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Editorial

Résurrection

Dans ce deuxième cahier consacré à la bioéthique, la revue Résurrection aborde la question à la double lumière de la science et de la théologie. Alors que les pressions en faveur du clonage humain et de l’expérimentation sur l’embryon se font de plus en plus insistantes, au nom d’un « progrès scientifique » qui s’apparente, en l’espèce, à une version soi-disant éclairée du vieil axiome « la fin justifie les moyens », un exposé des mécanismes de la genèse de la vie humaine et des diverses techniques actuellement développées pour la contrôler est présenté au début de ce numéro. Or, ce que l’homme découvre par une exploration de plus en plus poussée des lois de la nature, c’est la profonde unité de son existence biologique. La génétique nous apprend que l’individu adulte, en pleine possession de ses moyens physiques et mentaux, est fondamentalement le même que l’entité monocellulaire qui fut son commencement. Concéder à l’homme des droits conditionnés à certains stades prédéfinis de son développement, avant sa naissance aussi bien qu’après, ne saurait donc trouver de caution scientifique. L’article d’Henri Bléhaut fait clairement le point sur cette question, et la longue liste des manipulations déjà pratiquées ou sur le point de l’être montre que l’homme d’aujourd’hui n’accepte plus de recevoir son statut d’être humain et les droits qui en découlent d’une instance extérieure, fût-elle la nature elle-même. Extériorité qui, loin de s’opposer à l’approfondissement de nos connaissances, nous incite à relever le défi d’une véritable « bioéthique » par des recherches scientifiques encore plus poussées, qui développent les extraordinaires potentialités de la nature à un degré bien plus élevé que les tentatives actuelles de manipulation du vivant. En réalité, nombre de nos contemporains, quoi qu’ils en disent, ne font guère confiance aux développements futurs de la science, lorsqu’ils considèrent comme absolument normal d’éliminer un enfant à naître pour cause de maladie ou malformation actuellement incurable. Et si, dans dix ou vingt ans, on trouvait le moyen de traiter les effets de la trisomie 21 ? Mais qui osera dire aujourd’hui publiquement qu’une éthique respectueuse de toute l’humanité, de l’embryon à la tombe, est précisément le moteur d’un authentique progrès ?

Alain Grau, de son côté, remet en question la signification communément donnée à la notion de « personne ». Certains défenseurs de l’enfant à naître répètent parfois, de manière incantatoire, que « l’embryon est une personne ». Mais quel contemporain se laisserait toucher, et a fortiori convaincre, par une telle affirmation ? Compte tenu du sens qu’a pris le mot à l’époque moderne, à connotation largement psychologique (on le confond parfois avec la « personnalité »), le tout-venant rira au nez du militant « pro-life » qui lui présentera cet argument. Dans un monde où la notion biblique d’humanité est oubliée au profit d’un retour à des idées plus proches de celle du paganisme antique, célébrant une humanité saine, adulte, en pleine possession de ses facultés physiques et mentales, comment justifier, y compris de manière théologique, le respect que la Révélation exige envers toute forme d’humanité, de la conception à la mort ?

La Tradition chrétienne nous invite à penser notre humanité en référence à celle du Christ qui en est le modèle, la figure, l’archétype. Or, le Concile de Chalcédoine affirme la parfaite humanité du Christ tout en refusant qu’il soit une personne humaine ! La nature en lui n’accède à une existence personnelle qu’en se laissant saisir par la personne divine du Christ, et c’est en cela qu’elle est sauvée. Ce paradoxe est cependant éclairé par l’affirmation fondamentale de Chalcédoine, selon laquelle le Fils est consubstantiel au Père selon la divinité et consubstantiel à nous selon l’humanité. Ce que ce Concile veut dire par là, c’est que nous n’existons en tant qu’hommes que dans la relation ontologique qui nous lie au Christ. La « personne » n’est donc pas une entité autosuffisante, mais une relation au Christ qui constitue notre humanité. Le respect dû à toute forme de vie humaine tient précisément à ce lien. Par un paradoxe typiquement « chalcédonien », c’est par ce lien de « dépendance » vis-à-vis de Celui qui est la source de toute humanité que l’homme découvre sa véritable dignité, sa liberté et sa grandeur.

Réalisation : spyrit.net