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Connaître par la croix

Jérôme Levie

La vie de foi bouleverse profondément notre condition d’homme, en l’insérant dans la relation d’amour du Fils au Père. Mais si le don de Dieu libère nos capacités d’aimer, est-il sans impact sur nos facultés cognitives ? Certes, « Dieu n’a pas voulu faire dépendre le salut de Son peuple de la dialectique » [1]. On veut ici, cependant, montrer qu’il est une sainte et humble science, sobre et authentique, une gnose véritable [2] qui éclaire les desseins divins – intelligence de la foi qui joue un rôle central et spécifique dans le dynamisme sanctifiant et l’ascension vers Dieu. On traitera tant de la science des théologiens que de l’appro-fondissement de la foi de tout chrétien, puisque l’une et l’autre s’enrichissent mutuellement, s’abreuvent à la même source, et ont – chacun à son degré et à sa place – les mêmes exigences et le même but.

Dieu S’est manifesté à Israël pour qu’il Le reconnaisse comme Dieu et connaisse Ses chemins, non comme une « leçon apprise » (Is 29, 13), mais d’une connaissance authentique – hors de laquelle on succombe (Os 4, 6) –, qui prend place dans la relation de familiarité qu’Il souhaite avec Son peuple. L’homme entier est appelé à un savoir, non théorique, mais plutôt pratique, éthique, spirituel : l’expérience concrète [3] et existentielle d’une intimité personnelle avec Lui, qui naît de l’écoute de Sa parole, se traduit dans une vie de miséricorde (Jr 22, 16) et provoque un désir de Le contempler, de voir briller Sa face parmi les hommes (Ps 67, 2).

« Je sais en qui j’ai mis ma foi. » (2 Tm 1, 2)

La foi, réponse à l’initiative amoureuse de Dieu, désire connaître toujours davantage la vérité qu’elle croit et aime, donc « réfléchit sur elle et l’embrasse jusqu’à y trouver le plus de raisons possibles » [4]. Elle ouvre les yeux du cœur, dirige et fixe le regard de l’intelligence vers le Créateur, en vue d’une compréhension cohérente, vive et pénétrante des mystères révélés, appelant à son tour une foi accrue, plus embrasée d’amour. En effet, la foi ne pénètre pas l’intelligence sans susciter l’amour. Elle ne peut donc être indifférente à la doctrine, car son contenu central, Jésus-Christ, est aussi sa règle. Son contenu cognitif informe sa praxis, liturgique, spirituelle ou sociale. « Celui qui vit pour la vérité est tendu vers une […] connaissance qui s’enflamme toujours davantage d’amour pour ce qu’il connaît. » [5]

Par la foi, adhésion totale de l’être à la Vérité, notre façon de penser est renouvelée. Déplaçant le centre de gravité de notre être pour le réordonner à son centre, elle exige de réinterpréter le donné, de hiérarchiser les réalités à la lumière du Christ seul médiateur. Elle déchire notre horizon clos faussement autonome, système d’auto-justification où l’âme est prisonnière de l’opinion des autres, où l’intelligence est captive du néant qu’est son orgueil. La foi restitue à partir de la Bible la condition épistémologique de la théologie symbolique, reconnaissant dans le sensible une métonymie de l’invisible, une louange au Créateur, une clef de Ses desseins. Consciente de l’obscure puissance du monde, la foi le pense dans la cohérence de la Sagesse divine, comme issu de Lui et allant vers Lui. Plus qu’un accroissement du savoir, son dynamisme requiert donc le développement par l’intellect d’une « vision organique du rapport de l’homme au monde et du monde à la réalité suprême » [6] – car il ne faut pas chercher le secret du juste rapport au monde et à Dieu ailleurs qu’en Jésus, qui vit en nous. On ne peut juger la doctrine d’après le monde, « traiter la raison de la foi avec de petits raisonnements humains » [7], il faut au contraire juger de tout d’après le Christ, qui est contenu et norme de vérité de notre foi. La théologie réfère au Christ tous les aspects de notre existence, nous oriente vers Lui et accroît notre foi. Grâce à ce regard corrigé, à ce climat intellectuel purifié, tout savoir, scrutant et aimant ce qu’Il aime pour L’aimer et Lui plaire davantage, hâte l’intimité promise avec Lui. La théologie n’est pas seulement objectivation nécessaire, individuelle ou communautaire, de la relation à l’Absolu, ou conscience expressive du vécu spirituel : elle développe cette foi, qui est indissolublement relation d’amour et de connaissance.

« À ceci nous savons que nous le connaissons : si nous gardons ses commandements »  [8]

La foi nous apprend notre situation face à Dieu, puis ce qu’Il veut de nous. Établie en Sa sainte vérité, hors de la domination du non-sens mondain, la théologie déploie le « moment radical de la liberté » (S. Breton) qu’est la foi en liant savoirs et engagements spirituels, intellectuels, pratiques. La sagesse de la foi refait, à partir du cœur, l’unité de la personne éclatée par le péché, recueille nos vies dispersées en vue de Son service. Plus l’homme simplifié « a trouvé son unité intérieure, plus sa compréhension s’étend, s’élève sans travail » [9] – ainsi, la vie monastique a été appelée philosophie selon le Christ, accomplissement de l’idéal antique d’éducation et de sagesse. Si le Christ illumine l’intelligence et la transforme, l’Esprit purifie notre volonté pour que, détachée d’elle-même, elle accomplisse Sa volonté. La connaissance de Dieu donne force et consistance à l’éthique chrétienne et s’y vérifie. Fondé dans l’agir obéissant du Christ, notre agir reçoit de la dogmatique ses conditions de possibilité – la théologie morale assurant la critique des sentiments et pensées de notre cœur, de l’hiatus qui risque d’exister avec nos actes. Par notre praxis le mystère s’accomplit, nous expérimentons l’être chrétien et l’intimité de Dieu, que seule la sainteté connaît. Ses amis sont in fine ceux qui pratiquent la charité. Ainsi, la connaissance de Dieu approfondit le mystère de notre vie, reçue de Lui ; Son regard aimant nous montre la faiblesse de notre amour, nous introduit dans l’humilité, la vérité de notre situation – ne plus nous croire notre propre fondement. Le Fils est la clef de notre être plénier, qui n’est pas intramondain mais fondé sur la relation intérieure à Dieu, Absolu de Vérité et d’Amour, relation par laquelle seule l’homme est intelligible. Le Père nous invite à rejoindre l’image qu’Il a de nous en Son Verbe, en devenant fils dans le Fils. Cette lucidité sur notre être permet la liberté, à mesure de l’engagement de l’être, de l’intelligence et de la volonté.

« La Vie éternelle, c’est qu’ils Te connaissent »  [10]

En Christ, Dieu Se révèle en personne, le voile de Moïse est enlevé (cf. 2 Co 3, 13-16), le mystère caché est manifesté aux saints par Sa lumière même. Cette connaissance, certes dans un miroir, en énigme, est radicalement nouvelle, non plus selon la chair mais selon l’Esprit – qui seul connaît les choses de Dieu. Elle est compénétration, union par l’Esprit au Dieu vrai. Elle ne vise pas un objet extérieur, mais le mystère du salut qui nous enveloppe ; elle participe à notre transformation en homme nouveau, impliquant la guérison de toute tache ou ride, de toute débauche (cf. Ép 4, 20-24) : « le visage découvert, [réfléchissant] comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, allant de gloire en gloire ». Par la foi, commencement de la vie éternelle [11] – Vie de Dieu qui est le Christ Lui-même –, notre connaissance de la gloire de Dieu participe à l’acte d’intellection de Dieu par Lui-même en Son Verbe : « Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux. » (Jn 17, 26) À la fois sujet et visée de la théologie, Il peut nous être connu comme Il Se connaît [12], et comme Il nous connaît et nous aime en Son Fils. Comme perception de la vérité divine en tension vers celle-ci, tension qui unifie les croyants, simples ou savants, la foi est « participation au mouvement du Fils qui représente par Lui-même, en quelque sorte, l’acte du tendere ipsum, l’acte de retour et de remise au Père. » [13] Plongés avec le Christ en Sa vie trinitaire, nous connaissons, éprouvons, comment Il demeure en Son Père et Son Père en Lui – aussi notre connaissance du mystère divin est-elle inséparable de celle de Son dessein salvifique sur nous, et de sa réalisation.

« À l’épouse que tu Me donneras, Je donnerai ma lumière / Pour qu’elle voie, par elle, Tout le prix de mon Père »  [14]

L’Église étant l’interlocuteur de la Révélation, vrai sujet connaissant du mystère, le théologien ne vise pas à exprimer sa personnalité, mais la pensée de l’Église [15]. Il n’est ce qu’il est qu’en la foi ecclésiale, membre obéissant – « Qui connaît Dieu nous écoute » (1 Jn 4, 6) – prenant part à l’obéissance parfaite de l’Église contenue dans le fiat marial. Seule en effet une théologie vécue dans la sainteté et le témoignage au sein de la vie ecclésiale mérite ce nom. La participation « subalternée » de l’Église à la théologie du Christ naît de la liturgie, où le mystère se vérifie, se présente et se réalise en l’Église, et où elle en prend conscience. Ce savoir n’annule jamais le mystère, ni n’en prend la pleine mesure, mais le reçoit de Dieu et se nourrit de sa présence en son lieu de naissance permanent, l’Eucharistie, dans l’accueil, la manducation, l’herméneutique de la Parole vivifiée par l’Esprit. L’articulation entre auditus fidei et intellectus fidei, entre appropriation de la Révélation et réponse spéculative aux exigences spécifiques de la raison, lui est constitutive. Participation créatrice et féconde de l’Église à la mission prophétique du Christ, la synthèse théologique, comme l’effort de compréhension de chaque croyant, se situe in medio Ecclesiae et naît d’échanges entre la Parole, la Tradition, la vie de l’Église et la culture du temps, et culmine en doxologie. Elle peut alors, en replaçant chaque mystère ou dogme dans l’ensemble de la Révélation, « restituer quelque chose du grand souffle, de la limpidité et de l’universalité de la vérité révélée », présentant sa plénitude « dans une lumière telle qu’elle [apparaisse] comme illuminatrice de la situation dans laquelle les hommes contemporains pris individuellement et l’Église toute entière se trouvent » [16].

Plus qu’un terme, la louange doit être l’habitus de l’exercice théologique, comme dans les Confessions d’Augustin ou le Proslogion d’Anselme – « Dieu ne peut être connu s’Il n’est pas révéré » [17]. On ne peut parler de Lui sans en quelque façon Lui parler, et « le véritable culte n’est pas discours sur Dieu mais à Dieu ». La théologie doit faire voir Sa grandeur, pour remettre à genoux devant Lui – non s’imaginer qu’Il est à notre portée. Elle ne vise pas à édifier un système mais à rendre effectif le mystère de salut en nous, à plonger la vie du peuple de Dieu dans la vie divine, accroissant sa foi et sa piété. La doctrine de foi est un dialogue permanent entre l’Époux et l’Épouse, par lequel l’Esprit la conduit vers l’entière vérité, augmentant, par la connaissance et l’amour de l’Église pour l’Époux, l’intimité de leur union, jusqu’à « ne faire plus qu’un dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu, et à constituer cet Homme parfait […] qui réalise la plénitude du Christ » (Ép 4, 13).

« Qu’il y a loin de la connaissance de Dieu à l’aimer ! »  [18]

On juge parfois la théologie sèche, sans goût. De fait, sans charité ni contact avec Dieu, elle est pauvre et vaine [19], voire idolâtrique, dans la mesure où elle quête un savoir autonome sur Dieu, au lieu de se rassasier de Sa vérité. La prière, « clef des mystères divins » [20], seule attitude réaliste face au mystère, creuse le lieu de silence où Il S’écoute. On ne peut Le penser sans L’aimer [21], et L’aimer est déjà Le connaître – les deux ailes sont nécessaires, amour et connaissance. Sans celle-ci le zèle « s’effondre d’autant plus lourdement qu’il se précipite avec plus d’impétuosité, ne s’élance que pour retomber ». Mais « lorsque l’amour accompagne l’intelligence, et l’humble affection la connaissance, on vole en toute sécurité, […] sans fin, car on vole vers l’éternité » [22]. L’intimité de connaissance et d’amour en Christ surpasse infiniment la familiarité de l’Alliance : Il vient vivre parmi nous et nous partage Sa propre vie. La connaissance filiale de Dieu surgit de la croix, l’événement de ce salut dont elle est une part [23]. Elle engage la racine de l’être, intimant de donner sa vie pour ses frères. Notre connaissance de Dieu se modèle sur la connaissance que le Fils a du Père, en y participant. Sa fidélité nous instruit, nous entraîne et affermit nos pas dans notre quête de Dieu, y compris à travers nos doutes et nos épreuves spirituelles – car Sur Sa croix il obéit à la volonté inconnue du Père.

« À ceci nous avons connu l’Amour : Celui-là a donné sa vie pour nous »  [24]

Cette révélation de l’ouverture sans réserve de l’Amour sur la croix articule toute l’économie du salut – les mystères révélés qu’elle éclaire sont ses conditions de possibilité. En le mystère du Christ et de Sa croix salvatrice, clamé par saint Paul, s’unissent le dessein de Dieu sur l’homme et le mystère de l’Amour éternel qui est Sa vie la plus intime. Réponse non spéculative au problème du mal, la croix nous débarrasse de la mort et annonce la réconciliation universelle en Christ. Clef du projet divin – Dieu souffre avec nous – et de notre vie même – Il révèle la fécondité de la souffrance vécue dans l’amour –, elle est au centre de la théologie, « science de la croix » selon Édith Stein. Vérité vivante, réelle et active, elle germe et croît en l’âme, et engendre une nouvelle manière d’envisager la vie. Accueillir en vérité la manifestation de l’amour divin ne peut conduire qu’à L’adorer et à Lui obéir : « aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour est de Dieu et que quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu » – l’amour que nous avons les uns pour les autres accomplit l’amour même de Dieu. [25]

« Dieu est amour et n’est connaissable que par qui l’aime. Il nous faut entrer dans son intimité par la divine agapè pour connaître le semblable par le semblable » [26] – les mystères divins ne livrant leurs secrets qu’à celui qui s’y risque. Ce n’est qu’enracinés dans l’amour, vivant en accord avec l’appel reçu, que nous recevons « la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu’est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur » (Ép 3, 17-18). Ce n’est qu’« en souffrant que je comprendrai tes souffrances et ce n’est qu’en aimant que je connaîtrai ton amour. C’est là une connaissance qui surpasse toutes les autres : connaître ton Amour ! » [27]

Sommet de la folle Sagesse de Dieu, la croix fournit la forme et la condition d’un agir répondant à l’appel du Christ à Le suivre, dans l’unique commandement de l’Amour. Pure folie face aux sagesses du monde, elle est le signe de contradiction, le lieu même où l’ignorance du monde a signé l’opposition même entre sa logique et celle de la sagesse de la foi, d’où naît la liberté de l’homme spirituel, qui, comme on l’a dit du philosophe, n’est jugé ou gouverné par rien, mais juge de tout, pénétré de la sagesse de Dieu.

« La sagesse des sages se perdra et l’intelligence des intelligents s’envolera »  [28]

La sagesse prétentieuse, les paroles éloquentes, faites de mots et d’abstraction, s’effacent, orgueilleuses et dérisoires, face à la puissance de la croix de Jésus, proclamant le dessein immuable et premier du Créateur, anéantissant les règnes usurpés et les sagesses et puissances correspondantes – le dernier ennemi étant la mort, et sa logique, le péché. La sagesse du monde est frappée de folie, le raisonneur de ce siècle se tait, incapable de comprendre le mystère des desseins de Dieu [29]. Les sagesses humaines expliquaient la réalité, pour éventuellement mieux nous y insérer ; la sagesse divine, scandale de l’amour de Dieu révélé sur la croix, vise à transformer radicalement les choses, les achever définitivement dans la victoire de l’Agneau. Cette sagesse absolument neuve, destinée dès avant les siècles à être la gloire de ceux qui L’aiment, annihile toute tentative d’arraisonner le mystère, s’oppose à toute spéculation humaine qui réduirait « à néant la croix du Christ ». « Pourtant, c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits », mais d’une sagesse divine, mystérieuse, demeurée cachée, qu’aucun des princes de ce monde n’a connue – ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de Gloire –, et dont l’autorité et la justesse ne viennent pas de critères mondains mais de la seule gloire de l’amour divin qui paraît, avec Esprit et puissance [30]. Le Logos divin d’amour rend « digne de foi » : Lui seul, non nos démonstrations abstraites, donne à la foi sa mesure de vérité.

« La substance divine dépasse par son immensité toute forme que notre intellect atteint »  [31]

Car le concept, s’il nous ménage une présence sans distance du divin, peut devenir idole conceptuelle, filtre idolâtrique qui maintient hors jeu l’étrangeté du divin pour ne nous renvoyer que notre propre pensée ou expérience. Cerner l’apparition de Dieu dans des préconditions conceptuelles, dans un visage du divin façonné par l’homme, assez familier « pour que nous en maîtrisions toujours le jeu », voilà qui censure « l’irruption altière et l’altérité irrécusable qui, en propre, caractérisent le divin » [32] – ce « piège de la philosophie, creuse duperie à l’enseigne de la tradition des hommes » (Col 2, 8), ne capture que des idoles. Dieu n’est pas connu à la manière du monde, telle « une proie à s’approprier » (Ph 2, 6), à notre disposition, sous la main. Il ne s’affronte qu’à découvert. S’il « advient que, voyant Dieu, on comprenne ce qu’on a vu », c’est qu’il est mal connu, qu’on a plutôt vu « quelqu’une des choses connaissables qui Lui doivent l’être ». « Car en soi, Il dépasse toute intelligence et toute essence » et n’est connu qu’affronté à découvert, « en tant qu’Il est totalement inconnu » [33] – « la supériorité de la connaissance du Christ » (Ph 3, 8) est telle qu’elle ne fait pas nombre avec d’autres, déborde les horizons de la phénoménalité mondaine.

L’amour même interdit de prétendre à une maîtrise cognitive, voire déductive, des comportements d’autrui, et accepte humblement de ne jamais le cerner. Dieu, en tant que personne, réalité unique et précieuse, est insondable dans Son existence propre et Sa spontanéité créatrice – Il S’accepte, Se reçoit. Prétendre expliquer l’Amour serait le nier, car Il est émergence et communication libres et gratuites de Lui-même. Il ne Se révèle qu’à celui qui se livre, dans un pur abandon. Seule l’« attitude de l’amour qui (en tant que foi) délaisse et dépasse toute volonté de savoir par soi-même » [34] maintient la possibilité de la contemplation, cet émerveillement renouvelé, rencontre basée sur la confiance jusque dans l’absence, et sur la disponibilité, dans le silence et le secret, cette « réserve d’être » (E. Mounier). Pour être sagesse, la théologie doit reconnaître les souveraines gratuité et transcendance de l’Être qu’elle cherche.

« Oser à notre manière, en balbutiant, énoncer les hauteurs divines. »  [35]

Mais s’il est hors de la sphère naturelle de nos puissances de saisir Dieu, elles sont capables de se référer à Lui. La hardiesse de la foi les tourne vers Lui, qui leur confère leur prix en les surélevant – comme Il parfait notre amour en charité. Outre la connaissance de raison, les connaissances théologique et mystique permettent d’approcher le mystère de l’Ineffable. Mais plus on avance dans leur chemin, plus il s’allonge, plus on saisit combien Dieu est incompréhensible, combien Dieu est Dieu. Cependant, si l’idée courante attribue à l’expérience mystique la fonction d’une sorte de point oméga au-delà des doctrines et religions, qui montrerait leur valeur relative, parler indistinctement d’une « expérience de l’Absolu » serait céder à une tendance panthéiste ou reconnaître à toutes les religions une capacité proprement surnaturelle. Or Dieu n’est pas seulement l’Un, mais l’Unique. Il n’est pas la force inconnue, indéterminée, se révélant dans le devenir ou la nécessité, ni la conscience intimiste d’une indifférenciation au service d’un confort spirituel, Il est au contraire l’Être souverainement libre. C’est réduire Sa liberté que de Lui nier la possibilité de Se faire connaître, jouant librement de toute détermination, nous adressant dans le monde une parole de rupture avec la logique de ce monde.

Les perfections absolues, sans imperfection dans leur notion (être, unité, bonté, sagesse), existent de façon limitée dans les créatures, illimitée en Dieu, peuvent être affirmées de Dieu (voie affirmative) en niant la manière imparfaite, bornée, dont le créé les possède (voie négative) [36], la voie d’éminence les portant à un degré infini. La théologie négative bien comprise ne ramène pas en arrière en niant la possibilité d’une vraie science de Dieu, mais témoigne de ce qu’affirmations et négations ne se nient ni se contredisent mais remédient à leur insuffisance mutuelle. Leurs énonciations opposées, semblant contradictoires, sont nécessaires s’agissant d’un Dieu proche mais Tout-Autre, n’ayant besoin de rien mais désirant nos prières, agissant au cœur du monde et transcendant. Évitant agnosticisme et anthropomorphisme, affirmant non une privation mais une transcendance, la négation redoublée surenchérit, élève l’esprit et l’intelligence vers Dieu, au-delà de toute position ou négation d’attributs créés.

Loin d’être une voie exceptionnelle, ou parallèle, pour qui pourrait ou voudrait se passer de la Révélation, la mystique naît de l’expérience de celle-ci, prolongée par la méditation biblique et la vie sacramentelle. Elle implique aussi de se purifier de ce qui peut maculer et obscurcir l’image de Dieu en nous, formée par Sa charité. C’est le Dieu révélé qui est cherché, Sa contemplation silencieuse pré-exige la doctrine, avance dans son axe, sans fuir en dessous ou à côté. De retour de ses hauteurs elle ne la désavoue pas mais s’y repose : ayant atteint l’ivresse, le mystique ne brise pas la coupe de cristal, mais s’enflamme d’amour pour chaque mystère, qui lui apparaît dans une nouvelle splendeur. De même, la mystique conserve et présuppose ce que révèle la théologie symbolique, faite d’images et de poésie, « merveilleuse condescendance du Dieu d’Amour qui veut attirer notre amour » vers l’Éternel par les créatures. L’incompréhensibilité éprouvée par le mystique authentifie le Dieu visé par la foi comme le Dieu impensable. L’intelligence de la foi demeure la médiation de la connaissance mystique, qui est une représentation certes imparfaite, mais en conformité intime avec elle.

« La joie des saints est la joie de l’incompréhension : ils comprennent qu’ils ne peuvent pas comprendre »  [37]

La mystique passe radicalement de l’idée de Dieu, quelque adéquate qu’elle soit, à la perception réelle de Sa présence. À l’opposé d’une plongée dans le subjectif, elle convertit à l’absolue altérité divine. Cette contemplation trouve la vérité sous l’influence de l’amour, ne s’arrêtant pas (comme d’abord l’acte de foi) à la formule dogmatique ou au concept humain mais à la Réalité infinie qu’ils signifient. C’est ce réalisme que visent les saints : rendre des vérités réelles, vivantes, par la « force cachée au plus profond de l’âme ». En expérimentant « des vérités de la foi qui pénètrent toute la vie » [38] par l’Esprit, l’âme « pâtissant Dieu », ravie en Lui, participant de Sa vie, y vérifie, dans son union à Dieu, la vérité des processions trinitaires. Connaissance de Dieu et union divinisante, œuvres de l’Esprit, culminent ensemble dans un silence d’union [39], un nuage d’inconnaissance qui est une clarté de ténèbre lumineuse, « lumière inaccessible » du Dieu « invisible par l’excès de sa splendeur » [40]. Au-delà des sens, des images, de toute compréhension par raisonnements, langage discursif et concepts étant mis en sommeil comme moyens de connaître, l’Épouse voit sans intermédiaire Celui qu’elle aime. En l’étreinte d’amour germe une connaissance concrète du mystère, la sagesse amoureuse, don de l’Esprit, dont parle le Cantique, « secrète science de Dieu […], savoureuse parce que c’est une science par voie d’amour » [41]. Car c’est l’amour qui pour s’accroître porte l’intelligence à ce regard, lui assure la fixité et la simplicité de cet acte de vision. Il est « le principe et la fin de la contemplation, et le stabilisateur du regard contemplatif » [42], regard qui est une extase – fruit normal de l’amour selon l’Aquinate.

Tel est le plus grand bien : comprendre que Dieu est incompréhensible, mieux, Le connaître par cette parfaite inconnaissance qui est « la connaissance vraie de Celui qui dépasse toute connaissance » [43]. Ce don incommunicable, intraduisible, manne cachée qu’on ne connaît qu’en recevant, huile des lampes qu’il faut quérir soi-même chez le marchand, fait connaître Dieu comme non seulement révélé, mais expérimenté, « pâti ». La connaissance intellectuelle de Dieu s’accomplit en l’amour, nos efforts cèdent le pas à Dieu, opérant seul en cette théologie mystique. C’est à ce paroxysme à la fois d’actualité et de passivité illuminée de l’âme rationnelle, que l’ambition du théologien trouve son accomplissement : il s’efface devant l’expression de la lumière qui est vie. Mais si nos appréhensions intellectuelles de Dieu s’évanouissent, ce n’est pas en se dissipant mais en se dépassant, comme les fleuves dans la mer. Le silence stupide de l’âme vide n’est pas celui de l’âme pleine de Dieu [44], l’inconnaissance atteinte ne revient pas à l’ignorance athée. Pleine de sagesse est la forme purement adorative de la connaissance en laquelle Il Se donne à connaître dans Son incognoscibilité. La grâce rend le fini capable de comprendre l’infini, que « notre âme, en vertu de la grâce qui nous reforme, est rendue pleinement capable de le comprendre entièrement par amour ». Point n’est besoin d’être savant, « plus on sera éminent en science, plus on devra se faire petit, pauvre et dépouillé d’esprit » [45].

« Que peut-il dire, celui qui parle de Vous ? Pourtant, malheur à ceux qui se taisent de Vous, car en parlant ils sont muets »  [46]

La théologie ne peut ignorer la mystique, car elle ne se nourrit pas de ses propres énoncés mais du Christ, Pain de notre intelligence [47]. Mais désavouer la connaissance conceptuelle dissout le langage des images dans « le fleuve des rêves et des désirs de l’aventure humaine », empêche de discerner « la connaissance mystique, qui est supra-conceptuelle, [du] monde infini des illusions et des incohérences », qui est infra-conceptuelle et risque d’ouvrir « sur de tout autres abîmes que celui de la Déité » [48]. Le concept théologique, évitant de rapporter le donné aux prédéterminations de son usage métaphysique, dont il sait le statut provisoire, se révèle constitué en Jésus-Christ, foyer de toute intelligibilité [49]. La « suranalogie de la foi » parvient à un énoncé juste sur Dieu sans Le réduire à ce qu’on en cerne, dans la conscience que notre mode de signifier et de concevoir est inadéquat. Les perfections sont en Dieu véritablement, plus proprement qu’en les créatures, mais aucune ne dit explicitement tout ce qu’Il est, aucune ne recouvre Sa réalité, toutes en sont débordées et La désignent comme supérieure à elles et incirconscrite, toujours en excès.

Le convivium divino-humain visé par la Révélation intègre le fait de la signification [50], fonde à partir du Verbe proféré en les créatures, intermédiaires entre Sa Science et la nôtre, un langage commun entre le Père et nous, inauguré par la Bible, utilisé par les sacrements, nœuds de cette relation, par les formules et symboles ecclésiaux, vases où Dieu Se fait connaître comme révélé. Toute théologie ou théophanie est fondée en Christ, foyer immense de la Révélation, l’union hypostatique fonde tout symbole liant corporel et spirituel, clef des similitudes analogiques des créatures dont la foi use par l’analogia entis : si l’incognoscibilité de Dieu souligne l’incapacité radicale de notre pensée et de notre langage créés à Le saisir, nos mots peuvent signifier substantiellement les réalités divines, sans représenter adéquatement ni dissiper le mystère – ne prédiquant de Dieu ni univoquement ni de façon totalement équivoque. Dans Sa condescendance, Il a jugé le langage humain digne de communiquer Sa Vérité. Son Verbe a pris chair, S’est dit dans l’infirmité de nos verba. Basé sur la corporéité, le langage participe néanmoins au Logos divin, cause formelle de nos verbes : il est donc susceptible d’une perfection dans son ordre.

La théologie met en œuvre la conscience de la distinction entre notre discours et le Verbe, seule Parole adéquate sur Dieu [51]. Située à la croix du langage, le lieu de la distance, de la transgression du langage où l’Indicible se dit comme tel, « indissolublement locuteur, signe et référent » [52], elle cherche à laisser le Crucifié, icône du langage, dire en langage humain le Verbe qu’Il est avec Ses propres accents. Elle n’atteint pas elle-même le Verbe mais se laisse dire par Lui comme le Verbe laisse Son Père Se dire en Lui, devenant logos du Logos [53], apprenant à parler comme l’Ineffable a parlé par le Verbe.

« Proféré, Il demeure indicible, et connu, inconnu »

La « distance », thématisée par Jean-Luc Marion [54], entre Dieu et toute idole n’est pas donnée à connaître, mais est à recevoir, car elle nous donne de nous recevoir en elle, si nous la révérons comme telle, restant distance au sein même de l’union, écart permettant l’intimité. La participation à Sa vie n’entame pas Sa transcendance, et la divinisation va de pair avec la supra-connaissance par inconnaissance : la ténèbre demeure au sein de la manifestation. Le Christ, unique médiateur, lieu et paradigme de la distance, « la rend absolument », et seule la prière unie à la Sienne effectue cette distance. « Renoncer à connaître la distance ne se fonde pas seulement sur une impossibilité de fait, mais sur une convenance profonde à ce dont il s’agit en elle » ; née de l’amour, elle y reconduit. Il s’agit de « travailler le langage assez profondément pour qu’il n’entre plus en contradiction méthodologique avec ce qu’il ose prétendre énoncer » [55], de trouver un discours « iconique », fondé au Vendredi Saint, quand le Père s’avance dans le retrait, discours en qui s’intègre, se décèle, l’écart irréductible entre lui et Dieu. Plutôt que nous renvoyer nos propres concepts, il culmine alors en discours de louange [56], faisant entendre l’Indicible dans le dicible en maintenant Son indicibilité irréductible.

La théologie trinitaire doit régler la théologie négative, non l’inverse. Il appartient à la christologie « de donner une détermination à l’inconnaissance comme à la connaissance de Dieu », de « vérifier les négations auxquelles une théologie aura à consentir ». L’antinomie de la lumière et des ténèbres va jusqu’en Dieu même, découvrant « à notre esprit une distinction mystérieuse dans l’être même de Dieu ». Yves Labbé, dans Foi et Raison, replace l’« apophase » (la voie négative) dans l’abaissement (la kénose) christique et trinitaire, rapporté aux trois Personnes. L’Esprit, cet Inconnu qui pourtant nous remplit et conduit tout être vers son assomption en Dieu, est le mystère de communion de Dieu avec Lui-même dans lequel Dieu ajourne Son discours pour mieux Se donner totalement et nous unir à Lui – la négation pneumatologique du discours vérifie « la surabondance du don et son excès par rapport au dire ». Tout discours cesse là où le don se fait maximal ; le Verbe se tait quand Son sang salvateur est répandu.

Or c’est sur la croix que Dieu Se présente avec le plus de vérité, là même où Il S’expose au dédit, à l’échec de Sa manifestation, à l’impossibilité de Se dire – c’est le lieu où la possibilité de la non-foi est la plus visible, et seule la Résurrection tranche. En ce lieu où « même la réalité d’une absence de connaissance de Dieu est une modalité de la réalité de Dieu » [57] (E. Jüngel), Il Se découvre en Se cachant, l’Indicible se retire devant Son signe Inédit. Dieu est scindé de Son dit qui Se dit d’une manière inédite, par le discours de la croix qui insère en Dieu la différence devenue irréductible entre le monde et Dieu. La métamorphose du « dédit » en « inédit » enregistre l’impossibilité déjà signifiée de Se dire vécue par le Verbe incarné Lui-même : « l’impossibilité signifiée par la croix devient l’accession absolue de Dieu au discours » [58] dans Son indicibilité même. La négation traverse le discours et détermine sa forme et son sens. Yves Labbé retrouve les antiques lignes de partage entre Dieu caché et Dieu révélé, arguant qu’on ne connaît le Père qu’en tant qu’il Se connaît dans le Fils, sans pouvoir le penser par Lui-même, à partir de Lui-même, dans Son Acte pur de surgissement à Lui-même.

« Tous sauront. Tous les mots cesseront et les cœurs parleront »  [59]

La connaissance de Dieu ici-bas est toujours inchoative et pérégrinante, même si la liturgie signifie et réalise le mystère d’union, anticipant sur la béatitude promise. Cette connaissance est l’avenir absolu de l’homme, et s’identifiera à la participation à ce qu’est Dieu, Intellect en acte, à la consommation eschatologique du Salut. Aux noces de l’Église et de l’Époux, nous Le connaîtrons comme Lui-même Se connaît. Sa promesse sera réalisée – car Il nous donne à Son Fils pour que nous contemplions Sa gloire : « Si vous croyez, vous verrez la gloire de Dieu. » [60] Dans la cité céleste dont Il sera seul architecte et seule lumière, la Sagesse sera pleinement révélée, Sa victoire sur le mal achevée. Il sera tout en tous, discours, désir, pensée, langage, amour, nous Lui serons semblables et le verrons tel qu’Il est. « La vision est dans la connaissance, la connaissance est dans l’amour, l’amour est dans la louange, et la louange est avec la sécurité, et celle-ci est sans fin », paix de Dieu surpassant tout sentiment et chassant toute « violence sur [Sa] montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance de Yahvé, comme les eaux couvrent le fond de la mer » [61].

Per amorem agnoscimus  [62]

La théologie, en tant qu’hommage de l’intelligence, s’inscrit dans la réponse de foi, d’amour, de respect et d’adoration, à l’Amour divin qui Se fait connaître. Sainte et sanctifiante, parce que contemplative de la Vérité, elle vise et se nourrit de la plénitude catholique qui est, plus qu’un système rationnel, une vie de louange en esprit et en vérité, dans l’intimité avec Dieu que seule la pratique des sacrements, de la prière et de la charité peut donner. Le Christ, pédagogue de prière et d’obéissance, nous convie à ce festin : goûter la suavité de Dieu, la louer en hymnes. La théologie doit contribuer, grâce à l’Esprit et à Ses dons, à éprouver en Christ cette inséparabilité de la Vérité qui vivifie et de la vie en la vérité.

Étant, comme la foi, coïncidence paradoxale entre ténèbres et lumière, elle tente de rendre langage et pensée homogènes à l’amour ; utilise ces outils de la raison en visant le lieu où ils sont dépassés par l’amour. Elle est stérile si elle ne tient compte de l’expérience mystique de l’Incompréhensible, si elle rationalise Sa présence – car c’est « de nuit » qu’Il nous est le plus intime. Elle n’aide la spiritualité que si elle en vit et en émane, lisant les Écritures en vue et du point de vue du Verbe pour y ramener chaque fragment, dans l’harmonie participative entre logos et Logos. Cette herméneutique culmine en l’eucharistie, où l’assemblée se laisse assimiler et interpréter par le Verbe, grâce au service du théologien. Le Christ y actualise le mystère de la croix, donnant à la théologie son « site eucharistique » [63]. Le concept a son rôle en ce mouvement second d’intelligibilité de l’expérience de foi, prolongeant le dialogue instauré par Dieu dans Son œuvre de création, puis d’Incarnation.

Bien que rigoureux, ce savoir n’est ni utilitaire ni autonome. Hors de la foi et de la charité, il meurt. La théologie germe en l’Église qui est le mystère de la vie trinitaire communiquée et participée, en qui est réalisé le mystère de communion et d’épousailles avec le Christ. Connaissance amoureuse du Christ, elle suscite le désir de L’annoncer, de faire éclater ce mystère d’amour trinitaire pour y entraîner toute la création, la guidant par la Parole vers la rencontre unitive avec Dieu et le rassemblement final de l’Église en un seul corps et un seul esprit, unus Christus amans se ipsum. « Vous connaîtrez l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance, et vous entrerez par votre plénitude dans toute la Plénitude de Dieu » (Ép 3, 19).

Jérôme Levie, ancien élève à l’École Normale Supérieure, poursuit actuellement une thèse de physique théorique et une maîtrise de philosophie.

[1] Saint Ambroise, De fide, I, 5, P.L. 16, 537.

[2] Selon les expressions d’Irénée de Lyon et de Clément d’Alexandrie.

[3] Rappelons, outre l’homonymie en hébreu avec la relation charnelle, la métaphore du goût (Ps 33 9 : « Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur. »).

[4] Saint Thomas, Somme Théologique, Cerf, 1984, IIa IIae, q. 2, a. 1, cf. C.E.C. 158.

[5] Jean-Paul II, Fides et ratio, 42 ; cf. Vatican II, Christus Dominus, 12 : le « mystère intégral du Christ » comprend « des vérités qu’on ne peut ignorer sans ignorer le Christ Lui-même ».

[6] P. Bouyer, Entretiens avec Georges Daix, Ad Solem 2005, p. 112.

[7] Saint Bernard, Ep. 189, 4, P.L. 182, 355.

[8] « Qui dit : Je le connais, alors qu’il ne garde pas ses commandements est un menteur, et la vérité n’est pas en lui. » (1 Jn 2, 3-4). Cf. Jn 3, 18-19 : « N’aimons ni de mots ni de langue, mais en actes et en vérité. À cela nous saurons que nous sommes de la vérité. »

[9] Imitation du Christ, I, III, 14, trad. J.-G. Bardet.

[10] Jn 17, 3.

[11] 2 Co 3, 18 ; Saint Thomas, De Veritate, q. 12, a. 2.

[12] Cf. saint Thomas, Somme théologique, Ia IIae, q. 110 : « La puissance intellectuelle de l’homme participe à la connaissance divine par la vertu de foi » – connaissant ainsi les causes les plus élevées par le moyen de celles-ci.

[13] Cardinal Ratzinger, L’Unité de la foi et le pluralisme théologique, C.L.D., 1978, thèse I.

[14] Jean de la Croix, Poésies, 3, 89-92.

[15] « Le noûs Christou, cette pensée du Christ que la mens Ecclesiae, c’est-à-dire la pensée de l’Église, […] transmet. » (Bouyer, op. cit., p. 232).

[16] Bouyer, op. cit., Préface de Hans Urs von Balthasar, p. 3 ; p. 59.

[17] Sextus Empiricus, Sentences, Aubier, 1948, n°369.

[18] Pascal, Pensées, éd. Brunschwig, 280.

[19] « Rien n’est pauvre comme une pensée qui philosophe sur les choses de Dieu en dehors de Dieu. » (Diadoque de Photicé, Cent chapitres sur la perfection, 7, S.C. 5 bis, 1955.)

[20] Saint Grégoire Palamas, Défense des saints hésychastes, éd. Meyendorff, Louvain, 1959, Triade, I, A, 20.

[21] Guillaume de Saint-Thierry, Miroir de la foi, P.L. 184, 43c : « Penser Dieu et aimer Dieu, c’est la même chose. Je dis : penser Dieu et non pas penser à Dieu. » Cf. Grégoire le Grand, Homelia in Év., 27, 4 : « Quand nous aimons les réalités supra-célestes, nous commençons à connaître ce que déjà nous aimions car l’amour lui-même est connaissance. » Amor ipse notitia est est une formule fréquente au Moyen-Âge.

[22] Saint Bernard, Sermon IV, calendes de novembre. Ainsi le baiser de l’âme par l’Époux se fait sur les deux lèvres de la raison et de la volonté, donnant intelligence et sagesse (Super Canticum 23, 14), « la crainte qui touche le cœur » rendant sage. La théologie monastique ne sépara jamais la connaissance du mystère d’Amour du consentement à celui-ci.

[23] Cf. la définition d’Alexandre de Halès, Summa Theologica, Introd., q. 1, a. 13, resp. 6 : « la théologie est la science de la substance divine, qui se donne à connaître par le Christ dans l’événement du salut. »

[24] « … Et nous devons, nous aussi, donner notre vie pour nos frères. » (1 Jn 3, 16-17)

[25] 1 Jn 4, 7, cf. 1 Jn 4, 12.

[26] Clément d’Alexandrie, Stromates, V, 1, 12, éd. Staehlin, t. II ; cf. 1 Jn 4, 8.

[27] Marie de la Trinité, Agenda 1921-1930, Arfuyen 2005, note du 04.03.1918. Édith Stein, dans une lettre à Mère Engelmann de décembre 1941, dit que la science de la Croix « ne peut se gagner que si l’on commence à ressentir pleinement la croix ».

[28] Is 29, 14.

[29] Cf. Is 19, 11-12. Sur le mystère chez saint Paul, voir Bouyer, Mysterion, Du mystère à la mystique, O.E.I.L, 1986.

[30] 1 Co 1, 17-20, qui oppose sagesse du monde et logos de la croix ; 1 Co 2, 6-9.

[31] Saint Thomas, Summa contra gentiles, I, XIV, trad. Cyrille Michon, Flammarion 1999.

[32] Jean-Luc Marion, L’Idole et la distance, Paris, Grasset, 1977, p. 27 et 24. Cf. Grégoire de Nysse, Vie de Moïse, II, 165, P.G. 44, 337b : « Tout concept formé pour essayer d’atteindre et de cerner la nature divine ne réussit qu’à façonner une idole de Dieu, non point à le faire connaître. »

[33] Denys l’Aréopagite, Lettre I, P.G. 3, 1065a, s’appuyant sur 1 Co 8, 2.

[34] Hans Urs von Balthasar, L’Amour seul est digne de foi, Parole et Silence, p. 65.

[35] Saint Grégoire le Grand, Moralia in Job, V, 36, P.L. 75.

[36] Pour Denys (e.g. Hiérarchie céleste, II, 3, P.G. 3, 141a), les négations sont plus adéquates. Car il n’y a pas, du Créateur au créé, de similitude telle que la dissimilitude ne soit encore plus grande. On donne souvent en exemple l’usage intensif de la négation dans la définition dogmatique des deux natures du Christ : sans mélange ni changement, ni division, ni séparation.

[37] Sainte Angèle de Foligno, Le Livre de l’expérience des vrais fidèles, Droz, 1927, p. 273.

[38] Édith Stein, Science de la croix, Ed. Nauwelaerts, 48-49.

[39] Hadewijch d’Anvers, Poèmes spirituels, XVII : « Son silence le plus profond est son chant le plus haut. » Cf. Louis de Blois, Le miroir de l’âme, t. II, ch. XI, p. 94-95 : « [L’âme] ne peut saisir par l’intelligence l’être de ce Dieu à qui elle est unie par un si pur amour, […] apprend par l’expérience qu’Il surpasse infiniment tout ce qui peut être écrit ou dit de Lui. »

[40] 1 Tm 6, 16 ; Denys l’Aréopagite, Lettre V, 5, P.G. 3, 1073a. Cf. Noms divins, VII, 2, P.G. 3, 869a : « Nous appelons insaisissable et invisible ténèbre la lumière inaccessible parce qu’elle transcende la lumière qui se voit. »

[41] Saint Jean de la Croix, Téqui, 2003, Cantique Spirituel, 27, 5.

[42] Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, Cours d’oraison (inédit), 23, 4.

[43] Denys l’Aréopagite, Lettre I, P.G.4, 1065a ; Cf. saint Thomas, De Potentia, q. 7 a. 5 ad 14 : « La pointe extrême de la connaissance humaine de Dieu consiste à savoir que Dieu est pour nous un inconnu, en ce sens que son être outrepasse tout ce que nous en comprenons. »

[44] Jean-Luc Marion, ibid., p. 36 : « Pour se taire, il ne suffit pas de ne plus pouvoir dire, ni même de ne point parler. Se taire, c’est d’abord accéder au site où la parole qui énonce et discourt n’est plus de mise. » Il s’agit d’un silence qui « nourrit l’infinie proclamation » (p. 189).

[45] Le Nuage d’Inconnaissance, Sagesse chrétienne, Cerf, 2004, Ch. 4 ; Louis de Blois, op. cit.

[46] Saint Augustin, Confessions, I, 4, 4.

[47] Pour le cardinal Ratzinger (Qu’est-ce que la théologie ?, in La foi comme adhésion, H. Volk, Lethielleux, 1979), la théologie ne vit pas de ce qu’elle produit, mais de ce qu’elle reçoit.

[48] Cardinal Journet, Entretien sur Dieu le Père, Parole et Silence, 1998, Ch. III, § 23.

[49] Constitué « avant d’être constituant et sans jamais cesser de l’être, [loin] de façonner un sens, il le recueille activement », Yves Labbé, Foi et raison, Salvator, 2000, ch. IV, « Les concepts théologiques ».

[50] Olivier-Thomas Vénard, La Langue de l’ineffable. Le fondement théologique de la métaphysique, Ad Solem, 2005, p. 450.

[51] La Tradition considère les auteurs sacrés comme les premiers théologiens, et la Bible comme le modèle de toute théologie, car elle laisse parler Dieu Lui-même.

[52] Jean-Luc Marion, Dieu sans l’être, Quadrige, 1991, p. 199.

[53] Jean-Luc Marion, ibid., Ch. V, 1 : « Laisser (se) dire » ; dans L’Idole et la distance, p. 189, l’auteur prône un « modèle linguistique de la dépossession du sens ».

[54] In L’Idole et la distance, d’où est extrait la citation du titre : Denys, Lettre III, P.G. 1069a.

[55] Jean-Luc Marion, ibid., p. 199 et p. 12 ; cf. p.263 : « Le langage […] n’énonce pas la distance, parce qu’il s’énonce en elle, comme il se reçoit d’elle. »

[56] Jean-Luc Marion, ibid., p. 234 : La louange, discours performatif qui est extase du locuteur, « joue le jeu d’un langage approprié à la distance qui comprend icôniquement le langage lui-même. »

[57] Eberhard Jüngel, Dieu mystère du monde, Cerf, 1983, t. 2, p. 196.

[58] Citations extraites d’Yves Labbé, ibid., pp. 181-185 et 193.

[59] Élévation sur les gloires de Jérusalem, Anonyme du XIIème siècle, publié dans les Mélanges Lebreton, Recherche de sciences religieuses, 1952.

[60] Jn 11, 40, cf. Jn 17, 24.

[61] Élévation sur les gloires de Jérusalem, commentant Is 11, 9.

[62] Saint Grégoire le Grand, Moralia in Job, 10, 13.

[63] Cf. Jean-Luc Marion, Dieu sans l’être, Ch. V, « Le site eucharistique de la théologie ». Le lien entre herméneutique, théologie, action de grâce et incorporation au Christ dans l’Eucharistie montre que c’est d’abord l’évêque qui est théologien.

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