Rechercher

Editorial

Charles-Olivier Stiker-Métral

Proposer une réflexion théologique et spirituelle sur les mystères de la vie de Jésus pourrait paraître aujourd’hui une entreprise bien datée. Parce que cela suppose d’abord de parler de la vie de Jésus : elle est, dans sa plus grande part, absente du kérygme, de la prédication des premiers temps apostoliques. Elle semble n’être qu’une construction a posteriori, faite par des Évangélistes somme toute tard venus, et ressemble bien souvent, au pire à une imagerie mythologique teintée de merveilleux, au mieux à une illustration d’affirmations théologiques par des récits qui n’ont de valeur que symbolique.

Parce que cela suppose ensuite de parler de mystère : quand bien même on écrit une vie de Jésus, que l’on veut de toutes façons critique au sujet de l’historicité des Évangiles, c’est la biographie d’un spirituel, qui appelle l’étonnement de l’historien devant la réussite de cette déviance juive, l’admiration devant la profondeur de la sagesse de cet homme. Mais en aucun cas on n’accepte l’idée que se manifeste dans cette vie quelque chose qui ne soit pas seulement à hauteur d’homme, quelque chose de l’absolu, du transcendant, quelque chose de Dieu même. Entre ces deux écueils, d’une part une critique littéraire qui saisit la profondeur spirituelle en la coupant de la réalité d’un événement historique, d’autre part une volonté d’historicité qui anéantit la dimension proprement transcendante de cet événement, nous pensons qu’il y a place pour une théologie qui prenne en compte l’événement et le récit, non dans une opposition, mais dans une dynamique. L’événement est déjà porteur d’un sens, que le récit doit élucider, manifester et transmettre. La réflexion contemporaine, en s’interrogeant sur les modalités de la révélation, et en enracinant à la fois la christologie et la sotériologie dans le mystère trinitaire, impose en réalité notre sujet.

Car il s’agit de rien moins que de prendre au sérieux la profondeur existentielle des événements de la vie du Christ, de chercher à comprendre comment ce qui arrive « pour nous » (comme ne cessent de le rappeler les Pères) n’est pas sans lien avec l’intériorité de Jésus. Il s’agit de savoir comment sa vie est vécue par Jésus comme Fils, comment chaque moment nous le révèle comme Fils et est par conséquent manifestation de son rapport aux deux autres personnes. Et c’est ici que cette réflexion théologique très récente rejoint une tradition spirituelle plus ancienne, celle de l’École Française, celle d’un Cardinal de Bérulle contemplant les « actions humainement divines et divinement humaines » de Jésus. Regarder Jésus, c’est regarder comment Dieu se dit à l’homme : c’est cela qui nous apprend ce qu’Il nous dit de Dieu et ce qu’Il nous dit de l’homme. La théologie et la spiritualité sont au service l’une de l’autre : la théologie est déjà contemplation, la spiritualité déborde d’un mystère de révélation. N’est-ce pas ce que dit, profondément, le quatrième évangéliste, celui qui a reposé sur le sein de Jésus : « le Verbe s’est fait chair et il a demeuré parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire. Nul n’a jamais vu Dieu : le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l’a fait connaître » ? N’est-ce pas ce que nous enseigne la liturgie : « Il s’est rendu visible à nos yeux pour que nous soyons conduits à l’amour de ce qui demeure invisible » ?

Charles-Olivier Stiker-Métral, né en 1976, marié, pensionnaire de la Fondation Thiers.

Réalisation : spyrit.net