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D’Adam à Abraham ou les errances de l’humain. Lecture de Genèse 1,1-12,4. (André Wénin)

Paris, Cerf, 2007, 252 p.
Jean Lédion

Ce livre, comme l’indique le sous-titre, est l’œuvre d’un exégète, professeur d’Ancien Testament à l’Université de Louvain. Son travail sur les premiers chapitres de la Genèse se veut original, en ce sens que l’auteur envisage ces chapitres comme une globalité et non pas comme la juxtaposition de textes de diverses sources que les rédacteurs auraient assemblés. Une autre originalité de la démarche est que l’exégète a recours aux sciences humaines contemporaines (psychologie, voire psychanalyse) pour étayer son propos. Il réagit donc contre une certaine exégèse convenue qui s’attachait plus à la rigueur théologique qu’au sens du texte lui-même.

Il s’en explique dès les premières lignes de son introduction : « Comme d’autres pages archi-connues, il traîne dans nos mémoires, couvert de la poussière qu’on déposée sur lui des siècles de lectures théologiques ou catéchétiques rarement pertinentes au regard du récit biblique. Car ce qui importait dans les commentaires qu’on en donnait était moins le récit lui-même que ce que le commentateur devait dire de la création, de Dieu, de l’homme, du péché originel ou du salut. Le référent n’était pas le texte biblique. C’était l’orthodoxie, le message-chrétien peut être. » (p. 9)

Même si la démarche de l’auteur est forcément personnelle, ce travail doit beaucoup à ceux qui ont été ses maîtres ou ses collègues exégètes. La dédicace porte d’ailleurs « À la mémoire du regretté Paul Beauchamp ». Ainsi, nous pouvons voir pour chaque texte étudié une traduction très littérale qui s’efforce de serrer le texte hébreu au plus près. Cela donne une lecture plus difficile que celles que donnent les traductions habituelles, traductions qui cherchent à rendre le sens du texte tout en s’efforçant de produire un écrit conforme aux exigences de la bonne littérature. Mais la traduction est aussi œuvre d’interprétation, et l’auteur, malgré son désir de suivre le texte n’échappe pas à la règle. Le commentaire du chapitre 3 de la Genèse en est un bon exemple. La question cruciale, dans le récit de la chute, est de comprendre pourquoi Adam et Ève, qui ont été créés bons et dont les facultés physiques, intellectuelles et morales n’ont pas été amoindries par le péché originel (puisque, par définition, on se situe avant !) se laissent abuser par le serpent ? Dans ce livre, on voit ressortir, ça et là, de manière plus ou moins discrète, divers concepts qui ont fait la fortune de la psychanalyse : refus de l’altérité, désir de fusion, etc. : « Je l’ai montré plus haut : en empruntant ses quelques mots à Adonaï Elohim, le serpent vient se glisser entre ce dernier et les humains. Il manipule la parole divine qui, on l’a dit, pouvait être entendue comme une chance d’ouverture de l’être humain envers autrui et envers Dieu. […] Son astuce cependant ne doit pas empêcher le lecteur de voir que la tentation vient se greffer à l’endroit exact du manque, de la limite, que le serpent grossit en occultant le don. La tentation porte aussi sur le désir et joue sur le frein que Dieu lui met en vue de le structurer. Elle concerne essentiellement la façon dont l’être humain vit son désir une fois confronté à sa limite  ».

Ceci nous donne une vision de l’homme d’avant la chute qui semble plutôt l’homme d’après la chute. Quel est ce manque, quel est ce désir ? Le créateur aurait-il été négligent en ne donnant pas à sa créature tout ce dont il avait besoin ?

Si ces critiques sont nécessaires pour ne pas se laisser emporter par la trame interprétative de l’ouvrage, qui peut parfois être discutable, il faut cependant indiquer que la lecture de ce livre, qui n’est pas du tout ennuyeuse, vaut la peine d’y consacrer un peu de temps. La vision qu’on a de ces premiers chapitres de la Genèse ne pourra que s’enrichir. Mais, bien entendu, les interprétations de ces chapitres ne peuvent pas faire l’économie de tous les commentaires qu’en font la Bible elle-même (Livre de la Sagesse, saint Paul, les évangiles notamment), les Pères de l’Église et les auteurs plus tardifs, c’est-à-dire en fait de toute la Tradition vivante de l’Église.

Jean Lédion, marié, trois enfants. Diplôme d’ingénieur, docteur d’État ès Sciences Physiques. Enseignant dans une école d’ingénieurs à Paris.

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