ac 2,37

[30] Ac 8,29-39 ; 10,19 ; 13,2

[31] Ac 15,28

[32] Ac 7,55-56

[33] Jn 1, 32-34

[34] Jn 1,33

[35] Jn 3,5

[36] Jl 3,1-2 ; Ez 36, 25-sv ; Is 44, 3

[37] Jn 3,34

[38] Jn 4,14

[39] Jg 14,19 ; 15,14 ; 1 Sa 10,10

[40] Jn 4,24

[41] 1 Jn 1, 5

[42] 1 Jn 4, 8.16

[43] L’Esprit selon l’Évangile de saint Jean, H. Schilier, Essai sur le Nouveau Testament (DL 46), Paris 1968, p. 307.

[44] Jn 4, 24

[45] Jn 7,37

[46] Jn 16, 13

[47] Jn 14, 26

[48] Ibid.

[49] Jn 15,26

[50] Jn 16,13

[51] cf. Jn 16, 15. 33

[52] 1 Jn 2, 20. 27

[53] cf. 1 Jn 4,1-6

[54] cf. 1Jn 2,5 ; 3,17 ; 5,3

[55] 2 Jn 4, 6 ; 2 Jn 3, 4

[56] 1 Jn 3, 18

[57] Jean-Baptiste (Jn 1, 32-33) et le disciple bien-aimé (Jn 19, 35)

[58] 1 Jn 4,2

[59] 1 Jn 5, 1-5

[60] Ap 19, 10

[61] Ap 18,2

[62] Ap 1, 10 ; 4, 2

[63] Ap 17,3 ; 21, 10

[64] Cf. les récits de son institution : Ap 1, 9-20 ; 10, 1-10

[65] Ap 22, 6-9

[66] Ap 1, 2. 9 ; 12, 17 ; 19, 10 (x 2) ; 20, 4

[67] Ap 1, 5 ; 3, 14

[68] Ap 3, 14

[69] Ap 1, 9

[70] Ap 1, 4 ; 3, 1 ; 4, 5 ; 5, 6

[71] Ap 22, 1

[72] Ap 2, 7. 11. 17. 29 ; 3, 6. 13. 22

[73] Ap 22, 17

[74] cf. Rm 8, 5 ; Ga 5, 25

[75] Ga 5, 16

[76] Rm 7, 7-sv

[77] Rm 8, 13

[78] Ga 5, 24

[79] cf. 2 Co 3, 6

[80] cf. Ga 3, 27

[81] cf. Rm 6, 3

[82] cf. Col 2, 12

[83] cf. Ga 4, 6

[84] cf. Rm 8, 15-16

[85] 2 Co 3, 3

[86] Rm 5, 8

[87] Rm 5, 5

[88] 1 Co 12

[89] Ph 1, 2

[90] He 3, 7 ; 10, 15

[91] He 9, 8

[92] He 9, 14

[93] He 13, 22

[94] He 2, 4

[95] He 12, 1

[96] He 9, 24

[97] cf. Jc 4, 5

[98] Jude 1, 20

[99] 2 P 1, 21

[100] 1 P 1, 11

[101] 1 P 3, 18

[102] 1 P 4, 14

[103] 1 P 2, 4-5

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