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Deus Caritas est

Benoît XVI, Noël 2005
Sébastien Ray

La première encyclique de Benoît XVI était attendue comme programmatique du nouveau pontificat. Aussi son titre, « Dieu est amour », a-t-il de quoi surprendre ceux qui s’attendaient à des déclarations de type politique ou disciplinaire. Plus qu’un programme, ce texte, relativement bref, comparé aux quatorze encycliques de Jean-Paul II, est un exposé clair et pédagogique du cœur de la foi chrétienne, exprimé par la phrase de la première épître de saint Jean qui ouvre l’encyclique. Sans dissocier son discours de l’actualité, qu’il évoque à divers endroits, le pape a choisi de traiter un sujet général, touchant aux vérités éternelles, mais qui, comme il le souligne lui-même, a des applications très concrètes au monde contemporain.

L’encyclique est divisée en deux parties principales, « profondément reliées entre elles » par la thématique commune de l’amour divin, de l’amour de l’homme pour Dieu et son prochain et des liens qui les unissent fondamentalement. La première, « l’unité de l’amour dans la création et dans l’histoire du salut », est une étude de type philosophique et théologique sur la notion d’amour ; la seconde, « l’exercice de l’amour de la part de l’Eglise en tant que communauté d’amour », approfondit les conséquences concrètes de la révélation de l’amour de Dieu dans l’exercice pratique de la charité. Ces deux parties complémentaires donnent à l’encyclique une structure très équilibrée entre la réflexion contemplative et l’action concrète, vues comme deux aspects indissociables du commandement divin de l’amour.

Le pape commence la première partie par un rappel sur la distinction traditionnelle des deux sens de l’amour, eros et agapè : le premier est l’amour humain entre l’homme et la femme, qui ouvre l’homme à quelque chose qui le dépasse mais qui, limité par la finitude humaine et entaché par le péché, risque de dégénérer en concupiscence sans l’aide surnaturelle du second, caractéristique de la nouveauté du christianisme : c’est l’amour total, qui se donne en sacrifice pour le bien de l’aimé. Benoît XVI examine au passage les objections classiques de Nietzsche, qui prétend que le christianisme a tué l’eros en l’entachant de culpabilité : au contraire, le christianisme rend à l’eros sa place véritable, en faisant de lui non une idole, mais un appel du divin, à intégrer dans la personne entière de l’homme, et non seulement dans son corps. Mais le pape va plus loin : l’eros est également l’expression de l’amour fou de Dieu pour l’homme, exprimé par les prophètes de l’Ancien Testament et, plus explicitement, par le Cantique des cantiques. En Dieu, la distinction entre eros et agapè s’efface donc : Dieu, source de tout amour, nous aime d’une passion véritable, non éthérée. L’amour est donc fondamentalement un, et toutes les formes qu’on distingue traditionnellement en lui doivent finalement se rejoindre dans l’Amour infini, qui est Dieu.

Cet amour prend son expression totale et définitive au cœur même de l’humanité en la personne de Jésus, Fils offert aux hommes comme Frère et Sauveur, leur assurant l’union avec Lui par la communion eucharistique. Les difficultés posées par le commandement de l’amour de Dieu, que nul n’a jamais vu, sont ainsi résolues par Sa propre venue vers nous, Lui qui nous a aimés le premier. L’eucharistie, qui est proprement agapè, fait de nous tous un seul corps et s’accomplit naturellement dans l’amour du prochain, que nous pouvons alors aimer véritablement en Dieu : l’encyclique met ici très clairement en lumière l’unité du double commandement de l’amour de Dieu et du prochain.

La seconde partie montre comment « toute l’activité de l’Église est l’expression d’un amour qui cherche le bien intégral de l’homme » (19), avec une insistance particulière sur le service de la charité, comme attention aux plus pauvres. Après avoir rappelé que ce service remonte aux origines de l’Église, dans l’institution du ministère diaconal, et s’est développé au cours des siècles, en particulier autour des monastères, le pape met l’accent sur le fait que le ministère de charité n’est pas une activité annexe et facultative, mais fait partie intégrante de la nature de l’Église, famille dont les membres ne doivent pas être laissés dans le besoin, et corps du Christ chargé de porter Son amour au monde.

Benoît XVI s’intéresse ensuite aux objections marxistes à la charité comme remède, qui ne ferait que prolonger, en le rendant supportable, un état injuste de la société au lieu de le renverser par la révolution ; il y répond par un développement soigneux sur le rôle de l’Église dans l’établissement d’une société juste, établissement qui relève principalement de l’État mais que l’Église éclaire par son enseignement, en particulier par sa doctrine sociale, sans se mêler, ce qui serait une dénaturation, d’instaurer elle-même quelque ordre que ce soit. L’insuffisance de la dialectique réside principalement dans la dissociation artificielle de la justice et de la charité, dans le fait que nul ordre social, si juste soit-il, ne peut annuler la nécessité de la charité, inscrite dans la nature de l’homme créé à l’image du Dieu amour.

Le pape se réjouit de l’abondance d’organisations de type caritatif, qui se mettent au service des plus malheureux, mais il met en évidence le caractère original de la charité chrétienne, pour laquelle le service est l’occasion d’une rencontre avec le prochain dans la lumière de l’amour de Dieu, sans calculs personnels ni idéologiques. L’encyclique dresse ainsi un portrait de l’homme de charité, attentif avant tout au bien de l’autre et à la communion dans l’Église, remettant son action à Dieu dans la prière, et espérant profondément, par-delà ce qu’il accomplit, en la victoire finale de Dieu sur les maux qu’il tente de combattre.

Cette seconde partie est donc, au-delà des avertissements discrets contre certaines tendances à la déchristianisation, un bel encouragement aux associations caritatives chrétiennes, qui ont accueilli l’encyclique avec enthousiasme. En montrant l’enracinement de l’œuvre de charité dans le cœur de la foi chrétienne, dans l’Incarnation de Dieu amour, Benoît XVI leur rappelle à quel point elles sont essentielles à la vie de l’Église, perpétuant, comme le dit la conclusion, l’exemple des saints qui nous ont précédés, et éminemment de Marie, réceptacle de l’amour entier de Dieu, à laquelle elle se donne complètement, et qui reste pour tous les chrétiens le modèle de l’amour de l’homme accompli en l’amour de Dieu.

Réalisation : spyrit.net